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Dans un rapport publié le 3 juillet, la Cour des comptes pointe l'absence de prise en compte des disparités territoriales en matière de logement étudiant et s’intéresse aux difficultés que cumule l’Île-de-France. Avec une offre de formation très concentrée et des loyers parmi les plus élevés du pays, la région souffre également d’un manque de coordination entre les acteurs locaux.
Alors
que la rentrée approche à grands pas et que de nombreux étudiants sont déjà en quête
d’un logement, la Cour des comptes dresse un bilan contrasté de l’action
publique en la matière, dans un rapport intitulé « Le soutien public au
logement des étudiants », publié le 3 juillet dernier. Le premier constat
est positif : le soutien public a « absorbé l’augmentation de la population
étudiante » qui a grimpé de 25 % depuis 2012 pour atteindre 2,97 millions
d’étudiants dans l’enseignement supérieur en 2023, et ce malgré une absence «
d’objectif ciblé ».
La
Cour pointe en revanche l’absence d’une « politique globale définie qui préviendrait les risques d’incohérence entre les actions
soutenues » et d’une « coordination des acteurs
à l’échelle nationale ». Elle souligne notamment que si l’action
publique prend en compte les inégalités sociales à travers les bourses, les APL
ou encore le parc de logements à vocation sociale, elle reste largement aveugle
aux disparités territoriales.
Aucun
dispositif ne cible spécifiquement les zones où l’accès au logement est
particulièrement difficile, à commencer par l’Île-de-France, qui « accueille
le plus d’étudiants et présente les loyers les plus élevés ». La région,
dans laquelle les acteurs locaux peinent à se coordonner, « cumule les
difficultés ». « Les pouvoirs publics, y compris nationaux,
doivent concentrer leur attention sur cette région, qui présente de réels
signes de décrochage par rapport au reste du territoire »,
alerte la juridiction.
L’Ile-de-France concentre les
besoins les plus élevés
Ces
trente dernières années, le développement de la population étudiante et de ses besoins
ont été exponentiels. Le pic de natalité au début des années 2000, l’arrivée
d’étudiants en mobilité internationale dans le courant des années 2010, ainsi
que l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur depuis 2018,
notamment grâce à l’essor de l’apprentissage, ont contribué à accroître
fortement les effectifs étudiants. Aujourd’hui, alors que deux tiers des
étudiants n’habitent plus chez leurs parents et que le logement est leur
principal poste de dépense, il est de plus en plus difficile pour eux de se
loger, en particulier dans les métropoles « en tension » qui
connaissent une demande de plus en plus forte.
« A Lyon, par exemple, depuis 15
jours, 3 semaines, je reçois 10 appels par jour de gens qui cherchent un
logement et qui ne trouvent pas. A Lyon c'est compliqué, à Marseille c'est
compliqué, à Bordeaux c'est compliqué », déroule Lionel Lérissel, président
de l’office national du logement étudiant Fac Habitat et président du réseau. Si
l’ensemble du territoire est confronté à des difficultés, c’est en
Île-de-France qu’elles se concentrent le plus fortement. Avec près de 700 000
étudiants, dont une part importante d'internationaux, l’Île-de-France cumule
des loyers élevés, une offre de logements insuffisante et un faible taux de
rotation dans le parc locatif.
En
raison de la pénurie de logements, de nombreux jeunes conservent le leur
au-delà de la fin de leurs études, ce qui limite d’autant plus la disponibilité
pour les nouveaux arrivants de se loger. « Alors
que les enjeux à relever y sont complexes et les conditions de logement plus
difficiles qu’ailleurs, aucune gouvernance n’a été mise en place pour
travailler collectivement sur le sujet »,
déplore la Cour des comptes dans son rapport.
Pour
Lionel Lérissel, la solution serait d’avoir une gouvernance unique au niveau de
l’Île-de-France pour avoir une vision globale, et non plus une mosaïque de
situations. « Ce qu’il faut, c’est un pilotage
global de l'Île-de-France qui mette ensemble le développement du logement
conventionné et le développement du logement libre »,
explique-t-il. Lionel Lérissel regrette qu’on ne
regarde pas suffisamment « l'éventail des possibles », par exemple en
libérant du foncier sur les campus ou les lycées qui en ont.
Pour
autant, il tient à nuancer la situation globale : « Aujourd’hui nous ne
sommes plus dans la situation du logement étudiant d’il y a 20 ans : on a
créé du logement, l’État a quand même investi, notamment avec l'APL. Il est
fautif et réprimandable sur le fait qu'il n'ait pas suffisamment piloté les
choses, pas organisé, pas créé de plans, pas mis en place de moyens. Mais il ne
faut pas oublier que l'argent qu'on dépense dans le logement étudiant sert quand
même à loger des gens. »
Réduire les inégalités
territoriales
Dans son rapport, la Cour souligne que « le soutien
national au logement des étudiants ne répond pas à l’enjeu de réduction des
inégalités territoriales ». Pour François Rio, délégué général de l’Association
des villes universitaires de France (AVUF), cette absence de territorialisation pose problème.
Quand François Hollande promet 40 000 logements sociaux pour les étudiants, ou
Emmanuel Macron 80 000 logements pour les jeunes dont 60 000 pour les
étudiants, « ce sont des chiffres prononcés au niveau national, sans dire à
quel endroit, pour qui, de quelle manière, déplore François Rio. Ces
volumes sont presque plus paralysants qu'autre chose parce qu'ils ne tiennent
pas compte des énormes contrastes qui peuvent exister d’un territoire à l'autre
».
À Toulouse, 75 %
des étudiants viennent de l’extérieur de la Haute-Garonne. A l’inverse à
Marseille, seuls 35 % proviennent de l’extérieur des Bouches-du-Rhône. «
Forcément, la problématique du besoin n'est pas la même », explique
François Rio, qui souligne l’importance de prendre également en compte les
profils d’étudiants, le taux de boursiers, le type d’établissement et la
disponibilité du parc privé, principal mode de logement des étudiants.
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Depuis 2017, l’AVUF développe des observatoires
territoriaux du logement étudiant (OTLE) avec la Fédération des agences
urbaines. Ces structures, dispersées dans toute la France, collectent et
analysent des données et effectuent un « travail politique » pour
orienter l’action publique de façon ciblée. « Deux
projets d’OTLE ont été portés en Île-de-France depuis 2018, sans succès : un
projet régional, suspendu en 2021 faute d’acteur pour animer la gouvernance
commune, et un projet d’observatoire départemental du Val-de Marne, mis en
sommeil », souligne la Cour des comptes.
« La présence des collectivités dans la gouvernance est
indispensable, explique François Rio. Car ce sont les maires qui
accordent les permis de construire, et les intercommunalités qui définissent
une grosse partie de la politique de l'habitat. »
Selon
François Rio, il faudrait imposer dans chaque nouveau programme immobilier un
pourcentage de mètres carrés réservé au logement des étudiants. En mettant
l’accent en dehors de la capitale où il existe davantage d’opportunités
foncières. « L'équation, ne peut être résolue que si une grande partie
des étudiants qui sont dans les établissements parisiens, sont logés en dehors
de Paris. Mais les maires sont plutôt rétifs », regrette François Rio.
Des réponses « insuffisantes »
De
son côté, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) déplore
globalement un manque de coordination des différents acteurs et actrices sur le
logement et des réponses « insuffisantes » et inadaptées. Selon
la fédération, une partie de la solution se trouve dans la pérennisation du
dispositif d’encadrement des loyers, pour l’instant expérimental. La FAGE
voudrait même aller plus loin en créant un encadrement non exclusivement
réservé aux villes « sous tension » mais dirigé vers une offre de
location particulièrement prisée par les étudiants, en visant spécifiquement
les studios et des T1bis.
En
ce moment, la fédération commence à recevoir une vague d’e-mails, qui revient
chaque année à la même période et qui devrait se poursuivre jusqu’à fin
septembre : des étudiants en détresse, acceptés dans une formation mais
incapables de trouver un logement adapté à leur budget, contraints de renoncer
à leur projet ou craignant de devoir le faire. Dès la rentrée, la FAGE pourrait
voir affluer des témoignages d’étudiants qui dorment dans leur voiture ou
victimes d’arnaques de la part de bailleurs privés.
Dans
son rapport, la Cour des comptes soulignait le besoin d’étudier le rapport
entre la réussite étudiante et le logement étudiant, reconnaissant que « le
logement a un impact central sur les conditions de vie des étudiants » sans
qu’une « corrélation avec la réussite des parcours
académiques » n’ait pas pu être objectivée, faute d’étude en la
matière.
La
FAGE, elle, va encore plus loin : « L’accessibilité à l'enseignement
supérieur dépend du logement étudiant », avance Flore Grèze. «
Certains étudiants renoncent à leurs études ou à effectuer une mobilité dans
leur parcours faute de moyens, et se limitent aux formations proches de chez
eux. Mais l’accès à l’enseignement supérieur devrait être un moment
d’émancipation. »
Marion Durand
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