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Brèves remarques sur l’origine de la couleur rouge de la robe que portent divers magistrats de l’ordre judiciaire


mardi 8 mai 20183 min
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Le rouge, c’est une belle et singulière couleur, une teinte vive et chatoyante, qui capte immédiatement le regard et souvent fascine. Couleur ambivalente aussi qu’on brandit parfois comme une oriflamme en signe de victoire, ou qui renvoie, dans d’autres circonstances, douloureusement, au sang qui coule, annonciateur de deuil.


Un historien spécialiste des couleurs dans une très intéressante étude historique sur la couleur rouge, a montré la place prééminente qu’elle a eue très longtemps au sein des sociétés occidentales : « Pendant de longs millénaires, le rouge a été en Occident la seule couleur digne de ce nom, la seule véritable couleur. Tant sur le plan chronologique que sur le plan hiérarchique, il a devancé toutes les autres. Non pas que celles-ci n’aient pas existé, mais elles ont attendu longtemps avant d’être considérés comme telles, puis de jouer un rôle comparable au sien [...] dans les codes sociaux et dans les systèmes de pensées. [...] Cette primauté du rouge se retrouve dans la vie quotidienne [...]. De même, dans les représentations et les rituels, il est fréquemment associé au pouvoir et au sacré, s’accompagne d’une symbolique très riche et semble parfois doté de pouvoirs surnaturels (1) ».


Alors pourquoi les robes de certains magistrats – notamment au sein des cours d’appel – sont-elles de couleur rouge ? Quand je présidais la cour d’assises en terre antillaise à Fort de France, mes jurés si curieux et attentifs à tout ce qui fait le rituel judiciaire singulier d’un procès criminel (prestation de serment des jurés eux-mêmes, des témoins, des experts, costume judiciaire) me demandaient souvent : « à quelle symbolique correspond votre robe rouge ? » Comme souvent l’histoire est précieuse à ce sujet car elle perme

t utilement d’éclairer le présent.


Dans l’Occident médiéval, le rouge a eu des liens très forts avec le pouvoir, et, plus particulièrement, le pouvoir du roi, mais aussi le pouvoir des grands seigneurs féodaux. Ainsi, de manière symptomatique, durant le Moyen Âge, « exhiber, recevoir, contrôler ou interdire la couleur rouge, sous quelque forme que ce soit, c’est manifester son pouvoir (2)»


De plus, certaines personnes dans le cadre de missions qu’on qualifie à présent de régaliennes, pouvaient porter la couleur rouge pour exercer le pouvoir à la place du souverain. Dans l’ancienne France, on sait que toute justice procédait du roi, il était selon la formule consacrée, « fontaine de justice ».
Il pouvait exercer la justice lui-même (on parlait alors de justice retenue) ou déléguer ce pouvoir de juger aux magistrats titulaires de charges de judicature des diverses juridictions du royaume (on évoquait dans ce cas la justice déléguée). Ainsi, les rois, chaque année, lors de l’ouverture du Parlement ou à la faveur de la création d’une telle cour souveraine en province, faisaient porter aux juges des parlements des costumes semblables aux leurs de couleur rouge et renvoyant donc au pouvoir royal.


Cette particularité du costume judiciaire a survécu à l’Ancien Régime. Désormais, le mandat dont les juges sont dépositaires ne procède pas du roi mais du peuple français. Ces considérations sur certaines facettes du rituel judiciaire mettent en lumière à quel point la magistrature porte fortement l’empreinte de l’histoire et de ses turbulences (3). Pour autant, on ne doit pas uniquement porter notre regard sur le passé dont la connaissance est si précieuse pour l’intelligence du présent, mais il faut aussi se tourner résolument vers l’avenir, notamment à l’heure de la révolution numérique, de l’intelligence artificielle et du big data si riches de promesses et de défis pour l’institution judiciaire.



Yves Benhamou,

Président de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence





 


1) M. Pastoureau, Rouge - Histoire d’une couleur, Seuil, 2016, p. 14. 

2) M. Pastoureau, op.cit., p. 73.

3) Voir s’agissant de l’histoire de la magistrature Y. Benhamou, La robe pourpre, Journal Spécial des Sociétés, 2017.


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