Gwenola Joly-Coz récompensée par l’ENM pour ses portraits de magistrates pionnières


jeudi 10 mars 20225 min
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Le 8 mars, la Première présidente de la cour d'appel de Poitiers s’est vu remettre la mention spéciale du grand prix de l’ENM 2021. Un prix qui récompense sa série d’articles consacrée aux figures emblématiques féminines de la justice, « exploration originale et unique de l’histoire de la sociologie de la magistrature ».

 


 

Hasard du calendrier, c’est à l’occasion d’un jour particulier pour les droits des femmes qu’une femme s’est vue récompensée pour ses travaux… sur des femmes.

Mardi 8 mars, et après plusieurs reports dus à la pandémie, la mention spéciale du grand prix de l’École nationale de la magistrature (ENM) a été officiellement remise à Gwenola Joly-Coz, Première présidente de la cour d’appel de Poitiers.

Lancée en 2011 et désormais décernée tous les trois ans par un jury renouvelé, cette distinction est destinée à récompenser les travaux de recherche ou les études ayant conduit à l’avancée des connaissances sur le monde ou les pratiques judiciaires. Fin 2021, parmi les cinq candidats – tous magistrats – ayant postulé, le jury a souhaité primer le « remarquable travail d’historienne » mené par la Première présidente de la cour d’appel de Poitiers, qui a retracé les parcours professionnels de dix « pionnières invisibles » au gré d’une série de portraits « de nature à éclairer l’histoire de la magistrature et l’ouverture du corps des magistrats depuis loi 11 avril 1946 à l’un et l’autre sexe ».

« Le jury a souligné que l’ensemble des articles proposés constitue une exploration originale et unique de l’histoire de la sociologie de la magistrature, a assuré le directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature, Samuel Lainé, au nom de la directrice Nathalie Roret. Loin de n’être que factuel, [ce corpus] interroge l’identité professionnelle des magistrats et permet une avancée des connaissances sur ce que constitue aujourd’hui le monde judiciaire et les enjeux de son évolution. J’espère que la mise en lumière de cette récompense produira un effet d’entraînement, mais l’influence se fait déjà sentir, car les élèves en formation à l’École ont choisi de vous interroger dans le cadre de la première saison d’un podcast consacré aux grandes figures de femmes de justice », s’est félicité Samuel Lainé.





Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz

 

 


Des pionnières mises en lumière par une pionnière

Publiée dans le Journal Spécial des Sociétés entre octobre 2018 et mai 2021 (trois autres portraits ont suivi depuis), cette série d’articles rend notamment hommage à Charlotte Béquignon Lagarde, première magistrate française, Nicole Pradain, première procureure générale, ou encore Élisabeth Guigou, première femme garde des Sceaux.

« Votre carrière s’inscrit dans cette lignée, puisque vous occupez le poste de Première présidente de la cour d’appel de Poitiers depuis 2020 : c’est la première fois qu’une femme assume ces hautes fonctions, et vous êtes probablement une des plus jeunes à occuper un poste de chef de Cour », a souligné le directeur adjoint de l’ENM à l’adresse de la magistrate. « Vous êtes vous aussi, au regard de ce prix, une pionnière à deux égards : la première femme dont les travaux sont sélectionnés depuis que ce prix existe, et la première à qui le jury décerne une mention spéciale », a-t-il ajouté.

En retour, Gwenola Joly-Coz, qui s’est dite « honorée », n’a pas manqué de pointer que « cela illustre l’auto-limitation, le plafond de verre qui sont à l’œuvre ». « Je suis contente d’ouvrir une brèche, de laisser la porte grande ouverte pour permettre que d’autres femmes osent, et que les institutions soient capables de reconnaître à une femme l’intérêt de ses travaux », s’est-elle réjouie. « Ce moment est important pour moi, car il marque un jalon symbolique dans la poursuite de mes travaux ».

 



 

Gwenola Joly-Coz et Samuel Lainé




Faire vite pour ne pas « perdre l’histoire »

L’investissement de Gwenola Joly-Coz en faveur de la cause féminine n’est pas nouveau. Membre fondatrice de l’association Femmes de justice, directrice de cabinet de la secrétaire d’État aux droits des femmes entre 2014 et 2016, elle a également contribué à la formation continue des magistrats sur ces sujets.

Son envie d’écrire sur les figures emblématiques féminines de la justice, la Première présidente de la cour d’appel de Poitiers l’a expliquée ainsi : « Tout cela est né de mon interrogation sur l’invisibilité des femmes dans la magistrature, ainsi que sur notre incapacité en tant que corps à être capable de restituer notre histoire et à la jalonner du nom de celles qui ont participé au développement de la magistrature depuis toutes ces années – enfin, depuis toutes ces années, pas tant que ça, puisque cela fera seulement 76 ans le 11 avril. Pendant des siècles, la justice en France était rendue uniquement par des hommes, et ça n’a posé de problème à personne ! »

Gwenola Joly-Coz situe le point de départ de ses travaux au moment où elle s’est demandé qui avait été la première femme magistrate française. « Je me suis aperçue que personne ne pouvait me transmettre son identité. J’étais magistrate depuis bientôt 30 ans, ce nom m’était inconnu, ainsi qu’à tous les gens interrogés autour de moi. Retrouver son nom a été compliqué, et son histoire, tout un parcours », a-t-elle témoigné. Fin 2018, juste après la parution du portrait de Charlotte Béquignon-Lagarde, le procureur Éric Corbaux parle à Gwenola Joly Coz, alors présidente du tribunal judiciaire de Pontoise, d’une « femme extraordinaire que personne n’évoque jamais : Madeleine Huot-Fortin ». Elle est l’une des premières magistrates dans les années 1950, et a laissé un héritage important, en témoignant de son parcours professionnel dans des mémoires. « C’est extrêmement rare, car les femmes ne laissent généralement pas de traces d’elles, de leur histoire. Grâce à ses écrits, nous avons retracé son parcours, sa fille et moi. »

Car pour retranscrire fidèlement le cheminement de ces femmes – dont certaines sont aujourd’hui décédées – qui se sont battues pour s’imposer, Gwenola Joly-Coz rencontre leur famille ; leurs enfants, souvent. Ensemble, ils se replongent dans des archives gardées dans des cartons au fond des caves ; dans les greniers. « Sans ces documents, nous ne saurions rien ! » Gwenola Joly-Coz s’interroge beaucoup sur la mémoire. Inquiète de « perdre l’histoire », elle se sent « pressée par l’urgence » : « Il faut que je continue à rencontrer ces enfants, car ils vont bientôt disparaître à leur tour, et plus personne ne sera capable de me dire où sont les cartons ».

D’ici quelques jours, la magistrate a rendez-vous à Fontainebleau, dans la maison de famille de Michèle Giannotti, première Première présidente de la cour d’appel d’Angers. « Sa fille m’a invitée à venir voir ce qu’a laissé sa maman, des affaires qu’elle n’a pas touchées depuis son décès. » En vue, bien sûr, d’un prochain portrait : le 14e, probablement l’avant-dernier, pense Gwenola Joly-Coz, avant de clore cette belle série.



 

Bérengère Margaritelli


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