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Valérie Maldonado, directrice de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), a ouvert le 28 janvier dernier, à l’école militaire, une soirée d’échange axée sur les propos haineux diffusés sur les réseaux sociaux. La directrice pose la question : Internet est-il en train d’organiser les réseaux de la haine ?
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François Jost, professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne-Nouvelle, estime que la haine commence par des mots dits performatifs, c’est-à-dire des mots qui agissent sur la réalité. Les mots sont aussi des actes. Pour le philosophe Jean-Luc Nancy, la haine est pratiquement contraire à la formule de Pascal « le moi est haïssable ». Elle part du fait qu’il n’y a que le « moi ». Une personne se place au centre de tout et considère chaque autre moi comme une sorte d’ennemi. Les réseaux sociaux compliquent cette relation. Ils permettent au moi de s’étendre à un groupe, à la famille, la communauté qui, pareillement, se considère comme un moi, une cellule autonome, un corps unique. La haine verbale est un premier pas vers l’acte.
Constat, panorama de la haine
François-Xavier Masson, directeur de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, dirige Pharos, site de signalement des contenus illicites de l’Internet qui n’est pas spécifiquement dédié aux discours de haine. La plateforme est animée par des policiers et des gendarmes qui recueillent tous types de signalements envoyés par les internautes sur n’importe quel contenu jugé illicite. Ces contenus constituent potentiellement une infraction à la loi pénale. Le nombre de signalements augmente constamment depuis sa création, passant de 50 000 en 2009 à 228 000 en 2019.
Proportionnellement, la typologie des signalements ne varie pas : elle concerne premièrement des escroqueries, deuxièmement des atteintes sexuelles contre les mineurs (échanges de fichiers pédopornographiques) et troisièmement les discours de haine (discrimination, injure, diffamation). Internet est un déversoir de haine dont le débit croît année après année.
De 14 000 en 2009, le nombre de signalements de discours discriminatoires est passé à 24 000 dix ans plus tard. Tous ne constituent pas une infraction pénalement répréhensible déclenchant une enquête judiciaire.
Les services de Pharos différencient la haine « de tous les jours » (celle du voisin qui insulte la terre entière) ; la haine de ceux qui relayent des tweets, les alimentent et participent à leur propagation ; et enfin la haine professionnalisée construite par des animateurs de site, de blogs et des forums qui réapparaissent de manière récurrente. C’est plutôt contre cette dernière catégorie que des actions de lutte sont entreprises dans le but de déclencher des enquêtes et des pour suites si nécessaire.
Le problème majeur tient à la qualification du discours de haine. En France, chacun a l e droit d’être raciste à titre privé. Par contre, est considéré comme une infraction le fait de diffuser sa haine, d’être raciste, d’insulter, de diffamer ou d’injurier d’autres communautés. La contextualisation du discours haineux est un élément primordial de l’action judiciaire.
Pharos intervient pour des contenus signalés accessibles à l’ensemble des internautes. Il n’intervient pas dans le cadre de relations privées comme des mails, des forums, des groupes… qui sont inaccessibles à l’ensemble du public. Là, il appartient à la victime de porter plainte.
Quand le message s’adresse au plus grand nombre, la plateforme entre en action. Le web offre une capacité planétaire à déverser des flots de haine. « Naïfs, les auteurs, cachés derrière leur ordinateur, se croient anonymes et s’imaginant intouchables, s’autorisent à dire n’importe quoi ».
Témoignage
Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo, milite pour la laïcité et contre l’islamisme. Ouvertement athée avec un background musulman, elle est apostate aux yeux des Musulmans et passible de la peine de mort selon la doctrine islamique.
La haine qui la cible, celle des intégristes musulmans, s’applique contre toute personne qui ose porter un discours de contradictions ou de critique sur l’Islam. Cette haine-là, aujourd’hui, nécessite en France que des personnes se déplacent avec une protection policière. À titre personnel, Zineb El Rhazoui vit sous protection policière depuis maintenant plus de cinq ans. Comme d’autres civils, principalement des anciens de Charlie Hebdo, elle est accompagnée en permanence de policiers armés. Autre exemple, l’affaire Mila. Cette jeune fille a critiqué l’Islam et le Coran. Face aux menaces, elle a été exfiltrée de son lycée. Sa vie a basculé du jour au lendemain. Les passages à l’acte comme celui de Charlie Hebdo attestent d’un énorme problème de refus de toute critique de l’Islam. Une espèce de déferlante islamiste haineuse sur les réseaux sociaux s’acharne sur toute personne qui ose porter un discours de contradiction sur cette religion.
Zineb El Rhazoui reçoit pour sa part de façon très régulière des contenus de haine depuis septembre 2009, année où elle avait organisé un pique-nique pendant le ramadan au Maroc.
Parfois, on lui adresse plus de 100 menaces de morts par jour, sans compter tout le reste. En novembre 2019 par exemple, lorsque le rappeur Booba, suivi par un million de followers sur Instagram, a appelé avec un hashtag à la punir, la journaliste a subi une explosion de notifications sur son téléphone : « pute », « grosse pute », « sale pute », « va crever », etc. Dans un tel contexte, tout militant laïc est submergé par ces contenus-là, par ces comportements-là.
En conséquence, faire valoir ses droits en tant que victime de discours haineux devient impossible car il faudrait alors enregistrer des plaintes au commissariat trois ou quatre fois par semaine.
La liberté de consci
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