Accès à la justice des personnes handicapées : « Il faut que les initiatives convergent »

Alors que cet accès n’est pas toujours garanti, les démarches impulsées un peu partout en France restent dispersées. Une meilleure sensibilisation des magistrats, mais aussi des avocats, est une des solutions avancées lors des premières Rencontres de la diversité et de l’inclusion, au Conseil national des barreaux.


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Allison Vaslinjeudi 6 juin 20246 min
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Rencontres de la diversité et de l’inclusion, Acte I. Au 180, boulevard Haussmann ce 2 juin, une poignée de participants passent la porte de l’auditorium du Conseil national des barreaux (CNB) pour assister à la première édition de cet événement.

Un « moment d’étape et de départ de construction » sur un sujet « pas évident » mais« très important »qu’est le handicap, explique la présidente de la commission égalité du CNB Nawel Oumer. Son discours introductif semble résonner ce matin-là chez les avocats, qui sont plus d’une centaine à suivre l’événement à distance. Ce dont se félicite, sans s’en cacher, Laetitia Marchand, vice-présidente de la commission.

Cette dernière prend d’ailleurs la suite en introduisant le documentaire La justice dans le noir, qui doit précéder un moment de débats. Il s’agit là, affirme-t-elle, d’un documentaire « particulier », puisqu’il a été réalisé par la juriste et directrice de l’association Droit Pluriel Anne-Sarah Kertudo, malentendante et aveugle, qui se « bat pour que la justice soit réellement équitable ».

« On continue à demander à faire application de la loi »

Lumières tamisées ; l’audience attentive découvre le premier témoignage d’une femme aveugle qui évoque son expérience avec la justice. Parce que porteuse d’un handicap, elle a dû se battre, raconte-t-elle, pour obtenir la garde de sa fille après une séparation avec un conjoint violent, au motif qu’elle n’était pas « en capacité de ».

Vient ensuite le témoignage d’un homme, lui aussi aveugle, en procédure contre le gérant d’un magasin qui lui a refusé l’accès dans son enseigne au motif que son chien guide n’était pas autorisé à entrer. Vidéo à l’appui, le gérant s’en prend à l’animal et l’éloigne de son maître.

Stupéfaction dans le public, et hochement de tête désolé du bâtonnier de Nantes Louis-Georges Barret venu spécialement pour ces Rencontres, devant cette situation « pourtant monnaie courante dans le quotidien de personnes porteuses de handicap », entend-on. En audience, l’homme s’entend dire qu’il a volontairement provoqué l’altercation avec le gérant pour faire le buzz sur internet.

Après 30 minutes de visionnage, applaudissements, mines décontenancées et première réaction à chaud : « C’est d’une violence incroyable » lâche Laetitia Marchand. Un « ah oui » approbateur est entendu au fond de la salle quand le reste acquiesce.

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Pour les intervenants présents, la justice n’est ni adaptée à l’accueil des justiciables handicapés, ni à leur jugement. La loi du 11 février 2005, qui a été un véritable « combat », relate le bâtonnier nantais, est certes « un pas de géant », reconnaît-il. « Pourtant, on continue encore à demander à faire application de la loi », déplore la réalisatrice en visio.

Louis-Georges Barret évoque le cas d’un avocat aveugle qui s’est vu interdire l’accès à une prison alors qu’il était avec son chien. « Il a fallu nous battre pour qu’il puisse aller voir ses clients en maison d’arrêt », se désole le bâtonnier.

« À mon sens, il faut des droits spécifiques », estime la chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Mai-Anh Ngo. Le droit du handicap n’existe pas en tant que branche, mais est dispersé dans plusieurs codes, « y compris avec des oppositions de compétence juridictionnelle » pointe Louis-Georges Barret.

Ce dernier évoque également la complexité administrative pour les personnes handicapées pour faire valoir leurs droits en prenant l’exemple des dossiers MDPH (maison départementale des personnes handicapées), « sorte de jungle que personne ne comprend. Il faut passer une thèse en dossier MDPH pour ne pas faire d’erreur », ironise-t-il. Et Mai-Anh Ngo d’ajouter : « On ne se rend pas compte à quel point on ne parle pas la même langue. »

Former, mot d’ordre de la matinée

La question de la formation des avocats et des professionnels du monde judiciaire est également soulevée ce matin-là. La profession manque aujourd’hui encore de reflexes, concède Nawel Oumer.

Dans le documentaire projeté, la présidente du tribunal judiciaire de Nice Pascale Dorion a pris le sujet à bras-le-corps, puisqu’elle a décidé d’acculturer ses magistrats au sujet du handicap.

Les magistrats qui n’ont pas conscience de la difficulté que posent les textes risquent en effet de rendre des décisions « qui ne répondront pas à la souffrance qu’il y a en face », soulève le bâtonnier. « Or, on croise des souffrances qui nous dépassent et qui sont considérables ; et des juges non formés ajoutent de la douleur à la douleur. Ça devient insupportable », pointe-t-il.

Mais surtout, insiste Louis-Georges Barret, « tout le monde peut le faire » avec des choses très simples. Dans le documentaire, le président du TJ de Marseille Olivier Leurent utilise l’exemple des Lego® pour expliquer à une personne aveugle, en la guidant avec son index, qui et où seront placées chaque personne dans la salle d’audience ainsi que leur rôle.

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Témoignant de son expérience personnelle, le bâtonnier indique quant à lui avoir revu la rédaction des contrats de travail pour l’un de ses clients, un restaurant employant des personnes trisomiques. Cette simplification a également profité aux personnes non handicapées, rapporte-t-il.

Les avocats ont donc un rôle un jouer. « J’ai la conviction que ce sont [eux] qui vont permettre qu’on avance sur ce sujet dans la société », assure Anne-Sarah Kertudo. « Plus y aura de juriste formés et plus on alertera, et moins on écrira de bêtises et le droit systémique sera efficace », poursuit Mai-Anh Ngo.

Mais la formation et la sensibilisation pourraient également se faire dès les bancs de la faculté pour les élèves-avocats. Louis-Georges Barret indique avoir discuté avec Nathalie Roret, directrice de l’Ecole nationale de la magistrature, pour envisager des formations à destination des magistrats. Une idée que semble partager l’audience du jour.

« Tout prend du temps »

Une chose est sûre, pour Louis-Georges Barret : « Il faut qu’on avance ensemble, que toutes les initiatives convergent ». « En matière de handicap, on a toujours le sentiment qu’on met un temps infini pour faire des petits pas, mais on avance », relativise-t-il.

Il a fallu attendre 2019 pour que soit lancé le premier Grenelle sur le handicap. Pourtant, le CNB menait ce combat depuis plus de 10 ans, illustre celui qui est devenu bâtonnier en décembre dernier. De nombreuses voix appellent d’ailleurs à reconduire l’opération en 2026.

Le bâtonnier de Nantes Louis-Georges Barret et la vice-présidente de la commission égalité du CNB Laetitia Marchand ont participé aux premières Rencontres de la diversité et de l’inclusion

Laetitia Marchand assure que c’est aussi grâce aux initiatives impulsées par le CNB et certains ordres que les choses bougent ; à l’instar du Plan accessibilité voté par le CNB fin mai. Ou encore de la convention signée ce même jour entre le CNB et l’association Droit Pluriel.

C’est sous les applaudissements nourris du public que le représentant de l’association Mathieu Simonet et Nawel Oumer se serrent la main, après avoir paraphé les feuilles venant sceller et renouveler leur partenariat.

Clap de fin pour cette première journée, avant de retrouver, le lendemain, une table ronde sur les pratiques D&I (diversité et inclusion) au sein des cabinets, mais aussi de voir aboutir une convention avec la Défenseure des droits pour « faire progresser l’égalité des droits et l’accès à la justice pour tous et lutter contre les discriminations ».

Allison Vaslin

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