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Des femmes toujours seules face à leur meurtrier. C’est le constat dramatique établi par l’association France Victimes dans un rapport du 8 mars qui tire les enseignements de la centaine de féminicides qui ont eu lieu en 2022. Examinant la situation de « l’avant-féminicide », la fédération constate que seulement 7% des victimes ont fait l’objet d’un suivi d’une association d’aide aux victimes (AAV) avant leur décès, contre 5% en 2019. L’étude, basée sur les chiffres du collectif Féminicides par compagnon ou ex et menée auprès de 71 AAV, dévoile également que seulement 37 % des proches des victimes ont bénéficié d’un accompagnement après les faits.
Au total, le rapport recense 96 situations connues. Dans 13 affaires, des antécédents de violences conjugales étaient connus avant le féminicide, directement par l’AAV ou par une entité judiciaire (police, gendarmerie, parquet). L’enquête soulève qu’assez peu de mesures de protection ont été prises du vivant des victimes, en lien logique avec leur faible détection en amont. Le rapport rappelle à ce titre que les femmes menacées par leur partenaire ou ex-partenaire peuvent bénéficier d’un téléphone grave danger, d’un bracelet antirapprochement ou encore d’un bouton Monshérif, un système connecté à porter sur soi qui permet d’alerter ses proches en cas d’agression.
Les enfants co-victimes
Attentif à la situation familiale des victimes, France Victimes met en avant l’isolement des enfants et le délaissement dont ils sont l’objet, avant comme après le drame. 33 victimes avaient des enfants mineurs au moment des faits, non suivis pour la majorité d’entre eux avant le meurtre. Un véritable trou dans la raquette quand dans le même temps, le rapport montre que 33 % des enfants de la famille ont assisté au féminicide de leur mère. Et après-coup, seulement 42 % des cas de féminicide débouchent sur des mesures de protection des enfants.
Déclarés « co-victimes » du meurtre de leur mère, les orphelins nécessitent une prise en charge immédiate et adaptée, insiste France Victimes. « 60 % des enfants qui se trouvent dans des situations de violences intrafamiliales souffrent d’un trouble de stress post-traumatique complexe, spécifique aux traumatismes graves et répétitifs comme la maltraitance ou l’exposition à un conflit armé », indique un rapport d’information de la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale de 2023.
Un besoin d’amélioration de l’accompagnement des proches
Cet isolement de l’entourage après les faits ne s’arrête pas aux enfants. Le dossier souligne en effet que les familles et les proches, victimes indirectes, ont fait l’objet d’un suivi par une AAV pour seulement 37,5 % d’entre eux (contre 28 % en 2019). Selon les témoignages recueillis, les cercles intimes attendent avant tout un soutien d’ordre psychologique (mise en place d’un groupe de parole intra-familial, suivi psychologique à distance). Certains d’entre eux avouent par exemple avoir été choqués par le traitement médiatique réservé à l’affaire.
Ces exemples rappellent toute la palette d’actions extrêmement large inhérentes aux AAV, qui peuvent être mobilisés à la fois pour des accompagnements juridiques, psychologiques, sociaux ou pluridisciplinaires. Si les chiffres se révèlent en progrès dans la mobilisation des AAV post-féminicides, la marge de progression demeure importante.
Ainsi, il existe une proportion élevée de féminicides pour lesquels absolument aucune mobilisation des AAV n’a eu lieu, que ce soit avant ou après les faits. Cette faiblesse s’explique par plusieurs freins, à commencer par le défaut de saisines de l’AAV par le parquet. Ces dernières seraient « trop aléatoires, variant selon la sensibilisation du parquet territorialement compétent à la question des violences conjugales et ce, même en présence d’une convention conclue [entre les deux entités] », souligne France Victimes, qui identifie cette carence comme la raison principale de l’absence d’intervention des AAV.
L’association pointe également du doigt le défaut d’orientation vers l’AAV par les enquêteurs, l’éloignement géographique de l’AAV vis-à-vis des proches, mais aussi le traitement judicaire sommaire (par exemple en cas de suicide de l’auteur), le manque de partage d’informations entre les acteurs pour mieux identifier le danger, ou encore la volonté de la victime de ne pas bénéficier de soutien avant les faits.
24 préconisations
France Victimes propose 24 préconisations pour corriger les défaillances liées à l’accompagnement des victimes. Parmi elles, quatre axes principaux se distinguent : améliorer le repérage des situations et l’évaluation de leur dangerosité, renforcer les partenariats et le suivi des indications, optimiser la réponse des acteurs judicaires et systématiser la prise en charge des proches des victimes. Des propositions d’autant plus urgentes que le nombre de féminicides en France ne recule pas durablement d’année en année. Au moins 25 femmes ont déjà été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en France depuis le début de l’année 2024.
La définition du féminicide Pour définir le féminicide, France Victimes prend en compte la qualification du féminicide retenue par l’Organisation Mondiale de la Santé, à savoir, l’homicide volontaire d’une femme au simple motif qu’elle est une femme (le caractère genré du motif doit donc être présent), commis entre partenaires ou ex-partenaires intimes (qu’il s’agisse de couples mariés, pacsés ou concubins), ayant entraîné la mort de la femme. Elle rappelle également que le féminicide n’est pas intégré au Code pénal, lequel ne retient en effet que la qualification d’homicide (ou assassinat, en cas de préméditation) avec une circonstance aggravante, sans prévoir de catégorie d’infraction spécifique pour le meurtre ou l’assassinat de femmes. |
Laurène Secondé
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