Le 15 juillet, le Premier
ministre doit dévoiler les premières pistes pour le budget de l’Etat en 2026.
Il a déjà annoncé vouloir faire 40 milliards d’euros d’économie. Qu’est-ce que
cela signifie, quelles sont les pistes possibles ? Durant une série de
conférences, des économistes de l’Institut des politiques publiques ont éclairé ce sujet.
Où trouver quarante milliards
d’euros d’économie ? Le Premier ministre François Bayrou a prévu
d’apporter une réponse à cette question le 15 juillet. Alors que ce sujet est
d’intérêt public, il est parfois entouré d’un certain flou, notent les économistes
auteurs d’une étude sur l’évaluation des finances publiques, présentée la semaine dernière à l’Institut des politiques publiques (IPP).
Un « effort
budgétaire », c’est la différence entre l’objectif de solde budgétaire annoncé
par le gouvernement, et le solde qui serait obtenu si aucune nouvelle mesure
d’économie n’était prise, estimé sur la base d’un scénario
« contrefactuel » ou « tendanciel ».
« Cette idée contrefactuelle, on est
très habitué à l'utiliser en évaluation des politiques publiques, on sait donc
qu'elle peut aider à la prise de décision, explique l’un des auteurs, Laurent
Bach. Toutefois, on sait aussi que ce type de scénario n'est jamais observé
et qu'il résulte de nombreuses hypothèses ».
Or, dans les prévisions
budgétaires gouvernementales, son mode de calcul est rarement explicite. Les
économistes ne peuvent donc que déduire le contrefactuel sur lequel se base le
gouvernement, à partir de la prévision de déficit et de l’effort annoncés.
La répartition entre dépenses
et recettes, et entre postes de dépenses, ne sont pas connus non plus, alors
que leur évolution n’est pas uniforme. Laurent Bach reconnait que des erreurs
de prévision sont normales, car la macroéconomie subit une volatilité
irréductible. Mais ce manque de fiabilité et de crédibilité des prévisions
budgétaires a pourtant un coût économique et démocratique car il « mène
à une rupture de la confiance accordée aux chiffres ».
Cela s’est notamment vu lors
du dérapage budgétaire de 2024, quand les dépenses ont explosé par rapport aux
prévisions effectuées en 2023 pour l’élaboration de la loi de finances pour
2024, aboutissant à un déficit de 5,8 %, soit 50 milliards d’euros de plus que
prévu.
Améliorer la prédiction de
la trajectoire budgétaire
Selon le coresponsable du
pôle Entreprises à l’IPP, pour recréer de la confiance démocratique dans ces
prévisions, « la meilleure solution est de permettre une meilleure
transparence des données et des méthodes, et surtout une confrontation des
approches pour limiter ces surprises ».
Les auteurs proposent ainsi
des pistes d’estimation alternatives sur le bénéfice fiscal (BFI), la base
taxable de l’impôt sur les sociétés. En 2023, une erreur d’estimation des
recettes de l’impôt sur les sociétés a abouti à un décalage de 19 milliards
d’euros ente les prévisions budgétaires de novembre et les recettes réellement
encaissées à la fin de l’année 2024. Alors que sa croissance avait été annoncée
à +13 %, elle s’est révélée proche de +1 %.
« Ces prévisions
aujourd'hui sont fondées sur des estimations d'excédent brut d'exploitation (EBE)
fourni par l'Insee. La suggestion serait d'avoir des estimations d'origine plus
microéconomique, et en particulier des sociétés françaises cotées »,
explique Laurent Bach. En effet, l’EBE n’est pas exactement la même chose que
le BFI, d’où des approximations. A l’inverse, les sociétés cotées sont tenues
de publier des indicateurs plus proches du BFI.
En comparant les données
depuis 2019, les chercheurs se sont rendu compte que ces données permettaient
de prédire de façon plus fiable les recettes fiscales de l’Etat, surtout en
suivant les publications au cours de l’année, qui permettent d’ajuster les
prévisions. En se basant sur les données publiées en mai, les sociétés cotées
devraient voir leur résultat comptable diminuer de 2 %.
Les auteurs se sont également
intéressés au budget des collectivités locales, dont la soi-disant explosion
des dépenses l’an dernier avait fait couler beaucoup d’encre, avec une hausse
de 3,9 % contre 2 % initialement prévu – quand plusieurs alertes au second
semestre avaient même fait craindre une hausse de 7 %.
Le ministère des Finances se
base notamment sur les flux de paiement effectifs pour mettre à jour ses
estimations. Ceux-ci ont conduit à une réévaluation exagérée des dépenses des
collectivités à +7 %. Or, le Trésor reçoit en parallèle au printemps les
prévisions de budget des différentes collectivités. Agrégés, ces budgets
primitifs anticipaient une hausse de 4,2 %, proche de ce qui s’est finalement
réalisé.
La France trop optimiste à
moyen terme ?
L’étude s’est également
interrogée sur la crédibilité et la présence de biais possibles dans les
trajectoires budgétaires à plus long terme, la programmation pluriannuelle des
finances publiques, qui se formalise au niveau national dans les lois de
programmation des finances publiques (LPFP), et au niveau européen dans le
programme de stabilité et de croissance, le PSTAB (programme de stabilité) et
le traité de stabilité de coordination et de gouvernance.
Elle prévoit ainsi que la
France repasse sous les 3 % de déficit en 2029. Un sujet d’attention car si la
dette augmente depuis longtemps, la croissance a longtemps permis de limiter
son coût, ce qui n’est plus le cas.
Dans le PSTAB 2012-2023, les
prévisions de croissance de la France sont relativement proches de la réalité
la première année, puis s’en éloignent progressivement avant de se stabiliser.
Par ailleurs, les prévisions françaises « à moyen terme sont parmi les
plus optimistes de la zone euro », explique Octave De Brouwer, en
matière de prévision de croissance (0,4 point au-dessus de la réalité à N+3) et
surtout de solde public (+1,7 point, deuxième derrière l’Espagne).
Comment diminuer la dette
tout en limitant les inégalités ?
L’élaboration du budget de
l’Etat est confrontée à plusieurs risques : le creusement du déficit et le
renchérissement du coût de la dette mais aussi le risque d’effet récessif et d’accroissement
des inégalités.
D’ailleurs, selon le
président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, Éric
Coquerel, lors d’un débat en fin de journée avec son rapporteur général Charles
De Courson, la plupart des mesures envisagées par le gouvernement « sont
récessives, et elles produisent plus d’inégalités ». Il vilipende d’ailleurs
la politique de l’offre du gouvernement, plaidant pour « récupérer une
partie des cadeaux fiscaux qui n’ont pas rejailli sur l’économie ».
Pour étudier ces critères, L’IPP
a simulé trois scénarios : une baisse des dépenses publiques de façon
indifférenciée, de l’ensemble des prestations sociales, ou des prestations
d’assurance (les « transferts bismarckiens », liés à l’assurance
chômage et retraite).
Il s’avère que réduire
uniformément la consommation publique a un fort impact récessif, car moins de
commande publique signifie moins d’activité économique. La dette publique ne
baisse que légèrement, puisque la baisse des dépenses publiques est en partie
neutralisée par la baisse des rentrées fiscales liées à une moindre croissance.
Enfin, les inégalités augmentent, les dépenses publiques bénéficiant notamment
aux plus modestes.
La diminution des prestations
sociales aurait quant à elle un effet de hausse sur le PIB, car selon le
modèle, les personnes qui les perçoivent travailleraient plus pour compenser
leur perte. L’effet sur le ratio dette / PIB serait positif (à la fois moins de
dépenses et plus de recettes), mais cela conduirait à une forte hausse des
inégalités, car cette baisse des prestations affecterait les ménages les plus
modestes, qu’ils ne pourraient compenser ni par le travail ni par l’épargne
dont ils sont relativement dépourvus.
Enfin, la baisse des
transferts bismarckiens, qui concernent plus les classes moyennes et aisées,
assurerait une croissance plus soutenue, pour les mêmes raisons que le scénario
précédent. La baisse de la dette serait modeste, car ce scénario entrainerait
une baisse des dépenses, les pensions de retraite et l’indemnité chômage étant
imposées. Mais la hausse des inégalités serait moindre que dans les autres
scénarios, ces revenus étant moins souvent versés aux ménages les plus
modestes.
Les économistes concluent que
les prévisions du gouvernement sont relativement réalistes sous réserve qu’il
réalise bien les économies annoncées, et que la conjoncture ne se dégrade pas.
Un risque demeure également : le taux d’épargne élevé des ménages. Sa
baisse est indispensable pour relancer la consommation, mais plusieurs
institutions la jugent improbable à court ou moyen terme.
Or, une épargne élevée
pourrait empêcher la croissance de freiner le coût de la dette. D’ailleurs,
Charles De Courson explique que si les recettes de TVA ont été plus basses que
prévues (une des causes du dérapage), c’est que « les prévisions de TVA
sont fondées sur un modèle keynésien qui ne fonctionne plus, car les
consommateurs n’ont plus confiance » et préfèrent épargner que
consommer.
Trois mesures dans le viseur
Les chercheurs ont aussi étudié plusieurs
mesures annoncées par le gouvernement.
Notamment la contribution différentielle sur les hauts revenus, CDHR, qui vise
à imposer un taux minimal de 20 % sur les revenus des ménages les plus aisés.
Elle concerne environ 16 000 foyers et rapporterait 1,2 milliard d’euros. Elle
permettrait donc de hausser les revenus publics mais comporte des limites,
notamment la possibilité de décaler la réalisation des plus-values pour ne pas
s’acquitter de la CDHR, puisque celle-ci est imaginée comme une taxe temporaire
seulement.
Autre piste analysée : le gel
en 2026 des indexations sur l’inflation des prestations sociales, des retraites
de base et du barème de l’impôt sur le revenu. Cette « année blanche »
permettrait de dégager 5,7 milliards d’euros. Mais elle frapperait d’abord les
ménages les plus modestes.
La hausse de la TVA, qui
figure parmi les pistes lancées par le gouvernement, a aussi été analysée. Elle
serait efficace budgétairement : un point de plus sur tous les taux
rapporterait 13 milliards d’euros brut. Néanmoins, cela affecterait les
administrations publiques, qui la payent à hauteur de deux milliards d’euros. De
plus, cela créerait de l’inflation, conduisant à la hausse automatique de
certaines prestations indexées, et donc une hausse de certaines dépenses
publiques, estimée à 2,8 milliards d’euros. Le gain net serait donc de 8,2
milliards d’euros.
Par ailleurs, elle a
essentiellement un impact sur le niveau de vie des ménages les plus modestes :
le 1er décile (les 10 % les plus modestes) subit une perte proche de -1,2 % de son
niveau de vie, même s’il est partiellement protégé par l’indexation automatique.
Les déciles les plus aisés sont moins affectés, puisqu’en proportion, leur
consommation est moins élevée par rapport à leur niveau de revenus.
Et Octave De Brouwer de
conclure : « Nous pensons que ces développements ne pourront
réellement inciter les gouvernements à tenir leur trajectoire annoncée que
s'ils s'accompagnent d'une expertise indépendante approfondie, à laquelle l'IPP
espère encore contribuer à l'avenir ».
Aude
David