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Le 8 mars,
la Première présidente de la cour d'appel de Poitiers s’est vu remettre la mention spéciale du grand prix de l’ENM
2021. Un prix qui récompense sa série d’articles consacrée aux figures
emblématiques féminines de la justice, « exploration originale et unique
de l’histoire de la sociologie de la magistrature ».
Hasard
du calendrier, c’est à l’occasion d’un jour particulier pour les droits des
femmes qu’une femme s’est vue récompensée pour ses travaux… sur des femmes.
Mardi
8 mars, et après plusieurs reports dus à la pandémie, la mention spéciale du
grand prix de l’École nationale de la magistrature (ENM) a été officiellement
remise à Gwenola Joly-Coz, Première présidente de la cour d’appel de Poitiers.
Lancée
en 2011 et désormais décernée tous les trois ans par un jury renouvelé, cette
distinction est destinée à récompenser les travaux de recherche ou les études
ayant conduit à l’avancée des connaissances sur le monde ou les pratiques
judiciaires. Fin 2021, parmi les cinq candidats – tous magistrats – ayant
postulé, le jury a souhaité primer le « remarquable travail
d’historienne » mené par la Première présidente de la cour d’appel de
Poitiers, qui a retracé les parcours professionnels de dix « pionnières
invisibles » au gré d’une série de portraits « de nature à
éclairer l’histoire de la magistrature et l’ouverture du corps des magistrats
depuis loi 11 avril 1946 à l’un et l’autre sexe ».
« Le
jury a souligné que l’ensemble des articles proposés constitue une exploration
originale et unique de l’histoire de la sociologie de la magistrature, a assuré
le directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature, Samuel Lainé, au
nom de la directrice Nathalie Roret. Loin de n’être que factuel, [ce corpus]
interroge l’identité professionnelle des magistrats et permet une avancée des
connaissances sur ce que constitue aujourd’hui le monde judiciaire et les
enjeux de son évolution. J’espère que la mise en lumière de cette récompense
produira un effet d’entraînement, mais l’influence se fait déjà sentir, car les
élèves en formation à l’École ont choisi de vous interroger dans le cadre de la
première saison d’un podcast consacré aux grandes figures de femmes de
justice », s’est félicité Samuel Lainé.
Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz
Des
pionnières mises en lumière par une pionnière
Publiée
dans le Journal Spécial des Sociétés entre octobre 2018 et mai 2021 (trois
autres portraits ont suivi depuis), cette série d’articles rend notamment
hommage à Charlotte Béquignon Lagarde, première magistrate française, Nicole
Pradain, première procureure générale, ou encore Élisabeth Guigou, première
femme garde des Sceaux.
« Votre
carrière s’inscrit dans cette lignée, puisque vous occupez le poste de Première
présidente de la cour d’appel de Poitiers depuis 2020 : c’est la première
fois qu’une femme assume ces hautes fonctions, et vous êtes probablement une
des plus jeunes à occuper un poste de chef de Cour », a
souligné le directeur adjoint de l’ENM à l’adresse de la magistrate. « Vous
êtes vous aussi, au regard de ce prix, une pionnière à deux égards : la
première femme dont les travaux sont sélectionnés depuis que ce prix existe, et
la première à qui le jury décerne une mention spéciale », a-t-il
ajouté.
En
retour, Gwenola Joly-Coz, qui s’est dite « honorée », n’a pas
manqué de pointer que « cela illustre l’auto-limitation, le plafond de
verre qui sont à l’œuvre ». « Je suis contente d’ouvrir une brèche,
de laisser la porte grande ouverte pour permettre que d’autres femmes osent, et
que les institutions soient capables de reconnaître à une femme l’intérêt de
ses travaux », s’est-elle réjouie. « Ce moment est important
pour moi, car il marque un jalon symbolique dans la poursuite de mes
travaux ».
Gwenola Joly-Coz et Samuel Lainé
Faire
vite pour ne pas « perdre l’histoire »
L’investissement
de Gwenola Joly-Coz en faveur de la cause féminine n’est pas nouveau. Membre
fondatrice de l’association Femmes de justice, directrice de cabinet de la
secrétaire d’État aux droits des femmes entre 2014 et 2016, elle a également
contribué à la formation continue des magistrats sur ces sujets.
Son
envie d’écrire sur les figures emblématiques féminines de la justice, la
Première présidente de la cour d’appel de Poitiers l’a expliquée ainsi : « Tout
cela est né de mon interrogation sur l’invisibilité des femmes dans la
magistrature, ainsi que sur notre incapacité en tant que corps à être capable
de restituer notre histoire et à la jalonner du nom de celles qui ont participé
au développement de la magistrature depuis toutes ces années – enfin, depuis
toutes ces années, pas tant que ça, puisque cela fera seulement 76 ans le
11 avril. Pendant des siècles, la justice en France était rendue uniquement par
des hommes, et ça n’a posé de problème à personne ! »
Gwenola
Joly-Coz situe le point de départ de ses travaux au moment où elle s’est
demandé qui avait été la première femme magistrate française. « Je me
suis aperçue que personne ne pouvait me transmettre son identité. J’étais magistrate
depuis bientôt 30 ans, ce nom m’était inconnu, ainsi qu’à tous les gens
interrogés autour de moi. Retrouver son nom a été compliqué, et son histoire,
tout un parcours », a-t-elle témoigné. Fin 2018, juste après la
parution du portrait de Charlotte Béquignon-Lagarde, le procureur Éric Corbaux
parle à Gwenola Joly Coz, alors présidente du tribunal judiciaire de Pontoise,
d’une « femme extraordinaire que personne n’évoque jamais :
Madeleine Huot-Fortin ». Elle est l’une des premières magistrates dans
les années 1950, et a laissé un héritage important, en témoignant de son
parcours professionnel dans des mémoires. « C’est extrêmement rare, car
les femmes ne laissent généralement pas de traces d’elles, de leur histoire. Grâce à ses écrits, nous avons retracé son parcours, sa fille et
moi. »
Car
pour retranscrire fidèlement le cheminement de ces femmes – dont certaines sont
aujourd’hui décédées – qui se sont battues pour s’imposer, Gwenola Joly-Coz
rencontre leur famille ; leurs enfants, souvent. Ensemble, ils se
replongent dans des archives gardées dans des cartons au fond des caves ;
dans les greniers. « Sans ces documents, nous ne saurions
rien ! » Gwenola Joly-Coz s’interroge beaucoup sur la mémoire.
Inquiète de « perdre l’histoire », elle se sent « pressée
par l’urgence » : « Il faut que je continue à rencontrer
ces enfants, car ils vont bientôt disparaître à leur tour, et plus personne ne
sera capable de me dire où sont les cartons ».
D’ici
quelques jours, la magistrate a rendez-vous à Fontainebleau, dans la maison de
famille de Michèle Giannotti, première Première présidente de la cour d’appel
d’Angers. « Sa fille m’a invitée à venir voir ce qu’a laissé sa maman,
des affaires qu’elle n’a pas touchées depuis son décès. » En vue, bien
sûr, d’un prochain portrait : le 14e, probablement l’avant-dernier, pense
Gwenola Joly-Coz, avant de clore cette belle série.
Bérengère Margaritelli
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