ENTREPRISE

Comment la culture de la sécurité peut améliorer l’activité de l’entreprise

Comment la culture de la sécurité peut améliorer l’activité de l’entreprise
Publié le 17/06/2025 à 10:12

La sécurité des salariés est l’un des premiers devoirs des entreprises. Son optimisation nécessite une véritable culture de la sécurité dans l’entreprise. Mais en retour, celle-ci peut être source d’attractivité et de fidélisation des salariés. A l’occasion de la semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail, organisée chaque année par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), retour sur les enseignements tirés lors du Salon Preventica, mardi dernier.

Et si la sécurité des salariés n’était pas un coût, mais bien un investissement ? Certes, c’est une obligation légale, posée aux articles L4121-1 et suivants du Code du travail. Mais créer une véritable culture de sécurité peut renforcer l’engagement des salariés autour d’une vision commune, ont montré deux conférences du salon Preventica de Paris mardi 10 juin.

Les multiples définitions de la culture de la sécurité s’accordent sur le fait qu’elle « s’inscrit dans des facteurs humains et organisationnels, pas seulement techniques et de procédures », explique à cette occasion Ivan Boissières, directeur général de l’ICSI, Institut pour une culture de la sécurité industrielle. Si ces deux derniers piliers sont les plus pris en compte par les entreprises, c’est pourtant par la maîtrise du facteur organisationnel et humain que se démarquent les entreprises les plus avancées en la matière.

Plus encore, avance Ivan Boissières, la culture est partagée : il ne s’agit pas d’une myriade de comportements individuels. De plus, « son socle est la maîtrise des risques les plus importants ». Enfin, elle s’inscrit dans la culture d’entreprise, et doit être « un arbitrage important. Plus elle est haut dans les priorités, plus la culture de la sécurité est élevée », selon l’expert.

Ainsi, Safran a développé une culture de sécurité en l’adossant à sa culture d’entreprise. L’industriel a toujours eu une culture de sécurité très forte, commune à l’industrie de l’aéronautique, assure sa vice-présidente santé, sécurité, environnement, Véronique Zerrouki. Mais elle était tournée vers la fiabilité des pièces fabriquées. Le groupe s’est donc appuyé dessus pour créer en miroir une culture de sécurité des salariés.

Selon Ivan Boissières, différentes recherches s’accordent sur sept caractéristiques communes aux entreprises les plus avancées. Trois renvoient à la stratégie : les risques majeurs sont vraiment au cœur de celle-ci et peuvent être cités spontanément par les équipes. L’entreprise équilibre les piliers techniques, procéduraux et organisationnels. Ainsi que les risques « réglés et gérés » : elle a des règles pour faire face aux risques, mais les salariés sont également préparés à gérer des imprévus.

S’y ajoutent une « culture juste et équitable » qui favorise la transparence et le droit à l’erreur, pour que les salariés se sentent libres de signaler les dysfonctionnements ; et une « culture interrogative » incitant à rechercher les causes des dysfonctionnements, sans être dans l’accusation.

Impliquer l’ensemble de la ligne managériale

Deux dernières caractéristiques renvoient aux acteurs eux-mêmes. Tous sont mobilisés : sous-traitants, représentants syndicaux, ressources humaines, achats… Surtout, les managers sont extrêmement sensibilisés au sujet, car selon Ivan Boissières, « le comportement des managers est souvent un plafond de verre » en matière de sécurité : il est très rare que les « comportements des salariés soient supérieurs à ceux perçus des managers ».

Cela commence par le sommet de la chaîne managériale. Le dirigeant de Safran a ainsi adressé en 2024 à l’ensemble des salariés un mail assurant que « leur santé et leur sécurité ne sont pas le premier objectif du groupe : c’est un prérequis. On n’arbitre pas dessus », assure Véronique Zerrouki.

Chez Suez, le sujet est mis en avant dans toutes les réunions des cadres dirigeants. Chaque membre du comité exécutif a enregistré une vidéo personnelle expliquant pourquoi la sécurité est importante pour lui, accompagnée d’une ou deux « règles qui sauvent » concrètes.

L’objectif zéro accident grave et mortel n’est pas encore atteint, car les salariés sont exposés à de très nombreux risques, explique Soizic Machado Verheye, vice-présidente santé et sécurité du groupe Suez. Alors, l’entreprise communique sur les accidents mortels, et parle des personnes décédées, pour « réhumaniser » l’accident. Chez Safran aussi. Y compris lors des rapports du comex, où la directrice de la sécurité diffuse la photo, la situation de famille… « On a tendance à imaginer le comex comme des hommes et des femmes de chiffre. Mais ce sont aussi des êtres humains ».

Selon Jean-Michel Baelen, directeur santé et sécurité de Serimax, entreprise de soudage de pipelines, le rôle des managers passe entre autres par le leadership et l’exemplarité. « Ils doivent démontrer à tous niveaux qu’ils y croient. S’ils ne sont pas présents sur le terrain, ne portent pas leurs EPI [équipements de protection individuelle], ils ne sont pas légitimes à le demander ».

La capacité de dire « stop »

Cette culture doit descendre jusque sur le terrain. Serimax a ainsi trois programmes de formation principaux. L’un aborde « l’erreur critique », quand un salarié est dans une situation mentale telle qu’il ne contrôle pas ses actes ; un autre observe quelques minutes un salarié à son poste. Résultat : l’entreprise a eu « zéro accident avec arrêt depuis plus de trois ans ». « Et nous avons de très bonnes remontées terrain ».

Les salariés exposés aux risques doivent pouvoir dire « stop » s’ils voient un risque. Ainsi Suez a lancé l’initiative « Speak up and stop », pour promouvoir ces comportements. Car sur les derniers accidents graves, tous les salariés étaient formés et connaissaient les règles. Se pose donc la question du motif de la violation des règles, explique Soizic Machado Verheye, qui imagine que les salariés « ne se sentent pas légitimes d’arrêter une opération ».

Ainsi, lors d’un accident survenu en juillet 2023, où un ouvrier est mort, six personnes étaient entrées dans un lieu sans oxygène. « Personne n’a dit stop, quelqu’un est resté au fond ». Alors, les salariés qui osent stopper une action dangereuse sont incités à témoigner, et félicités par leurs managers.

La directrice explique aussi que le plan d’approche des risques a été remis à plat, de façon collaborative, tout comme, actuellement, les standards de sécurité. Pour elle, « des experts pourraient arriver à un résultat dans la journée, mais ce n’est pas l’intérêt, le but est la coconstruction ».

Une politique de prévention à partir du terrain

Par un cercle vertueux, cette culture peut améliorer l’image de l’entreprise, l’aider à recruter et surtout à garder ses salariés, demandeurs, explique, lors d’une autre conférence, Thibaut Fleury, directeur général du cabinet de prévention Efficience Santé Au Travail. A condition de vraiment travailler sur le contenu, les conditions, l’autonomie du travail.

Ce dont témoigne Carole Brunschweiler, directrice du foyer d’accueil médicalisé pour adultes autistes La Haie Vive. En arrivant à ce poste, elle a fixé deux priorités avec la médecine du travail : l’exposition au bruit et les risques psychosociaux (RPS). Le bruit ne dépassait pas les seuils réglementaires mais était « déstabilisant et anxiogène pour l’équipe », en raison de pics impromptus, amplifiés par les bâtiments.

D’où « l’intérêt de piloter les politiques de prévention à partir du terrain, analyse Thibaut Fleury. Si on les pilote par la partie réglementaire, on passe à côté de choses ». Après une mesure des bruits, l’équipe du foyer a pu déterminer ceux qui étaient critiques et choisir parmi les solutions et prestataires proposés par le cabinet. L’insonorisation des plafonds retenue a bluffé les équipes.

Côté RPS, les salariés ont « un grand risque d’usure professionnelle », selon la directrice, compte tenu de l’impuissance parfois ressentie face aux troubles des résidents, et des disputes professionnelles sur leur accompagnement. D’où « beaucoup d’espaces de discussion ainsi que des groupes d’analyse des pratiques avec des psychologues ou des psychiatres, sans les cadres, pour débriefer, vider leur sac sur ce qui les a heurtés ».

Les salariés volontaires ont également accès à de la sophrologie pour gérer stress, émotions, sommeil… Pour Thibaut Fleury, « des espaces pour libérer la parole sont essentiels », mais des dispositifs d’accompagnement sont aussi nécessaires, car la prévention de premier niveau ne suffit pas toujours.

Carole Brunschweiler reconnaît qu’avec des salaires non attractifs, le secteur médico-social doit trouver d’autres moyens d’attirer et retenir les salariés : « Un confort de travail, des horaires, l’autonomie pour dire ce qui ne va pas en sachant qu’ils seront écoutés, de la formation, des espaces de réflexion transverses, qui les enrichissent intellectuellement ou pour le reste de leur carrière. »

Aude David

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