DROIT

Votée en commission mixte paritaire, la nouvelle réforme de l’ordonnance de protection questionne

Votée en commission mixte paritaire, la nouvelle réforme de l’ordonnance de protection questionne
La nouvelle ordonnance de protection immédiate fait craindre un non-respect du contradictoire
Publié le 30/05/2024 à 14:02
Députés et sénateurs sont parvenus, le 21 mai dernier, à un accord sur une proposition de loi visant à améliorer le dispositif de l’ordonnance de protection. Le texte, adopté en commission mixte paritaire, renforce le dispositif existant et crée un nouvel outil : une ordonnance provisoire de protection immédiate, émise sous 24h. Si associations et avocats saluent des avancées significatives, des interrogations sur la portée de cette réforme subsistent.

Deux mesures phares pour protéger les victimes de violences conjugales. Les députés et sénateurs ont adopté le 21 mai dernier une proposition de loi visant à perfectionner le dispositif de l’ordonnance de protection (OP) créé en 2010, pour protéger en urgence les victimes de violences conjugales par un ensemble de mesures civiles et de protection immédiate. Si le nombre de demandes d’OP a quasiment été multiplié par 4 en 10 ans, les chiffres attestent encore de la sous-utilisation du dispositif.

En 2021, sur les 122 femmes tuées au cours de l’année, seules deux bénéficiaient d’une ordonnance de protection. La proposition de loi réévalue donc les critères de délivrance et la procédure : elle allonge la durée de l’ordonnance de protection et crée d’une ordonnance de protection immédiate (OPPI) afin de protéger les femmes dans les quelques jours avant la délivrance d'une OP.

L’allongement de la durée de l’OP saluée

Initialement, l’ordonnance de protection était délivrée pour une durée de 6 mois, avec possibilité d’un allongement à 12 mois dans les seuls cas où une demande de divorce ou de séparation avait été déposée. Au regard de la durée des procédures entreprises devant le juge aux affaires familiales (JAF), cette durée de six mois était jugée largement insuffisante par les conseils aux victimes, celles-ci se retrouvant souvent dans l’incapacité financière et psychologique d’enclencher une procédure de séparation ou de divorce avant l’expiration du délai.

L’article 1er de la proposition de loi double la durée maximale de l’ordonnance de protection provisoire. « L’amener à 12 mois pour toutes permet d’assurer une protection plus pérenne. Par ailleurs, en l’état actuel des textes, les femmes non mariées et sans enfants ne pouvaient pas bénéficier de l’allongement des mesures de l’ordonnance de protection », salue Joan Auradon, chargée du pôle justice de l’organisation Solidarité femmes.

La notion de danger précisée mais pas supprimée

Cependant, pour associations et avocats, le texte ne va pas assez loin dans la réforme du dispositif. Plusieurs acteurs avaient en effet plaidé en faveur d’une suppression du critère de danger figurant dans le Code civil, et qui prévoit deux conditions cumulatives à la délivrance d’une OP : la vraisemblance des violences et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.

« L’appréciation du critère de danger reste aujourd’hui un frein non seulement à l’attribution des OP mais également aux saisines pour OP,  les victimes et leurs avocats s’en emparant peu par anticipation des éventuelles décisions de rejet qui viendraient desservir le dossier des victimes. Et ce même en présence de violences vraisemblables », précisait la Fédération nationale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CDIFF) dans sa contribution à la proposition de loi.

S’il n’abandonne pas les deux critères cumulatifs, le législateur a néanmoins tenu à préciser qu'il peut toujours y avoir danger, « y compris lorsque la cohabitation a pris fin ou n'a jamais eu lieu ». Un ajout au texte destiné à répondre « au problème que pose la frilosité de certains juges, qui refusent de délivrer une ordonnance de protection dès lors que la victime présumée et l'auteur des violences ne vivent plus sous le même toit ».

Pour Fadéla Houari, avocate spécialisée en droit de la famille au barreau de Paris, « ajouter cette notion pour faciliter l’appréciation des juges est un pas important mais pas essentiel ». « En tant qu’avocate, il me semble que la vraisemblance des violences induit forcément le danger pour les victimes. Il n’est pas exclu que le débat sur ce critère et la nécessité d’une nouvelle évolution de la loi en faveur de sa suppression ne revienne », prévient-elle.

Quelle faisabilité pour l’ordonnance de protection immédiate ?

La proposition de loi crée également une ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) pouvant être émise dans un délai de 24 heures. La commission mixte paritaire n’a pas retenu la possibilité pour la personne en danger de demander directement cette OPPI au juge des affaires familiales. Délivrée en cas de danger grave et immédiat, elle sera prise à l'initiative du parquet, uniquement lorsqu'une ordonnance de protection classique aura été demandée.

Là encore, le dispositif ne convainc pas totalement. « En l’état de la procédure, nous craignons qu’elle soit très peu requise par les procureurs et donc très peu prononcée. Le fait que le procureur doive se saisir d’une requête en ordonnance de protection classique suppose qu’il soit sans délai informé de toutes les OP du ressort de sa juridiction, qu’il puisse les examiner sans délai et demander à la victime son accord pour une demande d’ordonnance de protection immédiate. Cette procédure nous semble utopique compte tenu du manque d’articulation entre les services du parquet et les services des JAF », déplore Joan Auradon de Solidarités femmes.

« Sous l’égide de l’ancienne loi, le parquet pouvait déjà suppléer la victime pour solliciter la délivrance d'une ordonnance de protection, en prenant l'initiative de saisir le JAF, en accord avec la victime. Et il ne le faisait déjà pas ! », relève pour sa part l’avocate Fadéla Houari. Les saisines du procureur ne représenteraient que 2% des saisines d’OP selon la Fédération nationale des CDIFF. « Il me semble que cela donnera lieu à une justice à géométrie variable d’une juridiction à l’autre, car cela va dépendre des moyens et des parquetiers, ou encore de l'activité du tribunal », estime Fadéla Houari.

« La réforme précédente de l’OP avait déjà réduit les délais et tout le monde disait que ce serait impossible à tenir. Mais finalement, la justice s’est organisée et mobilisée, et plus d’OP ont été obtenues », tempère Éric Corbaux, procureur général près la cour d’appel de Poitiers, en pointe sur le traitement des violences intrafamiliales.

Le non-respect du contradictoire inquiète

S’agissant des limites juridiques, se pose naturellement la question du contradictoire et des droits de la défense dans le délai si restreint de l’OPPI. « Certains confrères s’émeuvent de cette phase non contradictoire, mais rappelons qu’on est dans une mesure d’urgence conservatoire », analyse l’avocate Fadéla Houari. Même son de cloche du côté du procureur général Éric Corbaux qui invoque « une décision très circonscrite dans le temps, où la protection prime et qui permet, dans un second temps, l’exercice plein et entier du contradictoire ».

« Au niveau du code de procédure civil rien n’a été modifié,  je ne vois pas cette procédure se faire en l’absence de l’auteur des violences conjugales, ajoute Joan Auradon pour Solidarité femmes. Compte tenu du grave danger encouru par la femme victime et éventuellement ses enfants, nous y voyons un principe de proportionnalité et de précaution qui nous semble équilibré. L’OPPI dure au maximum 5 jours, ce qui ne paraît pas démesuré au regard des risques encourus. »

Delphine Schiltz

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