DROIT

La loi narcotrafic validée mais partiellement censurée par le Conseil constitutionnel

La loi narcotrafic validée mais partiellement censurée par le Conseil constitutionnel
Publié le 13/06/2025 à 15:28

Une disposition concernant le dossier coffre est notamment passée à la trappe. L’activation et l’enregistrement à distance d’appareils électroniques dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée ont eux aussi été encadrés pour en limiter leur utilisation.

C’était une décision attendue. Le Conseil constitutionnel a validé jeudi 12 juin l'essentiel de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, tout en censurant plusieurs dispositions jugées contraires à la Constitution.

Saisis par trois recours contestant 38 des 64 articles de la loi venus des députés insoumis, écologistes et socialistes, les Sages ont censuré en partie ou entièrement six d’entre eux.

La censure porte principalement sur des dispositions perçues comme insuffisamment encadrées. L’article 5, qui devait permettre aux services de renseignement d’avoir un accès direct à des bases de données fiscales, a été invalidé car il ne garantissait pas « une conciliation équilibrée entre l’objectif d’amélioration de la capacité opérationnelle des services spécialisés de renseignement et le droit au respect de la vie privée ».

Même sort pour l’article 15 sur le recours de traitements algorithmiques pour traiter les URL visitées par les utilisateurs, qui permettait une surveillance généralisée des connexions internet.

Le Conseil a jugé que le dispositif autorisait une « analyse systématique et automatisée de données qui sont susceptibles de porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées dans le cadre de ces communications », ce qui n’assure pas « une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de prévention des infractions et le droit au respect de la vie privée ».

Mais le Conseil constitutionnel a également censuré une autre disposition ne faisant pourtant pas partie de la loi narcotrafic. Une phrase de l’article L851-3 du Code de la sécurité intérieure, intégrée en 2021 et qui autorisait le traitement algorithmique des URL pour la prévention du terrorisme, a été jugée de la même manière.

Le dossier coffre en partie supprimé

Autre censure notable : l’article 19, qui prévoyait des peines fortement aggravées pour le simple port d’arme lors de certains délits, même sans usage de l’arme. L’institution a estimé que « des aggravations de peines d’une telle ampleur […] étaient manifestement disproportionnées ».

Très critiqué par les avocats, l’article 40 a de son côté été partiellement censuré pour avoir permis de fonder une condamnation sur des éléments du « dossier coffre » non soumis au débat contradictoire. Le Conseil a rappelé que toute possibilité d’une condamnation ne peut pas être fondée « sur des éléments qui n’ont pas été pleinement soumis au contradictoire ».

Les Sages ont également rejeté l’extension du régime dérogatoire de garde à vue à 96 heures aux affaires de corruption et de trafic d’influence (article 55), estimant que ces infractions « ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », conditions indispensables pour une telle prolongation de la garde à vue.

Enfin, l’article 56, qui imposait le recours exclusif à la visioconférence pour les détenus placés en quartier de lutte contre la criminalité organisée, a été partiellement invalidé. Le Conseil affirme que priver un prévenu de comparution physique devant le juge « porte une atteinte excessive aux droits de la défense ».

Des fermetures administratives « strictement adaptées, nécessaires et proportionnées »                                            

Concernant les autres mesures, plusieurs réserves d’interprétation ont été exprimées par le Conseil constitutionnel. Sur les fermetures administratives par exemple (article 4), les Sages ont souligné que « ces dispositions permettent la fermeture non seulement de commerces, mais également de tout établissement ou lieu ouvert au public ou utilisé par le public ».

Le Conseil constitutionnel a déterminé que « ces dispositions doivent être interprétées comme imposant à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de tenir compte des conséquences de la fermeture de ces lieux pour les personnes qui les fréquentent et de prononcer une mesure qui soit strictement adaptée, nécessaire et proportionnée, notamment par son périmètre et sa durée, aux objectifs recherchés ».

Sur le retrait et le blocage de contenus en ligne qui proposent l’achat de stupéfiants (article 28), l’institution a précisé que la mesure ne pourrait être utilisée que si le caractère illicite du contenu est manifeste. La disposition d’activation et l’enregistrement à distance d’appareils électroniques dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée (articles 38 et 39) ne pourra quant à elle être utilisé qu’en cas de faits commis en bande organisée et punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.

En ce qui concerne les quartiers de haute sécurité (article 61), la politique concernant les fouilles a été précisée. Les fouilles intégrales systématiques pourront uniquement avoir lieu dans les cas où la personne a été en contact physique avec une personne en mission ou en visite dans l’établissement sans être restée sous la surveillance constante d’un agent de l’administration pénitentiaire. « Ainsi, [les fouilles] ne peuvent être réalisées lorsque la personne détenue a rencontré un membre de sa famille ou son avocat dans un parloir équipé d’un dispositif de séparation », a précisé le Conseil constitutionnel.

Autre critère : les fouilles intégrales ne pourront être effectuées « que lorsque la surveillance de la visite par un agent de l’administration pénitentiaire a été empêchée par des circonstances particulières tenant à l’intimité de la personne détenue, à la nécessité de préserver la confidentialité de ses échanges ou à des difficultés exceptionnelles d’organisation du service pénitentiaire ».

Une censure jugée nécessaire mais incomplète

Cette validation partielle de la loi a suscité de nombreux commentaires de la part des avocats sur les réseaux sociaux. Sur LinkedIn, l’avocate parisienne Safya Akorri a dénoncé la mise en place d’un droit « ultra-répressif [qui] s’inscrit dorénavant encore un peu plus dans l'ordre juridique ».

L’avocate a rappelé le rôle de « vigie » exercé par la profession, redoutant une poursuite des atteintes aux libertés dans le droit par une multiplication des « poussées pédagogiques » : « Hier les terroristes, aujourd’hui les trafiquants, demain les cols blancs, vous, moi, nous tous. »

Toujours sur Linkedin, si l’avocat membre de la Ligue des droits de l’homme Pierrick Clément a salué les censures de certaines dispositions, des censures « salvatrices pour le droit au procès équitable notamment », celui-ci a cependant regretté la validation par le Conseil constitutionnel de la « recréation » de quartiers de haute sécurité, qu’il a jugé « inhumains et contraires au droit à la réinsertion ». « Ce n’est pas parce qu’une loi est constitutionnelle que c’est une bonne loi » a rappelé Pierrick Clément, paraphrasant Robert Badinter qui assurait, notamment durant son passage au Conseil constitutionnel, que « toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement anticonstitutionnelle ».

Le sénateur écologiste Guy Benarroche a quant à salué « une décision claire sur les points qui avaient rendu impossible un vote » de son groupe.

La Quadrature du net, qui avait envoyé ses arguments au Conseil constitutionnel pour le convaincre de censurer des dispositions que l’association jugeait « dangereuses et révoltantes », a dénoncé la « validation du principe » de dossier coffre, malgré l’inconstitutionnalité prononcée de l’une des possibilités d’utilisation du dossier. « Cela permettra donc à la police de ne pas rendre des comptes sur des mesures de surveillance très intrusives », a-t-elle assuré.

L’association de défense des libertés a égratigné la décision du Conseil constitutionnel, soulignant « la pauvreté des arguments » de l’institution « qui ne justifie rien et se contente de répéter la loi ». Autre grief avancé : la présence lors de la décision du Conseil de Philippe Bas, ancien sénateur, « qui n’a pas jugé utile de se déporter », alors qu’il avait voté en faveur du texte lorsqu’il siégeait encore à la chambre haute en janvier dernier.

Alexis Duvauchelle

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