MARD : zoom sur l’ARA et la césure du procès civil qui viennent d’entrer en vigueur


jeudi 2 novembre 20238 min
Écouter l'article

Introduits dans le Code de procédure civile, ces nouveaux mécanismes, officiellement mis en place depuis ce 1er novembre, visent à faciliter le règlement des conflits tout en donnant plus de pouvoir à l’avocat dans le cadre de la césure, et en réintroduisant des notions telles que le jugement et la clôture partiels dans le débat judiciaire.

Elles avaient été annoncées, les voici entrées en vigueur ! Ce 1er novembre, la procédure d’audience de règlement amiable (ARA) et la procédure dite de césure du procès civil ont officiellement investi le paysage du droit et de la justice, à la suite du décret paru au Journal officiel le 30 juillet dernier, venant modifier, via la rédaction de sept nouveaux articles, le traitement des contentieux devant le tribunal judiciaire en matière civile.

S’inscrivant dans le cadre du plan d’action pour la justice énoncé en janvier 2023 par le ministre de la Justice lors des Etats généraux, ces nouvelles procédures introduites dans le Code de procédure civile visent à faciliter et moderniser le règlement des conflits « après la saisine du tribunal judicaire » indique le décret.

Et bien que ces nouveaux mécanismes soient « facultatifs », le Conseil national des barreaux (CNB) n’a pas manqué d’animer un webinaire au lendemain de la publication de la circulaire de mise en application de ces outils, le 18 octobre dernier. Objectif : décrypter cette dernière pour en permettre une meilleure appréhension par les professionnels concernés, à savoir les magistrats, les directeurs des services de greffe judiciaires, les avocats, les médiateurs, les conciliateurs de justice et les particuliers, est-il listé dans ledit décret.

En introduction, le président du CNB Jérôme Gavaudan a tenu à rappeler l’importance pour la profession des règlements à l’amiable, sans pour autant évincer le juge dans le rendu des décisions : « les modes amiables ne doivent pas se substituer à l’office du juge. (…) Il n’a jamais été question pour nous que le juge s’efface derrière des modes alternatifs dans le règlement des différends. Et je crois que les équilibres sont trouvés ! » s’est-il réjoui, malgré des inquiétudes qui planent sur ces nouvelles procédures, et notamment chez les avocats « partenaires essentiels de ces dispositifs » a estimé le Directeur des affaires civiles et du Sceaux Rémi Decout-Paolini.

L’ARA, un mécanisme qui « n’est pas utilisable en matière d’état et de capacité des personnes »

Pour débuter la présentation, le chef du bureau du droit de la procédure au ministère de la Justice, Kevin Leclere Vue, a expliqué qu’à la différence du second nouveau mécanisme qu’est la césure, l’audience de règlement des différends et un « véritable mode amiable à part entière », inspiré par ce qui se fait au Québec. Concernant son périmètre d’application, cette mesure d’administration judiciaire s’applique à la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire et au référé.

Mais dans quels domaines précisément ? Concrètement, l’ARA ne s’applique que pour les droits pour lesquels les parties ont la libre disposition, autrement dit les droits extra patrimoniaux, a indiqué le chef du bureau du droit de la procédure. De fait, ce mécanisme « n’est pas utilisable en matière d’état et de capacité des personnes ». En matière familiale par exemple, il n’est pas possible de faire usage de l’ARA pour le prononcé du divorce, en revanche, on peut en faire usage pour les conséquences du divorce, a-t-il illustré.

Concernant la prise de décision d’orientation de l’affaire en audience de règlement amiable, le président de la formation de jugement peut dans ce cadre la prononcer, à l’instar du président de l’audience d’orientation et du juge de la mise en état. Toutefois, a précisé Kevin Leclere Vue, « il est peu probable que l’ARA soit ordonnée massivement dans ce contexte, car le juge de la mise en état, après une premier échange de conclusion, a globalement l’ensemble des questions en litige, faisant de lui le plus à même en amont de déterminer si une affaire doit aller en audience de règlement amiable ou non ».

En outre, la décision de conduire une affaire en ARA « n’est pas susceptible de recours en tant que telle », et elle peut être prise dans un cadre d’injonction, autrement dit le juge peut décider de la convocation des parties non pas avec leur accord mais juste après avoir recueilli leurs avis. Les parties devront alors se rendre à l’audience et « à charge pour elles de mettre un terme à [celle-ci] ». À noter toutefois que « convoquer les parties interrompt l’instance et le délai de péremption de l’instance », a précisé le chef du bureau du droit de la procédure au ministère de la Justice, sorte de gage de sécurité juridique.

Par ailleurs, a rassuré Kevin Leclere Vue, cette décision ne dessaisi pas le juge saisi du litige qui, comme il l’a souligné, ne préside pas l’audience pour des « raisons évidentes », à savoir un préjugement de la part du juge saisi sur l’affaire.

Un principe d’impartialité et de confidentialité plus étendu 

Mais ce fonctionnement crée finalement « l’impartialité du juge », a estimé le chef du bureau du droit de la procédure au ministère de la Justice. Concrètement, les présidents des tribunaux judiciaires prendront des ordonnances de roulement pour organiser le service juridictionnel. Elles prévoiront à ce titre « qu’à telle date, tel magistrat présidera des ARA de telle sorte que le greffier convoquera les parties à la première date utile à laquelle sera attachée une audience de règlement ». De plus, la désignation des magistrats à titre temporaire et honoraire a été ajoutée dans la loi organique est vient faciliter l’organisation envisagée, a précisé Kevin Leclere Vue.

Et si l’ARA assure une certaine sécurité juridique notamment lors d’une interruption de l’instance comme susmentionné, cela est également le cas sur le principe de confidentialité. En effet, celui-ci est plus étendu que celui prévu à l’article 213 de la loi du 8 février 1995, a expliqué Kevin Leclere Vue, afin que les parties se sentent en sécurité dans les échanges, « c’est-à-dire que dans tout ce qui se dit ou s’écrit dans le cadre d’une ARA, rien ne pourra être discuté dans le cade de la procédure contentieuse si l’ARA achoppe sur un point et qu’elle fait l’objet d’un échec entrainant le renvoi devant le juge du litige ». Des exceptions sont toutefois à soulever, telles que des hypothèses de violations particulières de l’ordre public, par exemple.

L’ARA comme mécanisme empirique de conciliation

Concernant le déroulé de l’audience, ce « mécanisme empirique » dépendra du juge, notamment sur la durée selon le litige. Il a toutefois été préconisé de ne pas dépasser une journée, a pointé le chef du bureau du droit de la procédure.

Plus globalement, le juge qui préside l’audience de règlement va exercer une sorte de « super conciliation » selon Kevin Leclere Vue. Il est également prévu par l’ARA que le juge mêle les techniques de conciliation et de médiation pour « adapter l’office de conciliation du juge afin qu’elle soit plus poussée qu’une simple conciliation comme on peut le voir devant les différentes juridictions de l’ordre judiciaire » a indiqué Kevin Leclere Vue.

Par ailleurs, n’étant pas ici dans un processus de contentieux mais bien dans un processus de l’amiable, le mécanisme de l’ARA a été prévu pour que le juge puisse, sans obligation, aménager le contradictoire, une pratique utilisée au Québec dont s’est inspiré le ministère pour l’audience de règlement amiable. Cela permet ainsi au président de celle-ci de recevoir les parties séparément (aparté), mais il peut également étendre les avocats des parties séparément, comme cela se pratiquait pour la conciliation de divorce.

Les partie pourront également comparaitre personnellement si la procédure ne s’effectue pas avec une représentation obligatoire de l’avocat, mais aussi proposer des solutions au litige, « mécanique classique de conciliation ».

Pour ce qui est de l’issue de l’ARA, c’est le président de l’audience qui va entendre les parties et les orienter vers des solutions. À la fin, elles auront la possibilité, si elles le souhaitent, de faire établir un procès-verbal par un greffier (qui n’est pas présent à l’audience de règlement amiable mais présent au moment de l’établissement de l’accord), qui pourra cette fois soumettre au juge saisi du litige, et pas au juge de l’audience de règlement, une décision prise entre les parties, et demander une homologation.

Les parties ont également la choix de demander la position de la formule exécutoire qui peut s’appliquer ici. Mais cela est possible uniquement si l’acte issu du mode amiable résulte d’une médiation, d’une procédure participative ou de conciliation, a précisé le chef du bureau du droit de la procédure au ministère de la Justice.

Dans le cas où les parties sont totalement ou partiellement d’accord, le juge saisi du litige tranchera et renverra devant la formation du jugement les points qui demeurent en litige, de la même manière si elles ne sont pas d’accord.

La césure, moyen de rationaliser un procès civil

La seconde procédure entrée en vigueur ce 1er novembre, nommée césure du procès civil, a pour sa part été inspirée par le droit allemand, a révélé Kevin Leclere Vue, où on la retrouve sous deux formes : dans le jugement partiel sur les prétentions, et lorsque le jugement partiel porte sur les moyens. Toutefois, la césure ne concerne pas ce dernier jugement, jugé « inadapté à l’article 12 du Code de procédure civile et à l’office du juge tel qu’il est défini dans notre droit ».

Mais cette procédure n’en reste pas moins « intéressante » du point de vue du chef du bureau du droit de la procédure au ministère de la Justice, car elle met fin à « la linéarité du procès-civil ».

Mais alors comment fonctionne-t-elle ? Il faut savoir qu’il n’y a pas deux assignations dans une césure du procès, a détaillé Kevin Leclere Vue. « On assigne et on considère que dans un objectif de rationalisation du procès, on va soumettre au juge du fond que certaines prétentions seulement, pas toutes » a-t-il complété, et ce dans le but de tirer les conséquences ou éventuellement partir sur un mode de règlement amiable.

Dans un litige de liquidation de régimes matrimoniaux par exemple, la césure permet au juge de trancher sur la qualification d’un bien juridique en bien propre, « et alors on tire les conséquences en considérant que le juge ayan tranché, on ne va pas demander de créance et le litige s’arrêtera sur ce point » a-t-il illustré.

La césure permet également, dans le cas d’un exemple issu du droit de la responsabilité, la possibilité de soumettre au juge la déclaration de responsabilité pour ensuite s’engager dans un processus de règlement amiable sur le montant des indemnités, à la fois pour permettre de rationnaliser le litige ou le traitement, et pour s’orienter vers un mode de résolution amiable des différends.

L’avocat réinvesti au cœur du procès civil 

Au niveau de la technique de ce mécanisme de césure, l’avocat a pleinement été réinvesti au cœur du procès civil, c’est d’ailleurs lui qui va en définir son périmètre, car « en aucun cas le juge ne peut contraindre les parties à césurer les procès », a vulgarisé Kevin Leclere Vue, elle devra bel et bien émaner des avocats. Plus particulièrement sur le mécanisme utilisé, seul le juge de la mise en état pourra orienter l’affaire en césure, « ce qui signifie qu’il devra être saisi de conclusions qui lui sont spécialement adressées » (article 791 du Code de procédure civile).

À lire aussi :

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.