ÉCONOMIE

Quelle trajectoire pour les finances publiques ?

Quelle trajectoire pour les finances publiques ?
Publié le 09/07/2025 à 08:23

Le 15 juillet, le Premier ministre doit dévoiler les premières pistes pour le budget de l’Etat en 2026. Il a déjà annoncé vouloir faire 40 milliards d’euros d’économie. Qu’est-ce que cela signifie, quelles sont les pistes possibles ? Durant une série de conférences, des économistes de l’Institut des politiques publiques ont éclairé ce sujet.

Où trouver quarante milliards d’euros d’économie ? Le Premier ministre François Bayrou a prévu d’apporter une réponse à cette question le 15 juillet. Alors que ce sujet est d’intérêt public, il est parfois entouré d’un certain flou, notent les économistes auteurs d’une étude sur l’évaluation des finances publiquesprésentée la semaine dernière à l’Institut des politiques publiques (IPP).

Un « effort budgétaire », c’est la différence entre l’objectif de solde budgétaire annoncé par le gouvernement, et le solde qui serait obtenu si aucune nouvelle mesure d’économie n’était prise, estimé sur la base d’un scénario « contrefactuel » ou « tendanciel ».

 « Cette idée contrefactuelle, on est très habitué à l'utiliser en évaluation des politiques publiques, on sait donc qu'elle peut aider à la prise de décision, explique l’un des auteurs, Laurent Bach. Toutefois, on sait aussi que ce type de scénario n'est jamais observé et qu'il résulte de nombreuses hypothèses ».

Or, dans les prévisions budgétaires gouvernementales, son mode de calcul est rarement explicite. Les économistes ne peuvent donc que déduire le contrefactuel sur lequel se base le gouvernement, à partir de la prévision de déficit et de l’effort annoncés.

La répartition entre dépenses et recettes, et entre postes de dépenses, ne sont pas connus non plus, alors que leur évolution n’est pas uniforme. Laurent Bach reconnait que des erreurs de prévision sont normales, car la macroéconomie subit une volatilité irréductible. Mais ce manque de fiabilité et de crédibilité des prévisions budgétaires a pourtant un coût économique et démocratique car il « mène à une rupture de la confiance accordée aux chiffres ».

Cela s’est notamment vu lors du dérapage budgétaire de 2024, quand les dépenses ont explosé par rapport aux prévisions effectuées en 2023 pour l’élaboration de la loi de finances pour 2024, aboutissant à un déficit de 5,8 %, soit 50 milliards d’euros de plus que prévu.

Améliorer la prédiction de la trajectoire budgétaire

Selon le coresponsable du pôle Entreprises à l’IPP, pour recréer de la confiance démocratique dans ces prévisions, « la meilleure solution est de permettre une meilleure transparence des données et des méthodes, et surtout une confrontation des approches pour limiter ces surprises ».

Les auteurs proposent ainsi des pistes d’estimation alternatives sur le bénéfice fiscal (BFI), la base taxable de l’impôt sur les sociétés. En 2023, une erreur d’estimation des recettes de l’impôt sur les sociétés a abouti à un décalage de 19 milliards d’euros ente les prévisions budgétaires de novembre et les recettes réellement encaissées à la fin de l’année 2024. Alors que sa croissance avait été annoncée à +13 %, elle s’est révélée proche de +1 %.

« Ces prévisions aujourd'hui sont fondées sur des estimations d'excédent brut d'exploitation (EBE) fourni par l'Insee. La suggestion serait d'avoir des estimations d'origine plus microéconomique, et en particulier des sociétés françaises cotées », explique Laurent Bach. En effet, l’EBE n’est pas exactement la même chose que le BFI, d’où des approximations. A l’inverse, les sociétés cotées sont tenues de publier des indicateurs plus proches du BFI.

En comparant les données depuis 2019, les chercheurs se sont rendu compte que ces données permettaient de prédire de façon plus fiable les recettes fiscales de l’Etat, surtout en suivant les publications au cours de l’année, qui permettent d’ajuster les prévisions. En se basant sur les données publiées en mai, les sociétés cotées devraient voir leur résultat comptable diminuer de 2 %.

Les auteurs se sont également intéressés au budget des collectivités locales, dont la soi-disant explosion des dépenses l’an dernier avait fait couler beaucoup d’encre, avec une hausse de 3,9 % contre 2 % initialement prévu – quand plusieurs alertes au second semestre avaient même fait craindre une hausse de 7 %.

Le ministère des Finances se base notamment sur les flux de paiement effectifs pour mettre à jour ses estimations. Ceux-ci ont conduit à une réévaluation exagérée des dépenses des collectivités à +7 %. Or, le Trésor reçoit en parallèle au printemps les prévisions de budget des différentes collectivités. Agrégés, ces budgets primitifs anticipaient une hausse de 4,2 %, proche de ce qui s’est finalement réalisé.

La France trop optimiste à moyen terme ?

L’étude s’est également interrogée sur la crédibilité et la présence de biais possibles dans les trajectoires budgétaires à plus long terme, la programmation pluriannuelle des finances publiques, qui se formalise au niveau national dans les lois de programmation des finances publiques (LPFP), et au niveau européen dans le programme de stabilité et de croissance, le PSTAB (programme de stabilité) et le traité de stabilité de coordination et de gouvernance.

Elle prévoit ainsi que la France repasse sous les 3 % de déficit en 2029. Un sujet d’attention car si la dette augmente depuis longtemps, la croissance a longtemps permis de limiter son coût, ce qui n’est plus le cas.

Dans le PSTAB 2012-2023, les prévisions de croissance de la France sont relativement proches de la réalité la première année, puis s’en éloignent progressivement avant de se stabiliser. Par ailleurs, les prévisions françaises « à moyen terme sont parmi les plus optimistes de la zone euro », explique Octave De Brouwer, en matière de prévision de croissance (0,4 point au-dessus de la réalité à N+3) et surtout de solde public (+1,7 point, deuxième derrière l’Espagne).

Comment diminuer la dette tout en limitant les inégalités ?

L’élaboration du budget de l’Etat est confrontée à plusieurs risques : le creusement du déficit et le renchérissement du coût de la dette mais aussi le risque d’effet récessif et d’accroissement des inégalités.

D’ailleurs, selon le président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, Éric Coquerel, lors d’un débat en fin de journée avec son rapporteur général Charles De Courson, la plupart des mesures envisagées par le gouvernement « sont récessives, et elles produisent plus d’inégalités ». Il vilipende d’ailleurs la politique de l’offre du gouvernement, plaidant pour « récupérer une partie des cadeaux fiscaux qui n’ont pas rejailli sur l’économie ».

Pour étudier ces critères, L’IPP a simulé trois scénarios : une baisse des dépenses publiques de façon indifférenciée, de l’ensemble des prestations sociales, ou des prestations d’assurance (les « transferts bismarckiens », liés à l’assurance chômage et retraite).

Il s’avère que réduire uniformément la consommation publique a un fort impact récessif, car moins de commande publique signifie moins d’activité économique. La dette publique ne baisse que légèrement, puisque la baisse des dépenses publiques est en partie neutralisée par la baisse des rentrées fiscales liées à une moindre croissance. Enfin, les inégalités augmentent, les dépenses publiques bénéficiant notamment aux plus modestes.

La diminution des prestations sociales aurait quant à elle un effet de hausse sur le PIB, car selon le modèle, les personnes qui les perçoivent travailleraient plus pour compenser leur perte. L’effet sur le ratio dette / PIB serait positif (à la fois moins de dépenses et plus de recettes), mais cela conduirait à une forte hausse des inégalités, car cette baisse des prestations affecterait les ménages les plus modestes, qu’ils ne pourraient compenser ni par le travail ni par l’épargne dont ils sont relativement dépourvus.

Enfin, la baisse des transferts bismarckiens, qui concernent plus les classes moyennes et aisées, assurerait une croissance plus soutenue, pour les mêmes raisons que le scénario précédent. La baisse de la dette serait modeste, car ce scénario entrainerait une baisse des dépenses, les pensions de retraite et l’indemnité chômage étant imposées. Mais la hausse des inégalités serait moindre que dans les autres scénarios, ces revenus étant moins souvent versés aux ménages les plus modestes.

Les économistes concluent que les prévisions du gouvernement sont relativement réalistes sous réserve qu’il réalise bien les économies annoncées, et que la conjoncture ne se dégrade pas. Un risque demeure également : le taux d’épargne élevé des ménages. Sa baisse est indispensable pour relancer la consommation, mais plusieurs institutions la jugent improbable à court ou moyen terme.

Or, une épargne élevée pourrait empêcher la croissance de freiner le coût de la dette. D’ailleurs, Charles De Courson explique que si les recettes de TVA ont été plus basses que prévues (une des causes du dérapage), c’est que « les prévisions de TVA sont fondées sur un modèle keynésien qui ne fonctionne plus, car les consommateurs n’ont plus confiance » et préfèrent épargner que consommer.

Trois mesures dans le viseur

Les chercheurs ont aussi étudié plusieurs mesures annoncées par le gouvernement. Notamment la contribution différentielle sur les hauts revenus, CDHR, qui vise à imposer un taux minimal de 20 % sur les revenus des ménages les plus aisés. Elle concerne environ 16 000 foyers et rapporterait 1,2 milliard d’euros. Elle permettrait donc de hausser les revenus publics mais comporte des limites, notamment la possibilité de décaler la réalisation des plus-values pour ne pas s’acquitter de la CDHR, puisque celle-ci est imaginée comme une taxe temporaire seulement.

Autre piste analysée : le gel en 2026 des indexations sur l’inflation des prestations sociales, des retraites de base et du barème de l’impôt sur le revenu. Cette « année blanche » permettrait de dégager 5,7 milliards d’euros. Mais elle frapperait d’abord les ménages les plus modestes.

La hausse de la TVA, qui figure parmi les pistes lancées par le gouvernement, a aussi été analysée. Elle serait efficace budgétairement : un point de plus sur tous les taux rapporterait 13 milliards d’euros brut. Néanmoins, cela affecterait les administrations publiques, qui la payent à hauteur de deux milliards d’euros. De plus, cela créerait de l’inflation, conduisant à la hausse automatique de certaines prestations indexées, et donc une hausse de certaines dépenses publiques, estimée à 2,8 milliards d’euros. Le gain net serait donc de 8,2 milliards d’euros.

Par ailleurs, elle a essentiellement un impact sur le niveau de vie des ménages les plus modestes : le 1er décile (les 10 % les plus modestes) subit une perte proche de -1,2 % de son niveau de vie, même s’il est partiellement protégé par l’indexation automatique. Les déciles les plus aisés sont moins affectés, puisqu’en proportion, leur consommation est moins élevée par rapport à leur niveau de revenus.

Et Octave De Brouwer de conclure : « Nous pensons que ces développements ne pourront réellement inciter les gouvernements à tenir leur trajectoire annoncée que s'ils s'accompagnent d'une expertise indépendante approfondie, à laquelle l'IPP espère encore contribuer à l'avenir ».

Aude David

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