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Au musée de l'immigration, le lien entre étrangers et insécurité en débat


lundi 31 mars13 min
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31/03/2025 09:59:45 1 7 6221 23 0 8319 5526 5723 Tournages dans les prisons et les tribunaux : « On est là pour accompagner les productions dans leur souci de réalisme »

Anatomie d'une chuteLe filLe Comte de Monte Cristo... Au sein de la délégation de l’information et de la communication du ministère de la Justice, la « mission cinéma » a déjà accompagné la réalisation de 50 fictions, dont six nommées aux César en 2024. Tout en veillant au réalisme avec lequel la justice est représentée et en jonglant avec un certain nombre de contraintes, ce pôle met les lieux de justice à disposition des équipes de cinéma qui souhaitent tourner dans des bâtiments solennels et « chargés en émotion ». 

Une épaisse moquette bleue glissée sous les pieds des protagonistes, du skaï vert qui recouvre les panneaux de bois muraux, et au-dessus de la tribune des juges et du jury, une immense tapisserie de l’ « allégorie de la justice », épée à la main. La peau blême de Sandra Hüller, actrice principale du film multirécompensé Anatomie d’une chute et le verbe d’Antoine Reinartz dans le rôle de l’avocat général se fondent parfaitement dans le décor. Dans le scénario, nous sommes à Grenoble. Dans la vraie vie, le tournage a eu lieu au sein du tribunal judiciaire de Saintes, dont l’une des salles d’audience a été relookée pour l’occasion.

En prenant en compte les exigences esthétiques de la réalisatrice Justine Triet et le fait que le tournage devait avoir lieu en Nouvelle-Aquitaine pour des raisons de financement, après de longues recherches, la « mission cinéma » du ministère de la Justice a trouvé le bon lieu, miraculeusement disponible pendant trois semaines. La décoratrice a embelli la salle, le film a été tourné puis présenté au public, avec le succès qu’on lui connaît.

Rattachée à la délégation de l’information et de la communication du ministère, la mission cinéma existe peu ou prou « depuis toujours », malgré des changements dans l’organisation au fil du temps. Le service, qui poursuit un objectif de « valorisation du patrimoine immatériel de l'État », emploie deux personnes à temps plein depuis 2023 et reçoit de façon centralisée les demandes des cinéastes qui souhaiteraient réaliser tout ou partie de leurs tournages dans un tribunal, une prison ou un centre de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Après un processus de sélection, elle accompagne les productions des repérages jusqu’aux tournages. Dans le paysage cinématographique, la justice est en vogue, et les demandes sont nombreuses : en 2024, la mission a reçu 145 demandes et a accompagné le tournage de 50 fictions, pour la majorité en Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Lieux esthétiques et relais régionaux

Pour être accompagnés par le ministère, les projets de films doivent être « déjà un peu aboutis, avec une production derrière », explique Perrine Piat, responsable de la mission cinéma. L’examen des demandes commence toujours par le même rituel : la lecture du scénario. « On préfère le lire en intégralité, parce que c'est plus facile de comprendre comment notre scène s'insère dans le projet. Quand on a juste la séquence en salle d'audience, on n'est pas vraiment en mesure de dire ‘c'est du civil votre histoire, vous ne pourriez pas vous rendre au pénal pour ce genre d'affaires’ » justifie Perrine Piat.

Il faut ensuite aider le régisseur général, le repéreur ou le directeur de production à trouver le bon lieu. « Il y a des productions qui ont une idée très précise du lieu qu'ils veulent. Soit parce que leur histoire se base à Montpellier, donc il faut à tout prix qu’ils soient à la cour d'appel de Montpellier par exemple. Soit, ils ont une idée de l'esthétique qu'ils aimeraient donner, mais ils ne savent pas trop où chercher. Dans ces cas-là, nous, on aide à la recherche de décors » explique Perrine Piat.

Le film multirécompensé Anatomie d'une chute a été tourné au sein du tribunal judiciaire de Saintes © Dylan Marchal

Dans le cas d’une recherche esthétique particulière, en l’absence d’une base de données exhaustive qui répertorierait l’intégralité des décors des juridictions, il faut travailler avec une base interne… et le concours de précieux relais en région en contactant les cours d’appels. « Les présidents de juridictions nous disent : ‘Moi, mon tribunal, il est comme-ci, il est comme ça. Ça, ça peut être sympa’, ils nous envoient des photos. », raconte Perrine Piat.

Par exemple, pour son film Le fil, Daniel Auteuil voulait tourner dans le Sud-Est, où il a grandi. La mission s’est adressée à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a contacté le tribunal judiciaire de Draguignan où le film a finalement été tourné. Ce fonctionnement adossé à des interlocuteurs régionaux, qui est le même pour les prisons, permet aussi d’identifier les tribunaux en souffrance et les prisons en surpopulation, dont la situation rendrait particulièrement compliquée la venue d’une équipe de cinéma.

Eviter les grosses erreurs

Le producteur Jean Des Forêts (Borgo, La vraie famille, Grave…) évoque le travail du « comité de relecture » comme étant une « consultation gracieuse » et « une opportunité ». De nombreux professionnels partagent son enthousiasme à propos de ce service proposé par la mission cinéma, ou des magistrats et greffiers bénévoles et passionnés de cinéma relisent les scénarios et conseillent les équipes.

Pour le ministère, l’idée est de faire en sorte d’éviter les grosses erreurs de procédure, de vocabulaire ou de représentation. Car même quand le scénariste a été accompagné par un juriste, les maladresses sont fréquentes. « Là, par exemple, on a relu un épisode où le procureur n'existe pas du tout, c'est quand même très bizarre » explique Perrine Piat. L’équipe doit souvent rappeler qu’en France, il n’y a pas de cantine collective en prison, que les surveillants ne sont pas armés ou que les détenus ne sont pas en uniforme orange.

L’objectif n’est pas non plus que tout colle parfaitement à la réalité, souligne la responsable de mission cinéma :  « On sait qu'il y a besoin d'avoir une histoire, qu’il faut que ça soit agréable à regarder. On sait que ça ne peut pas être parfait, nous on est là pour accompagner les productions dans leur souci de réalisme. »

Pour représenter une justice qui se rapproche de la réalité ou faire naître des idées chez les professionnels du cinéma, la mission propose également des immersions. Scénaristes et réalisateurs sont amenés dans des prisons, des tribunaux, au sein desquels ils peuvent échanger avec des professionnels sur leur métier et leur quotidien.

Caroline Fenech, la deuxième personne qui travaille à temps plein sur la mission cinéma, a déjà accompagné l’équipe d’une série carcérale pendant une immersion de deux jours à la maison d'arrêt de Blois. Faute de temps et de moyens, le tournage n’a finalement pas pu être accompagné par le ministère. « Pour autant, souligne Perrine Piat, ils ont suivi le travail d'un surveillant pénitentiaire de 6h du matin jusqu'au soir pour comprendre la diversité des tâches qui leur sont confiées, pour s'ouvrir un peu l'esprit, pour écrire des personnages plus proches de la réalité. Les immersions, pour nous, c'est aussi l’occasion de faire de la pédagogie. »

Adaptation aux contraintes

Pour tourner avec le ministère de la Justice, la principale difficulté est de réussir à trouver des lieux disponibles : « Les prisons sont tout le temps pleines voire très pleines. Les tribunaux sont surchargés. Donc c'est vrai qu'on a des grosses contraintes de calendrier », admet Perrine Piat.

Pour Anatomie d’une chute, au tribunal judiciaire de Saintes, les équipes ont pu tourner pendant trois semaines d'affilée, « une fenêtre de tir assez rare » concède Perrine Piat. Puisque le tournage a eu lieu hors période de vacations, il y avait tout de même pendant le tournage des contraintes logistiques, invisibles à l’écran.

Julien Flick, directeur de production du film, se rappelle : « Pendant une semaine, on a quand même dû se coordonner pour tourner dans la salle des pas perdus, dans les autres salles d'audience, sur les marches du palais de justice, pour cohabiter avec les véritables audiences et ne pas les gêner. » Du fait de la continuité du service public, dans aucun cas un tournage ne peut bousculer l’activité judiciaire ou conduire à déplacer des détenus. En revanche, un échange entre deux salles d’audience peut par exemple avoir lieu, s’il ne dérange pas le procès.

Une fois le tournage fixé et les lieux disponibles, les décorateurs peuvent commencer à travailler. « L'avantage de la plupart de nos décors, c'est qu'ils sont clés en main et que les équipes n'ont pas grand-chose à faire, sauf quand c'est un film historique » explique Perrine Piat.

En fin de tournage, la règle est la suivante : le lieu doit être remis en l’état, sauf si l’état s’est amélioré - avec une peinture neuve, par exemple. Pour Anatomie d’une chute, « Justine Triet a beaucoup aimé la salle de ce tribunal, qui incarnait vraiment la justice. Il y avait quelque chose d'évident, et c'est vrai que ça aurait été plus compliqué pour nous de reproduire ça à partir d'un lieu vide » explique le directeur de production. Un travail de décor a tout de même été réalisé afin de rendre les choses un peu plus « cinégéniques ». Le spectateur passe pratiquement la moitié du film dans la salle d’audience, alors il faut des fonds intéressants, des couleurs, des contrastes.

Pour tourner dans une prison mise à disposition par le ministère, les productions doivent faire preuve d’une adaptabilité particulière, notamment pour que les détenus ne croisent pas l’équipe. Le tournage de la prochaine saison d'une série française à succès*, diffusée sur une célèbre plateforme américaine, a commencé la dernière semaine de mars à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, un lieu à la « valeur architecturale certaine », dixit Benjamin Tillier, régisseur général sur le projet.

Le tournage à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy a dû s'organiser pour « ne pas gêner la bonne marche » de l'établissement © Dylan Marchal

Tout en soulignant « l'accueil chaleureux et la gentillesse » de la directrice adjointe de la maison d’arrêt de Bois-d'Arcy, Benjamin Tillier revient sur le travail d’organisation et d’adaptation qui a eu lieu en amont : « La directrice adjointe nous a expliqué le fonctionnement de la prison, les horaires, le passage des détenus, donc on a pu s’organiser pour pouvoir travailler tranquillement et ne pas gêner la bonne marche de la maison d'arrêt. » Le tournage dans cet établissement a eu lieu sur une journée seulement. « On est déjà très heureux qu'ils aient accepté de nous accueillir. Donc on a un peu réadapté le texte pour que ça rentre et ça sera très bien » conclut le régisseur général.

L’adaptabilité concerne aussi les juridictions et les prisons qui accueillent les tournages. Robin Welch, directeur de production du film Le Comte de Monte-Cristo, garde un souvenir quelque peu amer des difficultés qu’il a rencontrées pour tourner des scènes à la cour d’appel de Paris pendant l’été 2023.

« A l'époque, on m'a concrètement dit : ‘On n'est pas là pour faire un joli film’, et ça a été un vrai combat, » se rappelle-t-il. « L'État fait en sorte de pouvoir louer les monuments historiques pour faire rentrer de l'argent. Sauf que côté magistrats, on vous explique que c’est trop compliqué, que c'est trop de contraintes. Nous, on est là pour s'adapter, on sait le faire mais ce dont on a besoin, c'est de gens qui aient envie de nous accueillir » souligne Robin Welch, par ailleurs entièrement satisfait de sa collaboration avec la mission cinéma et le comité de relecture. « Des gens passionnés, qui nous aident et nous accompagnent ».

Après un désistement de dernière minute, le directeur de production a finalement dû passer un coup de téléphone « haut placé » pour que tournage soit accueilli. Film d’époque oblige, les écrans ont été cachés ou démontés, des petits coffrages en bois ont été réalisés pour cacher les haut-parleurs. « Une fois qu'on nous a ouvert les portes, ça c’est très très bien passé » affirme Robin Welch.

« Des lieux chargés en émotion »

Tourner avec le ministère de la Justice comporte de nombreux avantages, soulignés et largement appréciés par les professionnels du cinéma, mais la mise à disposition des lieux ne se fait pas à titre gratuit.

Les tarifs sont fixés par arrêté et les redevances versées par les productions bénéficient de moitié à l’établissement dans lequel le tournage se déroule. L’autre moitié est reversée au service communication de l’administration pénitentiaire ou de l’administration judiciaire. Le prix varie en fonction de la localisation, de la catégorie de décor, de la nature de la production et de la durée du tournage.

Par exemple, pour un long-métrage dans une salle d’audience « disposant de nombreux éléments de représentation de la justice », en dehors de l’Île-de-France, il faut compter 6 000 euros par jour. Pour une demi-journée de tournage dans un centre de semi-liberté, il faudra débourser 3 000 euros.

« Pourquoi continuent-ils quand même à tourner chez nous, même si c'est cher et même s'il y a des contraintes ? Parce que ce sont des lieux qui sont chargés en émotion, en histoire, assure la responsable de la mission cinéma. Les acteurs sont tout de suite dans leur rôle. Les réalisateurs disent que ça se voit à l'écran, l'ambiance d'une vraie salle d'audience ou d'une vraie prison. »

Ce n’est pas Cédric Aussir qui dira le contraire. Pour le réalisateur de Radio France, qui a travaillé sur les podcasts retraçant les procès de Patrick Henry de Bobigny, même si la Maison de la Radio était en travaux à ce moment-là, enregistrer au tribunal de Saint-Ouen et à celui de Courbevoie n’a pas été un choix anodin. « Je savais que ça aiderait forcément les comédiens et qu'on serait dans une acoustique plus réaliste. Et ça me semblait assez important d'être dans un cadre solennel qui participe du dispositif quasi théâtral d'un procès », estime le réalisateur.

 « Lignes rouges » et histoires vraies

Au moment de la lecture du scénario, la note d’intention est également étudiée de près par la mission cinéma. « C'est ça qui va nous donner une idée du projet et de la façon dont la justice va ressortir à l'écran. Notre travail, ça va être justement de travailler sur l'image de la justice à travers la fiction. Mais on ne fait pas de censure ni de propagande » souligne Perrine Piat.

La ligne directrice est la suivante : on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’image de la justice. Cette règle éloigne d’ailleurs souvent les Youtubeurs, influenceurs et Tiktokeurs qui contactent la délégation de l’information et de la communication. Dommage, note Perrine Piat, car ces derniers « ont de grosses communautés qui permettraient de toucher des gens plus jeunes, de donner envie de participer aux concours pour le recrutement, et de faire de la pédagogie ». La mission se penche régulièrement sur leurs dossiers, qui se révèlent pour la plupart inintéressants pour le ministère également, car les projets relèvent majoritairement d’un ton parodique, avec des mises en scènes d’évasion de prison ou d’auto-justice par exemple.

Certaines « lignes rouges » ne peuvent par ailleurs pas être franchies. « Pour un film qui est inspiré d'une histoire vraie, on ne peut pas accueillir le tournage tant que toutes les voies de recours ne sont pas épuisées » indique Perrine Piat. La mission a par exemple reçu le scénario de la série Sambre de Jean-Xavier Delestrade, inspirée de l’histoire de Dino Scala, le « violeur de la Sambre ». Au moment où le tournage devait avoir lieu, le délai d’appel n’étant pas encore expiré, l’équipe a dû se passer du concours du ministère.

Pour le film Saint Omer d’Alice Diop, inspiré de l’histoire vraie d’un infanticide, une autre question a été soulevée, explique Perrine Piat : « Quand on s'est inspiré d'une histoire vraie avec des gens qui sont encore en vie et qui sont en prison, il faut quand même en informer le détenu par le biais du conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. » Le film, récompensé par la Mostra de Venise et les César, a bien pu être tourné au tribunal de Saint Omer. Ceux à qui on a refusé le tournage se tournent bien souvent vers des studios, vers la Belgique ou vers des anciens tribunaux ou prisons devenus privés, moins contraignants et souvent moins chers.

Pour chaque œuvre, l’image de la justice française et de l’administration pénitentiaire sont en jeu. Le film Borgo, récompensé en 2025 du César de la meilleure actrice pour la performance d’Hafsia Herzi, est inspiré d’une histoire vraie et raconte le parcours d’une surveillante pénitentiaire impliquée dans l’histoire d’un double meurtre après un service rendu à un détenu. « La surveillante à qui c'est arrivé n'était pas jugée à l'époque où on nous a fait la demande » répond le ministère.

Pour Jean Des Forêts, producteur du film - qui a d’ailleurs évoqué des rapports « très agréables » avec la mission cinéma -, l’explication serait un peu différente. « Il nous a semblé évident que le ministère de la Justice ne donnerait pas suite à notre demande, pour une raison très simple : cette histoire n'est pas très reluisante pour le SPIP », estime-t-il.

Finalement, le tournage a eu lieu dans une prison « dans son jus », tout juste rachetée par un particulier et louée par les équipes du film. « On a eu quand même beaucoup de décos à faire, mais c'était complètement génial, se rappelle Jean Des Forêts. Elle était d'une taille parfaite, il y avait deux étages qui permettaient vraiment de faire les deux quartiers. Et on était maître de la prison, on était seuls. »

Trois ans après le tournage d’Anatomie d’une chute, à Saintes, la salle de la cour d’assise qui a accueilli les caméras de Justine Triet a repris son activité depuis longtemps. On peut toujours y voir l’allégorie de la justice parcourir la salle du regard : le président du tribunal a décidé de garder la tapisserie.

Marion Durand

 * le nom de la série n'est volontairement pas cité, en raison d'une clause de confidentialité

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