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Catherine Saint Geniest, associée du cabinet Jeantet, et Laure Asdrubal, collaboratrice, ont organisé, le 26 novembre dernier, une discussion centrée sur les répercussions de la crise en matière de bail immobilier. Pour les accompagner dans leur propos, elles ont invité Françoise Maigne-Gaborit, présidente de la Compagnie nationale des Experts Judiciaires Immobiliers à s’exprimer.
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Pour un commerçant, la masse salariale et le loyer sont les premiers postes budgétaires. En octobre, dans l’hôtellerie et la restauration, un indépendant sur deux n’était pas à jour de son loyer. Plus de 80 % des preneurs ont sollicité l’aide de leur bailleur. Des difficultés économiques touchent la quasi-totalité des preneurs et des bailleurs. Les bureaux, souvent ignorés des mesures de soutien, sont également atteints. Un professionnel sur deux estime que les relations avec son bailleur se sont dégradées. En conséquence, une phase de précontentieux s’est amorcée, menant à l’annonce d’une procédure judiciaire dans 15 % des affaires et à son effectivité pour 7 % d’entre elles. Cependant, aujourd’hui, l’action judiciaire ne donne pas de résultat. Car les magistrats, désemparés, ont tendance à freiner les actions qui leur sont présentées, reportant, dans l’attente d’un contexte plus clair, les décisions de fond. 95 % des locataires considèrent que les aides de l’État ne couvrent pas l’ensemble des problèmes de charges, mais se bornent à leur volet salarial.
Réglementation temporaire
La loi du 14 novembre 2020 a autorisé la prorogation de l’état d’urgence sanitaire déjà votée ce printemps. Dans ce texte, certains points visent directement le paiement des loyers commerciaux. Dans le même esprit qu’en mars dernier, ils délimitent un périmètre différent. Le principe profite aux preneurs éligibles : toute personne physique ou morale qui exerce une activité économique affectée par une mesure de police administrative. En conséquence, les commerces sont concernés, mais pas les bureaux. Le dispositif, entré en vigueur le 17 octobre 2020, expire deux mois après la date à laquelle l’activité cesse d’être sous le coup de la mesure de police administrative. Les loyers et les charges locatives dus au cours de la période en question entrent sous le coup de la loi : sont gelés toutes les pénalités, les intérêts financiers et toutes les actions, sanctions, voies d’exécution forcée relatives au retard ou au non-paiement du loyer et des charges relatifs aux locaux professionnels et commerciaux. Les professions libérales sous le coup d’une fermeture administrative sont incluses. Le locataire peut geler les loyers et les charges dus sans encourir aucune pénalité. Action, exécution forcée, clause résolutoire, commandement de payer, mesures conservatoires… sont temporairement inopérants. Le maître mot est donc le report jusqu’à la fin du délai imparti.
Loi de finances 2021
Le bailleur est incité par l’État à accorder une franchise à son locataire pour tout loyer commercial ou professionnel (même s’il s’agit d’un bail précaire ou de courte durée). Pour cela, il bénéficie d’un crédit d’impôt en compensation partielle de la franchise de loyer. Cela s’applique à toute personne morale ou physique de droit privé, exonérée ou non d’impôt sur les revenus (IR) ou d’impôt sur les sociétés (IS). Le large périmètre des bénéficiaires s’étend aux Organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), fonds d’investissement alternatifs, etc. Le bailleur renonce à son loyer (charges et taxes exclues) durant la période des restrictions de déplacement ; typiquement des locaux qui ne peuvent pas accueillir le public en temps de confinement ou qui hébergent une activité mentionnée par le décret du 30 mars 2020. Les bureaux n’entrent pas dans le périmètre de l’exonération. Les bailleurs qui octroient des franchises de loyer pour des bureaux ne bénéficieront donc pas du crédit d’impôt. Pour profiter du système, il faut appartenir à la liste des établissements recevant du public (ERP) définie par le décret. Les hôtels n’ayant pas été contraints de fermer pour le deuxième confinement entrent dans le dispositif puisqu’ils rencontrent des difficultés indéniables. Le click and collect permet une activité minime pour certains commerçants ou restaurateurs ; de même, les magasins multi-commerces peuvent travailler sporadiquement. Pour l’instant, on considère que tous ces cas sont visés par la liste des ERP, et que leur activité réduite ne remet pas en cause le crédit d’impôt. Les établissements d’enseignement ne sont pas dans la liste des ERP du décret, néanmoins, ils ont fait l’objet de fermeture et peuvent également bénéficier du crédit d’impôt. Autre condition, le locataire doit compter moins de 5 000 salariés, sauf pour les associations. Ne sont pas concernés les preneurs qui connaissaient déjà des difficultés financières au 31/12/2019. Sont observés à ce propos des critères de la réglementation européenne : le chiffre d’affaires (CA) ; les pertes ; et le locataire ne devait pas être déjà en liquidation judiciaire au 1er mars 2020.
Concrètement, le bailleur bénéficie d’un crédit d’impôt de base de 50 %. Toutefois, lorsque l’entreprise a un effectif supérieur à 250 salariés, le taux passe à 33 %. Un plafond limite le crédit à 800 000 euros par locataire. Le crédit sera imputable sur l’année 2021.
Action des juridictions
Jusqu’à présent, pratiquement toutes les décisions concernent des ordonnances de référé. Les magistrats semblent penser qu’ils ne sont pas en situation de trancher les demandes de paiement de loyers qui leur sont soumises, y compris pour le premier confinement. Les délais de procédure sont notablement allongés. Les juges confirment leur hostilité à accorder la force majeure s’agissant des obligations de payer. Ils se montrent aussi réticents quant à l’argument qui conteste l’obligation pour le bailleur de délivrance du bien loué. La fermeture ne constitue pas un manquement à l’obligation de délivrance. Par ailleurs, les magistrats écartent nettement l’exception d’inexécution. Le bailleur remplit son obligation d’exécution du contrat, la fermeture administrative est un fait extérieur qui ne peut pas lui être reproché. L’obligation de bonne foi est régulièrement invoquée. Le juge considère que l’exécution forcée du bail, pendant la période de crise, s’apparente à une action judiciaire faite de mauvaise foi. Aujourd’hui, la justice estime que les bailleurs, même si leur situation financière est périlleuse, doivent suspendre leurs actions. Si bien que les actions relatives à la période de fermeture seront décalées dans le temps.
Crise et variation des indices
La difficulté de fixation des loyers est de deux ordres. Elle est d’abord liée à la variation des indices. Ceux-ci changent peu depuis plusieurs années, satisfaisant aux attentes de l’époque de leur mise en œuvre. En effet, les références actuelles, l’lndice des Loyers des Activités Tertiaires (ILAT) et l’Indice des Loyers Commerciaux (ILC), ont toutes deux été créées au second trimestre 2008, alors que l’indice du coût de la construction variait violemment. Largement utilisées dans les baux commerciaux, ses fluctuations atteignaient presque les 8 %. Simultanément, les valeurs locatives basses sombraient. Ainsi, en matière de bureaux, les preneurs s’acquittaient d’un loyer très élevé en raison de la hausse, alors que les valeurs locatives s’effondraient. Depuis, les baux se réfèrent à l’ILAT et l’ILC, moins sujets aux écarts brutaux, mais qui, malgré tout, vont baisser face à la crise en cours. Cela signifie, pour la valeur locative, que les lieux n’ont pas changé en destination, adresse ou encore obligations. En revanche, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués par le voisinage, eux, sont modifiés. C’est le second point. Sachant que le calcul d’une valeur locative s’appuie en principe sur des valeurs du passé, comment établir un montant fiable à long terme alors que le secteur est mouvant ? Les experts doivent revoir leur méthode d’évaluation de la valeur locative pour intégrer l’influence transitoire de la Covid.
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