« En course à pied comme en audience, il est toujours important d’avoir un coup d’avance sur les échéances »

SERIE (5/5). Magistrate administrative à 21 ans et championne de cross, Mathilde Beyls explose tous les compteurs. La jeune femme, nantaise d’adoption, cultive le goût de la discipline et de la rigueur dans son travail comme dans sa passion. Un succès qu’elle doit à sa faculté de ne rien laisser au hasard.


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Delphine Schiltzlundi 8 septembre6 min
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Mathilde Beyls lors d’un championnat de course sur route. ©Dr

Notre série "Ils ne font pas que du droit !"

Cet été, le JSS vous propose de partir à la rencontre de professionnels du droit dont le quotidien ne se résume pas qu’à la robe, à la rédaction d’actes ou au Code civil ! Artistes, sportifs ou musiciens… Découvrez une autre facette de ces passionnés à la double vie.
  • « En course à pied comme en audience, il est toujours important d’avoir un coup d’avance sur les échéances »
  • Ils ne font pas que du droit !
    Cet été, le JSS vous propose de partir à la rencontre de professionnels du droit dont le quotidien ne se résume pas qu’à la robe, à la rédaction d’actes ou au Code civil ! Artistes, sportifs ou musiciens… Découvrez une autre facette de ces passionnés à la double vie.
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    « En course à pied comme en audience, il est toujours important d’avoir un coup d’avance sur les échéances »

    Mathilde Beyls ne reviendra plus que les weekends et « pour les compétitions » arpenter les espaces verdoyants qui bordent la Chézine, petite rivière ligérienne qui coule dans un vallon ombragé d’aulnes et de peupliers, où la magistrate aime s’entraîner courir. Après cinq années passées au tribunal administratif de Nantes, elle n’est, provisoirement, ni juge ni nantaise.

    Depuis le 1er septembre, l’ancienne étudiante d’Assas exerce les fonctions de cheffe de bureau du contentieux général à la direction des affaires juridiques du ministère des Armées, à Paris. A 26 ans seulement, la magistrate a pris la tête d’une équipe de sept agents. Une opportunité qu’elle accueille avec bonheur : « J’avais envie de changer de structure et de vision sur le droit. Je vais surtout rédiger des mémoires en défense, ne plus être dans la position de la juge. Mais, je suis très enthousiaste. »

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    La jeune femme s’est lancée dans une aventure parisienne de deux ans, mais pour la course à pied, sa passion, elle tient à rester fidèle à son club d’athlétisme, le Racing Club nantais, et à son coach, avec qui elle a bâti « une relation de confiance » et « passé de gros caps ». Ce dernier lui a concocté un planning d’entraînement à distance pour la saison. Après les championnats de France de course sur route 5 et 10 km, deux participations aux championnats de France de cross en 2024 et 2025, un objectif ultime : améliorer sa performance au semi-marathon qu’elle a achevé au printemps dernier en… 1h28 !

    Juges de père en fille

    Dans la famille Beyls, le temps ne semble pas être pas une denrée qui se gâche ou se perd. Mathilde Beyls raconte : « J’ai eu le concours de magistrat administratif à 21 ans. C’est incroyable ! En réalité, nous sommes deux à l’avoir eu aussi tôt : mon frère et moi. Nous avons tous les deux sauté deux classes et eu notre bac à 16 ans. C’est assez anormal. »

    Quelque part dans la maison parentale, il existe une photo de la future magistrate à 4 ou 6 mois, posée sur les genoux de son père, avec un Code civil ouvert devant les yeux. « Mon père est juge judiciaire, et visiblement les chiens ne font pas des chats », s’amuse la cadette. 

    Si la passion paternelle pour le droit « infuse très tôt », à l’heure de l’orientation postbac, Mathilde Beyls n’envisage pas la magistrature, encore moins administrative. Comme beaucoup d’étudiants en droit, elle se rêve d’abord commissaire de police. « Mais finalement, le droit pénal ne m’a pas conquise », reconnaît-elle. Coup de cœur en revanche pour le droit administratif, et plus tard le contentieux administratif auxquels elle prend goût grâce à un professeur de licence « très inspirant ».

    Faire connaître la magistrature administrative

    Une fois le concours passé, elle rejoint, sans attendre là encore, l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA). « Pour faire connaître la magistrature administrative, qui reste un corps de métier assez peu connu, y compris des juristes eux-mêmes. Peu de gens savent que nous ne portons pas la robe. Et que nous avons un statut nettement moins protecteur que les magistrats judiciaires, notamment au niveau constitutionnel. »

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    De son passage à Nantes en tant que juge, elle retient surtout ses deux premières années dans une chambre spécialisée dans le contentieux des refus de visa d’entrée en France. « Un contentieux extrêmement humain qui touche à des situations parfois très compliquées : des personnes isolées en France, des familles éparpillées un peu partout dans le monde, des contextes géopolitiques particuliers. » Des dossiers de ressortissants afghans arrivés dans l’Hexagone après la chute de Kaboul, le 15 août 2021, lui parviennent et la marquent.

    « Le droit administratif, en tant que tel, tourne autour de l’intérêt général et du service public. Des notions qui me tiennent particulièrement à cœur », résume Mathilde Beyls quand on lui demande pourquoi elle a choisi cette spécialité. Quant au contentieux administratif, il lui paraît« très logique » : « Dès qu’on commence à le maîtriser, c’est assez sécurisant et agréable à pratiquer, assure la magistrate. Il y a une rigueur intellectuelle qui me plaît ».

    « Le cross m’a permis de créer un cercle social en dehors du tribunal »

    Quand elle n’est pas en audience, Mathilde Beyls s’astreint à une autre rigueur : elle s’entraîne habituellement jusqu’à six fois par semaine pour le cross. Trois sorties de groupes et trois sorties individuelles qui définissent un cadre au quotidien. La coureuse qui se décrit comme « logique et organisée », aime savoir de quoi demain sera fait : « Que ce soit pour une audience à rendre ou une compétition à venir, je trouve important de ne pas laisser les choses au hasard et d’avoir un coup d’avance sur les échéances

    Elle assure avoir toujours conservé ces périodes d’activité sportive intense, y compris dans des périodes de rush au tribunal. Une manière de s’aérer l’esprit et de mieux gérer la charge de travail. « Quand je suis arrivée à Nantes, le cross m’a aussi permis de créer un cercle social hors des murs du tribunal, ajoute Mathilde Beyls. Je me suis fait des amis qui ne sont pas du tout dans le monde du droit, de tous âges et de toutes professions ».

    Mathilde Beyls. ©Dr

    Dans l’enceinte du TA, la sportive s’est aussi fait une petite réputation, en remportant l’édition nantaise d’Odysséa, une course qui finance la recherche contre le cancer du sein, et à laquelle elle a participé avec des collègues de travail. « Ça a été un événement assez fédérateur », raconte-t-elle. « Il y avait des magistrats mais aussi des agents de greffe, des assistants de justice… ».

    « Un challenge contre soi plutôt que contre les autres »

    Chez ses collègues, Mathilde Beyls reconnaît qu’elle suscite possiblement un mélange d’admiration et d’interrogation : « Certains me prennent peut-être un peu pour une folle, d’avoir envie de courir après le travail, après de dures journées, l’hiver, quand il fait nuit ou quand il pleut. Je comprends que ça puisse interroger. J’ai aussi des moments où je ne suis pas très motivée, mais c’est la discipline qui prend le dessus. »

    La coureuse n’a jamais songé à faire carrière le sport et assure être « à des années lumières du haut niveau ». Sa pratique compétitive reste « un loisir » qu’elle partage. « Je m’entraîne notamment avec un groupe de filles. Nous nous entraidons beaucoup. Je considère la compétition comme un challenge contre soi-même plutôt que contre les autres. »

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