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« Un de nos défis est de faire venir les enfants à l’école », déclarait le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, lors de la conférence de presse gouvernementale du jeudi 28 mai 2020, qui présentait la phase 2 du déconfinement. Depuis mardi 2 juin 2020, toutes les écoles du territoire français, dans l’Hexagone comme dans les Outre-mer, sont ainsi à nouveau ouvertes. Mais les parents sont-ils obligés de renvoyer leurs enfants à l’école ? Quels sont les devoirs des parents et de leurs enfants ? Réponses avec Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, Samia Bendali, principale du collège Charles Senard de Caluire-et-Cuire (Rhône), Marie-Hélène Fabiani, avocate, élue du Conseil national des barreaux ; et Céline Rouxel, mère de trois enfants. Tous et toutes se sont réuni(e)s virtuellement lors d’un webinaire le 26 mai dernier.
Lorsqu’Emmanuel Macron annonce le confinement général sur le territoire français lundi 16 mars 2020, l’ensemble de la population française est bouleversé. Les personnels de l’Éducation nationale ne sont évidemment pas une exception. « En quarante-huit heures, un métier qui est fondamentalement fondé sur la relation directe, en présentiel avec un élève, a changé. (…) derrière ça, il y a aussi l’obligation à l’instruction et le droit à la scolarisation », relate Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire.
Afin de répondre à cette obligation d’instruire les 12 millions d’élèves français, les établissements scolaires ont mis en place différents outils parmi lesquels les classes virtuelles.
Problèmes de connexion, saturation des services numériques, non acheminement des devoirs… Instruire à distance s’avère parfois compliqué ! De nombreuses difficultés liées à Internet et son usage apparaissent en effet dès les premiers jours du confinement.
« Il y a eu un afflux énorme sur les ENT – les espaces numériques de travail – des collèges et lycées, avec des problèmes de connexion car ce sont des prestations qui se font au niveau de chaque établissement, qui n’avaient pas été dimensionnées pour accueillir tous les élèves en même temps », précise Édouard Geffray.
En plus des ENT, la plateforme du Centre national d’enseignement à distance (CNED) « Ma classe à la maison », permet elle aussi aux élèves de suivre des cours en ligne. Au total, plus de 2,5 millions de foyers dont 5 millions d’élèves se connectent parfois simultanément. Conséquence : il y a « saturation des tuyaux ».
Au sein des foyers, des obstacles supplémentaires viennent s’ajouter aux autres. Pour Céline Rouxel, mère de trois enfants scolarisés, « ça s’est globalement bien passé mais de façon assez inégale ». Son fils, élève dans le primaire, « a eu une continuité pédagogique sans faille ». Mais pour celui scolarisé au collège, cela n’a pas été le cas avec « 50 % des enseignants présents et 50 % des enseignants absents ». Quant à sa fille aînée, lycéenne, seuls « trois professeurs se sont manifestés ».
En interne, il a fallu apprendre à jongler entre les différents plannings des enfants. « Même si nous avons la chance d’avoir tout le matériel nécessaire et la connexion, [nous étions parfois] quatre personnes connectées [en même temps] : moi en télétravail et parfois les enfants sur le site du CNED… De temps en temps nous devions faire des choix. Un enfant a dû abandonner son cours pour laisser la place à un autre, qui devait suivre un cours un peu plus important, car tout le monde ne pouvait pas être connecté sur le CNED en même temps, à ce moment-là », explique la mère de famille.
Pour y remédier, les membres des équipes pédagogiques ont dû revoir toute leur organisation. « On a travaillé en équipe pour proposer des modalités différentes. Il a fallu réfléchir à des créneaux horaires. (…) Il a fallu s’adapter, mais au fil du temps ça s’est équilibré », raconte Samia Bendali, principale du collège Charles Senard de Caluire-et-Cuire.
« Le côté négatif, c’est qu’on a aussi perdu des élèves », déplore-t-elle. Selon le ministère de l’Éducation nationale, entre 4 et 10 % des élèves ont quitté les radars dès le début du confinement. Fracture numérique, situation familiale instable ou encore barrière de la langue de certains parents… Les raisons sont diverses. L’objectif des personnels de l’Éducation nationale affiché par Édouard Geffray est clair : « raccrocher les anneaux pour qu’on ne perde pas ces jeunes ».
« L’exigence de la reprise »
Ainsi, depuis le 11 mai 2020, le retour à l’école de ces élèves devient urgent. « L’exigence de la reprise est à la fois pédagogique, en termes de niveau. Psychologique aussi, parce qu’on a des enfants qui n’ont pas pu beaucoup sortir. On a des enfants souffrant de déconnexion très forte, on a vraiment eu peu de connexion avec eux pendant deux mois. Et l’exigence de la reprise est sociale (…) On doit à nos élèves, et notamment à ceux qui sont dans une situation de fragilité, de pouvoir reprendre l’école », poursuit-il.
Pour les élèves qui n’ont pas accès à Internet, certains établissements acheminent leurs devoirs par la poste grâce à un partenariat signé entre les deux parties. Le directeur général de l’enseignement scolaire l’assure : « 10 à 15 000 devoirs ont été envoyés par jour au mois de mai, dans toute la France par courrier. C’est le cadre qui continue à exister aujourd’hui, pour tous les élèves qui n’ont pas encore pu reprendre le chemin de l’école. »
Des stages de soutien sont également gratuitement mis en place pendant les vacances scolaires. Déjà déployés aux vacances de printemps, ils le seront à nouveau cet été. « Des centaines de milliers d’élèves ont déjà bénéficié de cours de soutien individuels ou en groupe », se réjouit Édouard Geffray.
Aussi, le dispositif 2S2C – pour Sport Santé Culture Civisme – permet aux enfants, dont les professeurs sont absents, de bénéficier d’activités proposées par les communes. Une rotation de petits groupes est prévue afin de toujours respecter les gestes barrières.
L’objectif premier est néanmoins « qu’un maximum d’enfants soit retourné à l’école ». « On en a déjà récupéré sur la première semaine [de déconfinement]. On doit vraiment se mobiliser sur les élèves qui ont décroché mais aussi sur nos élèves avec un gros besoin particulier », appuie Samia Bendali.
Grande section, CP, CM2, 6e ou 5e… Les classes charnières sont les premières visées par ce retour progressif à l’école. « On a accueilli, lundi [11 mai 2020], 50 % de nos effectifs de 6e et de 5e. Ils viennent tous les jours, en demi-groupe », raconte la principale. Selon un sondage réalisé par son établissement, entre 70 et 80 % de ces élèves devraient revenir sur les bancs d’école d’ici la fin du mois.
L’accent est aussi mis sur les élèves en situation de handicap. « Ils bénéficient, dans les écoles, d’un AESH [Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap], et cette aide est très importante car elle est déterminante pour l’apprentissage de ces enfants et donc, en situation de confinement, cette aide n’a pas pu être la même. Et donc, pour que ces écarts ne se creusent pas, ces publics-là sont prioritaires », expose Édouard Geffray.
Mise en place d’un protocole sanitaire
Si la réouverture des écoles se conjugue localement, une validation d’un protocole sanitaire en conseil d’administration est nécessaire dans tous les établissements. C’est ce qu’explique Samia Bendali. « Durant le confinement, nous avons toujours été en lien avec les familles, avec les fédérations des parents d’élèves via les vidéo conférences. Cela nous a permis aussi de travailler ensemble sur un protocole de retour ». Elle rajoute : « En tant que cheffe d’établissement, la priorité était de sécuriser nos parents, sécuriser nos élèves. »
Les règles édictées sont les mêmes pour tous et toutes : port d’un masque par les personnels et les élèves, maintien de la distanciation sociale, lavage régulier des mains...
Le premier objet du protocole sanitaire vise à « protéger l’ensemble des personnes qui fréquentent l’espace scolaire à un instant T ou au-delà de cet instant. C’est-à-dire les enfants d’abord, donc leurs parents puisque, derrière, c’est l’ensemble des familles, les profs, et l’ensemble des personnels qui travaillent au bon fonctionnement de la structure », souligne le directeur de l’enseignement scolaire Édouard Geffray.
Le deuxième se veut rassurant. « Si on sait qu’on est protégé et que les règles sont respectées, alors on a confiance et on peut retourner sereinement à l’école, quelle que soit sa situation ».
Enfin, le troisième a pour but « de transmettre un certain nombre de gestes que l’enfant comme ses parents vont devoir appliquer dans d’autres environnements ».
Que les parents inquiets soient rassurés. « L’école restera ce qu’elle est, c’est-à-dire, sanitairement, un espace sûr », affirme Édouard Geffray.
Et que faire en cas de désaccord entre les parents quant au retour de leurs enfants à l’école ? La réponse à cette question est apportée par Marie-Hélène Fabiani, avocate, élue du Conseil national des barreaux. « En l’état, très souvent, ce qui va se passer, et de façon pragmatique, c’est que le chef d’établissement ne prendra pas le risque de recevoir un enfant dès lors qu’un des parents s’y oppose ». L’avocate précise : « On se retrouve dans une période inédite où l’instruction peut se faire à la maison ou à l’école directement. Tant que l’instruction est toujours là, il n’y a vraisemblablement pas de délit. L’instruction est une obligation entre 3 et 16 ans, mais pas la scolarisation. Hors période Covid, on peut tout à fait décider de faire l’école à la maison. »
Lutter contre le cyber-harcèlement
Pendant cette période particulière, l’utilisation des plateformes numériques par les enfants a ainsi explosé. L’occasion pour les personnels de l’Éducation nationale de se repositionner contre le cyber-harcèlement. Chaque année depuis le 4 octobre 2018, se déroule « La journée du droit dans les collèges », organisée conjointement par le ministère de l’Éducation nationale et le Conseil national des barreaux.
« Dans cette période où il a été difficile d’avoir un contact humain, le contact numérique a été exacerbé et le cyber-harcèlement existe toujours », prévient Marie-Hélène Fabiani. « Les enfants qui ont été exposés ont été surexposés et ceux qui avaient été préservés jusqu’alors, qui n’avaient pas de téléphone portable, ont connu ces réseaux. Là, le rôle des profs, et notre rôle d’avocat, c’est de continuer à expliquer, à alerter les enfants, sur des principes simples : respect de la vie privée, faire attention à ne pas publier n’importe quoi et ce, même si on s’ennuie, et aussi une problématique sur les données personnelles. Je pense que dans le monde d’après, il va falloir être encore plus vigilants pour alerter les enfants sur les droits et devoirs sur les réseaux sociaux et sur le cyber-harcèlement. »
Jadine Labbé Pacheco
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