Le tribunal de commerce de Paris face à la crise


lundi 27 avril 20206 min
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Compte rendu de webinaire « Juri COVID-19 »



Audiences par visioconférence, prévention via téléphone… S’il a dû fermer ses portes et cesser toute activité contentieuse, le tribunal de commerce de Paris a aménagé son organisation afin de poursuivre le traitement des difficultés des entreprises. À l’occasion d’une conférence interactive en ligne organisée par LexisNexis et le Club des juristes, Paul-Louis Netter est revenu sur l’adaptation de sa juridiction, et a livré sa vision d’une crise qui « incite à la modestie ». 


La société d’édition LexisNexis et le Club des juristes, think tank juridique, ont lancé, fin mars, une série de webinaires « Juri COVID-19 », dédiés au droit et à son exercice pendant la pandémie. 

Vendredi 10 avril, c’est le président du tribunal de commerce de Paris, Paul-Louis Netter, qui répondait aux questions de Marie-France Bonneau, rédactrice en chef de la revue Procédures Collectives. Objectif : dresser un état des lieux du tribunal face à la crise. 

« Le début a été très brutal », a avoué Paul-Louis Netter, en écho à l'annonce, le 15 mars dernier, de la fermeture des tribunaux, décidée par la garde des Sceaux. « Seules quelques audiences étaient autorisées, essentiellement pénales, la circulaire ne parlait absolument pas des entreprises. Le 15 mars, j'ai donc appelé le directeur des Affaires civiles et du Sceau, Jean-François de Montgolfier, puis la Chancellerie a réagi très rapidement, pour s’atteler à une modification des textes. » 

La nouvelle circulaire du 19 mars est certes venue préciser que les demandes d’ouverture de nouvelles procédures de conciliation et de nouvelles procédures collectives ne devaient pas être considérées comme urgentes, toutefois, compte tenu du contexte économique, les ordonnances du 25 mars et du 27 mars ont assoupli les règles de l’audience, favorisé le recours aux mesures préventives, ou encore allongé les délais des procédures collectives. 

 

Des audiences dès le 1er avril

« Le tribunal de commerce de Paris a cessé ses activités en matière contentieuse, mais il continue à travailler s’agissant du traitement des difficultés des entreprises », a insisté Paul-Louis Netter. Certaines activités n’ont ainsi « jamais cessé » durant la crise, s’est félicité le président, à l’instar de l'enregistrement des formalités au RCS et des enrôlements, d’ores et déjà dématérialisés, et de la prévention « rapidement réorganisée » par conférence téléphonique.

Au total, lors des quatre premières semaines du confinement, 11 000 formalités ont été effectuées au RCS, et 27 affaires traitées en prévention. « Ce sont de grosses affaires, avec des entreprises qui ont un chiffre d’affaires cumulé de plus de 2 milliards d’euros et un nombre de salariés proche de 12 000 », a commenté Paul-Louis Netter. Sans surprise, les demandes de prévention sont d’ailleurs en augmentation, a relevé ce dernier, notamment dans les domaines de l’événementiel, de la restauration et des transports, durement touchés par le Covid-19. « Les entreprises qui ont beaucoup investi ont peu de cash, et se retrouvent soudain avec un chiffre d’affaires réduit à zéro ou quasiment. La crise, de ce point de vue-là, est tragique », a-t-il déploré. 

D’autres activités ont progressivement repris pour leur part. La dernière semaine de mars, le tribunal de commerce de Paris a commencé à organiser la tenue d’audiences par visioconférence, via le logiciel sécurisé recommandé par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. « Les premières audiences ont eu lieu le 1er avril : nous avons pu traiter des déclarations de cessation des paiements, des redressements, des liquidations, en sélectionnant en premier lieu les entreprises qui avaient des salariés », a rapporté Paul-Louis Netter. Les entreprises peuvent donc toujours demander leur liquidation, sans relation avec la crise, a-t-il indiqué. « Il s’agit de toutes les entreprises qui étaient déjà confrontées à des difficultés indépendantes du virus qui se sont aggravées de son fait. Le traitement de la demande est d’autant plus rapide que l’entreprise compte un nombre important de salariés. Nous avons notamment été sollicités par une très grande entreprise. » Quant aux déclarations de cessation des paiements, le président a affirmé que le tribunal n’était, pour l’instant, « pas submergé » : « tout est gelé, les délais sont reportés. Mais la vraie question sera de savoir ce qui se passera au moment de la reprise de l’activité économique », s’est-il inquiété. 

La semaine du 6 avril, le tribunal s’est en outre remis à traiter des plans de cession, toujours en visioconférence, et notamment « un plan de cession concernant 400 salariés, qui a rassemblé une trentaine de participants, que nous avons dû faire intervenir de façon successive, pour la sécurisation de l’audience », a-t-il précisé. 

Quant aux décisions en contentieux, l’intégralité des décisions qui avaient été délibérées au moment de l’arrêt de la juridiction seront rendues et prêtes à être diffusées, et « tout ce qui n’avait pas encore été délibéré le sera pour qu’au moment où la juridiction reprendra une activité normale en matière contentieuse, tous les tuyaux soient vidés », a assuré Paul-Louis Netter. 

 

« Ce qui arrive aujourd’hui n’a jamais été pensé »

Parmi les mesures d’urgence prises en faveur des entreprises faisant face à la crise sanitaire, le ministère des Finances, confronté à l’arrêt sans précédent de l’activité, a répondu « par une injection de cash considérable » de l’ordre de 300 milliards d’euros, a souligné le président du tribunal de commerce de Paris. « Je pense que c’est une réponse adaptée face à l’absence de liquidités. À partir du moment où vous n’avez plus de chiffre d’affaires, plus de rentrées, bien que les charges soient décalées, cela ne suffit pas. Injecter des liquidités paraît donc essentiel. La question d’aujourd’hui est celle de la survie. Et les pouvoirs publics, sur ce point, ont réagi très rapidement », a-t-il considéré. 

Problème, selon Paul-Louis Netter : ces 300 milliards de cash sont aussi 300 milliards de dettes. « L’angoisse, c’est le mur de dettes qui se transforme en mur de défaillances d’entreprises. Sur ce point, on veut à tout prix éviter la réaction en chaîne. Je ne suis pas ingénieur, mais j’ai compris que dans une réaction atomique, il fallait que les atomes soient suffisamment excités pour arriver à une réaction en chaîne. Il faut tout faire pour éviter cette réaction. » 

Par ailleurs, comment les entreprises vont-elles pouvoir absorber sur leur compte de résultat un exercice privé de trois mois de chiffre d’affaires ? « Je ne doute pas qu’il faudra prendre de nouvelles mesures pour faciliter la reprise », a prédit le président. Mais dans l’hypothèse d’une vague de traitement des difficultés des entreprises, les procédures classiques seront-elles adaptées ? « Nous nous posons sérieusement cette question, nous nous demandons s’il ne faudra alors pas privilégier tout ce qui est amiable, dans le cadre éventuel d’une conciliation renforcée. Mais pour l’heure, nous ne sommes pas adaptés, à l’évidence, à un traitement de masse des difficultés des entreprises », a avoué Paul-Louis Netter. 

À ce titre, celui-ci a estimé que la crise nous incitait à beaucoup de modestie, car en dépit de l’existence de comités, de groupes de prospection, visant à envisager l’avenir, ce qui arrive aujourd’hui n’a jamais été pensé. « J’ai un souvenir très personnel de la mise au point d’un plan de continuation de l’activité, où l’on se situait pour l’essentiel dans le cadre de la crue centenaire, d’un incendie, d’un avion qui nous tombe dessus… L’idée, c’était d’avoir un local à disposition où on pouvait le plus rapidement rassembler les activités et continuer à fonctionner avec des moyens informatiques disponibles. Sauf que la crise d’aujourd’hui, c’est exactement l’inverse. Il ne s’agit pas de se regrouper, il s’agit de continuer à fonctionner en étant complètement éparpillés. » 

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