Implanté dans les Hauts-de-Seine,
l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications (IDEST) est dirigé
par le professeur Philippe Achilléas. Il a orchestré le webinaire du 18 juin«
Vivre dans l’espace : aspects juridiques et éthiques » au deuxième jour de
l’événement « Thomas Pesquet depuis l’espace ». Cette rencontre vidéo a donné
l’occasion aux enseignants, chercheurs, et étudiants de présenter leurs
travaux.
Les interrogations sur l’espace pour le juriste
commencent par le statut des astronautes. Le droit de l’espace est né pendant
la guerre froide, dans les années 60/70, à une époque où les missions étaient
principalement diligentées par des agences publiques. Les astronautes, souvent
des militaires, appartenaient au corps de leurs fonctionnaires. Rapidement, à
la demande des États-Unis, il a été décidé de reconnaître aux astronautes un
statut particulier, celui d’envoyé de l’humanité dans l’espace.
Le statut des astronautes
Philippe Achilléas, directeur de l’IDEST rappelle : « Le
traité général sur l’espace soviétique a d’abord été adopté en 1967. Son
article 5 est consacré aux astronautes. Un an plus tard, le projet américain
d’accord sur les astronautes a été admis à l’ONU. Il ne définit pas l’astronaute. La définition de
l’astronaute n’existe d’ailleurs toujours pas en droit international.
Cependant, le traité précise que les astronautes sont considérés comme des
envoyés de l’humanité dans l’espace. » L’expression « des envoyés de l’humanité dans l’espace », proche du langage
diplomatique, suggère que leur exploration est menée au nom de tous. Comme ils
nous représentent tous, le droit international leur a attribué un régime de
protection spécifique. Concrètement, tous
les États s’engagent à secourir les astronautes, quelle que soit leur
nationalité, dès lors que ceux-ci sont en situation de détresse ou de danger. Rappelons que les premiers
vols habités ont eu lieu en pleine guerre froide et que les astronautes étaient
des militaires. Américains et Soviétiques s’assuraient ainsi qu’un équipage
tombé entre les mains antagonistes bénéficie de l’immunité et soit
immédiatement restitué à l’autorité de lancement. Dans le même
esprit, il existe dans l’espace une obligation d’assistance mutuelle entre les
astronautes dans les situations de danger. Ce régime qui date de 1968 est toujours en vigueur mais nous assistons à
son évolution avec l’arrivée des vols habités privés.
En 2001, l’homme d’affaire américain Dennis Tito a
effectué le premier voyage privé à bord de la station spatiale internationale.
Cette ouverture laissait envisager un essor rapide du tourisme spatial. En
réalité, il a fallu attendre quasiment deux décennies. Simultanément, arrive
une nouvelle catégorie d’astronautes professionnels, expédiés pour remplir des
missions privées non scientifiques. Parmi eux, on peut citer l’acteur américain
Tom Cruise qui va séjourner à bord de la Station spatiale internationale (ISS)
pour tourner un film. L’ISS va servir de studio de cinéma tant à la Russie
qu’aux États-Unis. Dans ce contexte, le statut de l’astronaute posé par le
droit international est-il toujours adapté ? Il semble hasardeux de considérer
cette variété d’astronautes comme des envoyés de l’humanité dans l’espace,
alors qu’ils honorent un contrat commercial privé dans un objectif de
production ludique. L’intention se situe à des années-lumière de l’exploration
de l’univers pour le bien commun.
La Station spatiale internationale est le premier engin
spatial qui a accueilli des touristes. Dans ses statuts, toute personne à bord
est considérée comme un astronaute. Néanmoins, y sont distingués l’équipage des
participants au vol, l’astronaute professionnel du passager. Autre élément
important pour le professeur Achilléas, la loi américaine adoptée pour
encourager le développement des vols suborbitaux commerciaux oblige les
opérateurs de cette industrie naissante à offrir un entraînement aux clients et
à obtenir leur consentement éclairé, c’est-à-dire à leur expliquer les risques
de l’activité. Le processus se soldera vraisemblablement par la signature d’un
document dans lequel le voyageur renoncera à toute action en responsabilité en
cas de dommages. Sans remettre en cause le statut du traité de l’espace de
1967, ni l’accord sur les astronautes de 1968, apparaissent progressivement des
catégories d’astronautes. La réglementation du secteur spatial demeure très
lacunaire comparativement à celles de l’aérien, du maritime ou du ferroviaire.
Le statut des travailleurs de l’espace qui construiront des bases sur les corps
célestes dans des environnements éminemment hostiles reste à écrire. De même,
quid du droit social dans l’espace ? Toutes ces interrogations attendent le
juriste de demain.
Les droits des passagers suborbitaux
Les droits du passager suborbital renvoient à des problèmes
de définition, car les conventions en vigueur n’indiquent pas le statut de
l’astronaute. Conçues depuis 60 ans, elles ne se sont pas adaptées à
l’évolution technologique et semblent inadéquates pour la réalité contemporaine
de l’industrie. Le passager suborbital est un voyageur dans un appareil envoyé
aux confins de l’espace atmosphérique et au début de l’espace
extra-atmosphérique. Comme pour les vedettes de cinéma dans l’ISS, la question
se pose : doit-on admettre qu’un milliardaire qui va vivre l’expérience
personnelle de sortir de l’espace extra-atmosphérique participe au dessein
d’envoyer l’humanité dans l’espace ? s’interroge Vincent Correia, professeur de
droit aérien et aéronautique à l’IDEST. Virgin Galactic a récemment fait des
annonces pour le lancement de la phase de commercialisation de ces vols
suborbitaux. Ses clients, les happy few, sont aujourd’hu i considérés comme des
passagers. Mais peut-être faudra-il les traiter comme des consommateurs dans le
futur. En son temps, une évolution s’est produite en droit aérien. Les premiers
vols à l’aide d’aéronefs au 20e siècle étaient dangereux. Ceux qui embarquaient
prenaient un risque. Les passagers pionniers appartenaient à l’élite fortunée.
Progressivement se sont développés leurs droits. Depuis une dizaine d’années,
les lignes commerciales se sont tellement démocratisées que la protection ne
correspond plus à celle de passager, mais à celle de consommateur. Si
l’histoire se répète, le même processus d’évolution attend le voyageur de
l’espace.
Le professeur anticipe : « Le passager suborbital est
confronté à plusieurs dangers, à commencer par les risques contractuels en cas
d’annulation. Dans le contentieux en matière aérienne, ce dernier est
abondamment présent. Évidemment, un touriste qui, selon les
tarifs appliqués, a déboursé environ 250 000 dollars pour un vol
suborbital, ne se satisfera pas d’une spoliation sans réagir. S’il est avéré
qu’il ne respecte pas les exigences médicales ou si le vendeur du vol fait
faillite, poindra sa demande d’indemnisation en tant que contractant. » La
responsabilité interroge également en cas de décès ou de blessure corporelle,
si un accident arrive pendant le vol ou pendant la formation. Ici aussi, le
parallèle avec le secteur aérien parait évident parce que le transport
suborbital en est actuellement au même stade que le transport aérien au début
du 20e siècle. C’est-à-dire que les constructeurs savent fabriquer des engins
qui volent, mais en revanche, ils ne peuvent pas garantir le risque zéro aux
passagers. Les transports spatial et suborbital sont des industries innovantes
plus dangereuses que d’autres déjà éprouvées depuis longtemps comme le maritime
ou le ferroviaire.
Autre sujet, quel droit appliquer ? Les engins opèrent à
la limite entre espace extra-atmosphérique et aérien, où demeure une lacune
majeure du droit international. La frontière entre les deux n’est pas fixée.
Deux approches s’opposent pour la délimiter. La première suit une logique de
zonage avec une altitude qui reste à préciser. La seconde est fonctionnelle :
Autrement dit, l’activité spatiale est soumise au régime du droit de l’espace,
et l’activité arienne au droit aérien. Malheureusement, le vol suborbital
implique une opération successivement aérienne puis spatiale, et met en défaut
cette solution.
Il conviendrait donc d’appliquer les règles du droit
aérien dans la phase aérienne du voyage et celles du droit spatial dans
l’autre. Mais, les conventions internationales de l’aviation civile ne
s’appliquent pas aux voyages suborbitaux parce qu’elles concernent les
opérations de transport international. Pour s’y référer, il faudrait que le
voyage suborbital aille du pays A au pays B. Or, dans tous les projets
existants, la navette décolle d’un spaceport situé dans un État et revient
atterrir au même endroit. Pour de tels plans de vol, le droit aérien
international n’offre pas de réponses.
Il fournit néanmoins des sources d’inspiration pour
élaborer le régime international à venir des vols suborbitaux.
Pour l’heure, les législations nationales sont
employées. Celle des États-Unis est formatée pour permettre l’essor du marché
dans le pays. Une disposition impose que les opérateurs informent les passagers
de tous les risques : du fait que l’activité pourra
leur causer blessures, handicap, mort ; que les appareils ne sont pas
certifiés concernant la sécurité ; du nombre total de personnes
blessées et mortes à cause d’un vol ; du nombre de catastrophes à
l’occasion de lancements et d’opérations de rentrée. L’approche, libérale
économiquement et juridiquement, autorise les passagers et les industriels à s’adonner à l’activité tout en dédouanant
le gouvernement. Quant aux relations entre le
passager et le transporteur, le mécanisme, assez classique en common law, limite ou exclut la
responsabilité. En Europe, les gouvernements acceptent mal une telle exclusion.
Si le marché suborbital prend de l’ampleur, ce type de régime juridique
sera-t-il acceptable ? Des règles internationales
pour assurer la sécurité juridique, garantir les droits des passagers seraient
utiles à une concurrence planétaire.
Dans le droit aérien, la Convention de Montréal pose les règles en
matière d’accidents, de décès, de lésions corporelles et de retard. Le droit
aérien offre un régime de responsabilité dit à double niveau, note Vincent
Correia. Avec le premier, celui de responsabilité objective, si le passager
décède, est blessé, ou souffre d’un dommage à l’occasion d’une opération de
transport aérien, la compagnie aérienne indemnise jusqu’à hauteur de 128 821 droits de tirage spéciaux (DTS), soit environ
154 000 euros. Au-delà de ce montant, commence le
second niveau, celui du régime de présomption de responsabilité pour le
transporteur. Cela signifie que pour les demandes qui excèdent 128 821 DTS, le transporteur est tenu pour
responsable. Cette approche pourrait se transposer aux vols suborbitaux,
sachant que la Convention de Montréal, en matière aérienne, interdit les
exclusions contractuelles de responsabilité. Elle prévoit également un principe d’exclusivité en vertu duquel les
législations nationales ne peuvent pas faire échec aux règles adoptées dans la
convention internationale. Ainsi, les règles américaines, excessivement
favorables à l’industriel ou à l’opérateur, ne seraient pas applicables dans
cette configuration.
Pour l’instant, le statut juridique du participant au vol suborbital
reste régit par quelques législations nationales éparses. Certaines sont clairement
destinées à permettre l’essor économique de l’activité. Le statut des passagers
suborbitaux évolue dans une zone grise, entre transport aérien et transport
spatial. Ces deux périmètres du droit, quoique proches historiquement, ont
évolué de manière divergente. Une convention internationale encadrant les vols
suborbitaux et leurs participants s’imposera si leur nombre augmente. Aucun
caractère d’urgence cependant, car aujourd’hui, rares sont les acteurs, clients
comme fournisseurs, en capacité de rejoindre ce marché.
Le touriste spatial
Il n’existe à ce jour aucune définition juridique officielle du tourisme
spatial, remarque Sixtine Maisonnave, doctorante à l’IDEST. On pourrait le désigner comme l’ensemble des
activités de voyage dans l’espace à des fins récréatives. Il est légal sur le fondement de l’article 1er du Traité de l’espace de 1967, qui pose le principe de libre utilisation et exploration de l’espace à
des fins pacifiques. Comme toute activité spatiale, le tourisme demeure sous la
juridiction et le contrôle de l’État d’immatriculation.
C’est-à-dire celui de l’inscription au registre national de l’objet spatial,
afin de l’identifier (un peu comme pour une voiture). L’État d’immatriculation
assure la surveillance continue à la fois de l’objet spatial et du personnel à
son bord, quel qu’il soit. Toutefois, les activités spatiales touristiques ne
font actuellement pas l’objet d’une réglementation qui leur est propre, ni les
principaux concernés, à savoir les touristes spatiaux.
Concrètement, jusqu’à présent, les touristes spatiaux étaient des
multimilliardaires qui ont pu séjourner dans l’ISS. Mais ces dernières années,
a émergé un
foisonnement de projets, portés par le très concurrentiel secteur privé. La
NASA, par exemple, a récemment choisi d’ouvrir les portes de la Station
spatiale internationale à deux particuliers par an, dans le cadre du NASA
commercial crue program. La compagnie américaine SpaceX propose un package,
« back to the moon »,
voyage personnalisé autour de la Lune, dont un premier lancement est programmé début 2023. La start-up américaine
Axiom mise sur la première station spatiale touristique qui sera également un
laboratoire privé. D’autres stratégies sont conçues, participant à l’envol du
tourisme spatial et de ses clients qui vont occuper une place grandissante.
Contrairement au droit aérien qui réglemente
précisément les droits et devoirs des passagers, le droit international de
l’espace ne considère qu’une catégorie de personnes bien spécifiques : les
astronautes. Il ignore les passagers ou les touristes, insiste Sixtine
Maisonnave. L’individu qui voyage dans l’espace à des fins récréatives ne
correspond pas du tout à la définition de l’astronaute (u n agent étatique sélectionné et
entraîné). En doctrine, parmi les chercheurs et
les auteurs, l’habitude est de qualifier le touriste comme un astronaute en
attendant qu’un statut propre lui soit attribué. Beaucoup considèrent que le
touriste devrait bénéficier des droits de nature humanitaire dont bénéficie
l’astronaute : le droit de sauvetage et de retour en cas de détresse, ou
d’atterrissage sur terre. Le manque juridique dans les textes onusiens a été peu à peu
comblé par
les textes relatifs à la
Station spatiale internationale puisqu’ils
comportent des dispositions applicables à d’autres personnes que les
astronautes professionnels. Ainsi, des critères sur la sélection des personnes
à bord de l’ISS adoptés en 2001 établissent des classifications entre les individus
à bord. Ils distinguent notamment les astronautes des participants au vol.
Parmi eux, sont compris les touristes spatiaux parrainés par une agence
spatiale partenaire de l’ISS. La candidature des participants est approuvée par
un panel composé de représentants des partenaires. Il évalue l’aptitude
médicale et comportementale des candidats. Chacun doit suivre en amont du
lancement un entraînement rigoureux similaire à celui des astronautes pour se préparer à vivre dans la
station. À bord, le participant est tenu de se conformer à un cadre exigeant.
Il impose le respect des règles de vie dans l’ISS, l’obéissance au code de
conduite applicable à tous ses occupants, mais également la soumission à
l’autorité du commandant.
Nationales ou internationales, les législations demeurent très limitées
en particulier quant à l’encadrement des activités touristiques qui sont
finalement comprises comme commerciales. Ce champ juridique reste à déterminer,
ouvert sur des dimensions d’éthique, de responsabilité, d’assurance ou encore
d’autorité.
La sécurité dans l’espace : qui fait la police dans l’espace ?
Disposer de règles dans l’espace, c’est bien, mais que se
passe-t-il si un État ne les respecte pas, et comment en être simplement
informé ? Dans la science-fiction, des personnages garantissent la paix et la
justice, mais dans la réalité, le droit de l’espace ne résout absolument pas le
problème. « Par exemple, la Chine envoie sa station spatiale dans l’espace
qu’elle va gérer seule. Les autres nations qui n’y accèdent pas peuvent se
demander si les Chinois vont bien respecter leurs obligations internationales
dans l’espace : ne pas tester d’armes ; ne pas émettre d’ondes préjudiciables ;
ne pas espionner… Comment, le cas échéant, faire arrêter une activité illicite
? » demande Hugo Lopez, doctorant à l’IDEST. Le Traité de l’espace de 1967?a
été conclu dans l’objectif d’éviter les conflits. Sur la question de la police,
il apporte peu. Deux mécanismes peuvent être intéressants.
Le premier est celui d’inspection présent à l’article 12 du traité de l’espace. Le mécanisme d’inspection consiste, pour l’État propriétaire et responsable d’une base
lunaire, à la laisser ouverte à tous les autres États. Ils peuvent ainsi la
contrôler et s’assurer du bon suivi des engagements internationaux par l’État
propriétaire. Suivant ce principe, si la Chine a sa base sur la Lune, les
États-Unis peuvent s’y rendre et vérifier le respect des engagements. Cette
logique porte la force du contrôle mais aussi celle de la dissuasion.
Cependant, elle est budgétairement aberrante. Nul État n’enverrait une mission
de contrôle d’une puissance étrangère sur la Lune,
sachant le prix d’une telle expédition. Elle est également incomplète parce
qu’elle ne s’applique qu’à la Lune et aux corps célestes. La station spatiale
chinoise n’est donc pas sujette à cette inspection par d’autres États.
Le second, le mécanisme de consultation, se trouve à
l’article 9 du Traité de l’espace. Dans son esprit, si un État a des doutes sur
les intentions à venir d’un autre État, il peut entamer des consultations avec
ce dernier. Le but est d’essayer de prévenir un possible différent ou une
future violation du droit international. Ce dispositif a deux limites. D’une
part, il reste facultatif. La possibilité de faire une consultation n’est pas
une obligation. D’autre part, la consultation ne conduit pas nécessairement à
un accord pour éviter les problèmes abordés.
Ces deux articles pourraient favoriser un minimum de
suivi quant au respect des normes internationales dans l’espace, mais ils se
bornent à de la prévention et ne permettent pas de stopper un problème avéré. Quelles autres règles du droit international classique pourraient
s’opposer à des actions illicites dans l’espace ? Le Conseil de sécurité des Nations unies,
également surnommé le « gendarme mondial », veille au maintien de la paix et de
la sécurité internationales dans le monde. Il dispose de pouvoirs à cette fin.
Si par exemple, la Station spatiale chinoise développe des armes, c’est une
menace à la sécurité internationale, et le Conseil de sécurité est alors fondé
à se saisir de la question et à adopter des mesures. Plus ou moins agressives
mais sans recours à la force, elles peuvent être de différentes natures, se traduire
en ruptures des communications, des relations diplomatiques, et en
établissement de sanctions diplomatiques, militaires ou économiques. Concernant plus particulièrement les
sanctions économiques, si un État va à l’encontre de la paix et de la sécurité
internationale, le Conseil de sécurité va demander à ses 193 membres de stopper une partie des échanges commerciaux qu’ils
entretiennent avec l’État incriminé. Cette sanction étouffe l’économie ciblée pour contraindre
son pays à obtempérer. Le système a
également ses limites. Pour l’exemple choisi, Hugo Lopez rappelle que la Chine
est un membre permanent du Conseil de sécurité. À la différence des membres non
permanents, elle a un droit de veto qui lui permet de bloquer toutes les
décisions, dont bien sûr des représailles économiques à son égard. Toutes les
grandes puissances spatiales, États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni sont
également des membres permanents du Conseil de sécurité, avec le même pouvoir
de veto. « Finalement, le gendarme international ne
serait pas efficace non plus » conclut le doctorant.
Avec le recours aux juridictions internationales, un
État qui se sentirait lésé par les activités, dans notre exemple de la Chine,
dans l’espace lui intenterait un procès afin d’engager sa responsabilité. En
conséquence, la Chine serait forcée d’arrêter ses activités et éventuellement
de satisfaire une demande de réparation en cas de préjudice.
Or, la Chine applique une politique stricte vis-à-vis
des juridictions internationales. Elle refuse catégoriquement tout type de
règlement des différends sur un mode juridictionnel, si bien qu’aucun pays ne
pourrait l’attaquer en violation de ses obligations dans l’espace.
En somme, différents systèmes permettraient d’assurer
une police de l’espace, mais tous atteignent rapidement leurs limites.
Actuellement, nul ne peut prendre de mesure de police dans l’espace. Il semble
que la réflexion reste à mener sur cette thématique.
Les règles régissant les
activités des astronautes de l’ISS à l’exploration lunaire
Les astronautes professionnels évoluent dans des engins
qui relèvent du secteur public, précise André Farand, directeur juridique à
l’ESA. Le cadre réglementaire qui s’applique dans la Station spatiale
internationale est complexe et comporte plusieurs niveaux de textes.
Au premier niveau, se situent les accords internationaux,
essentiellement l’IGA, accord intergouvernemental comptant 15 États
signataires. Son article 11 parle des droits et obligations des astronautes.
Naturellement, ils s’appliquent aux États qui ont souscrit à ces accords
internationaux. Dans les accords internationaux, le Traité de l’espace et celui
des Nations unies, un seul terme revient : l’astronaute.
En conséquence, seul lui dans l’espace extra
atmosphérique a des droits et des obligations.
Au deuxième niveau, viennent les textes réglementaires.
Par exemple, le code de conduite des astronautes est repris dans les règlements
de la NASA, au Canada également, en Europe dans les textes de l’ESA.
Au troisième niveau, on peut citer les documents de
programme. Ils stipulent entre autres qu’aux fins d’un vol spécial, un
participant doit avoir un entraînement d’environ une année, parler russe et
anglais, etc. Pour établir ce type de document, les partenaires de la station
se mettent d’accord.
Nous sommes donc en présence de multiples encadrements
dont un seul véritable de droit international public, les accords IGA qui font
référence aux textes des Nations unies des années 60, 70.
L’astronaute est ressortissant ou pas d’un État
signataire de l’IGA. S’il ne l’est pas, comme le Sud-africain Mark Shuttleworth
(deuxième touriste de l’espace), il faut que le partenaire responsable (Russe,
dans ce cas-là) demande l’autorisation à tous les autres de donner une occasion
de vol au ressortissant d’un pays qui n’est pas signataire de l’IGA. Ce qui
ajoute une couche de complexité à l’opération.
Un astronaute professionnel comme Thomas Pesquet est
membre du corps des astronautes d’un partenaire. Il suit tout un programme de
formation sur plusieurs années. La préparation des vols ne pose pas de
question. Le participant à un vol habité (space flight participant), notion
introduite par la NASA, peut aussi être un astronaute professionnel. C’est le
cas du Danois Andreas Mogensen, qui a accompagné une mission de près de deux
semaines en tant que spectateur. Arrive désormais l’astronaute dans le secteur
privé. Certains issus de la NASA ont été assignés directement à SpaceX et Blue
Origin pour aider les entreprises à développer leurs transporteurs spatiaux. Ce
sont des astronautes professionnels dans le secteur privé. Dans le projet
Axiom, il est question de connecter des modules privés à la station spatiale
internationale et d’y envoyer ses propres astronautes. Il existe donc
aujourd’hui plusieurs sources d’astronautes pour abonder les besoins
d’activités privées.
Les documents de programme des corps d’astronautes
définissent un élément important, le rôle de l’astronaute dans la mission. Le
commandant, selon le code de conduite des astronautes, peut donner des ordres.
Le spécialiste de mission est responsable d’expériences pour lesquelles il a
les compétences d’un expert. Le type de mission est variable. Les missions de
type expédition, prévues dans l’IGA, durent environ six mois. Aujourd’hui,
Thomas Pesquet est en mission expédition décomptée des droits de vol expédition
de l’agence spatiale européenne. Avec les occasions de vol, toutes sortes de
formules sont possibles : l’achat de vol longue durée par exemple aux
partenaires russes ou encore des vols de courte durée comme ceux des touristes
de l’espace.
60 ans après le premier vol du Soviétique Youri Gagarine
et celui de l’Américain Alan Shepard, se joue maintenant une nouvelle course
pour accéder à l’espace. Celle du secteur privé avec des
véhicules spatiaux moins rudimentaires qu’en 1961 mais bien moins sophistiqués que les actuels du secteur public. Cette
compétition va changer les règles qui s’appliquent aux activités spatiales,
estime André Farand. Lors de cet été 2021 sont prévus, après des années
difficiles de financement, des vols suborbitaux privés. Naturellement les
investisseurs se sont appuyés sur des instruments contractuels de la NASA comme
les space act agreements, les Commercial orbital transportation services (COTS)
ou les contrats de fourniture de services pour collecter de l’argent public.
Trois missions ont été programmées : le 11 juillet dans le VSS Unity
Spaceshiptwo pour une sortie suborbitale d’essai de ce véhicule avec Richard
Branson ; le 20 juillet dans le New Shephard de Blue Origin avec Jeff Bezos ;
et en septembre 2021 dans la capsule Dragon de SpaceX pour un vol
(Inspiration4) autonome de trois jours, avec Jared Isaacman.
Est-ce que ces véhicules spatiaux atteindront l’espace
extra-atmosphérique ? L’appareil de Virgin Galactic est donné pour aller
jusqu’à 50 miles, soit 84 km, la limite de l’espace extra-atmosphérique selon
la Federal aviation administration (FAA). Ces missions, comme pour les modules
américains de l’ISS, seront sous la juridiction et le contrôle des États-Unis.
La FAA autorise et supervise les missions commerciales précitées conformément
aux lois, règlements et politiques. La question de la responsabilité pour
dommages est vraiment centrale. Parler de vols suborbitaux, c’est parler de
responsabilité, de renonciation mutuelle à recours. Les droits et obligations
prévues dans la réglementation sont en grande partie repris dans des
dispositions contractuelles entre l’opérateur et les clients. Le contrat,
notamment pour ce qui est de l’État de santé, fixe le cadre pour voler à bord
de ces véhicules, et les termes de l’entraînement prérequis.
L’exploration spatiale future est sous la gérance du
domaine public. Les agences spatiales intéressées, américaine, canadienne,
européenne, japonaise ont signé des mémorandums d’accord (memorandum of
understanding : MoU) de définition détaillée du Lunar Gateway. Les partenaires
y précisent leurs intentions. On n’y relève pas une application officielle de
toutes les règles de l’IGA pour la prochaine mission d’exploration lunaire
publique en coopération avec la NASA. Soulignons que le programme fondamental
Artemis de l’agence américaine reçoit irrégulièrement des financements et
change constamment. La question reste donc entière : est ce que les règles de
l’ISS, des astronautes et de leurs activités seront dupliquées pour
l’exploration spatiale ? Aujourd’hui, dans la perspective d’une base lunaire,
les États recommencent à négocier des accords internationaux en s’appuyant sur
le cadre réglementaire de l’ISS.
C2M