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À la tête du marché depuis six ans,
Stéphanie Duplaix, rencontrée au Cercle de l'union interalliée, fait, dit-elle, de « la gestion humaine ».
Adepte du dialogue et de la médiation, elle s’emploie à sélectionner les « meilleurs
antiquaires » et revendique un marché « moderne, ouvert au monde ». En effet,
à l'heure où ce dernier affiche complet et où de nouvelles constructions sont
en cours, la directrice générale de Paul-Bert Serpette mise aussi beaucoup sur
le numérique, car elle l’affirme : « Il n’y a rien de poussiéreux dans les
Puces ».
S’il est des personnes aux parcours bien
huilés, Stéphanie Duplaix peut s’enorgueillir d’être de celles-là. Celle qui a
commencé par des études en langue anglaise, puis en finance, a passé une quinzaine
d’années dans les grandes banques, avant de suivre un cursus en ébénisterie et
de se lancer dans l’entrepreneuriat. Rien de très surprenant donc dans le fait
qu’elle soit depuis bientôt six ans à la tête du fastueux marché Paul-Bert
Serpette.
Dans cette caverne d’Ali-Baba au cœur des Puces de Saint-Ouen, on vient chiner de la marchandise arts décoratifs luxueuse, de la peinture du XVIIIe au mobilier de la reconstruction en passant par la céramique de Vallauris. Invariablement, la règle est la suivante : « quand vous venez chercher un fauteuil, vous repartez avec un service à café, car vous n’avez pas trouvé ce que vous imaginiez, mais vous avez trouvé ce que vous n’imaginiez pas », résume sa directrice générale lors de son passage au Cercle de l'union interalliée, sur invitation du président de l'Institut Art & Droit Gérard Sousi, début avril à Paris.
Quand Stéphanie Duplaix prend les
commandes du « plus grand marché d’antiquités au monde », ce dernier a
été racheté trois ans plus tôt par le PDG de Studyrama au duc de Westminster –
ou, plus exactement, à la société immobilière Grosvenor –, qui s’était attiré
les foudres des marchands pour avoir (entre autres) imposé des baux de 12 ans,
et avait fini par jeter l’éponge. Pour 28 millions d’euros – une bonne affaire –,
Jean-Cyrille Boutmy avait donc acheté un patrimoine de
12 000 m²… avec 200 procès de marchands contre le bailleur et un
bâtiment à l’abandon. En 2017, 5 millions d’euros de travaux ont été investis,
les rapports avec les marchands sont apaisés, et de nouveaux baux ont été
signés. De quoi partir sur des bases plutôt saines.
Approvisionner le marché « avec les
meilleurs marchands »
À son arrivée, Stéphanie Duplaix commence
par aller se présenter auprès de chaque marchand. « Ça a duré des semaines !
», se remémore-t-elle. Elle rencontre des personnalités hautes en couleurs,
dont certaines ne s'embarrassent pas de manières. « Je leur demandais
pourquoi ils ne se levaient pas quand des gens arrivaient, ou bien je leur
disais d’éteindre leur cigarette... Vous vous rendez compte, j’ai repris Paul-Bert
Serpette en 2017, et j’ai réussi à faire cesser la cigarette en 2019 : la loi
Evin a mis 28 ans à passer ! », s’amuse-t-elle. Elle le reconnaît toutefois
: « Les marchands sont des esprits libres, ils font ce qu’ils veulent, et
tant mieux, car c’est ce qui nous amène de la marchandise incroyable ! »
Une marchandise qui attire principalement
une clientèle haut de gamme et professionnelle, originaire de France, d’Europe
de l’Est, mais aussi d’Outre-Atlantique : la moitié des clients viennent
aujourd’hui d’Amérique du Nord. « Depuis le Covid, les Asiatiques ne sont
pas beaucoup revenus, à part les Coréens », regrette Stéphanie Duplaix. À
côté des commerçants venus créer du stock pour leur propre boutique, des
collectionneurs férus de patrimoine écument les stands pour recréer des décors
de sites historiques ou équiper leur restaurant. Certains passent toutes les
semaines, comme un rituel. « Tous les vendredis matins à 8h, Monsieur
Ducasse vient voir ce qu’il peut trouver comme pièce d’art de la table. »
Parmi les quelque 420 boutiques qui
accueillent actuellement 380 antiquaires, Stéphanie Duplaix fait, dit-elle, « de
la gestion humaine », à commencer par le choix des marchands et des
antiquaires. « Eux et moi, on fait un peu le même métier finalement. Chaque
weekend, ils approvisionnent un très beau stand avec la meilleure marchandise ;
moi, j’essaie d’approvisionner un très beau marché avec les meilleurs marchands
», résume-t-elle. Une mission qui nécessite de bien connaître le marché et de
défendre certaines spécialités : actuellement, son cheval de bataille consiste
à soutenir la marchandise classique.
Le stockage, « le nerf de la guerre
»
Alors que les baux commerciaux rythment
son quotidien, elle observe deux tendances : les marchands sont de plus en plus
nombreux à vouloir réunir plusieurs cellules dès qu’un voisin libère sa place ;
d’autre part, plus les loyers sont chers, plus les marchands peuvent être
tentés d’introduire des marchandises non éligibles. Pour une cellule de 12
m², côté Paul Bert, le loyer avec charges et TVA tourne autour de 1 100
euros par mois, indique Stéphanie Duplaix, quand côté Serpette, « Saint-Graal »
des antiquaires, il atteint 1 800 euros en moyenne. Un montant important
qui peut cependant s’avérer très rentable : l’un des marchands du site affiche
ainsi un chiffre d’affaires annuel d’1,6 million d’euros.
S’il reste aujourd’hui 27 baux précaires,
dont elle se sert pour sélectionner des marchands ou en lancer d’autres – des
jeunes sortis d’école avec peu de trésorerie –, Paul-Bert Serpette affiche
complet depuis un an. Une bonne nouvelle que sa directrice relativise, puisque
cette saturation fait obstacle à la rotation traditionnelle liée à la vie du
marché. C’est pourquoi, contre l’esprit du business model initial, Stéphanie
Duplaix s’est résolue à « écarter les murs », le tout dans un contexte
de forte pression immobilière. Cinq boutiques type plafond-cathédrale sont en
cours de construction, avec l’objectif de faire revenir de la marchandise « exceptionnelle
en termes d’effets visuels », 4 000 m² de stockage vont être créés, « car
c’est le nerf de la guerre : pour vendre, il faut pouvoir présenter et stocker
».
Un auto-contrôle plutôt qu’une chasse à la
contrefaçon
Au titre de ses nombreuses casquettes, la
cheffe de Paul-Bert Serpette doit veiller en outre à ce que la promesse client
soit tenue ; c’est-à-dire que les stands proposent uniquement des biens
d’occasion de plus de 15 ans et que la marchandise soit authentique. Mais si
elle dispose d’un pouvoir de contrôle des livres de police et des factures, la
chasse à la contrefaçon, très peu pour elle ! Stéphanie Duplaix admet également
avoir renoncé à aller chercher « des experts extérieurs pour inspecter à
l’intérieur », estimant que « prouver qu’un faux est un faux et aller en
justice est extrêmement difficile ».
Alors, convaincue qu’il y a « très peu
de vilains petits canards », elle mise sur la confiance et sur le dialogue.
« Si j’ai un doute sur la marchandise, s’il y a un bruit qui court, je vais
voir ce qui se passe et je pose la question au marchand, ou je demande son avis
à un client connaisseur, mais je ne juge pas de fait car je n’ai, la plupart du
temps, pas l’expertise suffisante ».
Stéphanie Duplaix préfère prévenir la
contrefaçon, et pour ce faire, elle a plus d’un tour dans son sac. L’astuce
consiste à se rendre aux grands déballages marchands, comme à Chartres, au Mans
ou à Béziers. « Il y a quatre ans, je me suis assise devant un stand de
contrefacteurs italiens et j’ai attendu de voir des têtes connues. J’y ai
croisé des marchands de Paul-Bert Serpette qui m’ont demandé ce que je faisais
là, alors je leur ai retourné la question. Puis j’ai pris le catalogue de ces
tapissiers italiens, je l’ai numérisé en rentrant, et je l'ai envoyé à tout le
marché en précisant qu’aucune pièce présente sur ce catalogue n’était éligible
chez nous ». L’effet est immédiat : d’un seul coup, le marché se transforme
en fourmilière, se souvient-elle. « Ceux qui ne connaissaient pas les
produits contrefaits se sont saisis des photos et sont allés fouiner chez les
voisins… C’est une façon de créer un auto-contrôle ! »
Et puis, lorsqu’une situation
problématique est avérée, la clef, le plus souvent, réside dans la négociation,
la médiation. « Je me suis rendu compte qu’un marchand avait pris l’habitude
de faire fabriquer des contrefaçons. Son bail arrivait à son terme : je lui ai
annoncé que je n’allais pas le renouveler », raconte Stéphanie Duplaix. La
directrice croit cependant en la rédemption. Ce marchand, d’un certain âge,
était sur le marché depuis 25 ans. Il s’était sûrement égaré en chemin. « Je
lui ai proposé à la place de signer un bail dérogatoire, à condition qu’il
travaille autrement. Je ne sais pas par quelle magie, d’un seul coup il s’est
retrouvé avec l’une des meilleures marchandises du marché. Il a eu un
déclic. »
Le Covid comme booster
Qui dit marché de l’ancien ne dit pas
marché démodé : Stéphanie Duplaix y tient, et s’emploie à faire souffler sur
Paul-Bert Serpette un vent de modernité, à la faveur d’un contexte propice. Car
si la crise sanitaire a fortement secoué les Puces, elle a paradoxalement fait
office de booster. « Avec le Covid, on a mis en place le prélèvement
automatique des loyers. » C’est peut-être un détail pour vous, mais pour
elle ça veut dire beaucoup : « ça change la vie ! Enfin, côté marchands,
c’était de la science-fiction », sourit-elle. Une fois les mécontentements
passés, « cela a créé quelque chose d’incroyable : depuis 2020, on ne vient
plus me voir pour payer mais pour prendre le café ! »
Par ailleurs, alors que la pandémie a
poussé les antiquaires à se réinventer pour continuer à attirer des clients,
Paul-Bert Serpette s’est mis au diapason. Trois ans après l’indignation
qu’avait suscité, en 2018, le lancement d’une vente aux enchères en ligne des biens
de certains exposants, le marché a pris sa revanche et ouvert sa propre maison,
gérée par Oxio, fruit de l’association d’un commissaire-priseur et d’un
antiquaire, pour des ventes en physique, en ligne et par téléphone. Un pari
gagnant puisque, cette fois, la Salle – c’est son nom – semble être entrée dans
les mœurs, se félicite Stéphanie Duplaix.
Cette dernière, dans la lignée des
mutations entreprises, en a également profité pour créer un service interne
dédié à la communication. Désormais, chaque marchand détient un compte
Instagram où rien n’est laissé au hasard, et surtout pas la mise en scène des
marchandises, sous la houlette de deux experts ès réseaux sociaux qui
prodiguent leurs bons conseils pour un usage optimisé de la plateforme. Lui
aussi doté d’un compte, Paul-Bert Serpette est suivi par 130 000 « followers ».
« Cependant, on essaie de garder un côté “teasing” de la photo, car les
Puces, c’est un territoire qui se visite ; une expérience », souligne
Stéphanie Duplaix. Bref, le marché a définitivement « basculé dans le XXIe siècle
» : « Il est moderne, ouvert au monde… Il n’y a rien de poussiéreux dans les
Puces, et c’est ce qui fait notre force. »
Bérengère Margaritelli
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