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Que ce soit du côté des patients ou des professionnels de santé, il existe de grandes tendances sur le type de plaintes.
Dans un jugement rendu public cet été, le Conseil d’État a récemment confirmé la décision du conseil national de l’Ordre des médecins visant à suspendre un médecin généraliste pour « insuffisance professionnelle rendant dangereux l’exercice de la profession ». Si les Ordres ont pour mission de représenter leur profession et de participer à leur réglementation, il leur incombe également de veiller au respect, par leurs membres, de leur code de déontologie.
« Le gros volet de mon
activité porte sur les certificats, témoigne Maître Diane
Delcourt, avocate au Barreau de Marseille et associée du cabinet
Rosenfeld & Associés. Les médecins, sont en effet souvent sollicités
pour établir des certificats sur l’état de santé de patients, lesquels
certificats sont souvent utilisés dans des procédures connexes comme dans le
cadre d’un divorce (aptitude à s’occuper des enfants par exemple) ou d’un
litige contre un employeur (burn-out, harcèlement) ».
Et très souvent, dans ces
procédures parallèles, l’avocat du plaignant ne va pas tant chercher à obtenir
une sanction contre le professionnel de santé qu’à décrédibiliser la valeur du
certificat. « Ces cas-là se retrouvent beaucoup au stade de la
conciliation et assez peu à celui de la juridiction disciplinaire, poursuit
Maître Delcourt. C’est vraiment une grosse partie des contentieux ordinaux,
ce que confirment les conseillers ordinaux eux-mêmes : ils en traitent à
chaque session. En effet, quand le professionnel de santé va effectivement être
fautif, c’est-à-dire s’il est montré qu’il n’a pas pu constater lui-même une
situation (par exemple, lorsque le médecin conclut à un harcèlement au travail,
il est évident que le médecin n’est pas allé dans l’entreprise pour le
constater), il est très facile de le reconnaître en conciliation, sans pour
autant revenir sur les constats médicaux posés. Si bien que 9 dossiers sur 10
s’arrêtent à ce stade ».
« Les procédures sont le
plus souvent liées à la prise en charge, explique Maître Arnaud de
Lavaur, avocat au Barreau de Paris et associé fondateur du cabinet Peacock
Avocats, spécialisé dans l’accompagnement des professionnels de santé libéraux. Cela ne porte pas tant sur des critères /
actes techniques mais plutôt sur des aspects qualitatifs, comportementaux, qui
relèvent plus de l’humain. Par exemple, en lien avec des soins intimes ou le
sentiment d’un manque de respect des gens, notamment de la part de la famille,
une atteinte à la dignité, un reproche de manque de prise de temps. »
« Les plaintes liées à
la qualité des soins sont en effet le deuxième plus gros volet de mon activité,
confirme
Diane Delcourt. D’ailleurs, la plupart d’entre elles sont, à mon sens,
totalement erronées puisque, pour déterminer s’il y a un manquement dans la
qualité des soins, il faut une expertise laquelle relève du juge judiciaire et
non de la chambre disciplinaire. Les patients se trompent de juridiction. A cela s’ajoute les
patients qui veulent une réparation du préjudice… qu’ils ne peuvent pas obtenir
de la chambre puisque cela ne relève pas de ses compétences. Dans d’autres cas,
les patients saisissent la chambre ordinale après une condamnation judiciaire
plutôt pour des raisons de principe, afin que la chambre soit avertie du
manquement. »
Comme le pointe le dernier
« Observatoire de France Assos Santé sur les droits des malades » (2022),
« les droits des usagers du système
de santé dans leur recours au système de santé restent le premier sujet
d’interrogation, avec 43,4 % des sollicitations. (…) Les questionnements
juridiques des usagers concernant leurs relations avec les professionnels et
les établissements représentent, comme chaque année et de loin, la première
catégorie de sollicitations de Santé Info Droits, avec 3 736 demandes en 2023. »
À titre
d’exemple, en juillet 2024, une seule décision rendue par la chambre
disciplinaire de l’Ordre national des infirmiers (ONI) concernait une requête
déposée par une patiente pour manquement à l’intérêt du patient et pour des
soins non conformes aux données de la science (la jurisprudence ayant donné
raison au professionnel de santé). Chez les masseurs-kinésithérapeutes, sur les
11 décisions rendues par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre entre
janvier et mars 2024, 4 impliquaient des patients concernant des gestes et
propos inappropriés, des actes déplacés sans visée thérapeutique et des propos
inadaptés à connotation sexuelle, un toucher pelvien sans prescription médicale
ou encore des factures dolosives.
Concernant les contentieux
entre médecins, « ils concernent surtout des litiges entre
collaborateurs ou associés, pointe Maître Diane Delcourt. Ce sont des
histoires de détournement de patientèle, de concurrence déloyale, de manquement
à la confraternité. Dans ces cas-là, les parties, de mon expérience, ne
transigent jamais : elles campent sur leur position respective car,
au-delà de l’aspect financier de ces affaires, il y a de profonds conflits de
personnalités, devenus inconciliables. Ce sont des dossiers difficiles mais
assez marginaux dans mon expérience ».
Notons que ces dossiers
comportent quasiment systématiquement des questions financières. Et, bien que
la chambre ordinale ne soit pas compétente en la matière, c’est une obligation
du code de la santé publique pour les médecins que de tenter une conciliation
avant toute action en justice, même si on sait d’avance que cette conciliation
ne va pas aboutir. En d’autres termes, c’est une sorte de passage obligé mais avec
des demandes souvent démesurées et incompatibles avec la conciliation.
« Du côté des infirmiers
libéraux, ce sont également le plus souvent des questions liées à la
patientèle, par exemple dans le cas d’un associé qui veut partir d’un cabinet,
illustre Arnaud de Lavaur. Le partage de la patientèle est l’objet de très
nombreux contentieux. C’est également le cas de statuts mal déterminés entre
remplaçants, collaborateurs, etc. En effet, auparavant, il n’y avait pas de
contrat entre infirmiers. Aujourd’hui, il y en a mais ce ne sont souvent pas
les bons. Et dans de nombreux de contentieux, il y a des questions d’argent
sous-jacentes... »
De fait, les litiges liés à
ces questions de confraternité sont en effet nombreux chez certaines
professions de santé : détournement de patientèle (Base jurisprudentielle de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, mars
2021) ; devoir de confraternité (Base jurisprudentielle de l’Ordre des
chirurgiens-dentistes, mars 2022) ; reversement de la rétrocession et
manquement à la bonne confraternité (Jurisprudence de l’ONI, juillet
2024) ; séparation brusque d’une association de fait et organisation non
concertée des suites pour la patientèle, Loyauté et bonne confraternité (Jurisprudence
de l’ONI, juillet 2024)…
« De
nombreux dossiers concernent les rapports entre associés, les statuts, la
concurrence déloyale, la publicité, l’indépendance professionnelle,
corrobore Maître de Lavaur. La profession infirmière, par exemple, repose
sur un système d’autorégulation pour qu’il n’y ait pas de salariat déguisé, de
publicité, de commerce. C’est l’essence des professions de santé qu’il faut
évidemment protéger. Problème : cela va à l’encontre du droit européen qui
stipule que l’on ne peut pas limiter ainsi des professions de santé, tels les
infirmiers libéraux, dont les missions sont proches de celles d’autres
professions non réglementées comme les services de soins à la personne ».
Les saisines de la part de
l’ARS ou de la CPAM sont plus marginales comme l’explique Diane Delcourt :
« J’ai dû avoir 3 ou 4 dossiers de ce genre en 15 ans de carrière dans
ce secteur. Peu nombreuses, ce sont en revanche généralement des affaires
lourdes comme des suspicions de fraudes pharmaceutiques ou suite à une visite
de l’ARS dans un cabinet, notamment celui d’un chirurgien-dentiste dont les
pratiques pouvaient clairement mettre les patients en danger (notamment en
termes d’asepsie) ».
En ce qui concerne les
saisines de la CPAM, deux cas de figure peuvent être rencontrés. D’une part,
des saisines de la section des assurances sociales concernant des fraudes aux
prestations sociales à la suite d’une analyse de l’activité d’un praticien qui
révèle des facturations d’actes non réalisés. « Il y en a beaucoup et
souvent pour des sommes importantes mais cela concerne cette section
particulière de la CDPI (Chambre disciplinaire de première instance) »,
rappelle Maître Delcourt. Le second motif fréquent de saisine de la CPAM
concerne le refus de soins envers les patients bénéficiaires de la
complémentaire santé solidaire, en d’autres termes une discrimination envers
eux pour lesquels le praticien ne peut pas faire de dépassement.
Au-delà de son rôle de juge
entre deux parties, un Ordre professionnel est également le régulateur et le
garant des professionnels de santé qu’il représente. Il peut, et même doit, donc
s’autosaisir si nécessaire (notons que, en cas d’auto-saisine de l’Ordre, il
n’y a pas, en toute logique, d’étape de conciliation). « C’est en effet
aux Ordres de s’autosaisir et non aux chambres disciplinaires. Aujourd’hui, ils
ne le font pas autant qu’ils le devraient. Pour les infirmiers, les
autosaisies sont de l’ordre de 5% des dossiers au niveau national, rapporte
Maître de Lavaur. A ce niveau, cela porte souvent sur des activités connexes
au soin médical, comme la sophrologie par exemple ». L’objectif est
ici clairement de cadrer certaines activités ésotériques qui pourraient nuire à
la profession. Régulation toujours, début juillet 2024, l’Ordre national des
infirmiers (ONI) s’est donc autosaisi contre les infirmiers non-inscrits à
l’Ordre. L’instance a prévenu que la chambre disciplinaire signalera aux
parquets les manquements par des plaintes déposées à l'encontre de chaque
professionnel fautif.
Dans une interview accordée à
Ouest France à la fin du mois de mai, le président du Conseil national
de l’Ordre des médecins, le docteur François Arnault, reconnaissait quant à lui,
à propos des sanctions à l’encontre des auteurs de violences sexistes et
sexuelles dans la profession, que « les chiffres sont insuffisants,
c’est indiscutable. Nous ne le faisons pas bien. » Et de rappeler que « l’Ordre
a un rôle essentiel à jouer pour moraliser et normaliser la profession
médicale ».
Des intentions mais peu
suivies de faits, comme le remarque Maître Delcourt : « J’ai
rarement vu des auto-saisines de la part des Ordres. De fait, quand il y a
conciliation entre le plaignant et le défendeur, je n’ai vu que de manière
exceptionnelle l’Ordre poursuivre de son côté ». De fait, même en cas
de conciliation, le dossier est présenté en plénière et l’Ordre peut choisir de
s’associer à la plainte ou de continuer à poursuivre par la suite. « J’ai
vu une seule fois l’Ordre s’auto-saisir à l’encontre d’un praticien qui avait
de nombreux antécédents disciplinaires, poursuit l’avocate spécialiste. De
mon point de vue, il y a tout de même un souci de confraternité de la part des
Ordres, même quand la faute déontologique est avérée. Par exemple, dans le cas
d’un certificat, si un praticien était traduit devant la chambre disciplinaire,
il recevrait un avertissement. L’Ordre en est conscient mais la plupart du
temps, si le praticien fait amende honorable, l’Ordre ne le poursuit pas ».
Pour Arnaud de Lavaur, « se
pose également la question de la formation des élus nationaux qui siègent aux
chambres disciplinaires : tous n’ont pas une profonde connaissance de la
jurisprudence ni du code de déontologie. La formation reste parcellaire. Ce
n’est la plupart du temps pas volontaire car ce n’est pas leur métier et ils
ont beaucoup d’autres aspects réglementaires à traiter. »
Et de rappeler, par ailleurs,
que les Ordres des professions de santé sont la plupart du temps des Ordres
mixtes, avec des ratios inégaux entre l’exercice libéral et hospitalier : « Par
exemple, chez les infirmiers, comme chez les médecins dans une moindre mesure,
les libéraux sont sous-représentés dans les instances, constate Maître de
Lavaur. Et pourtant, les infirmiers libéraux sont beaucoup plus condamnés
notamment en raison des problématiques spécifiques à leur exercice. »
Camille
Grelle
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