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32, c'est le nombre, jusqu'en février dernier, d'actions de
groupe ouvertes en France, depuis leur création en 2014 par la loi Hamon. Malgré leur intérêt pour
les victimes, comment expliquer qu’elles soient encore si peu nombreuses ?
Le Centre international de criminologie
comparée de Montréal et Amissi Manirabona, Professeur à l'Université de Montréal ont organisé, mardi 31 octobre, la conférence « Accès à la justice et participation des victimes à travers les
associations en France ». Cette rencontre franco-québécoise a permis
de réfléchir à l'évolution de la place de la victime dans la procédure pénale.
À la différence du Canada, en France l'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique
et devant la même juridiction selon l'article 3 du Code de procédure
pénale. Les poursuites civiles peuvent être menées en même temps que les
poursuites pénales. Le juge qui décide d'une peine, se prononce aussi sur la
réparation, dans une seule décision. « Ce
qui explique cette coexistence de l'action publique et de l'action civile au
sein du procès pénal, c'est que cette même infraction, dès lors qu'elle porte
atteinte à l'ordre social, elle porte atteinte à un intérêt privé », selon
Béatrice Lapérou-Scheneider, professeure à l'Université de Franche-Comté .
La preuve de la commission de l'infraction est aussi plus
facile à rapporter dans le cadre d'une procédure pénale que dans celui d'une
procédure civile seule. Un participant s'inquiète d'un monopole de l'État dans
le rapport de la preuve, qui aurait comme conséquence que la partie civile ne
puisse pas jouer un rôle actif. La Professeure répond que la partie civile peut
apporter des éléments de preuve qui seront inclus dans le dossier. Une enquête
est dirigée par le parquet, ce qui n'est pas le cas en matière civile. « La victime a tout intérêt, tant au niveau de
la preuve, que de la célérité à présenter sa demande dans le cadre du procès
pénal », remarque-t-elle. Le fait que l'action civile soit enclenchée
en même temps que l'action publique permet l'obtention d'un jugement civil plus
rapide que si les deux actions étaient disjointes. De plus, pour la professeure,
le devoir de juger dans un délai raisonnable, principe européen, essentiel en
matière pénale oblige à la tenue plus rapide d'un procès.
L'autre avantage du système français, tient à la
possibilité que, dans un tribunal, un juge soit disponible pour une affaire
civile le matin, et pour une affaire pénale l'après-midi. « C'est une spécificité française, un corps
unique des magistrats au sein des tribunaux judiciaires », note
l’intervenante.
De cette double action pénale et civile, les droits de la
victime d'assister au seul procès ou à la seule audience possible n'a plus à
être argumentée. De plus, le principe du contradictoire, garanti par la
Convention européenne des droits de l'Homme, permet à la victime, partie au
procès, de participer à la procédure pour faire valoir ses arguments.
Béatrice Lapérou-Scheneider observe qu'« En France, dans le procès pénal classique,
la victime a une vraie place, qui s'est développée au fil du temps, qui a été
renforcée. [...] Par contre, elle n'a rien à dire sur la culpabilité ou la
peine. ».
Dans la même logique qu'en première instance, puisque la
victime n'avait pas son mot à dire sur l'aspect répressif, « elle peut interjeter appel sur l'intérêt
civil, jamais pénal », conclut-elle. Pour que la victime participe au
procès pénal, le préjudice subi doit être lié à la commission d'une infraction.
Un dommage qui n'a pas été causé par la transgression du Code pénal, ne relève
que du droit civil, et inversement, une infraction commise qui ne cause pas de
victime n'implique pas l'intervention d'une partie civile dans l'action
publique.
La Professeure nous remémore l'attentat de Nice du 14 juillet
2016. De prétendues victimes qui ont été alertées par les heurts se sont alors
constituées parties civiles pour obtenir une indemnisation au titre de
l'angoisse subie. Les juges n'ont pas fait droit à leurs demandes, excluant un
lien direct entre l'acte terroriste et le préjudice invoqué. Les demandeuses ne
savaient pas, au moment des faits, qu'il s'agissait d'un attentat, n'ayant pas
assisté elles-mêmes au massacre.
Pour accéder à la juridiction pénale en tant que partie
civile, la victime peut être une personne physique ou une personne morale, de
droit privé ou de droit public. La conférencière rappelle une affaire dans
laquelle un randonneur avait promené son chien sans laisse dans le massif des
Écrins malgré l'interdiction du parc naturel, personne morale de droit public.
Le chien prit un chamois en chasse. Outre la contravention au règlement, le
parc a saisi la juridiction pénale en invoquant un préjudice moral pour avoir
porté atteinte à sa fonction de protéger la faune. C'est la première fois
qu'une juridiction pénale reconnaît pour une personne morale la possibilité de
demander la réparation d'un tel préjudice (consacrée par la Cour de cassation
le 7 avril 1999). Qu'en est-il des associations, personnes morales, de
droit privé pour la plupart, et de droit mixte pour les ordres professionnels ?
Les associations agréées peuvent enclencher elles-mêmes
l'action pénale, ce qui n'est pas possible au Canada selon Béatrice
Lapérou-Scheneider. Si une personne morale peut se constituer partie civile et
intervenir au procès pénal, se pose alors la question des associations de
protection des victimes alors même qu'elles ne subissent pas elles-mêmes le
dommage.
Les syndicats et les ordres professionnels peuvent se
constituer partie civile. Si un médecin prodigue une euthanasie active,
pourtant interdite en France, l'ordre des médecins pourrait demander
réparation, pour l'atteinte portée par cet acte infractionnel à l'image du
médecin.
Actuellement, les associations non professionnelles
doivent exister depuis au moins cinq ans pour intenter une action de groupe.
Ceci, ainsi que les lourdeurs procédurales, telles que l'envoi de mises en
demeure préalable, peut expliquer l'usage limité à une telle action.
Néanmoins, la proposition de loi des députés Vichnievsky
et Gosselin, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, le 8 mars
dernier, évoque un élargissement des possibilités de ce type de recours. Les
associations n'auront plus à être agréées par l'État pour agir, et le minimum
de cinq ans d'existence exigé, sera abaissé à deux seulement. De plus, à
l'image des class actions le préjudice moral sera désormais pris en
considération. Les élections sénatoriales ont ralenti l'activité parlementaire
et le vote de ce texte qui devra être débattu à nouveau.
Les actions de groupes ne peuvent intervenir que parce
qu'elles représentent un intérêt collectif. Actuellement, les associations de
lutte contre la discrimination, contre les violences intrafamiliales, de
défense de l'environnement, et toutes celles dont l'objet est reconnu d'utilité
publique peuvent agir en justice en se constituant partie civile. Ces
associations « peuvent même, dans
certaines conditions, déclencher l'action à la place du parquet devant la
juridiction pénale », précise Béatrice Lapérou-Scheneider. Elles
agissent à la place du procureur parce qu'il s'agit de discrimination
systémique, c'est-à-dire d'un groupe et non d'une seule personne. Le ministère
public ne peut agir pour un groupe déterminé ou une cause.
Pour enclencher elles-mêmes l'action publique, elles
saisissent le juge d'instruction s'il s'agit soit d'un crime soit d'un délit
complexe, ou directement la cour d'assises pour les crimes ou le tribunal
correctionnel pour les délits.
Un participant s'interroge alors : « Lorsque la victime ne veut pas poursuivre,
est-ce que le juge pénal peut le faire à sa place ? ». Non, pour
ce qui relève de la demande civile, mais oui concernant le pénal pour la
plupart des infractions si la poursuite est jugée opportune par le procureur de
la République.
Cette question se pose en France, mais le principe
d'opportunité des poursuites n'est, par exemple, pas appliqué en Allemagne,
État dans lequel le suspect est systématiquement poursuivi.
« En France
comme au Canada, on a une justice verticale. » Il s'agit d'une justice
qui s'impose aux parties plutôt qu'une justice qui cherche une conciliation
entre elles. Toutefois, « On passe
de plus en plus à une justice horizontale », remarque la Professeure.
Avec l'adoption de la Convention judiciaire d'intérêt public, qui équivaut à
l'accord de réparation au Canada, issu de la loi Sapin 2. « Le droit français connait une évolution
remarquable, notamment en matière de traitement de la délinquance économique
des personnes morales. ». Ce dispositif est même élargi en France aux
atteintes à l'environnement. Il faut une reconnaissance de culpabilité pour la
mettre en œuvre. Une amende est décidée ainsi qu'une indemnisation de la
victime éventuelle, des dispositions doivent être prises pour éviter que soit
commise à nouveau le même type d'infraction.
Tout cela se passe sans la présence de la victime. La
partie civile invoque son préjudice, mais elle ne décide rien de l'accord sur
les dommages-intérêts. La Professeure Lapérou-Scheneider en conclut que la
partie civile est devenue passive.
Il faut que cette convention, qui est comme son nom
l'indique « judiciaire », soit validée par un juge. Pourquoi ?
C'est la Convention européenne des droits de l'Homme qui l'impose en France. Le
juge ne peut cependant pas modifier l'accord, soit il l'accepte, soit il
l'invalide. S'il l'invalide, c'est le procès pénal classique qui est alors mis
en œuvre.
Ce type de procédure est apparue à cause de la pression que
les Américains ont imposée en réglant des affaires internationales de
corruption. Pour les Français, cela a abouti à la « mise à genou » d'Alstom, en condamnant l'entreprise à une
amende très élevée pour en racheter ensuite une partie. La société est devenue
américaine. Pour cette raison, la France s’est dotée d'un système aussi
efficace que la convention judiciaire d'intérêt public, même au détriment des
victimes.
Antonio
Desserre
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