La sécurité des salariés est
l’un des premiers devoirs des entreprises. Son optimisation nécessite une
véritable culture de la sécurité dans l’entreprise. Mais en retour, celle-ci peut
être source d’attractivité et de fidélisation des salariés. A l’occasion de la
semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail, organisée chaque
année par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de
travail), retour sur les enseignements tirés lors du Salon Preventica, mardi
dernier.
Et si la sécurité des
salariés n’était pas un coût, mais bien un investissement ? Certes, c’est
une obligation légale, posée aux articles L4121-1 et suivants du Code du
travail. Mais créer une véritable culture de sécurité peut renforcer l’engagement
des salariés autour d’une vision commune, ont montré deux conférences du salon
Preventica de Paris mardi 10 juin.
Les multiples définitions de
la culture de la sécurité s’accordent sur le fait qu’elle « s’inscrit
dans des facteurs humains et organisationnels, pas seulement techniques et de
procédures », explique à cette occasion Ivan Boissières, directeur
général de l’ICSI, Institut pour une culture de la sécurité industrielle. Si
ces deux derniers piliers sont les plus pris en compte par les entreprises,
c’est pourtant par la maîtrise du facteur organisationnel et humain que se
démarquent les entreprises les plus avancées en la matière.
Plus encore, avance Ivan
Boissières, la culture est partagée : il ne s’agit pas d’une myriade de
comportements individuels. De plus, « son socle est la maîtrise des
risques les plus importants ». Enfin, elle s’inscrit dans la culture
d’entreprise, et doit être « un arbitrage important. Plus elle est haut
dans les priorités, plus la culture de la sécurité est élevée », selon
l’expert.
Ainsi, Safran a développé une
culture de sécurité en l’adossant à sa culture d’entreprise. L’industriel a
toujours eu une culture de sécurité très forte, commune à l’industrie de
l’aéronautique, assure sa vice-présidente santé, sécurité, environnement,
Véronique Zerrouki. Mais elle était tournée vers la fiabilité des pièces
fabriquées. Le groupe s’est donc appuyé dessus pour créer en miroir une culture
de sécurité des salariés.
Selon Ivan Boissières,
différentes recherches s’accordent sur sept caractéristiques communes aux
entreprises les plus avancées. Trois renvoient à la stratégie : les
risques majeurs sont vraiment au cœur de celle-ci et peuvent être cités
spontanément par les équipes. L’entreprise équilibre les piliers techniques,
procéduraux et organisationnels. Ainsi que les risques « réglés et
gérés » : elle a des règles pour faire face aux risques, mais les
salariés sont également préparés à gérer des imprévus.
S’y ajoutent une « culture
juste et équitable » qui favorise la transparence et le droit à
l’erreur, pour que les salariés se sentent libres de signaler les
dysfonctionnements ; et une « culture interrogative »
incitant à rechercher les causes des dysfonctionnements, sans être dans
l’accusation.
Impliquer l’ensemble de la ligne managériale
Deux dernières
caractéristiques renvoient aux acteurs eux-mêmes. Tous sont mobilisés : sous-traitants,
représentants syndicaux, ressources humaines, achats… Surtout, les managers sont
extrêmement sensibilisés au sujet, car selon Ivan Boissières, « le
comportement des managers est souvent un plafond de verre » en matière
de sécurité : il est très rare que les « comportements des salariés soient
supérieurs à ceux perçus des managers ».
Cela commence par le
sommet de la chaîne managériale. Le dirigeant de Safran a ainsi adressé en
2024 à l’ensemble des salariés un mail assurant que « leur santé et
leur sécurité ne sont pas le premier objectif du groupe : c’est un
prérequis. On n’arbitre pas dessus », assure Véronique Zerrouki.
Chez Suez, le sujet est mis
en avant dans toutes les réunions des cadres dirigeants. Chaque membre du
comité exécutif a enregistré une vidéo personnelle expliquant pourquoi la
sécurité est importante pour lui, accompagnée d’une ou deux « règles
qui sauvent » concrètes.
L’objectif zéro accident
grave et mortel n’est pas encore atteint, car les salariés sont exposés à de
très nombreux risques, explique Soizic Machado Verheye, vice-présidente santé
et sécurité du groupe Suez. Alors, l’entreprise communique sur les accidents
mortels, et parle des personnes décédées, pour « réhumaniser »
l’accident. Chez Safran aussi. Y compris lors des rapports du comex, où la
directrice de la sécurité diffuse la photo, la situation de famille… « On
a tendance à imaginer le comex comme des hommes et des femmes de chiffre. Mais
ce sont aussi des êtres humains ».
Selon Jean-Michel Baelen,
directeur santé et sécurité de Serimax, entreprise de soudage de pipelines, le
rôle des managers passe entre autres par le leadership et l’exemplarité. « Ils
doivent démontrer à tous niveaux qu’ils y croient. S’ils ne sont
pas présents sur le terrain, ne portent pas leurs EPI [équipements de
protection individuelle], ils ne sont pas légitimes à le demander ».
La capacité de dire « stop »
Cette culture doit descendre
jusque sur le terrain. Serimax a ainsi trois programmes de formation principaux.
L’un aborde « l’erreur critique », quand un salarié est dans une
situation mentale telle qu’il ne contrôle pas ses actes ; un autre observe
quelques minutes un salarié à son poste. Résultat : l’entreprise a eu
« zéro accident avec arrêt depuis plus de trois ans ». « Et
nous avons de très bonnes remontées terrain ».
Les salariés exposés aux
risques doivent pouvoir dire « stop » s’ils voient un risque. Ainsi Suez
a lancé l’initiative « Speak up and stop », pour promouvoir ces
comportements. Car sur les derniers accidents graves, tous les salariés étaient
formés et connaissaient les règles. Se pose donc la question du motif de la
violation des règles, explique Soizic Machado Verheye, qui imagine que les
salariés « ne se sentent pas légitimes d’arrêter une opération ».
Ainsi, lors d’un accident
survenu en juillet 2023, où un ouvrier est mort, six personnes étaient entrées
dans un lieu sans oxygène. « Personne n’a dit stop, quelqu’un est resté
au fond ». Alors, les salariés qui osent stopper une action dangereuse
sont incités à témoigner, et félicités par leurs managers.
La directrice explique aussi
que le plan d’approche des risques a été remis à plat, de façon collaborative, tout
comme, actuellement, les standards de sécurité. Pour elle, « des
experts pourraient arriver à un résultat dans la journée, mais ce n’est pas
l’intérêt, le but est la coconstruction ».
Une politique de prévention à partir du
terrain
Par un cercle vertueux, cette
culture peut améliorer l’image de l’entreprise, l’aider à recruter et surtout à
garder ses salariés, demandeurs, explique, lors d’une autre conférence, Thibaut
Fleury, directeur général du cabinet de prévention Efficience Santé Au Travail.
A condition de vraiment travailler sur le contenu, les conditions, l’autonomie du
travail.
Ce dont témoigne Carole
Brunschweiler, directrice du foyer d’accueil médicalisé pour adultes autistes
La Haie Vive. En arrivant à ce poste, elle a fixé deux priorités avec la
médecine du travail : l’exposition au bruit et les risques psychosociaux
(RPS). Le bruit ne dépassait pas les seuils réglementaires mais était « déstabilisant
et anxiogène pour l’équipe », en raison de pics impromptus, amplifiés
par les bâtiments.
D’où « l’intérêt de
piloter les politiques de prévention à partir du terrain, analyse Thibaut
Fleury. Si on les pilote par la partie réglementaire, on passe à côté de
choses ». Après une mesure des bruits, l’équipe du foyer a pu déterminer
ceux qui étaient critiques et choisir parmi les solutions et prestataires proposés
par le cabinet. L’insonorisation des plafonds retenue a bluffé les équipes.
Côté RPS, les salariés ont
« un grand risque d’usure professionnelle », selon la
directrice, compte tenu de l’impuissance parfois ressentie face aux troubles
des résidents, et des disputes professionnelles sur leur accompagnement. D’où
« beaucoup d’espaces de discussion ainsi que des groupes d’analyse des
pratiques avec des psychologues ou des psychiatres, sans les cadres, pour
débriefer, vider leur sac sur ce qui les a heurtés ».
Les salariés volontaires ont
également accès à de la sophrologie pour gérer stress, émotions, sommeil… Pour Thibaut
Fleury, « des espaces pour libérer la parole sont essentiels »,
mais des dispositifs d’accompagnement sont aussi nécessaires, car la prévention
de premier niveau ne suffit pas toujours.
Carole Brunschweiler reconnaît
qu’avec des salaires non attractifs, le secteur médico-social doit trouver
d’autres moyens d’attirer et retenir les salariés : « Un confort
de travail, des horaires, l’autonomie pour dire ce qui ne va pas en sachant
qu’ils seront écoutés, de la formation, des espaces de réflexion transverses,
qui les enrichissent intellectuellement ou pour le reste de leur carrière. »
Aude David