La France dans le nouvel ordre géopolitique mondial


mercredi 21 avril 20216 min
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Dans le cadre de son séminaire « L’état de la France », qui fait intervenir des experts « qui partagent leur regard sur les mécanismes à l’œuvre et les perspectives pour demain », le Cercle des économistes a reçu, le 5 mars dernier, le diplomate et homme politique Hubert Védrine. Ce dernier a livré sa pensée et ses convictions quant à la place actuelle qu’occupent la France, et plus largement l’Europe, dans le nouvel ordre géopolitique mondial dominé par les USA et la Chine. Quelles sont nos forces et nos faiblesses ? Une souveraineté européenne est-elle encore possible ?

 



Comme l’a rappelé en préambule Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, le séminaire sur l’état de la France a été pensé par le Cercle comme des travaux préparatifs aux Rencontres d’Aix qui auront lieu en juillet 2021. « La France dans le nouvel ordre géopolitique mondial » est la 5e conférence organisée dans ce cadre, avec pour invité d’honneur Hubert Védrine. Celle-ci a été animée par l’économiste Pierre Jacquet et par divers spécialistes intervenus lors des échanges.

 


SORTIR DE L’ILLUSION POUR PENSER LE RÉEL

Hubert Védrine a publié en février dernier un Dictionnaire amoureux de la géopolitique, « une sorte de balade historique dans la géopolitique de différentes époques » a précisé celui qui fut autrefois conseiller diplomatique et secrétaire général sous Mitterrand. Il y aborde les principales thématiques qui ont nourri la discussion.

Son ouvrage emmène les lecteurs à l’époque d’Alexandre Le Grand, de Napoléon, jusqu’à la nôtre. L’auteur a cependant affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un vrai dictionnaire, « car il n’est pas exhaustif ». Il y a seulement évoqué des sujets de son choix – concernant en particulier l’Europe – à propos desquels il a confié ne pas toujours rejoindre « le mainstream ».

Pour lui en effet, sur un grand nombre de sujets, les Européens sont plongés dans un « aveuglement idéologique ». Hubert Védrine prône quant à lui une méthode générale pour penser le monde qui se résume ainsi : sortir de l’illusion pour penser le réel.

C’est pourquoi ce dernier a confié nourrir beaucoup de scepticisme quant à la conception de l’Europe de Kant (une vision toujours partagée par de nombreux dirigeants européens). La vision kantienne (ou hégélienne) de l’Europe aboutit en effet à l’idée que l’Histoire, avec un grand H, s’achèvera sur un consensus universel autour de la démocratie. Pour lui, cette idéologie se nourrit des illusions des Occidentaux, surtout celles des Européens, « qui sont des bisounours ».

Pour Hubert Védrine, il n’existe pas – et n’existera sans doute jamais – de « communauté internationale ». Ce qui est réel, en revanche, c’est un monde avec des interactions, des rapports de force et de violences « y compris dans les enceintes multilatérales qu’il ne faut pas idéaliser. »

Après la Seconde Guerre mondiale, les Européens ont fait le choix d’abandonner leur puissance en demandant aux USA de les protéger (cf. Plan Marshall). Ils ont développé tout un projet économique sous cette « bulle protectrice », et continuent de le faire. Ils pensaient qu’après la guerre allait advenir une grande communauté internationale pacifique. C’est une grave erreur, a estimé l’intervenant, car même après cette période de conflits, les rapports de force ont perduré. « En tant que mécanisme fonctionnel par rapport aux relations internationales d’aujourd’hui, la philosophie de Kant ne fonctionne pas » a assuré Hubert Védrine.

Et les Européens sont, selon lui, dans l’utopie totale dans bien d’autres domaines comme celui des droits de l’homme et du commerce.

Concernant les droits de l’homme, Hubert Védrine ne dénonce pas l’attachement aux valeurs des droits de l’homme, mais à une conception « droit-de-l’hommiste du monde », c’est-à-dire comme étant l’élément majeur de la politique étrangère que les Occidentaux veulent imposer chez les autres. Pendant des siècles, on a évangélisé, ce qui a été dénoncé depuis. « Maintenant on veut partout "droit-de-l’hommiser" », a-t-il expliqué, ce qui en soi revient au même, sauf que là, il y a un consensus général. Or, il faut se rendre à l’évidence : selon l’intervenant, cela ne fonctionne pas.

En 2001, on a fait entrer la Chine dans l’OMC alors que celle-ci ne respectait pas les valeurs des droits de l’homme, « et n’avait certainement pas l’intention de le faire ». Les dirigeants de l’OMC avaient fait le pari que les Chinois allaient se développer, se moderniser, et donc devenir une démocratie libérale. Or, cela ne s’est pas passé ainsi. La Chine est aujourd’hui la seconde puissance mondiale, mais est toujours un État communiste, totalitaire, de plus en plus agressif sur la scène du commerce international.

Cette notion d’interdépendance ou de "doux commerce", comme l’appelle l’OMC, comme moyen de « droit-de-l’hommiser » est encore une fois une utopie. D’ailleurs un commerce doux peut-il vraiment exister ?

Bref, « même si on considère qu’il est formidable d’avoir des utopies et des ambitions », pour l’ancien secrétaire général de l’Élysée, il faut s’en méfier, car « les illusions préparent les désillusions, le découragement et le pessimisme qui aujourd’hui ronge les Français de manière disproportionnée. »

Garder les pieds sur terre est d’autant plus essentiel quand on doit faire face aux crises actuelles.


 

CRISE SANITAIRE, CRISE ÉCOLOGIQUE, NUMÉRIQUE : UN MONDE ÉPROUVÉ

Dans son Dictionnaire amoureux de la géopolitique, Hubert Védri

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