Les greffiers des tribunaux de commerce ne
cessent d’innover. Récemment, ces derniers ont développé, sur le site
Infogreffe.fr, de nouveaux outils pour répondre encore mieux aux besoins des
entreprises. Le JSS a ainsi
rencontré Jean-François Doucède, Donatienne Piret-Doucède, Michel Struk et
Simon de Charentenay respectivement à la tête du GIE Infogreffe, de
marketplace.infogreffe.fr, de infogreffe.mesaidespubliques.fr et de
monjuridique.infogreffe.fr. Ceux-ci sont revenus sur le fonctionnement de ces
plateformes dont les objectifs sont, pêle-mêle, de faciliter les transactions
des fonds de commerce et des entreprises, permettre le développement et la
création de richesse par l’accès à des aides publiques, et, enfin, faciliter la
gouvernance et la gestion administrative des entreprises. Explications.
Pouvez-vous présenter, la plateforme dont vous avez
la gestion ? En quoi ces nouveaux outils répondent aux attentes actuelles
des entreprises ?
Jean-François Doucède : Je suis greffier administrateur du GIE Infogreffe en
charge de la gestion des nouveaux outils.
Infogreffe, créé, 1986, est le groupement
d’intérêt économique (GIE) des greffes des tribunaux de commerce français. Il
édite le service de diffusion de l’information légale et officielle sur les
entreprises, notamment le registre du commerce et des sociétés (RCS).
Infogreffe existe depuis 2000 sur Internet via le site Infogreffe.fr.
Le site met à disposition du public, des
entrepreneurs, des banquiers, des assureurs… les données collectées et
contrôlées par les 141 greffes des tribunaux de commerce.
Au total, les greffes de France diffusent
l’information officielle légale certifiée de plus des trois quarts des agents
économiques français (pour faire simple, les personnes physiques artisans et
les libéraux et les associations ne sont pas diffusées par Infogreffe).
Infogreffe développe en outre de nombreux services digitaux pour les
entrepreneurs dès la création de leur entreprise.
En parallèle de son activité, depuis l’an dernier, Infogreffe a lancé
trois nouveaux services : marketplace.infogreffe.fr dirigé par Donatienne
Piret-Doucède, infogreffe.mesaidespubliques.fr dirigé par Michel Struk, et
enfin monjuridique.infogreffe.fr dirigé par Simon de Charentenay. Ces trois
nouveaux services s’adressent aux entrepreneurs, aux experts comptables, aux
avocats, dans l’exercice de leur fonction ou de leur activité professionnelle.
Donatienne Piret-Doucède : Je suis greffière au tribunal de commerce de
Troyes, la marketplace.infogreffe.fr a été créée en mai 2021. Pour la
concevoir, nous sommes partis de l’idée suivante : en France, il existe
différents outils qui permettent de faire se rencontrer les cédants et les
cessionnaires, mais il n’existe pas de plateforme qui soit à la fois nationale
et qui réunisse les entreprises commerciales, artisanales, agricoles et
civiles, qu’elles soient jeunes pousses, en bonne santé ou en procédure
collective.
Avec Infogreffe, on a donc voulu, faciliter la
transmission d’entreprises entre cédants et repreneurs, grâce à un moteur de
recherche, la marketplace.infogreffe.fr.
Ce moteur de recherche a pour objectif d’aider à la
fois les personnes qui veulent céder leur entreprise et ceux qui veulent la
leur reprendre, mais aussi ceux qui souhaitent investir dans une entreprise ou
trouver des partenariats.
La plateforme a pour ambition d’être le lien entre
les différents acteurs de la reprise et de l’investissement.
Ses utilisateurs peuvent réaliser des recherches
très pointues et performantes à l’aide de critères bien détaillés tels que des
données comptables, mais aussi des critères donnant plus de sens à la reprise,
comme « bio », « made in France » ou « économie
sociale et solidaire ».
Pour l’instant, la base de données est en création.
Toute personne qui veut céder sa société doit déposer son offre. La plateforme
référence aussi les entreprises en procédure collective. Ainsi, dès l’ouverture
d’un redressement judiciaire, une société est automatiquement présentée non
comme une entreprise à vendre, mais comme une entreprise à prospecter sur le
site. De même, quand une entreprise vise un plan de cession, l’administrateur
judiciaire peut aussi publier une offre.
Si une personne est intéressée par une offre, elle
peut prendre contact avec l’entreprise concernée, via l’accès à une messagerie
sécurisée qui lui permet d’entrer en lien avec son interlocuteur. Toutes les
recherches sont gratuites. Si une personne veut obtenir davantage
d’informations, elle devra s’enregistrer avec son son nom et son mail. Il est
même possible d’être alerté gratuitement de toutes les nouvelles offres
correspondant à ses critères en posant une alerte.
La mise en contact se fait elle aussi de manière
gratuite, le but étant de faciliter les cessions d’entreprise tout en
fluidifiant les informations. La personne qui dépose son offre paie pour être
publiée. À l’heure actuelle, il faut débourser 1 euro,
mais à terme, cela pourra monter à 50 euros.
Les chefs d’entreprise peuvent déposer leur annonce
ou la déléguer à un intermédiaire de leur choix, souvent un expert-comptable ou
un avocat… Sur notre plateforme, ces derniers ont la possibilité de mettre un
logo pour indiquer par qui l’annonce a été déposée.
Autre avantage de cette marketplace : souvent,
les gens qui désirent reprendre une entreprise ne savent pas forcément où
trouver les informations pour dénicher la perle rare. Grâce à ce nouvel outil,
dès qu’un acheteur repère une entreprise, il peut avoir accès directement au
Kbis et aux statuts de la société convoitée. Bref, avant même de contacter la
société, il a accès à un certain nombre d’informations légales. Ensuite,
l’acheteur peut, s’il le souhaite, se faire accompagner par l’intermédiaire ou
le conseiller de son choix.
Enfin, les personnes qui cherchent une entreprise,
mais ne trouvent pas la société de leur rêve dans la base de données, peuvent
créer des fichiers de prospection sur notre plateforme.
Pour cela, elles devront rentrer divers critères
précis. Par exemple : « je cherche toutes les entreprises qui
sont dans tel ou tel secteur, avec tel CA, des dirigeants de plus de 60 ans… ». Il
est ensuite possible d’acheter ce fichier de prospection.
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, en bas du
site Infogreffe.fr, il y a un guide qui permet une utilisation optimale de ce
nouvel outil www.marketplace.infogreffe.fr.
Michel Struk : Je suis le fondateur du service mesaidespubliques, lancé en juin
2021 après neuf mois de version Beta. L’objectif : créer un outil pour
aider les entreprises à trouver des aides publiques qui leur correspondent.
Infogreffe met à disposition des entrepreneurs ce
service en ligne sur l’URL infogreffe.mesaidespubliques.fr permettant
d’identifier les aides qu’ils peuvent obtenir et de les solliciter directement
ou par l’intermédiaire d’un professionnel.
Par ailleurs, notre équipe condense plus
particulièrement ses efforts sur le service expert qui permet justement à des
professions comme des experts comptables, des courtiers… de proposer plus
facilement les aides publiques à leurs clients. La plateforme aide à la
recherche des aides publiques (subventions, prêts d’honneur, aides fiscales,
aides sociales, interventions en fonds propres d’organismes publics, etc.), et
une fois que l’expert a trouvé les aides pour son client, l’outil va lui
« prémâcher » le travail de rédaction de son livrable, c’est-à-dire
qu’on va générer automatiquement un livrable à 90 %.
L’expert n’aura plus qu’à le personnaliser et le contextualiser pour son
client.
La plateforme délivre aussi un autre service qui va
beaucoup plus loin : puisque l’on étudie l’éligibilité de l’entreprise aux
aides publiques. Pour cela, on décortique en interne l’ensemble des conditions
d’éligibilité pour une aide en particulier, une étape qui va permettre de
générer un formulaire que l’expert n’aura plus qu’à remplir pour son client. Il
s’agit d’une liste de questions. Une fois le document rempli, on obtient un
score d’éligibilité qui indique si oui ou non l’entreprise peut obtenir telle
ou telle aide publique, comme le Crédit d’impôt recherche (CIR) ou celles
réservées aux Jeunes entreprises innovantes (JEI), par exemple. L’expert
obtient également des recommandations pour améliorer le dossier.
Là encore, celui-ci n’a plus qu’à les personnaliser
avant de délivrer ses conseils à son client.
En résumé, cet outil permet aux experts de renforcer
leur rôle de conseil auprès de leurs clients. Certes, depuis longtemps, ces
derniers sont aux côtés des chefs d’entreprise dans leurs recherches d’aides
publiques, mais cela leur prenait beaucoup plus de temps.
Il fallait aller sur Google, taper par exemple
« aides dans tel ou tel secteur », faire ensuite des recherches sur
les sites des organismes publics, faire des copier-coller, etc. Bref, cela
nécéssitait entre 3 et 5 heures de rédaction pour un seul livrable. Grâce à
mesaidespubliques.fr, moins d’une heure de travail est nécessaire, car toutes
les aides sont au même endroit, et le professionnel n’a plus besoin d’utiliser
Word ou un email pour la phase de rédaction.
Comme je vous le disais, en amont, notre équipe de
développeurs est engagée pour simplifier le travail de recherche. On commence
par réaliser un travail d’indexation, et ce sont ensuite des algorithmes qui
permettent de faire ressortir les meilleurs résultats en fonction des critères
de l’entreprise ; l’expert n’a plus qu’à choisir les aides et à générer des
livrables rapidement.
Précisons tout de même que nous sommes une plateforme
électronique, pas un cabinet. Ce qui signifie que c’est aux experts de réaliser
un livrable personnalisé pour leurs clients. Mais sous sommes bien entendu
disponibles pour les accompagner dans le lancement de cette nouvelle offre.
Simon de Charentenay : monjuridique.infogreffe.fr est un service proposé
aux entreprises dans le secteur des registres et des assemblées générales
dématérialisés. Les registres obligatoires des sociétés sont un champ naturel
pour le GIE Infogreffe. Depuis les décrets de dématérialisation de 2018 et 2019, tous les registres, jusqu’ici des livres reliés cuir stockés dans
les entreprises, chez les experts-comptables, les avocats, les formalistes,
peuvent être dématérialisés. La logique d’Infogreffe est de proposer de
récupérer l’historique papier, sous format scan, Excel, ou autre format
numérique, et de les faire « migrer » sur les registres obligatoires
proposés sur le site monjuridique.infogreffe.fr.
C’est une interface de pilotage très rapide et
intuitive sur laquelle vous trouverez tous les registres utiles : registre
des mouvements de titres & Certificat représentatif de parts
sociales ; registre des délibérations et des décisions (assemblée générale,
conseil d’administration, conseil de surveillance, directoire, décisions de
l’associé unique, décisions du président) ; registre d’associés, registre
et feuille de présence ; registre unique du personnel ; document unique
d’évaluation des risques ; registre du comité social et économique (CSE).
Les preuves de dématérialisation des registres
reposent notamment sur la technologie de rupture blockchain, système de
décentralisation des données permettant d’authentifier et de sécuriser la
donnée par une cryptographie très élaborée.
Outre ce service, monjuridique.infogreffe.fr facilite
la gestion administrative de l’entreprise via l’organisation d’assemblées
générales en ligne. Une fonction qui s’est avérée indispensable pour les
entreprises pendant la crise sanitaire. Nous proposons un workflow de
convocations, de votes et de PV juridiquement opposables – pas simplement des
réunions en visio qui, rappelons-le, ne constituent pas des AG au sens légal du
terme. à cause de la crise
sanitaire, Infogreffe a pris conscience qu’il fallait rapidement sécuriser les
entreprises en proposant des outils juridiquement conformes.
Ce service est parfaitement complémentaire avec les
registres. En effet, quand on réunit des associés pour prendre des décisions,
il faut voter selon ses droits liés aux titres, et puis consigner les décisions
sur des PV qui vont ensuite être archivés dans des registres.
Enfin, tous ces documents et registres doivent être
stockés dans des lieux sécurisés.
On propose pour cela un coffre-fort
« collaboratif » qui organise et classe intelligemment en suivant les
normes SAE et CCFN. C’est très utile pour conserver légalement les bulletins de
paie, les factures et les documents juridiques.
Cette ergonomie participative permet à toutes les
parties de l’entreprise (avocat, expert comptable, mandataire, notaire…) de
collaborer. Ce coffre-fort intègre aussi la signature électronique (avancée
norme eIDAS).
En résumé, monjuridique.infogreffe.fr apporte la
brique de dématérialisation nécessaire aux entreprises pour leur permettre de
gagner en productivité, de répondre aux enjeux actuels de la révolution
numérique, bref, de maintenir le pays en compétitivité.
Jean-François Doucède : J’ajoute que GIE Infogreffe s’inscrit dans la
volonté de l’État d’arriver « au zéro papier » pour les entreprises.
Par conséquent, en permettant aux entreprises de dématérialiser tous leurs
registres obligatoires « papier », Infogreffe contribue à la
digitalisation de l’économie.
Monjuridique.infogreffe.fr propose de digitaliser
les registres obligatoires des entreprises, c’est-à-dire les registres de
mouvements de titres, les registres des assemblées, qu’elles soient générales,
de CA ou de directoire, etc. Lors du 133e Congrès des tribunaux de
commerce, nous avons mis en relief le chemin parcouru par la profession ces
dernières décénnies. Les services d’Infogreffe et des greffes sont clairement
dans les standards de modernité voulus par l’Union européenne, l’État français
et les entreprises modernes et innovantes.
Outre ces trois nouvelles plateformes, que
pouvez-vous nous dire sur le portail Know Your Customer (KYC) ouvert en mars
dernier ?
JFD : Les
assujettis à Tracfin, qui sont essentiellement des professionnels financiers,
du droit et du chiffre, ont l’obligation de connaître en permanence leur
dossier client, dès la relation pré contractuelle jusqu’à l’exécution du
contrat. kyc.infogreffe.fr met à leur
disposition des outils leur permettant de se mettre en conformité avec leurs
obligations de connaissance des dossiers clients. En effet, si les agents économiques ne sont
pas en conformité avec ces obligations, ils encourent des amendes. à titre d’exemple, les établissements
bancaires sont ainsi régulièrement condamnés par l’Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution (ACPR) dont le rôle est de s’assurer de la bonne
mise en œuvre des dispositifs afin de lutter efficacement contre le terrorisme
et le blanchiment d’argent. Kyc.infogreffe.fr est la solution permettant de se
mettre en conformité.
Le GAFI va rendre dans quelques mois son rapport.
Votre profession a notamment été inspectée à cette occasion. Que pouvez-vous
nous dire à ce sujet ?
JFD : La
France est en effet actuellement inspectée par le Groupe d’Action Financière
Internationale (GAFI).
Notre profession a notamment été auditionnée dans le
cadre de la gestion des bénéficiaires effectifs, et la mise en place d’outils
de contrôle pour lutter plus efficacement contre le LCB-FT. Aujourd’hui, nous
avons atteint à plus de 75 % de taux de dépôt des bénéficiaires effectifs sur
stock, ce qui fait de la France un des meilleurs élèves de l’Union européenne.
L’Hexagone se positionne comme un pays où la transparence économique et la
lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont
mis en œuvre avec efficacité et détermination.
La France, par son action, attire davantage
d’investissements étrangers qui sont essentiels pour le financement de notre
économie et la richesse de notre territoire.
Le CNGTC et le GIE Infogreffe ont récemment
renouvelé leur partenariat avec Tracfin et l’AFA. Quel rôle les greffes
jouent-ils dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent ?
JFD : Les
greffiers des tribunaux de commerce et Infogreffe se positionnent comme des
sentinelles avancées de la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent.
De par leur mission de contrôle de légalité et d’acteur de la police
économique, les greffiers sont en capacité de détecter la fraude documentaire
qui, aujourd’hui, est croissante, compte tenu de la digitalisation des
relations.
Depuis l’an dernier, les greffiers, via Infogreffe,
transmettent, de par leur assujettissement à Tracfin, des informations qui ne
portent pas sur des flux financiers. Grâce à la connaissance du tissu local par
les greffiers des tribunaux de commerce, Infogreffe peut transmettre des
informations essentielles à Tracfin qui a d’ailleurs, récemment et
officiellement, félicité notre profession.
Quant à l’Agence française anticorruption, le CNGTC
est en partenariat avec cette institution, notamment sur la question des
lanceurs d’alerte et les obligations qui pèsent sur les sociétés de plus de 500 salariés.
Nous travaillons de concert avec les services de
l’État d’autant plus que, je vous le rappelle, les greffiers sont les
délégataires de la puissance publique. Nous sommes à ce titre, j’insiste, des
agents de l’État dans une délégation.
Quel rôle a joué Infogreffe pendant la crise
sanitaire ?
JFD :
Pendant la crise, les entreprises se sont tournées vers leur propre banque pour
demander un Prêt garanti par l’État (PGE). Celui-ci correspondait à un
pourcentage du chiffre d’affaires que pouvait obtenir l’entreprise en prêts.
L’accès au PGE a très bien fonctionné. L’État, en se portant caution à hauteur
de 90 % des engagements bancaires, a joué un rôle considérable pour financer la
trésorerie de ces entreprises. Infogreffe, en tant que tiers de confiance, il a
joué un rôle de confiance essentiel, car BPI, mais aussi tous les organismes
bancaires, ont pu accéder aux données légales, certifiées et à jour des
entreprises, ce qui a permis de mettre plus rapidement en forme les contrats de
prêts, et donc de délivrer les fonds plus rapidement.
Pendant la crise, Infogreffe a ainsi apporté la
confiance nécessaire pour distribuer en toute sécurité de l’argent aux
entreprises.
Le service infogreffe.mesaidespubliques.fr
sus-évoqué s’inscrit dans cette dynamique, puisqu’il a été conçu pour faciliter
l’accès des entreprises à toutes les aides qu’elles pourraient revendiquer et
obtenir, qu’elles soient en cours de création, en développement, ou même en
difficulté.
Comme vous le voyez, le service public opéré par les
greffiers n’est pas un concept, mais une réalité au quotidien. Pendant la
crise, nos équipes ont, par exemple, continué à tenir des audiences afin de
garantir aux sociétés l’accès à la justice. Nos missions ont été maintenues, au
plus grand bénéfice de l’économie française et des fonctions régaliennes de
l’État.
Propos recueillis par
Maria-Angélica Bailly