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2,4 millions de Français sont aujourd’hui en attente de logement en France. Les agréments de logements sociaux sont en baisse. Selon le dernier bilan du gouvernement, beaucoup de communes ne respecteraient pas les engagements de quotas de logements sociaux imposés par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU). Alors que le rôle des maires est pointé du doigt, le gouvernement a lancé à la mi-octobre une concertation en vue d’une loi de décentralisation. Face à la crise du logement, quel est le rôle des maires ?
À l’occasion du colloque
annuel de l’établissement public foncier (EPF) Ile-de-France, une table ronde sur
ce thème s’est justement tenue le 8 décembre 2023 en présence d’élus et de
représentants d’institutions en charge du logement.
Le 13 octobre dernier, la Première
ministre a lancé une concertation avec les élus des intercommunalités au sujet
du projet de loi portant sur le logement. Cette loi concerne essentiellement la
décentralisation de la politique du logement. Au deuxième trimestre prochain,
les parlementaires étudieront ce volet.
Le gouvernement justifie le
projet de décentralisation comme une étape indispensable à l’accompagnement des
intercommunalités dans leur volonté de faire correspondre l’offre de logements
et la demande. En décentralisant cette mission, l’exécutif entend accorder
davantage de pouvoir aux élus locaux qui connaissent bien les enjeux de leur
territoire et sont les plus aptes à proposer des solutions adaptées. L’objectif
de cette loi de décentralisation est avant tout d’assurer un équilibre en
matière d’habitat et de besoins des habitants. Le gouvernement espère la faire voter
avant la fin de l’année 2024.
En quelques années, le nombre
de demandes de logements sociaux a doublé en France. Leur pénurie est flagrante
dans les grandes villes. Martial Foucault, directeur du Cevipof (Centre de
recherches politiques de Sciences Po), a partagé, lors de la table ronde de
l’EPF, un sondage réalisé en novembre 2023 auprès d’un panel de citoyens.
Le verdict est sans appel,
59,6% des habitants de communes de plus de 9 000 habitants estiment que le parc
immobilier de leur ville n’a pas la capacité nécessaire. Dans les territoires,
les résultats s’inversent. Seulement 33,4% des habitants des communes rurales
considèrent que leur ville n’offre pas suffisamment de logements.
Le directeur du Cevipof
dresse un constat : les maires privilégient l’efficacité à l’égalité des
politiques publiques. Il précise que « 85%
des élus locaux privilégient l’efficacité de singularité du territoire à
l’égalité ». Selon Martial Foucault, la politique du logement est un « enjeu sur le plan local. L’égalité
n’est plus synonyme d’efficacité ».
La Fondation Abbé Pierre a
récemment ciblé des communes qui ne respectent pas les objectifs imposés par la
loi SRU. En effet, cette loi portant solidarité et renouvellement urbain impose
un quota minimum de 20 à 25% de logements sociaux d’ici 2025 pour les communes
de plus de 3 500 habitants appartenant à une intercommunalité de plus de 50 000
habitants. Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Idheal (Institut des Hautes
Études pour l’Action dans le Logement), précise que les résultats du bilan
réalisé sur trois ans sont très négatifs. Plus de la moitié des communes
concernées par la loi SRU ne répondent pas à leurs objectifs.
Le constat n’est cependant
pas le même dans tous les territoires. Alors que des régions comme la
Normandie, la Bretagne ou les Hauts-de-France ont dépassé leurs objectifs, La
Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Ile-de-France sont quant à elles bien en
dessous. Les communes de Périgny (Val-de-Marne) et Coubron (Seine-Saint-Denis)
sont celles qui présentent les résultats les plus faméliques. D’autres villes
récalcitrantes d’Ile-de-France sont également pointées du doigt :
Neuilly-sur-Seine, Rambouillet, Maisons-Laffitte ou encore Vincennes.
Le directeur du Cevipof
présente un deuxième constat. Les maires bâtisseurs ont davantage de risques d’être
battus aux élections municipales. Si ce résultat peut paraître affligeant,
c’est pourtant ce qu’il ressort d’une étude de l’Idheal. Dans les communes de
plus de 5 000 habitants, les maires bâtisseurs risquent davantage d’être battus
aux élections que d’être réélus. En revanche, la tendance s’inverse dans les
communes de moins de 5 000 habitants où les maires bâtisseurs ont plus de
chances d’être réélus pour un nouveau mandat municipal.
Par ailleurs, Jean-Marc
Offner, directeur de l’école urbaine de Sciences Po, évoque une difficulté de
coopération entre les élus locaux. Il craint qu’une décentralisation de la
politique du logement ne fasse qu’aggraver cette tendance.
Une tribune de 34 élus
(maires et présidents d’intercommunalités) s’est récemment constituée. Elle
réclame l’octroi de moyens supplémentaires aux collectivités pour améliorer les
parcs de logements sociaux. Les signataires demandent la régulation des prix
fonciers ainsi que ceux des constructions de logements. Ils sollicitent
également une meilleure gestion des habitats vacants et la mise en place de
politiques foncières.
La maire de Vincennes souligne
le peu de pouvoir des élus lors de l’attribution des logements sociaux. Selon
elle, l’État devrait laisser aux maires davantage de latitude dans les décisions
d’affectation. L’élue regrette également la suppression de la taxe d’habitation
qui constitue une importante perte de recettes pour les collectivités.
Dans la région Ile-de-France,
construire des logements abordables dans le contexte d’inflation relève de
l’impossible. En plus du prix du foncier qui occupe une place dominante dans un
projet de construction, s’ajoutent les outils de régulation des prix qui
laissent une faible marge de manœuvre aux collectivités.
« Un
maire n’a aujourd’hui aucun intérêt à construire des logements », énonce
Charlotte Libert-Albanel, maire de Vincennes. Elle justifie ses propos en invoquant
la grande complexité juridique associée à cette activité pour les
collectivités. La réglementation en vigueur est très exigeante pour la
construction de logements. Cela impose aux élus de connaître les règles du code
de l’urbanisme, du code de l’environnement ou encore du code rural.
La maire de Vincennes qui
compte 50 000 habitants précise que les recours de voisins qui s’opposent à un
chantier à proximité de leurs biens sont de plus en plus fréquents. Ces recours
rallongent les délais de livraison et alourdit la charge de travail des municipalités.
Charlotte Libert-Albanel
ajoute qu’« un maire qui construit
prend le risque de faire accepter par sa population le fait de densifier
davantage la commune ». À ce sujet, la déléguée générale de l’Idheal intervient
et précise que c’est le rôle des élus de devoir expliquer aux habitants que la
construction de logements sociaux n’est pas négative. Elle ajoute que les
logements sociaux ne sont pas attribués qu’à des personnes défavorisées, mais
également à des agents qui œuvrent dans la protection de la population, tels
que les pompiers, les fonctionnaires de police ou les personnels soignants.
« À
Vincennes, nous sommes passés en quelques années de 7 à 12% de logements
sociaux » atteste la maire de Vincennes. Malgré les
difficultés auxquelles sont confrontés les élus dans la construction, l’élue
assure qu’elle poursuit les projets dans sa commune. Elle apporte un regard
particulier à l’esthétisme des bâtiments afin de favoriser leur meilleure
acceptation par la population.
Selon la maire de Vincennes,
la construction de logements sociaux n’est pas la seule solution pour lutter
contre la crise du logement : « en
France, on aborde le logement social sous le prisme de la construction de
logements sociaux supplémentaires, mais on n’aborde pas le sujet de la
mobilité au sein des logements ». Un travail plus approfondi en
matière de gestion permettrait une mobilité plus efficace au sein des logements
sociaux. Elle ajoute qu’« un
logement social doit être un logement de passage et ne doit pas être un
logement à vie ».
De l’avis du député de Paris,
David Amiel, chargé de mission sur les logements des agents publics, la
rénovation énergétique est également un moyen d’accroître le nombre de
logements sociaux. D’après lui, il faut aller plus loin dans la rénovation
énergétique des bâtiments anciens. Mais il est plus complexe de procéder à des
rénovations énergétiques dans des logements collectifs ou dans des bâtiments
historiques. Le député précise « en
matière de rénovation en milieu urbain dense, nous nous retrouverons dans la
même impasse que la construction. Je porterai des amendements en ce sens dans
le projet de loi sur le logement ».
La construction de logements
sociaux est indispensable pour combler les besoins de logements. David Amiel
conclut : « nous devons trouver
un meilleur équilibre au niveau du logement social ».
Mélanie
Pautrel
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