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L’Université de droit de Bordeaux organisait, jeudi dernier, une conférence sur la protection des communs. Le fil rouge : la crise écologique requiert-elle des changements juridiques profonds ?
Premier défi pour les juristes présents au débat sur la protection des biens communs, le 9 novembre, à l'Université de droit de Bordeaux : comment définir ces communs ? « Parfois, le commun, c'est une notion qu'on va utiliser pour favoriser l'usage. Parfois ça va être pour le limiter, rappelle Antoine Touzain, professeur à l'université de Rouen. On peut penser le commun contre, par, ou avec la propriété. »
L’animateur du débat, Alexandre Zabalza, directeur du centre de philosophie du droit à l’université de Bordeaux, sonde le public. « Pensez-vous que la propriété individuelle empêche d’encadrer les communs ? » Aucune main ne se lève dans l’assemblée. « Pensez-vous que c’est totalement conciliable ? » Toujours pas de réponse. Puis le directeur s’amuse en présentant l’article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » ainsi que l’article 714 : « Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir. »
Le voici reposant une nouvelle fois ses questions. Cette fois-ci, une dizaine de personnes estiment que la propriété est antinomique avec la protection des communs tandis qu’une majorité du public pense que les deux notions peuvent être compatibles. Antoine Touzain rebondit : « On peut penser la propriété comme l'archétype de l'ultralibéralisme, qui conduit à la destruction des ressources. Avoir une vision d’un droit égoïste, absolu, solitaire. Cette vision, notamment soutenue par les personnes non-juristes, n’est finalement pas contre la propriété mais contre la propriété individuelle. Nous pourrions protéger les communs par une forme de propriété collective. »
Être réfractaire à la propriété serait « la voie du courant personnaliste de la nature » indique le professeur avant de s’intéresser à l’idée du commun par la propriété. « Cela a déjà un avantage : éviter de repenser complètement notre système. En France, la propriété individuelle à une place extrêmement importante. »
C’est ici que le docteur Nicolas Bernard, de l’Université de Saint-Louis en Belgique, intervient et évoque le Community Land Trust du pays voisin pour montrer la compatibilité du commun par la propriété. Cette association reçoit des fonds de l'État pour devenir propriétaires de terrains sur lesquels des logements sont bâtis, et ce afin que ces derniers restent à un coût nettement inférieur au prix du marché, sans que l’État n’intervienne dans la prise de décision.
« Qui dirige ? lance-t-il. Eh bien, ça se fait en autogestion avec un tiers d'habitants, les pouvoirs publics et les riverains. Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas être habitant pour avoir son mot à dire sur le développement de ces logements, sur l’affectation qu'on donne à la terre. Cette gestion tripartite empêche un groupe de prendre le dessus sur l’autre. On a des projets assez équilibrés, mesurés, qui s'insèrent plus souplement dans le tissu urbain. »
Après avoir démontré que le commun par la propriété est possible, les acteurs du débat s’attaquent au dernier cas de figure : le commun avec la propriété.
Gabriel Sebban, maître de conférences à Paris-Sorbonne, expose son propos : « On pourrait avoir des choses communes, telles qu'elles sont fixées par l'article 714, qui n'appartiennent à personne, et dont l'usage est commun à tous. Auquel cas, on aurait une vision anti-propriétaire pour certains biens, dont on ne veut pas qu'ils soient appropriés, comme l’air ou l’eau. Et on aurait des biens communs, qui seraient donc des choses appropriées, au sens d'une propriété individuelle ou collective, qui n'empêcherait pas un usage commun. »
Ici, le docteur en droit fait écho à une idée peu novatrice. Le propriétaire d’un chemin rural, par exemple, peut accorder l’accès aux propriétaires voisins, voire à un plus grand nombre. Prenons également les propriétaires de lieux historiques soumis à certaines contraintes dont l’obligation d’accès pour des raisons culturelles. Tout dépend du cas de figure, et c’est ce que les acteurs du débat ont souligné durant les deux heures de débat.
Parallèlement au « contre », au « par » et au « avec », se pose une autre question, celle du régime. En ouverture de la conférence, Guillaume Drouot, de l’Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine de Bordeaux, évoquait les régimes matrimoniaux soumis à des règles relatives à la propriété et à des devoirs.
Généralement, on considère un triptyque « avoir », « pouvoir », « devoir », explique Antoine Touzain. « Pour ‘l’avoir’, c’est simple. Parfois on passe par l'avoir, parfois non. Au niveau des pouvoirs, il en existe trois : créer, gérer et défendre le commun. […] Est-ce une logique verticale ? Doit-elle être imposée par l'État ? Faut-il une approche locale ? » Bien souvent, ces questions se posent pour les communs naturels. Mais elles peuvent aussi exister pour des communs artificiels. Ainsi, en droit français, dans l’habitat participatif les futurs habitants co-construisent leur logement avec des espaces communs. Cela permet à leur communauté d’établir ensemble, avant même sa gestion, la manière dont sera organisé le vivre-ensemble.
En ce qui concerne le pouvoir de gestion : « Nous pouvons préserver, compenser, maintenir l'usage de la chose. C'est l’un des éléments sur lesquels nous avons un gros enjeu de qualification juridique des communs », explique le professeur de l’Université de Rouen.
Enfin viennent les pouvoirs de défense. Qui défend, de manière générale, en justice, les biens communs ? Faut-il ouvrir le pouvoir à tous les intéressés, aux membres de la collectivité, à l’État, à tous les citoyens, etc. ? « En Espagne, cette autorité à gérer a été déterminée justement en référence à ces différentes entités qui sont considérées comme étant dans ce milieu, explique Antoine Touzain. Et en Allemagne, on passe par la notion d'intérêt à agir pour essayer de refuser celui qui se prétendrait défenseur d'une forêt, alors qu'il n'y a pas d'intérêt à le faire pour éviter que n'importe qui puisse agir. »
Le docteur en droit conclut par son dernier point : les devoirs. « Qui paye pour la gestion ? Est-ce qu'on doit faire remonter le coût de la gestion au niveau étatique, de la collectivité, du propriétaire ? Qu'est-ce qu'on peut faire si jamais il y a une gestion insuffisante ? etc. »
Finalement, si nous arrivons à correctement utiliser les communs, à protéger l’environnement, la nature sauvage, nous pourrions envisager une responsabilité du fait des dommages causés par le commun. Mais ce n'est pas là l'idée de la protection des communs.
Hugo Bouqueau
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