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Dans
le 3e épisode de notre podcast Raide comme la justice, Thibaut Duriez, notaire,
nous parle d’une profession aux 1 000 visages, témoin privilégié des moments
charnières de la vie des familles et des entreprises, et au sein de laquelle
technicité et humanité se côtoient.
« Le
notaire offre l’étrange phénomène des trois incarnations de l’insecte ; mais au
rebours : il a commencé par être un brillant papillon, il finit par être une
larve. » Cette phrase, on la doit à Honoré de Balzac, dans le tome 2 des
Français peints par eux-mêmes, paru en 1840.
L’écrivain,
qui fut un temps clerc de notaire, n’épargne pas ses pairs, qu’il qualifie même
de « gros et courts, bien portants », « sûrs d’eux », « muets
quand ils parlent, effrayants quand ils ne disent rien »… Bref, des êtres
voués à la médiocrité car c’est ce que la société attend d’eux, et tout ça,
nous dit Balzac, pour éviter de perdre leurs clients.
Aujourd’hui
encore, les notaires n’ont pas vraiment bonne presse. Cupides, ennuyeux, ils
sont aussi régulièrement taxés de nourrir l’entre soi. Mais au-delà du mythe,
que sont-ils vraiment ?
Des
missions méconnues du grand public
Notaire,
c’est justement la profession de Thibaut Duriez. Une profession à laquelle il
n’était pas pré-destiné, comme il nous le raconte dans le troisième épisode de
notre podcast Raide comme la justice.
Mettant à mal le cliché qui veut que l’on soit « notaire de père en fils »,
ce Lillois qui ne compte aucun notaire au sein de sa famille est entré dans la
profession en 2014, après s’être réorienté alors qu’il était engagé dans un
parcours d’expertise-comptable.
Il
tient à déconstruire un premier préjugé : non, le notaire n’intervient pas
qu’autour de la famille et de l’immobilier. La profession couvre un spectre de
matières et de missions en réalité « bien plus large » que
celles pour lesquelles on la connaît traditionnellement : « On
travaille également en droit des sociétés, en droit commercial : on assiste des
chefs d’entreprise dans la création de sociétés, pour leurs baux commerciaux.
On assiste aussi les collectivités, les communes », témoigne Thibaut
Duriez.
Autre
rôle peu connu du grand public : le conseil du notaire peut être gratuit, dans
le cadre des permanences juridiques. « Ce n’est pas une consultation
juridique, mais si [une personne a] une question, nous sommes là pour lui
répondre au titre de notre mission de service public, explique le notaire.
Par exemple, ça peut être un couple qui s’est marié, qui ne savait pas qu’il
fallait rédiger un contrat, et qui nous appelle car il se demande quelles conséquences
juridiques et fiscales emporte ce contrat. » Ce n’est alors que
dans un deuxième temps que ce conseil peut déboucher sur un « vrai »
rendez-vous, « si besoin ».
Vigilance
et vulgarisation
Durant
ces « vraies » consultations juridiques « en physique » à
l’étude, Thibaut Duriez a un maître mot : la vulgarisation. « C’est
vrai qu’on utilise un vocabulaire juridique complexe. Mais on a des actes qui
vont se retrouver devant un juge ou d’autres professionnels du droit : il est
donc important qu’on utilise des termes juridiques exacts. Toutefois, on a
aussi à côté un travail de vulgarisation important. C’est comme quand vous
allez chez le médecin. On est là pour expliquer aux clients, pour faire en
sorte qu’au terme du rendez-vous, ils aient bien tout compris. »
La
bonne compréhension de la situation incombe d’ailleurs au notaire lui-même en
premier lieu. Thibaut Duriez l’affirme : le notariat est un métier de rigueur
où rien ne doit être laissé au hasard, où « chaque acte est important ».
« Prenez un contrat de mariage, illustre-t-il. Si vous comprenez
mal ce que vos clients vous ont expliqué, vous allez les orienter sur un régime
qui ne leur est pas adapté. Or c’est un régime de toute une vie… »
« On a un travail de
vulgarisation important »
Par
ailleurs, reconnaît le notaire, « tous les actes » demandent
une vigilance accrue. En cause : l’environnement juridique qui se complexifie,
en dépit des lois de simplification, pointe-t-il. « Certains actes, par
exemple sur des ventes immobilières, qui faisaient 20 ou 30 pages il y a une
vingtaine d’années, font aujourd’hui plus de 300 pages », rapporte
Thibaut Duriez. Le nombre de pièces a lui aussi été démultiplié, au grand dam
des études, puisque « tous les éléments demandent une vérification ».
Une
profession pas (que) lucrative
En
dépit de la technicité et de certains aspects chronophages, le notaire dépeint
une profession « passion » où il rencontre des gens « qui
arrivent avec une problématique » à laquelle une solution est apportée
« dans la plupart des cas », mais aussi où « chaque
dossier est unique : chaque immeuble a ses particularités, chaque partie a ses
particularités ». « Quand je termine ma journée, je n’ai
jamais fait la même chose que la veille. » De quoi tordre le
cou aux clichés selon lesquels le notariat serait une profession que l’on
exerce par seul intérêt pécuniaire.
Un
stéréotype « doublement faux », appuie Thibaut Duriez,
puisqu’au titre de leur mission de service public, les notaires doivent
répondre à la demande de tous leurs clients, « quelle qu’elle soit ».
« La chance qu’on a, c’est de pouvoir pratiquer notre profession avec
la liberté de donner des conseils désintéressés. On est capables de dire à un
client que ce qu’il veut n’est pas possible, même si on risque de le perdre. À
l’inverse, on peut le conseiller sur ses souhaits et lui apporter une réponse ».
C’est
également pour cette raison que les notaires font face à certains actes lucratifs
et à d’autres qui le sont beaucoup moins : « Certains actes vont
compenser les autres », expose-t-il. Son étude assiste par exemple des
foncières solidaires dans des dossiers avec des investissements pour des
personnes handicapées. « On a aussi travaillé avec une école dans un
quartier défavorisé, on a mis en place un bail emphytéotique… » Bref,
des dossiers « pas forcément rémunérateurs » mais « tout
aussi importants », argue-t-il.
Le
Lillois en profite également pour épingler l’expression « frais de
notaire », qui, à son sens, est trompeuse. « Quand on parle de
frais de notaire de 20 000 euros, attention, ce n’est pas ce que le
notaire touche », précise-t-il. Il ajoute que ce dernier a un rôle de
collecteur d’impôts, et qu’à ce titre, dans le cadre d’une vente, une grande
partie des taxes est reversée au Trésor public. Cet impôt sert en fait à
financer les départements et les communes en matière de mutation immobilière. « En
moyenne, sur les 7 % de frais de notaire lors d’un achat immobilier, le notaire
touche moins d’1 %, partagé entre notaire, vendeur et acquéreur. Le reste,
c’est donc de la taxe, résume-t-il. C’est important que les clients
aient ceci en tête. »
Des
dossiers dignes de romans
Depuis
qu’il exerce, Thibaut Duriez a vu passer dans son étude des dossiers
extraordinaires, parfois dignes d’un polar… à l’instar de la momie de Lille. En
guise de momie, il s’agissait en réalité d’un homme décédé sans que personne ne
s’en inquiète, dans les années 90, et dont le corps momifié avait été retrouvé
plusieurs dizaines d’années après, dans sa maison en plein centre du vieux
Lille.
Le
notaire nous raconte aussi qu’un de ses clients, après avoir fait l'acquisition
d’une résidence secondaire, avait fait une bien étrange découverte : « Un
jour, il nous appelle et nous dit “quand je suis dans ma maison, je
suis dans la maison du voisin”. Il y avait une encoche : la chambre se
trouvait dans la maison voisine, qui était mitoyenne », rapporte le
notaire. Après avoir interrogé les voisins, il avait finalement appris que la
chambre avait été jouée au poker entre les voisins dans les années 60. Une anecdote
qui n’avait pas manqué de stupéfier toute l’étude : « On est là aussi
pour ces moments-là ! », lâche Thibaut Duriez.
Des
histoires comme dans les romans, il y en a aussi en matière de successions.
Thibaut Duriez se souvient d’une donation-partage lors de laquelle un client,
au moment de la lecture de l’acte qui stipule « devant les seuls
enfants du donataire », avait craqué et avoué devant toute sa famille
qu’il avait une double vie et qu’il avait d’autres enfants. Ou encore d’une
succession au cours de laquelle un homme avait découvert qu’il avait une sœur…
et donc qu’il devait, à son grand désarroi, partager l’héritage en deux.
« Il
faut faire preuve de pédagogie et d’humanité »
Alors
qu’ils sont plongés au cœur des familles, les notaires assistent tout autant à
des moments joyeux – des « étapes de vie », comme la signature
d’un contrat de mariage, « même si ce n’est qu’un contrat » –,
qu’à des moments de grande tension. « Il y a beaucoup d’affect dans
certains dossiers, notamment en matière de partage judiciaire, quand une partie
des héritiers souhaite conserver la demeure familiale, que l’autre partie ne
veut pas, et que la succession n’a pas les moyens. » Thibaut Duriez
confie qu’il a déjà vu, au sein de son étude, « des héritiers en venir
aux mains ». « C’est compliqué », admet-il.
Le
notaire défend bec et ongles son rôle de médiateur. « On n’est pas là
pour faire le vigile, mais il faut savoir mettre un stop et essayer de trouver
une solution. On est des hommes de loi, et il faut rappeler la règle légale,
car si on ne le fait pas, on ne se fait pas entendre. » Par ailleurs, « il
faut faire preuve de pédagogie et, surtout, de beaucoup d’humanité »,
insiste-t-il : « On est dans des situations où les personnes doivent se
séparer de quelque chose qui a du sens pour elles, où il y a des choses
difficiles à entendre. Il faut savoir les écouter, se mettre à leur place pour
mieux comprendre ce qu’ils souhaitent. »
Il
arrive ainsi que la situation se dégoupille dans son étude, où les parties
prennent enfin le temps de discuter, de crever l’abcès. « Parfois, les
membres d’une famille ne se parlent plus et ne savent même plus pourquoi ils ne
se parlent plus », témoigne Thibaut Duriez. Il se souvient de clients
qu’il avait réunis pour une signature d’acte. « En 45 minutes de
discussion, ils se sont expliqués », se remémore-t-il. « [Prendre
ce temps-là], ça fait partie de notre métier. Si on leur dit “c’est signé,
merci, vous [vous expliquez] sur le parking de l’étude“, on ne fait pas bien
notre travail. » La preuve, estime-t-il : les notaires sont « accessibles ».
« Les stéréotypes créent l’appréhension sur notre profession, alors
qu’on est au service de nos clients. »
Retrouvez l’intégralité
de l’épisode « Le notaire est un 'fils
de' » ici.
Bérengère Margaritelli
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