Société

Morts violentes au sein du couple : 96 féminicides en 2023


dimanche 15 décembre 20246 min
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Le ministère de l’Intérieur a publié le rapport 2023 des morts violentes au sein du couple. Si la majorité des chiffres sont en baisse, le document fait état d'autres aspects préoccupants, tels que le nombre d'infanticides commis dans un contexte conjugal ou le pourcentage de victimes qui avaient déjà signalé des violences antérieures avant leur mort.

119 morts, 96 femmes, 23 hommes, auxquels s’ajoutent neuf mineurs décédés, identifiés comme « victimes collatérales ». S’ils sont en baisse (145 morts en 2022), les derniers chiffres des morts violentes en couple[1] révèlent que la lutte contre les violences conjugales en France reste un travail de long terme.

Publiée chaque année, l’étude est produite par la Délégation aux victimes (DAV), une sous-structure de la direction nationale de la police judiciaire. Elle récolte ses données auprès des services d’enquête, et collecte aussi des éléments d’information qui permettent de contextualiser les faits au-delà de leur simple qualification pénale, tels que les modes opératoires, l’existence de violences antérieures au sein du couple, ou encore la présence d’enfants mineurs sur les lieux du crime. 

Les données intègrent également les morts violentes survenues au sein de relations non-maritales (petit ami, relations extra-conjugales ou non stables), ces dernières étant considérées, légalement, comme relevant du couple. Le terme de « morts violentes » rassemble pour sa part des faits d'assassinat, de meurtre, d'empoisonnement, de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ou l'administration de substances nuisibles aux conséquences fatales.

Une majorité de victimes féminines et d’auteurs masculins

Le rapport recense en moyenne un décès enregistré tous les trois jours et 451 tentatives d’homicides (au sein du couple). Principales victimes : les femmes, qui représentent 83% des statistiques, soit 96 victimes (elles étaient 118 en 2023). En parallèle, une part significative d’hommes (23 en 2023, pour 27 en 2022). Et parmi l’ensemble de ces sujets, 42 victimes (dont 37 femmes et 5 hommes) avaient déjà subi au moins une forme de violence de la part de leur partenaire ou de leur ex-partenaire. 

Fait inquiétant, similaire aux années précédentes, 81 % de ces 37 femmes victimes de violences antérieures les avaient signalées aux forces de l’ordre. En d’autres termes : près d’un tiers des femmes tuées par leur conjoint avaient parlé des violences qu’elles subissaient. Seulement quatre d’entre elles bénéficiaient d’une ordonnance de protection.

Les chiffres ne sont pas sans rappeler l’affaire Chahinez Daoud, brûlée vive à Mérignac en mai 2021 par son ex-conjoint, lequel sera jugé pour assassinat aux assises de Gironde en mars 2025. Quelques semaines avant son meurtre, la jeune femme était allée porter plainte pour violences et tentative d’étranglement… ignorant que le policier qui la recevrait avait lui-même été condamné pour violences conjugales.

Masculins à 82 %, les auteurs des faits, dont la moyenne d’âge est de 48 ans (18 % d’entre eux ont 70 ans et plus), étaient, seulement pour une minorité d’entre eux, sous l’emprise de substances psychoactives, dont l’alcool (31 %) ou les stupéfiants (11 %).

Le refus de la séparation, principal mobile du passage à l’acte

En croisant les données du rapport du ministère de l'intérieur, une classologie « type » de ces drames peut être établie :

-     Le profil type de la victime : une femme de nationalité française, âgée de 30 à 49 ans et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle.

-     Le profil type de l’auteur : un homme le plus souvent en couple, de nationalité française, âgée de 30 à 59 ans et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle.

-     Le lieu des faits : principalement au domicile conjugal. 79% des faits sont commis au domicile du couple (64 faits), de la victime (24 faits) ou de l’auteur (6 faits).

-     Les modes opératoires majoritaires : le recours à une arme, quelle que soit sa nature (70%, soit à 83 reprises), l’asphyxie de la victime, par strangulation ou par étouffement (13%, soit à 15 reprises) et les coups (8%, soit à 10 reprises).

-     Dans le cas de l’usage d’une arme : l’auteur privilégie l’arme blanche (56%) devant l’arme à feu (34%). Sur les 28 auteurs ayant utilisé une arme à feu, l’arme était déclarée et détenue légalement à 10 reprises (36 %).

-     Le refus de la séparation et la dispute au sein du couple demeurent les principaux mobiles du passage à l’acte.

Une infographie produite par la délégation aux victimes permet de visualiser ces faits.


Infographie : Délégation aux victimes (ministère de l’Intérieur)

Les enfants sont également victimes des violences conjugales

Victimes « collatérales » mais victimes réelles, non comptabilisées dans les 118 morts violentes (au sein du couple), les enfants représentent un autre revers alarmant des homicides ayant lieu au cœur du système parental. Ainsi, le rapport relève « neuf victimes collatérales mineures décédés[2] ».

Au-delà des violences dont ils peuvent être directement victimes, le détail de leur « rôle » dans ces morts violentes au sein du couple est également étudié. L’étude souligne ainsi que, même si elle n’est pas significative (18% des cas), la présence des enfants à proximité de la scène de crime n’empêche pas le passage à l’acte. Dans 10 affaires, les homicides ont été commis devant 12 mineurs. Dans cinq affaires, c’est l’un des enfants qui a donné l’alerte ou fait prévenir les secours.

114 enfants mineurs sont devenus orphelins de père, de mère ou des deux parents, lors de 51 affaires de morts violentes au sein d’un couple en 2023. En mars dernier, la Fédération France Victimes alertait justement sur l’isolement et le stress post-traumatique auquel ils pouvaient être confrontés, dans son rapport 2022 sur les féminicides.

Une méthode qui mériterait d’être modernisée

Outil précieux dans la lutte contre les violences conjugales, le rapport du ministère de l’intérieur peut servir de source à des pistes plus adaptées pour protéger les victimes de violences conjugales. Etabli annuellement depuis 2006, le rapport n’intègre cependant pas les dernières recherches effectuées sur le sujet, comme le contrôle coercitif. Par exemple, le nombre de morts violentes dans le couple ne prend typiquement pas en compte le phénomène du contrôle coercitif, lequel est aujourd’hui de plus en plus appréhendé à l’échelle de l’institution judiciaire.

Concept psycho-social apparu dans les années 1970, popularisé dans les années 2000, il correspond à des comportements de micro-agressions et d’aliénation, qui, à travers des actes répétés et continus, donnent à l’auteur la possibilité de prendre le contrôle sur la victime. Destructeur et insidieux, parfois associé au harcèlement, cette forme de violence mériterait sans doute d’être formalisée dans cette étude, et comptabilisée au même titre que les « violences physiques » ou « violences psychologiques » (non-caractérisées) connues, déjà indiquées.

Dans le même registre, l’étude ne prend pas en compte les suicides forcés. Conséquence directe du contrôle coercitif, ou plus généralement, d’une maltraitance psychologique, physique ou sexuelle, le lien entre suicide et violences conjugales est régulièrement mis en évidence par des associations et la recherche académique. En novembre dernier, la Miprof[3] introduisait cette notion dans son décompte global, appuyée par une statistique alarmante : selon l’organisme, 773 femmes victimes de harcèlement par leur (ex)conjoint ont été conduites au suicide ou à une tentative de suicide en 2023.

Laurène Secondé


[1] L’existence d’une relation de couple, actuelle ou passée, au regard du droit pénal, constitue une circonstance aggravante de l’ensemble de ces homicides.

[2] Ne sont comptabilisés dans cette étude que les faits commis sur les enfants mineurs du couple.

[3] Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains


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