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mardi 24 octobre 20238 min
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24/10/2023 15:10:25 1 10 4098 23 0 3208 3714 3841 PODCAST. Notaires : « On a la chance de pouvoir donner des conseils désintéressés »

Dans le 3e épisode de notre podcast Raide comme la justice, Thibaut Duriez, notaire, nous parle d’une profession aux 1 000 visages, témoin privilégié des moments charnières de la vie des familles et des entreprises, et au sein de laquelle technicité et humanité se côtoient.

« Le notaire offre l’étrange phénomène des trois incarnations de l’insecte ; mais au rebours : il a commencé par être un brillant papillon, il finit par être une larve. » Cette phrase, on la doit à Honoré de Balzac, dans le tome 2 des Français peints par eux-mêmes, paru en 1840.

L’écrivain, qui fut un temps clerc de notaire, n’épargne pas ses pairs, qu’il qualifie même de « gros et courts, bien portants », « sûrs d’eux », « muets quand ils parlent, effrayants quand ils ne disent rien »… Bref, des êtres voués à la médiocrité car c’est ce que la société attend d’eux, et tout ça, nous dit Balzac, pour éviter de perdre leurs clients.

Aujourd’hui encore, les notaires n’ont pas vraiment bonne presse. Cupides, ennuyeux, ils sont aussi régulièrement taxés de nourrir l’entre soi. Mais au-delà du mythe, que sont-ils vraiment ?

Des missions méconnues du grand public

Notaire, c’est justement la profession de Thibaut Duriez. Une profession à laquelle il n’était pas pré-destiné, comme il nous le raconte dans le troisième épisode de notre podcast Raide comme la justice. Mettant à mal le cliché qui veut que l’on soit « notaire de père en fils », ce Lillois qui ne compte aucun notaire au sein de sa famille est entré dans la profession en 2014, après s’être réorienté alors qu’il était engagé dans un parcours d’expertise-comptable.

Il tient à déconstruire un premier préjugé : non, le notaire n’intervient pas qu’autour de la famille et de l’immobilier. La profession couvre un spectre de matières et de missions en réalité « bien plus large » que celles pour lesquelles on la connaît traditionnellement : « On travaille également en droit des sociétés, en droit commercial : on assiste des chefs d’entreprise dans la création de sociétés, pour leurs baux commerciaux. On assiste aussi les collectivités, les communes », témoigne Thibaut Duriez. 

Autre rôle peu connu du grand public : le conseil du notaire peut être gratuit, dans le cadre des permanences juridiques. « Ce n’est pas une consultation juridique, mais si [une personne a] une question, nous sommes là pour lui répondre au titre de notre mission de service public, explique le notaire. Par exemple, ça peut être un couple qui s’est marié, qui ne savait pas qu’il fallait rédiger un contrat, et qui nous appelle car il se demande quelles conséquences juridiques et fiscales emporte ce contrat. » Ce n’est alors que dans un deuxième temps que ce conseil peut déboucher sur un « vrai » rendez-vous, « si besoin ».

Vigilance et vulgarisation

Durant ces « vraies » consultations juridiques « en physique » à l’étude, Thibaut Duriez a un maître mot : la vulgarisation. « C’est vrai qu’on utilise un vocabulaire juridique complexe. Mais on a des actes qui vont se retrouver devant un juge ou d’autres professionnels du droit : il est donc important qu’on utilise des termes juridiques exacts. Toutefois, on a aussi à côté un travail de vulgarisation important. C’est comme quand vous allez chez le médecin. On est là pour expliquer aux clients, pour faire en sorte qu’au terme du rendez-vous, ils aient bien tout compris. »

La bonne compréhension de la situation incombe d’ailleurs au notaire lui-même en premier lieu. Thibaut Duriez l’affirme : le notariat est un métier de rigueur où rien ne doit être laissé au hasard, où « chaque acte est important ». « Prenez un contrat de mariage, illustre-t-il. Si vous comprenez mal ce que vos clients vous ont expliqué, vous allez les orienter sur un régime qui ne leur est pas adapté. Or c’est un régime de toute une vie… »

« On a un travail de 

vulgarisation important »

Par ailleurs, reconnaît le notaire, « tous les actes » demandent une vigilance accrue. En cause : l’environnement juridique qui se complexifie, en dépit des lois de simplification, pointe-t-il. « Certains actes, par exemple sur des ventes immobilières, qui faisaient 20 ou 30 pages il y a une vingtaine d’années, font aujourd’hui plus de 300 pages », rapporte Thibaut Duriez. Le nombre de pièces a lui aussi été démultiplié, au grand dam des études, puisque « tous les éléments demandent une vérification ». 

Une profession pas (que) lucrative

En dépit de la technicité et de certains aspects chronophages, le notaire dépeint une profession « passion » où il rencontre des gens « qui arrivent avec une problématique » à laquelle une solution est apportée « dans la plupart des cas », mais aussi où « chaque dossier est unique : chaque immeuble a ses particularités, chaque partie a ses particularités ». « Quand je termine ma journée, je n’ai jamais fait la même chose que la veille. » De quoi tordre le cou aux clichés selon lesquels le notariat serait une profession que l’on exerce par seul intérêt pécuniaire. 

Un stéréotype « doublement faux », appuie Thibaut Duriez, puisqu’au titre de leur mission de service public, les notaires doivent répondre à la demande de tous leurs clients, « quelle qu’elle soit ». « La chance qu’on a, c’est de pouvoir pratiquer notre profession avec la liberté de donner des conseils désintéressés. On est capables de dire à un client que ce qu’il veut n’est pas possible, même si on risque de le perdre. À l’inverse, on peut le conseiller sur ses souhaits et lui apporter une réponse ». 

C’est également pour cette raison que les notaires font face à certains actes lucratifs et à d’autres qui le sont beaucoup moins : « Certains actes vont compenser les autres », expose-t-il. Son étude assiste par exemple des foncières solidaires dans des dossiers avec des investissements pour des personnes handicapées. « On a aussi travaillé avec une école dans un quartier défavorisé, on a mis en place un bail emphytéotique… » Bref, des dossiers « pas forcément rémunérateurs » mais « tout aussi importants », argue-t-il. 

Le Lillois en profite également pour épingler l’expression « frais de notaire », qui, à son sens, est trompeuse. « Quand on parle de frais de notaire de 20 000 euros, attention, ce n’est pas ce que le notaire touche », précise-t-il. Il ajoute que ce dernier a un rôle de collecteur d’impôts, et qu’à ce titre, dans le cadre d’une vente, une grande partie des taxes est reversée au Trésor public. Cet impôt sert en fait à financer les départements et les communes en matière de mutation immobilière. « En moyenne, sur les 7 % de frais de notaire lors d’un achat immobilier, le notaire touche moins d’1 %, partagé entre notaire, vendeur et acquéreur. Le reste, c’est donc de la taxe, résume-t-il. C’est important que les clients aient ceci en tête. »

Des dossiers dignes de romans

Depuis qu’il exerce, Thibaut Duriez a vu passer dans son étude des dossiers extraordinaires, parfois dignes d’un polar… à l’instar de la momie de Lille. En guise de momie, il s’agissait en réalité d’un homme décédé sans que personne ne s’en inquiète, dans les années 90, et dont le corps momifié avait été retrouvé plusieurs dizaines d’années après, dans sa maison en plein centre du vieux Lille.

Le notaire nous raconte aussi qu’un de ses clients, après avoir fait l'acquisition d’une résidence secondaire, avait fait une bien étrange découverte : « Un jour, il nous appelle et nous dit quand je suis dans ma maison, je suis dans la maison du voisin”. Il y avait une encoche : la chambre se trouvait dans la maison voisine, qui était mitoyenne », rapporte le notaire. Après avoir interrogé les voisins, il avait finalement appris que la chambre avait été jouée au poker entre les voisins dans les années 60. Une anecdote qui n’avait pas manqué de stupéfier toute l’étude : « On est là aussi pour ces moments-là ! », lâche Thibaut Duriez.

Des histoires comme dans les romans, il y en a aussi en matière de successions. Thibaut Duriez se souvient d’une donation-partage lors de laquelle un client, au moment de la lecture de l’acte qui stipule « devant les seuls enfants du donataire », avait craqué et avoué devant toute sa famille qu’il avait une double vie et qu’il avait d’autres enfants. Ou encore d’une succession au cours de laquelle un homme avait découvert qu’il avait une sœur… et donc qu’il devait, à son grand désarroi, partager l’héritage en deux. 

« Il faut faire preuve de pédagogie et d’humanité »

Alors qu’ils sont plongés au cœur des familles, les notaires assistent tout autant à des moments joyeux – des « étapes de vie », comme la signature d’un contrat de mariage, « même si ce n’est qu’un contrat » –, qu’à des moments de grande tension. « Il y a beaucoup d’affect dans certains dossiers, notamment en matière de partage judiciaire, quand une partie des héritiers souhaite conserver la demeure familiale, que l’autre partie ne veut pas, et que la succession n’a pas les moyens. » Thibaut Duriez confie qu’il a déjà vu, au sein de son étude, « des héritiers en venir aux mains ». « C’est compliqué », admet-il. 

Le notaire défend bec et ongles son rôle de médiateur. « On n’est pas là pour faire le vigile, mais il faut savoir mettre un stop et essayer de trouver une solution. On est des hommes de loi, et il faut rappeler la règle légale, car si on ne le fait pas, on ne se fait pas entendre. » Par ailleurs, « il faut faire preuve de pédagogie et, surtout, de beaucoup d’humanité », insiste-t-il : « On est dans des situations où les personnes doivent se séparer de quelque chose qui a du sens pour elles, où il y a des choses difficiles à entendre. Il faut savoir les écouter, se mettre à leur place pour mieux comprendre ce qu’ils souhaitent. »

Il arrive ainsi que la situation se dégoupille dans son étude, où les parties prennent enfin le temps de discuter, de crever l’abcès. « Parfois, les membres d’une famille ne se parlent plus et ne savent même plus pourquoi ils ne se parlent plus », témoigne Thibaut Duriez. Il se souvient de clients qu’il avait réunis pour une signature d’acte. « En 45 minutes de discussion, ils se sont expliqués », se remémore-t-il. « [Prendre ce temps-là], ça fait partie de notre métier. Si on leur dit “c’est signé, merci, vous [vous expliquez] sur le parking de l’étude“, on ne fait pas bien notre travail. » La preuve, estime-t-il : les notaires sont « accessibles ». « Les stéréotypes créent l’appréhension sur notre profession, alors qu’on est au service de nos clients. »

Retrouvez l’intégralité de l’épisode « Le notaire est un 'fils de' » ici.

Bérengère Margaritelli

 

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