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« Il est impossible de refuser son destin », affirme Victor, arrivé au terme des 10 minutes qui lui étaient imparties sur le sujet d’éloquence « Le destin est-il tracé ? ». « Que ce soit en changeant de nom, de ville, ou bien même de pays, le fuir toute sa vie, c’est ne faire qu’un avec lui, énonce l’étudiant en L3 à l’université Paris Nanterre, d’un timbre clair et mélancolique, avant de reprendre crescendo. Au pied du mur il appelle à la raison, il crie sa beauté partout, […] donne du sens à un monde qui en a si peu. »
Le vingtenaire fait partie des six finalistes du concours d’éloquence organisé par l’association Lysias Nanterre. Le 28 mars, les étudiants se sont affrontés à la Maison des avocats, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Animée par des membres du jury taquins mais complices, la soirée pleine de suspense s’est ouverte sur une plaidoirie civile opposant deux étudiantes de L1, puis une plaidoirie pénale confrontant deux L2.
Après avoir laissé une pause s’emparer de sa voix, Victor déclame avec force : « Le destin donne le courage de croire que tout est possible, de monter ici une fois de plus sur l’estrade, de donner son cœur et presque de mourir sur scène. » Doucement, il poursuit : « Demain est inconnu. Alors pourquoi censurer ses désirs, ses rêves, et ses mots ? Tout le monde peut construire des ponts, écrire des poèmes, traverser le temps dans la mémoire des autres. »
Un tonnerre
d’applaudissements retentit. Le jeune homme laisse échapper un soupir alors
qu’il récupère ses notes et quitte la scène. Le président du jury et ancien
bâtonnier des Hauts-de-Seine, Vincent Maurel, appelle Guerric à être le
contradicteur de Victor. Les styles tranchent radicalement : l’air rêveur et
les cheveux bouclés cèdent leur place à un orateur direct, crin lisse. Il
s’exprime avec vigueur : « La mort est omniprésente dans la question du
destin. […] Nul ne peut maîtriser l'endroit, le lieu, l'heure. »
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Il prend l’image d’un vieil homme qui, chaque jour, arpente les chemins de campagne. « Une minute au soir de sa mort. Il se promène dans la nature, sa nature qu’il aime tant », plante Guerric. 30 secondes, puis 20 et 10 : l’urgence monte. « Il n’a plus le temps, lâche l’étudiant avant de reprendre d’une voix profonde. Le gong du jugement dernier retentit. L’incertitude, le paradis ou l’enfer, le destin encore et la lumière fut. Alea jacta est. »
Alors que le jury se retire pour délibérer, l’effervescence s’empare de la salle. Amis et famille se rassemblent autour du candidat qu’ils sont venus soutenir. « T’as été super, il n’y a aucun suspense », assure un proche de Guerric. « Je ne vous connais pas mais je voulais vous dire que je vous ai trouvé extraordinaire », lance une figure à Victor, quelques mètres plus loin.
Le jeune homme a toujours aimé les mots. « J’y pense depuis que je suis à la fac. La poésie, c’est vraiment mon truc. » Il a puisé dans cette appétence lyrique pour préparer sa plaidoirie. « Le sujet m’a beaucoup inspiré, même si j’ai trouvé la positive plus difficile à défendre. il y a plus d’arguments qui me viennent par rapport à la négative, développe-t-il. En réalité, c’est l’avantage quand on a la mauvaise partie du sujet : on creuse davantage. »
Pour Guerric, la préparation n’a pas non plus été évidente. « Je n’avais pas une appétence particulière pour ce thème… Donc j’ai vraiment eu du mal. Mais c’est le principe : on fait des brouillons, on met au propre, on recommence, explique-t-il. C’est du travail, mais aussi du plaisir quand on est lancé : c’est une expérience très galvanisante. » Au total, les candidats avaient une semaine pour préparer leur plaidoirie.
21h30. Le jury revient d’une délibération « extrêmement compliquée ». Pour entretenir le suspense, il fait un retour à chaque candidat avant de rendre sa décision. « Il me revient de vous dire que vous êtes beau, lâche Vincent Maurel à l’adresse de Victor sous les rires de l’auditorium. Vous êtes beau comme le seront à jamais les poètes romantiques. En vous écoutant, en vous regardant, j’ai vu Chateaubriand, j’ai vu Victor Hugo, j’ai vu Alfred de Musset : les plus grands. »
D’une éloquence exemplaire, le président du jury poursuit : « Alfred de Musset disait que les plus tristes étaient les gens les plus beaux, cette beauté que vous avez exprimée par vos mots. Vous avez su manier l’humour avec ces envolées lyriques formidables. Vous avez su maîtriser les accélérations, les silences. Je vous félicite car vous m’avez emporté, vous êtes un poète ». « Vous n’auriez pas pu plus me toucher », lui répond le jeune homme, comblé.
« Le meilleur pour la fin… Je parle évidemment de moi », plaisante Julia d’Avout d’Auerstaedt, sixième secrétaire de la conférence du barreau de Paris. Elle se tourne vers Guerric. « J’ai beaucoup aimé ton discours, il était drôle et j’adore l’humour, développe l’avocate dans un sourire. C’était très intelligent aussi, et on a bien réussi à te suivre : tu as eu des belles images et des belles idées. »
Après avoir dispensé quelques conseils au finaliste, la jurée conclut sur l’horoscope de Guerric, un clin d'œil à l’un des passages de sa plaidoirie. « Santé : limitez la drogue. Amour : patience, ça viendra un jour, pique-t-elle avant de marquer une pause forcée par les rires de la salle. Travail : persistez. Vous deviendrez, j’en suis sûre, un excellent avocat. »
Un à un, les lauréats sont appelés : Mathylde à la plaidoirie civile, puis Julian à la plaidoirie pénale. Vient le tour du sujet d’éloquence : Guerric remporte le sésame. Alors que l’étudiant récupère son trophée, Vincent Maurel livre la clef de lecture : « Il a su manier une palette plus complète que Victor, qui a été excellent dans l’exercice par rapport à l'usage de la langue française. » La capacité de l’orateur à démontrer davantage de couleurs a convaincu le jury. « Dans tous les cas, on est admiratifs, conclut l’avocat dans un sourire penseur. C’est beau, de voir ces jeunes se sublimer et incarner l’éloquence à leur façon. »
Les plaidoiries peuvent être visualisées sur le compte Instagram de Lysias Nanterre.
Floriane Valdayron
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