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INTERVIEW. Dans une tribune, la Fédération France victimes plaide pour que soient maintenus les délais de prescription en matière de violences sexuelles sur les mineurs. Interrogé, Jérôme Moreau, cosignataire du texte et vice-président de la Fédération, estime que l'urgence est surtout à la mise en place de politiques de repérage plus efficaces, et à un recueil plus rapide de la parole des enfants.
Récemment, la Fédération France victimes a pris la parole dans une tribune publiée dans le Point, demandant notamment que soient maintenus les délais de prescription pour les violences sexuelles sur les mineurs. Le texte se prononce, sans ambiguïté, contre l’imprescriptibilité de ces crimes et appelle à renforcer les dispositifs de prévention et d’accompagnements pluridisciplinaires.
Le débat fait réagir notamment la Ciivise, qui elle, plaide pour supprimer la prescription en matière de violences sexuelles faites aux enfants. Si chacun s’accorde pour regretter les dysfonctionnements du système judiciaire, en matière notamment de prise en charge des plaignants, la question de l’imprescriptibilité continue d’agiter les collectifs de victimes. Jérôme Moreau, cosignataire de la tribune et vice-président de la Fédération France victimes, a répondu aux questions du JSS.
JSS : Pourquoi la Fédération France victimes a-t-elle écrit cette
tribune ? Et pourquoi avoir choisi de vous exprimer particulièrement sur
l’imprescriptibilité ?
Jérôme Moreau : Nous
nous exprimons régulièrement sur des faits d’actualité et des débats de société,
et nous nous intéressons au contexte qui les entoure. Nous avons par exemple
pris la parole sur le harcèlement scolaire, sur le sens de la peine, et
récemment, nous avons été consultés lors du débat sur l’indépendance de la
justice à l’Assemblée nationale, où nous avons représenté l’aide aux victimes.
L’imprescriptibilité a été étudiée par notre conseil scientifique, aux
compétences pluridisciplinaires, et ses travaux ont été débattus lors de notre
dernière assemblée générale, qui s’est positionnée contre.
JSS : Quels sont les
arguments les plus en faveur du maintien de la prescription aujourd’hui ?
JM : La
prescription est essentielle à la procédure pénale, seuls les cas de crimes
contre l’humanité y échappent. En 2015, le Conseil d’Etat a émis un avis
rappelant ce qu’est l’imprescriptibilité et a clarifié son application. L’éternité
procédurale est incompatible avec le dépérissement des preuves. La prescription
est garante de l’efficacité de la justice, et sans elle, on donne de faux
espoirs aux victimes. Le rôle de la justice, c’est d’apporter de la rigueur
procédurale dans la recherche de la preuve. Il s’agit de protéger les victimes
dans leurs droits, assurer leur octroi de dommages et intérêts, aller vers des
peines complémentaires…
JSS : Vous avez des
arguments plutôt empiriques. Plus les faits sont anciens, plus la preuve est
difficile à récolter, c’est ce que vous constatez ?
JM : Ce
sont des arguments de terrain, réalistes. Plus elles portent plainte tard,
moins il y a de possibilités pour les victimes d’obtenir réparation. 40 ans
après les faits, il n’y a souvent plus rien. D’où la nécessité d’aller vers des
politiques de repérage plus efficaces, de faire en sorte de mieux recueillir la
parole des enfants et plus rapidement. De plus, les délais de prescription ont
récemment été rallongés et il est actuellement impossible d’évaluer l’impact
juridique de ces allongements, nous manquons de recul et d’études sur le sujet.
Encore une fois, il est plus facile de faire condamner les auteurs si la
plainte est prise en charge plus rapidement. La justice condamne tous les jours
des auteurs d’infractions pénales, il ne faut pas l’oublier. La prévention, la
libération de la parole, que nous avons contribué à porter, sont essentielles,
et permettent à l’avenir d’éviter de nouvelles victimes.
« La loi pénale a toujours fait l'objet de débats »
- Jérôme Moreau, vice-président et porte-parole de la Fédération France Victimes, qui regroupe 130 associations d'aide aux victimes en France © DR
JSS : Comprenez-vous que
certaines voix divergent au sein même des professions du droit, et que certains
magistrats souhaitent l’imprescriptibilité pour ces crimes ?
JM : Je n’ai pas de problème aujourd’hui à entendre les arguments des uns et des autres. Mais j’insiste sur l’extrême nécessité d’apaisement autour de ces sujets-là. La loi pénale a toujours fait l’objet de débats, et cette tribune, c’est aussi le moyen d’y contribuer. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de réactions positives de professionnels du droit, bien que d’autres nous aient fait part de leur désaccord. L'actualité nous rappelle ce que sont les crimes de guerre, qui eux ne bénéficient pas de l'imprescriptibilité en toute logique.
Des affaires médiatiques
comme Le Scouarnec ou Pelicot ont été jugées grâce à des preuves numériques ou
écrites, mais elles sont loin d’être la règle. Plus le temps s’écoule, moins on
a de preuves et les victimes, elles restent seules, avec les risques que cela
comporte, comme le suicide. Les classements sans suite sont difficiles pour
elles, nous nous sommes d’ailleurs emparés du sujet en proposant un
accompagnement – gratuit, je le précise - lorsqu’on leur annonce un classement
sans suite.
JSS : Récemment,
l’affaire Bétharram a fait couler beaucoup d’encre. Les victimes sont désormais
âgées et certaines n’ont pas été entendues à l’époque. Comment accompagner ces personnes
dont les agressions sont pour certaines prescrites, et répondre à leur besoin
de justice ?
JM : On
découvre, aujourd’hui, l’ampleur d’un phénomène qui dépasse tout le monde. Ces
victimes ont dénoncé les faits à l’époque mais elles n’ont pas été crues ni
soutenues. Les mentalités ont changé depuis. Il faut proposer, dès la
maternelle, une éducation à ces sujets et ouvrir des espaces de parole pour les
enfants. Et pour les victimes dont les faits sont prescrits, il faut trouver
d’autres mécanismes. Certaines victimes veulent des explications en dehors de
la procédure pénale, ou dans le cercle familial. La question est aussi du côté
de la reconnaissance par la société.
JSS : Selon vous, il faudrait
donc se tourner vers d’autres procédures aujourd’hui ?
JM : Non,
il faut quand même déposer plainte, c’est le juge qui décide si la prescription
s’applique. Mais quand c’est le cas, il y a l’accompagnement psychologique et
social, je pense aussi à la justice restaurative, à la médiation animale, aux
groupes de paroles, à l’art-thérapie. Le chemin vers la résilience est
individuel et les parcours sont pluridisciplinaires. Ces procédures sont mises
en place lorsque la seule réponse pénale n’est plus possible. Malheureusement, certains
auteurs ne seront jamais condamnés. Mais il faut permettre aux victimes de
faire résilience.
Propos
recueillis par Mylène Hassany
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