A l’occasion des 100 ans du
réseau CMA, la Chambre de métiers et de l’artisanat Île-de-France a mis en
lumière la question de la reprise des entreprises. Un sujet crucial, mais
encore trop souvent négligé. Dans la région, près de 50 000 dirigeants ont plus
de 60 ans : beaucoup n’ont pas encore anticipé la question.
Les Chambres de métiers et de
l’artisanat (CMA) ont 100 ans ! En l’honneur de cet anniversaire, la CMA
Île-de-France organisait jeudi 12 juin, à Paris, une conférence sur « l’artisanat,
entre tradition et futur ».
Une journée rythmée par
plusieurs temps forts avec des invités venus de secteurs variés, autour des
grandes questions qui façonnent l’avenir du secteur. Parmi elles, un sujet
aussi crucial que sensible : celui de la transmission des entreprises
artisanales.
Souvent repoussée, parfois
même ignorée jusqu’à ce qu’il soit trop tard, cette étape décisive reste mal
anticipée par bon nombre de dirigeants. Beaucoup se retrouvent, au moment de
partir, avec une entreprise entre les mains… sans personne pour la reprendre.
Un enjeu d’autant plus
préoccupant qu’entre 2022 et 2032, près de 700 000 entreprises devront être
cédées, selon la Chambre de commerce et d’industrie (CCI). Et chaque année, le
constat est le même : 30 000 entreprises françaises disparaissent faute de repreneur,
alerte le ministère de l’Économie et des Finances.
12 300 structures artisanales
à transmettre en Île-de-France
En Île-de-France, on compte
quelque 350 000 structures artisanales, « un chiffre en hausse de 10 %
chaque année », a dévoilé Damien Cantet, chargé d’études économiques à la
CMA régionale. Parmi elles, 12 300 ont été identifiées comme étant à
transmettre : « 6 800 entreprises de proximité et 5 500 relevant de la
production ou du bâtiment. »
Selon lui, plusieurs facteurs
peuvent faciliter une transmission réussie : la notoriété de la marque,
l’existence d’une clientèle fidèle, mais aussi le nombre de salariés. « On
sait que plus une entreprise emploie, plus sa transmission est aisée »,
a-t-il souligné.
Autre critère : l’âge
des dirigeants. « L’anticipation à la transmission est extrêmement
importante : en Île-de-France, 50 000 entreprises sont aujourd’hui dirigées par
des personnes de plus de 60 ans », a averti Damien Cantet. Et d’ajouter : «
Dès 55 ans, il faut impérativement commencer à réfléchir à ce processus afin de
valoriser l’entreprise au mieux. »
Le chargé d’études économiques
a notamment observé, s’appuyant sur plusieurs études ministérielles, qu’un chef
d’entreprise qui entame cette réflexion après 60 ans adopte souvent une posture
plus conservatrice. Résultat : l’entreprise freine son développement, prend
moins de risques, ce qui déprécie ses actifs et réduit sa valeur perçue par les
potentiels repreneurs. Alors même que, quelques années auparavant, elle valait
bien davantage.
Une analyse confirmée par un rapport d’information publié par la Délégation aux
entreprises du Sénat en octobre 2022. Celui-ci note qu’en France,
25 % des dirigeants de PME et d’ETI ont plus de 60 ans, et 11 % plus de 66 ans.
Pourtant, un tiers des chefs d’entreprise âgés de 65 ans ou plus n’ont pas
encore entamé de réflexion sur la transmission de leur société. Conséquence
directe : le nombre de cessions d’entreprises diminue régulièrement depuis
2010, avec une baisse de 19 % sur la décennie 2010-2020.
Un manque d’information sur
la reprise d’entreprise
Pour Thomas Lam, député
(Horizons) de la deuxième circonscription des Hauts-de-Seine, les difficultés
liées à la transmission des entreprises relèvent également souvent d’un manque de
connaissances sur le sujet. « Certaines personnes ne savent même pas qu’il est
possible de reprendre une entreprise », a-t-il regretté.
« Par exemple, j’ai fait une
école de commerce il y a quelques années maintenant, a
illustré le député. On nous formait à des métiers comme le marketing ou la
finance, on commençait à peine à parler de création d’entreprise… Mais alors la
reprise, on n’en parlait jamais. Ce n’était même pas dans le champ des options
professionnelles envisageables après un diplôme ».
« Bien sûr, je ne dis pas
que tout le monde est prêt à reprendre une entreprise de taille importante en
sortant de l’école, a nuancé Thomas Lam. Mais avec une bonne formation
et un peu d’expérience professionnelle, je pense qu’on peut déjà envisager de
reprendre une petite structure. Les jeunes en sont capables ».
Pour le parlementaire, ces
lacunes de communication sur le sujet constituent un véritable frein pour les
personnes déjà sur le marché du travail, qui oublient trop souvent qu’il est
possible de diriger une entreprise… sans nécessairement partir de zéro.
Dans cette même logique,
Thomas Lam a également soulevé un autre obstacle majeur : les difficultés de
mise en relation entre cédants et repreneurs. « C’est un vrai sujet. Je
connais beaucoup de repreneurs potentiels qui peinent à entrer en contact avec
des dirigeants prêts à céder. Il existe pourtant des initiatives, comme Alvo,
un site qui vient de se lancer, ou encore les annonces diffusées par la CMA.
Mais il y a un vrai déficit de visibilité ».
« Sans accompagnement,
beaucoup de repreneurs renoncent »
L’un des autres principaux
freins à la reprise d’entreprise reste l’accès au financement. Un point sur
lequel Thomas Lam, député (Horizons) des Hauts-de-Seine, s’est montré
particulièrement clair : « D’abord, il faut être capable d’évaluer le coût
réel d’une entreprise. Et pour un repreneur, cela nécessite souvent d’être
accompagné par des avocats, des fiscalistes et des experts-comptables ».
Un accompagnement coûteux,
alors même que la plupart des potentiels repreneurs ne disposent pas encore de
revenus fixes. Le député a d’ailleurs rappelé qu’un tel projet exige un
engagement total : « Quand on veut reprendre une entreprise, il faut s’y
consacrer à temps plein. »
Problème : « Le temps est
très court », a-t-il regretté. Une opération de reprise s’étale
généralement sur 12 à 18 mois, un délai durant lequel les candidats doivent
assurer leur subsistance. Or, tous ne bénéficient pas d’allocations chômage,
notamment lorsqu’ils ont été dirigeants de sociétés comme des SARL-EURL, sauf à
avoir souscrit une assurance privée.
« Et même pour ceux qui
peuvent vivre sur leurs économies, ce délai passe très vite. Sans
accompagnement ni solution de financement, beaucoup doivent renoncer à leur
projet et retourner sur le marché du travail », a souligné Thomas Lam. D’après
le député, il est impératif de mettre en place des dispositifs de soutien pour
faciliter la reprise.
Des leviers, notamment locaux
Néanmoins, quelques solutions
existent déjà, comme la possibilité de solliciter un prêt d’honneur auprès de
réseaux comme Initiative France ou Réseau Entreprendre, ou encore de recourir
au financement participatif. D’autres repreneurs choisissent de faire entrer
des investisseurs au capital.
Des aides publiques sont
aussi disponibles : Bpifrance propose notamment le « prêt croissance
transmission », un financement sans garantie, pouvant aller jusqu’à 5 millions
d’euros sur sept ans - voire dix ans pour les entreprises hôtelières - avec
deux années de différé en capital.
Adjoint au maire
d’Asnières-sur-Seine depuis 2014, Thomas Lam a également évoqué des leviers
locaux souvent ignorés : certaines collectivités peuvent, par exemple, prendre
en charge temporairement le loyer d’un local, encadrer les loyers ou aider à
l’achat des murs et au financement des travaux afin de faciliter la
transmission.
Des mesures supplémentaires
sont également en discussion au niveau national. Ce qu’a confirmé le député :
« Nous travaillons actuellement avec le gouvernement à une piste de
fléchage de l’épargne réglementée pour soutenir l’aide à la reprise. »
Romain
Tardino