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mercredi 8 novembre 20237 min
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08/11/2023 11:20:18 1 5 4177 23 0 2017 3786 3919 Améliorer l'accès des associations de victimes aux procès

32, c'est le nombre, jusqu'en février dernier, d'actions de groupe ouvertes en France, depuis leur création en 2014 par la loi Hamon. Malgré leur intérêt pour les victimes, comment expliquer qu’elles soient encore si peu nombreuses ?

 

Le Centre international de criminologie comparée de Montréal et Amissi Manirabona, Professeur à l'Université de Montréal ont organisé, mardi 31 octobre, la conférence « Accès à la justice et participation des victimes à travers les associations en France ». Cette rencontre franco-québécoise a permis de réfléchir à l'évolution de la place de la victime dans la procédure pénale.

À la différence du Canada, en France l'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction selon l'article 3 du Code de procédure pénale. Les poursuites civiles peuvent être menées en même temps que les poursuites pénales. Le juge qui décide d'une peine, se prononce aussi sur la réparation, dans une seule décision. « Ce qui explique cette coexistence de l'action publique et de l'action civile au sein du procès pénal, c'est que cette même infraction, dès lors qu'elle porte atteinte à l'ordre social, elle porte atteinte à un intérêt privé », selon Béatrice Lapérou-Scheneider, professeure à l'Université de Franche-Comté .

La preuve de la commission de l'infraction est aussi plus facile à rapporter dans le cadre d'une procédure pénale que dans celui d'une procédure civile seule. Un participant s'inquiète d'un monopole de l'État dans le rapport de la preuve, qui aurait comme conséquence que la partie civile ne puisse pas jouer un rôle actif. La Professeure répond que la partie civile peut apporter des éléments de preuve qui seront inclus dans le dossier. Une enquête est dirigée par le parquet, ce qui n'est pas le cas en matière civile. « La victime a tout intérêt, tant au niveau de la preuve, que de la célérité à présenter sa demande dans le cadre du procès pénal », remarque-t-elle. Le fait que l'action civile soit enclenchée en même temps que l'action publique permet l'obtention d'un jugement civil plus rapide que si les deux actions étaient disjointes. De plus, pour la professeure, le devoir de juger dans un délai raisonnable, principe européen, essentiel en matière pénale oblige à la tenue plus rapide d'un procès.

L'autre avantage du système français, tient à la possibilité que, dans un tribunal, un juge soit disponible pour une affaire civile le matin, et pour une affaire pénale l'après-midi. « C'est une spécificité française, un corps unique des magistrats au sein des tribunaux judiciaires », note l’intervenante.

De cette double action pénale et civile, les droits de la victime d'assister au seul procès ou à la seule audience possible n'a plus à être argumentée. De plus, le principe du contradictoire, garanti par la Convention européenne des droits de l'Homme, permet à la victime, partie au procès, de participer à la procédure pour faire valoir ses arguments.

 

« En France on considère que la victime a une place dans le procès pénal. »

 

Béatrice Lapérou-Scheneider observe qu'« En France, dans le procès pénal classique, la victime a une vraie place, qui s'est développée au fil du temps, qui a été renforcée. [...] Par contre, elle n'a rien à dire sur la culpabilité ou la peine. ».

Dans la même logique qu'en première instance, puisque la victime n'avait pas son mot à dire sur l'aspect répressif, « elle peut interjeter appel sur l'intérêt civil, jamais pénal », conclut-elle. Pour que la victime participe au procès pénal, le préjudice subi doit être lié à la commission d'une infraction. Un dommage qui n'a pas été causé par la transgression du Code pénal, ne relève que du droit civil, et inversement, une infraction commise qui ne cause pas de victime n'implique pas l'intervention d'une partie civile dans l'action publique.

 

Le lien entre l'infraction et le dommage doit être suffisamment direct.

 

La Professeure nous remémore l'attentat de Nice du 14 juillet 2016. De prétendues victimes qui ont été alertées par les heurts se sont alors constituées parties civiles pour obtenir une indemnisation au titre de l'angoisse subie. Les juges n'ont pas fait droit à leurs demandes, excluant un lien direct entre l'acte terroriste et le préjudice invoqué. Les demandeuses ne savaient pas, au moment des faits, qu'il s'agissait d'un attentat, n'ayant pas assisté elles-mêmes au massacre.

Pour accéder à la juridiction pénale en tant que partie civile, la victime peut être une personne physique ou une personne morale, de droit privé ou de droit public. La conférencière rappelle une affaire dans laquelle un randonneur avait promené son chien sans laisse dans le massif des Écrins malgré l'interdiction du parc naturel, personne morale de droit public. Le chien prit un chamois en chasse. Outre la contravention au règlement, le parc a saisi la juridiction pénale en invoquant un préjudice moral pour avoir porté atteinte à sa fonction de protéger la faune. C'est la première fois qu'une juridiction pénale reconnaît pour une personne morale la possibilité de demander la réparation d'un tel préjudice (consacrée par la Cour de cassation le 7 avril 1999). Qu'en est-il des associations, personnes morales, de droit privé pour la plupart, et de droit mixte pour les ordres professionnels ?

 

L'accès des associations à la procédure pénale

 

Les associations agréées peuvent enclencher elles-mêmes l'action pénale, ce qui n'est pas possible au Canada selon Béatrice Lapérou-Scheneider. Si une personne morale peut se constituer partie civile et intervenir au procès pénal, se pose alors la question des associations de protection des victimes alors même qu'elles ne subissent pas elles-mêmes le dommage.       

Les syndicats et les ordres professionnels peuvent se constituer partie civile. Si un médecin prodigue une euthanasie active, pourtant interdite en France, l'ordre des médecins pourrait demander réparation, pour l'atteinte portée par cet acte infractionnel à l'image du médecin.

Actuellement, les associations non professionnelles doivent exister depuis au moins cinq ans pour intenter une action de groupe. Ceci, ainsi que les lourdeurs procédurales, telles que l'envoi de mises en demeure préalable, peut expliquer l'usage limité à une telle action.

Néanmoins, la proposition de loi des députés Vichnievsky et Gosselin, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, le 8 mars dernier, évoque un élargissement des possibilités de ce type de recours. Les associations n'auront plus à être agréées par l'État pour agir, et le minimum de cinq ans d'existence exigé, sera abaissé à deux seulement. De plus, à l'image des class actions le préjudice moral sera désormais pris en considération. Les élections sénatoriales ont ralenti l'activité parlementaire et le vote de ce texte qui devra être débattu à nouveau.

Les actions de groupes ne peuvent intervenir que parce qu'elles représentent un intérêt collectif. Actuellement, les associations de lutte contre la discrimination, contre les violences intrafamiliales, de défense de l'environnement, et toutes celles dont l'objet est reconnu d'utilité publique peuvent agir en justice en se constituant partie civile. Ces associations « peuvent même, dans certaines conditions, déclencher l'action à la place du parquet devant la juridiction pénale », précise Béatrice Lapérou-Scheneider. Elles agissent à la place du procureur parce qu'il s'agit de discrimination systémique, c'est-à-dire d'un groupe et non d'une seule personne. Le ministère public ne peut agir pour un groupe déterminé ou une cause.

Pour enclencher elles-mêmes l'action publique, elles saisissent le juge d'instruction s'il s'agit soit d'un crime soit d'un délit complexe, ou directement la cour d'assises pour les crimes ou le tribunal correctionnel pour les délits.

Un participant s'interroge alors : « Lorsque la victime ne veut pas poursuivre, est-ce que le juge pénal peut le faire à sa place ? ». Non, pour ce qui relève de la demande civile, mais oui concernant le pénal pour la plupart des infractions si la poursuite est jugée opportune par le procureur de la République.

Cette question se pose en France, mais le principe d'opportunité des poursuites n'est, par exemple, pas appliqué en Allemagne, État dans lequel le suspect est systématiquement poursuivi.

 

« On passe de plus en plus à une justice horizontale. »

 

« En France comme au Canada, on a une justice verticale. » Il s'agit d'une justice qui s'impose aux parties plutôt qu'une justice qui cherche une conciliation entre elles. Toutefois, « On passe de plus en plus à une justice horizontale », remarque la Professeure. Avec l'adoption de la Convention judiciaire d'intérêt public, qui équivaut à l'accord de réparation au Canada, issu de la loi Sapin 2. « Le droit français connait une évolution remarquable, notamment en matière de traitement de la délinquance économique des personnes morales. ». Ce dispositif est même élargi en France aux atteintes à l'environnement. Il faut une reconnaissance de culpabilité pour la mettre en œuvre. Une amende est décidée ainsi qu'une indemnisation de la victime éventuelle, des dispositions doivent être prises pour éviter que soit commise à nouveau le même type d'infraction.

Tout cela se passe sans la présence de la victime. La partie civile invoque son préjudice, mais elle ne décide rien de l'accord sur les dommages-intérêts. La Professeure Lapérou-Scheneider en conclut que la partie civile est devenue passive.

Il faut que cette convention, qui est comme son nom l'indique « judiciaire », soit validée par un juge. Pourquoi ? C'est la Convention européenne des droits de l'Homme qui l'impose en France. Le juge ne peut cependant pas modifier l'accord, soit il l'accepte, soit il l'invalide. S'il l'invalide, c'est le procès pénal classique qui est alors mis en œuvre.

Ce type de procédure est apparue à cause de la pression que les Américains ont imposée en réglant des affaires internationales de corruption. Pour les Français, cela a abouti à la « mise à genou » d'Alstom, en condamnant l'entreprise à une amende très élevée pour en racheter ensuite une partie. La société est devenue américaine. Pour cette raison, la France s’est dotée d'un système aussi efficace que la convention judiciaire d'intérêt public, même au détriment des victimes.

 

Antonio Desserre

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