Comment la Cour de cassation a appliqué le devoir d'information précontractuelle à une cession de droits sociaux


dimanche 17 août7 min
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COMMENTAIRE. Dans un arrêt rendu courant mai, la Cour précise les contours de ce devoir en rappelant que l’appréciation de ce dernier dépend de la nature du contrat conclu. Il transparaît également de son raisonnement que l’impossibilité d’exploiter un fonds de commerce du fait d’une clause de copropriété ne constitue pas une information déterminante dans le cadre d’une cession de droits sociaux, dès lors qu’elle ne porte pas sur les titres cédés eux-mêmes.

Pour que la rencontre des volontés puisse pleinement jouer, le consentement doit être donné de manière libre et éclairée. Initialement corolaire de l’obligation de bonne foi, le devoir d’information précontractuelle bénéficie d’une autonomie entière depuis l’ordonnance de 2016 portant réforme du droit des obligations.

L’article 1112-1 du Code civil énonce, en son premier alinéa, que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer, dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». La Cour de cassation, au travers de l’arrêt du 14 mai 2025 rendu par la chambre commerciale, fait application de ce devoir au régime des cessions de parts sociales.

En l’espèce, étaient cédées la totalité des parts d’une société. Le cessionnaire souhaitait exercer une activité de restauration rapide et l’activité escomptée ne pouvait être exercée, vu l’interdiction d’installer une hotte aspirante – nécessaire pour la réalisation de fritures – posée par le règlement de copropriété. Il avait assigné le vendeur à la suite de la cession en avançant que cette information lui avait été délibérément dissimulée.

La cour d’appel a écarté l’existence d’un manquement au devoir d’information, retenant que le caractère déterminant de cette donnée n’était pas suffisamment établi. Par conséquent, elle n’a pas recherché l’éventuel lien avec le contenu du contrat ou encore, une dissimulation de la part du cédant.

Cette exclusion de fait amène à s’interroger sur le point de savoir si le devoir d’information précontractuelle peut, dans le cadre d’une cession de parts sociales, porter sur des éléments relevant de l’exploitation de l’actif social.

Dans l’arrêt du 14 mai, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision, en validant l’approche retenue par les juges du fond. Elle refuse de reconnaitre l’obligation d’information précontractuelle au motif que l’information en cause n’était pas déterminante.

Une décision conforme au régime de cession de droits sociaux

En premier lieu, la lecture de l’arrêt appelle une mise en perspective quant à la nature du contrat en cause. L’opération juridique porte sur une cession de droits sociaux. Elle vise à transférer des droits de créance, attachés à la qualité d’associé, et non un droit de propriété direct sur l’actif social. Ainsi, « celui qui cède la quasi-totalité des parts ou actions constitutives d'une société propriétaire d'un fonds de commerce, ne cède pas, en droit, ce fonds de commerce – même si, économiquement, l'opération revient à cela »[1].

C’est en l’espèce cette situation qui est rencontrée. Si la cession est intervenue dans l’objectif d’exploiter l’activité de restauration rapide pour le cessionnaire, le contrat porte exclusivement sur la cession des parts sociales. Le devoir d’information précontractuelle se trouve modifié par cette importante nuance.

La solution retenue s’inscrit par ailleurs dans une jurisprudence établie. La cession de droits sociaux, même majoritaire, ne saurait être assimilée à une cession d’entreprise, quand bien même elle viserait à conférer un pouvoir dans la société permettant de transformer son actif substantiellement.

« La non-spécificité de la cession de contrôle » a été dégagée dans l’application du droit commun des garanties des vices cachés et d’éviction, aux cessions de droits sociaux[2]. La Cour de cassation considère de manière stricte l’opération de cession des droits sociaux et l’isole de ses éventuels sous-jacents.

Ainsi, « pour voir prospérer leur action, les cessionnaires devaient démontrer que la « chose vendue elle-même », en l’occurrence les parts sociales, était porteuse de vices cachés »[3]. Comme jugé de manière constante par la Cour de cassation, ce vice doit affecter l’usage des parts, et non leur valeur.

En l’espèce, si la Cour de cassation ne l’expose pas clairement, la nature du contrat justifie le rejet du caractère déterminant de la présence d’une hotte aspirante. Cette information porte sur un élément du local commercial, et non sur les caractéristiques des parts sociales. Dès lors, le grief tenant à un manquement à l’obligation d’information précontractuelle ne pouvait prospérer.

En revanche, un tel manquement aurait pu être valablement allégué si l’information dissimulée avait concerné, par exemple, un démembrement de propriété affectant les titres eux-mêmes.

Vers une conception restrictive du devoir d’information précontractuelle ?

Le troisième alinéa de l’article 1112-1 du Code civil définit comme dotées d’une « importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

Cette définition vise à écarter les informations accessoires ou dépourvues de réelle utilité pour la formation du consentement[4]. Le créancier de l’obligation d’information est ainsi protégé contre un excès de données superficielles qui seraient susceptibles de diluer les éléments substantiels.

Elle allège réciproquement les charges du débiteur, qui n’est pas tenu de divulguer des informations secondaires, souvent coûteuses à collecter et sans incidence sur le consentement[5].

La Cour de cassation a dissocié le caractère déterminant de l’information et son lien avec le contenu du contrat, en recourant expressément à la conjonction « et ». Deux conditions cumulatives sont posées : « le devoir d’information précontractuelle ne porte que sur [1] les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat (…), et [2] dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie ».

Ce dédoublement autorise le juge – la cour d’appel en l’espèce – à raisonner en deux temps : si l’information n’est pas jugée déterminante, alors le lien avec le contenu du contrat ne sera pas étudié. Pour autant, l’article 1112-1 du Code civil invite le lecteur à considérer le caractère déterminant d’une information sous le prisme de son lien avec le contenu contractuel.

Ce raisonnement viendrait à considérer que l’information n’est pas déterminante parce que la présence d’une hotte aspirante n’entretient pas de lien avec la cession de droits sociaux. Or, en l’espèce, l’absence de démonstration du caractère déterminant est suffisante pour rejeter le devoir d’information précontractuelle.

L’intérêt de ce dédoublement est exposé point 7 de l’arrêt, au terme duquel la Cour de cassation considère que « toute information ayant un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat » est insuffisante à revêtir un caractère déterminant. L’ajout d’une condition préalable permet d’effectuer un premier « tri » des informations susceptibles d’être couvertes par le devoir d’information précontractuelle. Le contenu du contrat aurait donc une portée globalisante que la Cour de cassation souhaite réduire.

Il convient dès lors de saisir plus en détails ce que le « caractère déterminant » désigne sous son aspect autonome. En effet, elle ne s’analyse plus dans un premier temps sous l’angle de son lien avec le contenu du contrat.

L’article 1130 du Code civil, relatif aux vices du consentement, fournit un indice sur son appréciation. Elle doit être faite « eu égard aux personnes et aux circonstances », ce qui impose une appréciation in concreto. Il s’agit dès lors de prendre en compte la portée subjective de l’information, c’est-à-dire l’effet réel qu’elle aurait eu sur le consentement du destinataire, s’il en avait eu connaissance.

En d’autres termes, le caractère est déterminant s’il est démontré que la connaissance de cette information par le cocontractant aurait eu pour effet de modifier son comportement, soit qu’il n’aurait pas abouti au projet de conclusion du contrat, soit qu’il l’aurait poursuivi en des conditions substantiellement différentes.

Cette approche appelle donc à une évaluation casuistique[6]. En l’espèce, la cour d’appel a considéré que le cessionnaire n’avait pas suffisamment démontré l’importance subjective que représentait la présence d’une hotte aspirante pour l’acquisition des parts sociales de la société.

Cette solution suscite néanmoins une interrogation. En effet, l’économie de l’opération de cession des parts sociales révélait clairement une volonté d’exploitation directe du local commercial par le cessionnaire. Le rejet du caractère déterminant pourrait alors apparaître en contradiction avec la réalité économique de la cession. Elle confirme néanmoins la volonté de dissocier strictement le contrat de cession des parts sociales et sa portée économique.

En somme, cet arrêt s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle qui réaffirme le cloisonnement entre la cession de droits sociaux et la cession d’actifs. Il rappelle que le devoir d’information précontractuelle s’apprécie à l’aune du seul contrat en cause, sans se laisser altérer par ses conséquences économiques.

Le rejet de la prétention du cessionnaire révèle les lacunes des mécanismes protecteurs du droit commun dans le contexte des cessions de droits sociaux, et souligne la nécessité d’une vigilance accrue lors de la rédaction des contrats de cession.

 

Elisa Zoïs,

Etudiante du Master 214 de l’Université Paris-Dauphine–PSL

(Article rédigé sous la direction de la professeure Sophie Schiller)

 


[1] F-X. TESTU, Contrats d’affaires, Dalloz Référence, 2010.

[2] G. VIRASSAMY, « La révélation du passif fiscal d’une société postérieurement à la cession de parts sociales, ne constitue pas un vice caché de ces parts », Recueil Dalloz, 1991 p.333.

[3] G. VIRASSAMY, « La révélation du passif fiscal d’une société postérieurement à la cession de parts sociales, ne constitue pas un vice caché de ces parts », Recueil Dalloz, 1991 p.333.

[4] P. LE TOURNEAU, Dalloz Action – Droit de la responsabilité et des contrats, Contrat et période précontractuelle, 2023.

[5] N. PICOD, JCl Civil Code Art. 1112 à 1112-1, Fasc. unique : Contrat, Formation du contrat, Négociations, 2023.

[6] B. LECOURT, Répertoire des sociétés, Cession de droits sociaux : conditions de formation, 2017.

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