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CHRONIQUE. Devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, deux jeunes hommes comparaissent pour des violences commises en réunion.
Nadim et Reda comparaissent pour des violences volontaires,
commises quelques jours avant Noël, sur un individu rencontré dans la rue. Les
deux prévenus sont filmés par le système de vidéosurveillance de la ville
d’Asnières, alors qu’ils frappent leur victime. Lorsque les policiers procèdent
à l’interpellation des jeunes hommes, la victime s’est évaporée dans la nuit. Cette
dernière n’est pas identifiée : il n’y a donc pas d’ITT ni de plainte.
Nadim et Réda sont accompagnés de deux autres mineurs, sur l’un
desquels une blessure est constatée. L’un participe aux violences, tandis que le
second passe, pendant ce temps, un appel en visio, via l’application Snapchat.
C’est ce que les policiers relèvent au cours de la garde à vue.
La juge évoque les quelques photos extraites de la
vidéosurveillance. On y voit, entre autres, « celui qui s'est fait frapper, qui part en courant, regardant à
plusieurs reprises derrière lui ». La juge précise que « les policiers ont appelé différents hôpitaux »,
sans parvenir à retrouver cette personne.
La juge questionne Nadim, le principal mis en cause :
« Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur ces faits ?
- Quand j’ai vu cet individu, j’ai vu tout rouge.
- D’accord.
- Et ça m’a rappelé des mauvais souvenirs…
- Pourquoi, c’est qui cette personne ?
- Parce qu’elle était impliquée dans des histoires de tentatives
d’homicide. Ça a tenté de brûler ma porte, ça a tenté de tirer sur ma porte.
- Vous avez déposé plainte ?
- Non, j’ai pas déposé plainte.
- Pourquoi ? Attendez, tentative d’homicide, c’est hyper grave !
- Oui, je sais.
- Et l’OPJ qui m’a auditionné, il était là quand ça a tiré sur ma
porte.
- Qu’est-ce qu’il faisait là, l’OPJ ? Il y a eu des constatations
qui ont été faites ? Mais, s’il n’y a pas eu de plainte ?
- Non, j’ai pas déposé plainte, mais mes parents ont déposé plainte.
- Ah d’accord, donc il y a eu une enquête sur ça.
- Oui.
- Et pourquoi est-ce qu'on s'en prendrait à vous ?
- Je sais pas du tout.
- Il y a forcément une explication. Avez-vous enlevé quelqu'un ?
Vous avez contrarié quelqu'un ?
- Non.»
« Je ne me suis pas
trompé, sinon je ne lui aurais pas mis de coup »
La juge insiste, et Nadim finit par donner le nom d’une personne
qui lui en voudrait, tout en disant ignorer pourquoi. Elle veut maintenant
savoir en quoi la victime des coups serait liée à cet ennemi qu’il pointe.
Nadim se dit sûr d’avoir bien identifié cette personne :
« Au moment des faits, quand je l’ai tapé, il m’a menti. Il
m’a dit qu’il ne traînait pas avec l’un des frères M., alors que cet été, je me
rappelle même de sa voiture, il traînait bien avec lui.
-
Et admettons que vous vous
soyez trompé ?
-
Non, non, je ne me suis pas
trompé, sinon je ne lui aurais jamais mis de coups.
-
Qu’est-ce que vous en savez,
il faisait noir ?
- J’étais proche de lui, j’ai vu son visage. »
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Le dialogue porte à présent sur deux condamnations récentes de
Nadim, en 2023 et début décembre 2024, pour des faits liés au trafic de
stupéfiants :
« Vous voyez où je veux en venir. Est-ce que, par hasard, ça
peut avoir un lien avec les activités que vous êtes susceptibles d'avoir
menées, qui vous ont conduit à ces condamnations ?
-
Par rapport aux tirs sur ma
porte ?
-
Bah oui !
-
Non, parce que déjà en 2023,
c’était par rapport à un point de stup’ à Nanterre, et là en décembre, c’était
la police de Gennevilliers.
-
Bon, ce n’est pas très clair,
mais ce n’est pas grave. Si je pose la question, c'est parce que j'ai trouvé
très étonnant, quand vous avez été placé en garde à vue, vous avez donné des
explications. Vous n’avez été entendu qu’une fois, mais vous avez dit que vous
ne connaissiez pas personnellement l’individu que vous avez frappé, mais qu’il
fait partie d’une organisation. Et vous avez cité la DZ Mafia.
-
Oui, parce qu’à ce moment-là…
-
La DZ Mafia n’était pas
encore arrivée jusqu’à Paris, elle est montée jusqu’à Dijon, elle est montée
haut. Mais a priori, la DZ Mafia, quand elle a quelqu’un dans le nez…
-
Vous pouvez me laisser finir
? Même dans mon hall, quand ça a tiré sur ma porte, dans mon hall c’était écrit
DZ Mafia. Les enquêteurs ont bien vu qu’ils étaient venus à Gennevilliers.
- Carrément ? Ils sont montés de Marseille pour tirer sur votre
porte, répond la juge, sur un ton dubitatif.
-
Sinon, j’aurais jamais dit ça.
-
Je ne sais pas, quand on
écrit “DZ mafia”, ça peut être n’importe quoi. C’est quand même assez
impressionnant, effectivement. Vous ne faites pas partie du clan Yoda, vous ?
-
Non.
-
Et donc, vous pensez que le
gars que vous avez frappé, il est de la DZ Mafia, et ça ne vous fait pas peur ?
D’accord. »
La juge demande ensuite à Nadim pourquoi il a « fait l’imbécile » pendant sa garde
à vue : deux procès-verbaux indiquent qu’il a hurlé « pendant 45 minutes ». Le prévenu
rétorque qu’il a fait cela parce qu’il s’est « pris la tête avec un policier », « et qu’on l’a tapé ».
Mais « ce n’est pas du tout
ce qui est indiqué », affirme la juge. Les policiers ont relevé un Nadim
s’étant mis à chanter et à crier, tout en « incitant
ses camarades à faire la même chose ». Pour parer à ce tumulte -
qui aurait même dérangé les résidents de la maison de retraite près du
commissariat - les policiers ont indiqué avoir « été obligés de se rendre dans sa cellule »
pour l’entraver avec des menottes serflex.
L’un des assesseurs prend la parole, rebondissant sur les propos
de Nadim :
« Ça vous a fait quoi, quand on vous a tapé ?
-
Ça m’a fait mal.
-
Ah, et donc ça a fait mal à
la victime que vous avez tapée…
-
Mais cette victime que j’ai
tapée, elle a fait du mal à ma famille.
-
En fait c’est quoi, c’est la
vengeance privée, c’est ça ?
-
C’est sympa cette vengeance là.
-
C’est sympa ?
-
Ouais.
-
Ça veut dire quoi, sympa ?
-
Ouais, je ne lui ai pas tiré
dessus.
-
À mon avis, ça rassure
énormément le tribunal, ce que vous dites… Je crois qu’il y a deux ou trois
principes qui ne sont pas bien acquis. »
« C’est allé très
vite, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça »
La juge se tourne vers Reda. Âgé de 18 ans, il semble un peu plus
impressionné par l’audience que son camarade. Face aux questions de la juge, il
bredouille quelque peu, l’air penaud :
« J’ai mis des coups de pied, mais je regrette.
-
Mais pourquoi vous lui avez
donné des coups de pied ?
- Je ne sais pas. C’est passé trop vite, répond-il, l’air un peu
perdu.
-
Ah, zut alors. Ça veut dire
que si on se croise dans la rue demain, si ma tête ne vous revient pas, vous
allez me mettre des coups de pied ?
-
Non.
-
Donc, expliquez-moi pourquoi
vous avez mis des coups de pied à cette personne. Vous la connaissiez ?
-
Non, je la connais pas.
-
Mais pourquoi lui avoir mis
des coups de pied, alors ?
-
Je l’ai vu taper, et j’ai
tapé…
-
D’accord. Donc vous voyez
votre copain taper, et vous vous dites ‘allez, j’y vais’ ? Sans savoir pourquoi
? Ce n’est pas très rassurant ce que vous dites, si ?
-
C’est vrai, mais je regrette.
J’ai compris que la prison, ce n'est pas dehors.
-
Effectivement, je vous le
confirme. »
Reda, à la différence de Nadim, a un casier judiciaire encore
vierge. Concernant leur lien, il explique qu’ils habitent dans la même ville,
tout en disant que ce soir-là, c’est « par hasard » qu’il se trouve
avec lui.
« Mon client est un
imbécile »
Les deux discours des prévenus, aux tonalités quelque peu
différentes, permettent à l’avocate de la défense quelques variations dans
sa plaidoirie. Pouvant difficilement soutenir les propos de Nadim sur une « vengeance sympa », elle n’hésite
pas à bousculer son client : « un
imbécile », fustige-t-elle. Mais chez lui, « il y a quand même quelque chose »,
comme le démontre son intérêt pour une formation d’accompagnateur aux mobilités
réduites, dans un aéroport. Une formation empêchée par son casier judiciaire :
ne pas en avoir est un prérequis, pour exercer cet emploi.
Le parcours et les propos de Reda sont accueillis avec un autre
regard. Lycéen en filière bac professionnel carrosserie, il venait de terminer
un stage, avant son arrestation. Il précise qu’il « travaille bien », et qu’il a « 12 de moyenne ».
La juge va dans son sens :
« Et la mission locale vous a quand même transmis une aide de
1 200 euros pour financer votre conduite, ce n’est quand même pas rien. »
S’il semble que Reda se soit trouvé dans une position de « suiveur »,
l’avocate des deux prévenus livre au passage une piste pour expliquer leur
différence d’attitude à la barre. Elle se tourne vers la salle, et questionne
le jeune homme :
« Monsieur, qui est la dame au premier rang ?
-
C’est ma mère.
-
Et, ça vous fait quoi d’être
dans un box devant votre maman ?
-
Bah, ça me fait paniquer.
-
Vous avez bien dormi cette
nuit ?
-
Non, je n’ai pas dormi. »
La mère de Reda est accompagnée de son frère. Prenant la parole à
son tour, la procureure fait le point : elle affirme que « s’il y a sans doute des motifs liés à un
différend sur le trafic de stupéfiants », la victime était « en droit de se sentir en sécurité et de ne
pas se faire agresser ». Elle souligne que les « conséquences auraient pu être beaucoup plus
graves » et « engendrer sa
mort », dénonçant le mauvais exemple donné aux mineurs faisant partie
de l’équipée. Concernant Nadim, elle souligne qu’il ne fait confiance ni en la
justice ni en la police, reliant cette attitude à ses agissements de « trafiquant de drogue ».
Après quelques autres audiences, et une suspension de séance, le
verdict tombe. A l’encontre de Nadim, le tribunal prononce une peine de 18 mois
ferme, dont six mois issus d’une révocation de sursis, ajoutant deux mois à la
réquisition de la procureure. Reda est quant à lui condamné à un an de prison,
intégralement assorti d’un sursis probatoire.
Une décision qui n’appelle « aucun commentaire de la salle », complète la juge. La dizaine
de jeunes venue assister à l’audience quitte la salle, où quelques audiences
doivent encore avoir lieu.
Etienne Antelme
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