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Depuis le printemps 2020, beaucoup d'êtres nous manquent, beaucoup trop pour que n'en souffrent pas notre besoin de lien social, nos aspirations à partager des passions, un enthousiasme qui crée un fil entre nous, certes invisible, certes ténu, mais essentiel à notre vivre-ensemble. Nos vies se sont dépeuplées de présences que nous prenions pour acquises. Les gestes, la chaleur des conversations, les contacts physiques sans retenue ont quasiment disparu, teintés d'une insouciance qui semble loin déjà.
Les écrans de nos mobiles et de nos ordinateurs sont nos premiers recours pour rester en contact, encore plus qu'avant la pandémie. Nous tentons de retrouver dans les réseaux sociaux un semblant de partage et de sens commun. La population étudiante, hautement connectée, ne semble pourtant pas y trouver le réconfort qu'elle y recherche. Selon Ipsos, 40 % des jeunes souffrent d'un « trouble anxieux généralisé » et les autres catégories de la population ne sont pas en reste.
Il est urgent d'agir contre l'hyper-isolation collective qui se répand, aussi contagieuse qu'un virus et dont les conséquences sur notre bien-être et notre vivre-ensemble risquent d'ébranler les fondations de notre société. La pandémie n'a été qu'un catalyseur de fragilités sous-jacentes, de fractures sociales, de rejet de l'autre que nous dénoncions déjà en 2017 dans notre essai sur la Convivance1. Une menace invisible aux conséquences visibles a suffi pour que nos structures s'étiolent davantage. Il y a quatre ans, nous nous inquiétions déjà des effets pervers d'une interconnexion systématique. Nous pointions du doigt l'obsession mercantile des réseaux sociaux, leurs effets anxiogènes, la propagande trompeuse qui s'y promène et la façon dont, paradoxalement, ils participent à l'effritement du ciment social qu'ils prétendent renforcer.
Au vu de ce qui s'est passé depuis 2017, il serait difficile d'avoir changé d'avis. Nous étions alors dans la prévoyance, la clairvoyance vis-à-vis de notre incapacité croissante à vivre-ensemble, nous exhortions chacun, dans un monde fatalement interconnecté, à faire acte de convivance (ce néologisme construit sur les deux notions de vivre-ensemble et de bienveillance).
Nous sommes maintenant dans l'urgence, au pied du mur, face à un défi technologique et sociétal qui, comme tout défi, recèle autant de dangers que d'opportunités ; la fameuse balance bénéfice-risque.
Clay Shirky, spécialiste de l'impact socio-économique des technologies numériques comme l’Internet, souligne l'incapacité de nos cerveaux à filtrer un flux continu d'informations multiples. Des troubles de la concentration et une dispersion de la pensée, une lenteur cognitive en résulterait.
S'y ajoute l'effet d'entraînement de la foule étudié dès la fin du XIXe par Gustave Le Bon. Selon lui, une foule obéit à une logique propre, souvent différente ou contraire à celle des individus qui la composent. Elle est impulsive, réagit de façon émotive et rarement rationnelle. Elle montre peu d'empathie et sera naturellement sensible aux idées réductrices, aux affirmations péremptoires, aux rumeurs, aux mensonges... qui finiront par avoir valeur d'opinion. Même si elle ne partage pas un espace physique commun, la foule virtuelle des usagers du Net semble se comporter de façon similaire à d'autres, bien réelles. La vox populi s'exprime en grande partie sur les médias sociaux : 40 % de la population mondiale les utilise à divers degrés. Mais sa voix s'exprime-t-elle vraiment dans un esprit démocratique et respectueux ? Une violence verbale polarise le débat en réseau, étouffe le dialogue, colporte des fake news éhontées et renie petit-à-petit notre volonté de construire des solutions communes plutôt que d’imposer ses croyances. Toutes les défiances, toutes les conspirations s'y retrouvent et s'y exacerbent par effet d'entraînement, attisant les « paranoïas ». Souvenons-nous que les pestes brunes ont toujours contaminées des peuples ayant perdu leur sens commun, l'adhésion collective à un mythe fondateur, orphelins des symboles d'inclusion qui sous-tendent le principe démocratique. Les dérives conspirationnistes ont, hélas, de l’avenir sur le Net… Les garde-fous démocratiques s'en trouveront ébranlés ou même mis à bas si nous n'y prenons garde.
Les vertus de l'interconnexion durable et raisonnée
La question même de savoir si Internet et les réseaux sociaux sont bénéfiques est en réalité hors de propos, car ces modes de communication ont déjà pénétré nos vies de façon inexorable, pour le meilleur ou pour le pire.
Une éducation civique au numérique ? Une idée à mettre en place…
La véritable question devant cette inéluctable prédominance d'Internet n'est plus de savoir si nous devons nous en servir, mais comment nous en servir. Plutôt que de s'y entraver, il faudra apprendre à apprivoiser la Toile. Internet n'a pas d'âme, nous lui donnons la nôtre. Comme n'importe quel outil, il n'a pas de conscience. C'est notre façon de l'utiliser qui le rendra vertueux ou non. Il a été démontré que les inégalités sociales, économiques et de genre se reflètent et se perpétuent dans les usages du numérique, mais l'absence d'Internet, ou sa non-maîtrise, peuvent aussi constituer des freins à l'intégration sociale. Plus qu'un défaut d'accès au numérique et à Internet, c'est surtout un défaut de compétences, de savoir-faire et de savoir-être en ligne qui manquent aux usagers. Beaucoup d'entre eux ont des difficultés à garder un regard critique sur les contenus qu'ils consultent et, pour parler des plus jeunes, les élèves qui ont décroché scolairement pendant les confinements semblent avoir plus pâti d'un déficit d'accès à Internet que d'un abus d'écrans. Ce sont d'ailleurs toutes les populations défavorisées qui, faute de moyens ou de connaissances pour se connecter ou pour naviguer, se trouvent davantage marginalisées, victimes d'une autre fracture : la fracture digitale. Il est donc indispensable d'apprendre à maîtriser le Net, de nous y adapter. Une forme d'éducation civique au numérique devrait être offerte aux plus jeunes, le plus tôt possible.
Gardons foi en la force de l'éducation, et comme Philippe Meirieu le dit : « À chaque occasion de désespérer de l’éducation, nous devons nous rappeler que le pari de l’éducabilité reste notre raison d’être, ce qui nous fait tenir debout (...) ».
Une citoyenneté numérique est envisageable
Le terreau est fertile sur la Toile, l'espoir y est possible car le respect et la compassion ont également leur place sur la sphère virtuelle. Même si les plus violents se font plus facilement remarquer, les adolescents s'envoient par les réseaux une majorité de messages d'affection et non de haine. Alexandre Coutant et Thomas Stenger constatent que les médias sociaux sont loin d'être des zones de non-droit et sont régis par des comportements d'autorégulation et de savoir-vivre tacites respectés par la plupart de ses utilisateurs. La bienveillance, la politesse et le devoir de réciprocité y restent la norme. Une citoyenneté numérique est envisageable.
On vantera aussi les vertus éducatives, créatives, civiques de sites tels Youtube, Wikipédia ou TedTalks, les chaînes, documentaires et les tutoriels, fréquemment de qualité, regorgeant d'informations sur une myriade de sujets qui, en sachant faire le tri, sont un formidable canal de transmission de savoir. Et n'oublions pas qu'un activisme numérique est né dont on sait, depuis au moins le printemps arabe de 2011, qu'il peut avoir son influence dans les rapports de pouvoir, les révolutions et la promotion de la démocratie.
Parmi les vertus d’Internet : la télémédecine
Nombreuses sont les vertus potentielles d'Internet, si tant est qu'on sache s'en servir. Je serais mal placée pour dénigrer un outil de connexion à distance, crucial aux projets qui me tiennent le plus à cœur. Mes initiatives dans le domaine de la télémédecine seraient restées lettre morte dans un monde déconnecté comme celles des autres pionniers de cette pratique médicale. Mais, néanmoins, il aura fallu plus de 30 ans et une pandémie pour qu’elle soit reconnue « fondamentale »2 !
Le point essentiel de la télémédecine, c’est la relation soignant-soigné, autrement dit le défi auquel fait face le médecin pour garder un lien empathique avec son patient en dépit de la distance qui les sépare lors d'une téléconsultation. Un nouvel apprentissage attend là le praticien.
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