« Défendre l’excellence à la française » : le Comité national anti-contrefaçon montre un visage uni face à un phénomène d’ampleur


lundi 31 mars6 min
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Mercredi 26 mars, le Comité national anti-contrefaçon (Cnac) a dressé son bilan à l’occasion d’une assemblée générale pour le moins hétéroclite : autour de la table, des institutions publiques, des autorités judiciaires et administratives, des entreprises et des représentants du savoir-faire français. Le constat dressé est amer : la contrefaçon prend de nouvelles formes, atteint tous les secteurs de l’industrie et se déploie à grande vitesse grâce aux plateformes en ligne.

C’est un fait qui mérite d’être souligné : cet après-midi-là, dans la salle de conférences du ministère de l’économie et des finances qui accueille l’événement, partenaires publics et privés s’expriment d’une seule voix.

Chaque année, le bilan des travaux du Cnac permet de dresser un état des lieux en matière de lutte contre la contrefaçon, un phénomène qui touche tous les secteurs d’activité, des cosmétiques au tabac en passant par les jouets… et même pièces détachées automobile.

« Derrière ces produits se trouvent des organisations criminelles transnationales qui font peser un risque sur la sécurité et la santé des consommateurs », déplore Christophe Blanchet, député (Les Démocrates) du Calvados et président du Cnac, pour qui la lutte contre la contrefaçon doit se faire dans la même veine que la lutte contre le narcotrafic.

L'AG 2024 du Cnac était notamment pilotée par Christophe Blanchet (à g.), président du Cnac, et Pascal Faure, directeur général de l'INPI

« Je regrette d’ailleurs que la lutte contre la contrefaçon n’ait pas été englobée par la loi narcotrafic, notamment le sujet de tabac de contrebande qui passe par les mêmes réseaux », complète-t-il pendant les discussions.

Réalisé par l’IFOP pour l’UNIFAB (Union des fabricants) et l’INPI en 2023, un sondage montre que 34 % des consommateurs français et 37 % des 15-24 ans ont déjà été dupés par une contrefaçon.

21,5 millions d’articles contrefaits retirés du marché par la douane

En France, la lutte anti-contrefaçon est incarnée par le CNAC depuis 1995. Cette instance unique réunit des fédérations industrielles, des associations professionnelles, des entreprises et les autorités concernées par la lutte anti-contrefaçon.

30 ans après sa création, le Comité se dit « en ordre de marche », malgré des chiffres vertigineux et des méthodes toujours plus créatives du côté des contrefaisants, qui se déploient dorénavant en ligne via les grands sites de commerces et les réseaux sociaux.

« En matière de contrefaçon, après une année record en 2023, les résultats en 2024 sont à la hausse et pour la 5e année consécutive », souligne Valérie Brochet, cheffe de la section politique commerciale à la Direction générale des douanes et des droits indirects.

« Cette année, la douane française a retiré du marché 21,5 millions d’articles contrefaits. Parmi eux, 34 % d’articles de reconditionnement, 27 % de jouets et jeux, 10 % de parfums et produits cosmétiques, mais aussi des compléments alimentaires dangereux et des médicaments falsifiés ». Soit un total de 645,2 millions d’euros. Et avec le développement du commerce en ligne, augmentent aussi les saisies de contrefaçons dans le fret express et postal : plus de 3 millions d’articles ont été saisis en 2024.

Coopération renforcée et opération sensibilisation

En parallèle, en 2024, les membres du Cnac, répartis en groupes de travail, ont mené plusieurs actions : développement de la coopération internationale et technique, par exemple avec le Maghreb, le Mercosur et la Chine, des formations dispensées aux entreprises – « car quand elles viennent, nous voir c’est souvent trop tard », alerte Lionel Vignaud, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales de la CPME -, développement des relations avec les correspondants et les référents commerçants en région, et campagnes de communication auprès du grand public.

La cybercontrefaçon est désormais un sujet de première ligne : le Cnac a sollicité de nouveaux alliés, comme l’Arcom, pour travailler à la mise en œuvre du règlement européen sur les services numériques (DSA) et sur le statut de « signaleur de confiance » sur les plateformes en ligne.

Jean-Claude Masson, directeur juridique anti-contrefaçon chez Hermès, relate : « Nous nous sommes rapprochés de l’Arcom sur la protection intellectuelle dans le cadre numérique (…). Certaines plateformes, comme Temu, se sont emparées du sujet et ont mis en place des procédures pour signifier aux acheteurs qu’ils commettent un délit. (…). Au-delà de l’application du DSA, il fallait rassurer les ayants-droits. »

Simplifier les procédures de traitement des signalements s’accompagne d’une éducation à grande échelle, dont les plateformes doivent aussi s’emparer, malgré leur « inaction » dénoncée ce jour-là par Benoît Loutrel, président du groupe de travail « Supervision des plateformes en ligne » de l'Arcom.

C’est donc du côté des citoyens que le combat se mène en parallèle. Le spot « La contrefaçon c’est non », diffusé pendant tout le mois de décembre sur Tf1 + et les réseaux sociaux, a rapporté « 55 millions de vues cumulées », se réjouit Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l’UNIFAB.

Le groupe de travail « Sensibilisation et communication » relate les retombées « très positives » de ces campagnes devenues virales, notamment sur TikTok. Et pour cause : ces réseaux sociaux prisés des jeunes sont les endroits où, de plus en plus, passent les ventes clandestines de produits contrefaits.

Par ailleurs, la campagne « Ne jouez pas avec le feu », dont l’objectif était d’alerter sur les dangers des cigarettes de contrebande, a été diffusée à grande échelle dans les gares et les bureaux de tabac. « Fumer tue, on le sait, mais fumer des cigarettes de contrefaçon est encore plus dangereux ! », commente Christophe Blanchet. Présence aux événements - comme le Salon du Made in France ou Viva Technology -, spots télés, formation des enseignants… L’assemblée s’accorde sur le fait que la sensibilisation à grande échelle reste un levier incontournable dans la lutte contre la contrefaçon.

« La lutte contre la contrefaçon a atteint une efficacité à tous les niveaux, souligne Christophe Blanchet. En 30 ans, beaucoup il y a eu beaucoup d’avancées, mais nous devons nous rendre à l’évidence : notre instance est aussi nécessaire qu’à sa création ».

Les intervenants martèlent, à plusieurs reprises, la nécessité grandissante d’une coopération internationale et entre les services publics à tous les niveaux de l’administration. Le partage d’informations s’avère désormais essentiel, entre pays mais aussi à échelle nationale avec, pourquoi pas, la création d’un poste de coordinateur interministériel, propose Christophe Blanchet.

En 2024, des actions ciblées autour des grands événements sportifs

L’assemblée générale est également l’occasion de faire le point sur des opérations de contrôle d’ampleur menées pendant l’année 2024, notamment à l’occasion de grands événements sportifs où la visibilité des marques laissait craindre des pratiques commerciales trompeuses.

C’est l’adjointe à la cheffe du bureau en charge des produits industriels de la DGCCRF, Juliette Savaton, qui s’en charge, en racontant l’approche « à 360° » menée de pair avec les douanes pour contrôler entre autres les acteurs du commerce en ligne. « 429 établissements contrôlés, dont 55 sites internet, qui ont donné lieu à 34 suites pédagogiques et 20 suites correctives », détaille la haute fonctionnaire. Juliette Savaton précise que 23 partenaires ont collaboré à ces projets menés à l’échelle européenne.

Dans le cadre de l’opération « Coubertin » menée pendant les Jeux olympiques, de nombreux ateliers clandestins ont été « visités » et 600 000 produits de contrefaçon en lien direct avec les JO ont été découverts. L’opération « Héraclès » a permis de démanteler 17 établissements de fabrication de l’Est parisien, donnant lieu à la saisie de plusieurs centaines de milliers d’articles falsifiés.

Les autorités douanières et de lutte contre la fraude font état de leurs objectifs pour 2025 : continuer de s’attaquer aux revenus générés par les trafics de contrefaçon, « une activité très lucrative », augmenter la coopération européenne et développer les enquêtes pour détournement douanier.

« La contrefaçon, à l’achat ou à la vente menace le savoir-faire français, la propriété intellectuelle des entreprises et provoque également des dégâts écologiques majeurs. Les travaux du Cnac portent leurs fruits mais, face aux chiffres, il faut aller plus loin et plus vite notamment à l’échelle européenne et internationale », rappelle Pascal Faure, directeur général de l’INPI, à l’issue de la rencontre.

L’un des aspects de la feuille de route 2025 du Cnac sera aussi la protection juridique des petites et moyennes entreprises. Outre des formations, des dispositifs innovants sont à l’étude, notamment pour faciliter les démarches en ligne.

L’intervention de Centre d'études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), de l’Université de Strasbourg, permet d’entrevoir quelques pistes pour combler les « vides juridiques » et faciliter la surveillance et la détection des méfaits en ligne, ainsi que réduire les coûts pour les ayants-droits. Au cœur de la stratégie de ces chercheurs : un nouvel outil baptisé IPShield, fonctionnant avec l’IA.

Mylène Hassany

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