Une disposition concernant le
dossier coffre est notamment passée à la trappe. L’activation et
l’enregistrement à distance d’appareils électroniques dans le cadre de la lutte
contre la criminalité organisée ont eux aussi été encadrés pour en limiter leur
utilisation.
C’était une décision
attendue. Le Conseil constitutionnel a validé jeudi 12 juin l'essentiel de la
loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, tout en censurant
plusieurs dispositions jugées contraires à la Constitution.
Saisis par trois recours
contestant 38 des 64 articles de la loi venus des députés insoumis, écologistes
et socialistes, les Sages ont censuré en partie ou entièrement six d’entre eux.
La censure porte
principalement sur des dispositions perçues comme insuffisamment encadrées.
L’article 5, qui devait permettre aux services de renseignement d’avoir un
accès direct à des bases de données fiscales, a été invalidé car il ne
garantissait pas « une conciliation équilibrée entre l’objectif
d’amélioration de la capacité opérationnelle des services spécialisés de
renseignement et le droit au respect de la vie privée ».
Même sort pour l’article 15
sur le recours de traitements algorithmiques pour traiter les URL visitées par
les utilisateurs, qui permettait une surveillance généralisée des connexions
internet.
Le Conseil a jugé que le
dispositif autorisait une « analyse systématique et automatisée de données
qui sont susceptibles de porter sur le contenu des correspondances échangées ou
des informations consultées dans le cadre de ces communications », ce qui
n’assure pas « une conciliation équilibrée entre les objectifs de
valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de
prévention des infractions et le droit au respect de la vie privée ».
Mais le Conseil
constitutionnel a également censuré une autre disposition ne faisant pourtant
pas partie de la loi narcotrafic. Une phrase de l’article L851-3 du Code de la
sécurité intérieure, intégrée en 2021 et qui autorisait le traitement
algorithmique des URL pour la prévention du terrorisme, a été jugée de la même
manière.
Le dossier coffre en partie
supprimé
Autre censure notable :
l’article 19, qui prévoyait des peines fortement aggravées pour le simple port
d’arme lors de certains délits, même sans usage de l’arme. L’institution a
estimé que « des aggravations de peines d’une telle ampleur […] étaient
manifestement disproportionnées ».
Très critiqué par les
avocats, l’article 40 a de son côté été partiellement censuré pour avoir permis
de fonder une condamnation sur des éléments du « dossier coffre » non soumis au
débat contradictoire. Le Conseil a rappelé que toute possibilité d’une
condamnation ne peut pas être fondée « sur des éléments qui n’ont pas
été pleinement soumis au contradictoire ».
Les Sages ont également
rejeté l’extension du régime dérogatoire de garde à vue à 96 heures aux
affaires de corruption et de trafic d’influence (article 55), estimant que ces
infractions « ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes
à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », conditions
indispensables pour une telle prolongation de la garde à vue.
Enfin, l’article 56, qui
imposait le recours exclusif à la visioconférence pour les détenus placés en
quartier de lutte contre la criminalité organisée, a été partiellement
invalidé. Le Conseil affirme que priver un prévenu de comparution physique
devant le juge « porte une atteinte excessive aux droits de la défense ».
Des
fermetures administratives « strictement adaptées, nécessaires et proportionnées »
Concernant les autres
mesures, plusieurs réserves d’interprétation ont été exprimées par le Conseil
constitutionnel. Sur les fermetures administratives par exemple (article 4),
les Sages ont souligné que « ces dispositions permettent la fermeture
non seulement de commerces, mais également de tout établissement ou lieu ouvert
au public ou utilisé par le public ».
Le Conseil constitutionnel a déterminé
que « ces dispositions doivent être interprétées comme imposant à
l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de tenir compte des
conséquences de la fermeture de ces lieux pour les personnes qui les
fréquentent et de prononcer une mesure qui soit strictement adaptée, nécessaire
et proportionnée, notamment par son périmètre et sa durée, aux objectifs
recherchés ».
Sur le retrait et le blocage
de contenus en ligne qui proposent l’achat de stupéfiants (article 28), l’institution
a précisé que la mesure ne pourrait être utilisée que si le caractère illicite du
contenu est manifeste. La disposition d’activation et l’enregistrement à
distance d’appareils électroniques dans le cadre de la lutte contre la
criminalité organisée (articles 38 et 39) ne pourra quant à elle être utilisé
qu’en cas de faits commis en bande organisée et punis d’une peine
d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.
En ce qui concerne les
quartiers de haute sécurité (article 61), la politique concernant les fouilles
a été précisée. Les fouilles intégrales systématiques pourront uniquement avoir
lieu dans les cas où la personne a été en contact physique avec une personne en
mission ou en visite dans l’établissement sans être restée sous la surveillance
constante d’un agent de l’administration pénitentiaire. « Ainsi, [les
fouilles] ne peuvent être réalisées lorsque la personne détenue a rencontré un
membre de sa famille ou son avocat dans un parloir équipé d’un dispositif de
séparation », a précisé le Conseil constitutionnel.
Autre critère : les
fouilles intégrales ne pourront être effectuées « que lorsque la surveillance
de la visite par un agent de l’administration pénitentiaire a été empêchée par
des circonstances particulières tenant à l’intimité de la personne détenue, à
la nécessité de préserver la confidentialité de ses échanges ou à des
difficultés exceptionnelles d’organisation du service pénitentiaire ».
Une censure jugée nécessaire
mais incomplète
Cette validation partielle de
la loi a suscité de nombreux commentaires de la part des avocats sur les
réseaux sociaux. Sur LinkedIn, l’avocate parisienne Safya Akorri a dénoncé la
mise en place d’un droit « ultra-répressif [qui] s’inscrit dorénavant
encore un peu plus dans l'ordre juridique ».
L’avocate a rappelé le rôle
de « vigie » exercé par la profession, redoutant une poursuite des
atteintes aux libertés dans le droit par une multiplication des « poussées
pédagogiques » : « Hier les terroristes, aujourd’hui les
trafiquants, demain les cols blancs, vous, moi, nous tous. »
Toujours sur Linkedin, si l’avocat
membre de la Ligue des droits de l’homme Pierrick Clément a salué les censures
de certaines dispositions, des censures « salvatrices pour le droit au
procès équitable notamment », celui-ci a cependant regretté la
validation par le Conseil constitutionnel de la « recréation »
de quartiers de haute sécurité, qu’il a jugé « inhumains et contraires
au droit à la réinsertion ». « Ce n’est pas parce qu’une loi
est constitutionnelle que c’est une bonne loi » a rappelé Pierrick
Clément, paraphrasant Robert Badinter qui assurait, notamment durant son
passage au Conseil constitutionnel, que « toute loi inconstitutionnelle
est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement
anticonstitutionnelle ».
Le sénateur écologiste Guy
Benarroche a quant à salué « une décision claire sur les points qui
avaient rendu impossible un vote » de son groupe.
La Quadrature du net, qui
avait envoyé ses arguments au Conseil constitutionnel pour le convaincre de
censurer des dispositions que l’association jugeait « dangereuses et
révoltantes », a dénoncé la « validation du principe »
de dossier coffre, malgré l’inconstitutionnalité prononcée de l’une des
possibilités d’utilisation du dossier. « Cela permettra donc à la
police de ne pas rendre des comptes sur des mesures de surveillance très intrusives »,
a-t-elle assuré.
L’association de défense des
libertés a égratigné la décision du Conseil constitutionnel, soulignant « la
pauvreté des arguments » de l’institution « qui ne justifie
rien et se contente de répéter la loi ». Autre grief avancé : la
présence lors de la décision du Conseil de Philippe Bas, ancien sénateur, « qui
n’a pas jugé utile de se déporter », alors qu’il avait voté en faveur
du texte lorsqu’il siégeait encore à la chambre haute en janvier dernier.
Alexis
Duvauchelle