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Le ministère de l’Intérieur a publié le rapport 2023 des morts violentes au sein du couple. Si la majorité des chiffres sont en baisse, le document fait état d'autres aspects préoccupants, tels que le nombre d'infanticides commis dans un contexte conjugal ou le pourcentage de victimes qui avaient déjà signalé des violences antérieures avant leur mort.
119 morts, 96 femmes, 23
hommes, auxquels s’ajoutent neuf mineurs décédés, identifiés comme « victimes
collatérales ». S’ils sont en baisse (145 morts en 2022), les derniers
chiffres des morts violentes en couple[1]
révèlent que la lutte contre les violences conjugales en France reste un
travail de long terme.
Publiée chaque année, l’étude est produite par la Délégation aux victimes (DAV), une sous-structure de la direction nationale de la police judiciaire. Elle récolte ses données auprès des services d’enquête, et collecte aussi des éléments d’information qui permettent de contextualiser les faits au-delà de leur simple qualification pénale, tels que les modes opératoires, l’existence de violences antérieures au sein du couple, ou encore la présence d’enfants mineurs sur les lieux du crime.
Les données intègrent également les morts
violentes survenues au sein de relations non-maritales (petit ami, relations
extra-conjugales ou non stables), ces dernières étant considérées, légalement,
comme relevant du couple. Le terme de « morts violentes » rassemble
pour sa part des faits d'assassinat, de meurtre, d'empoisonnement, de violences
volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ou
l'administration de substances nuisibles aux conséquences fatales.
Une
majorité de victimes féminines et d’auteurs masculins
Le rapport recense en moyenne un décès enregistré tous les trois jours et 451 tentatives d’homicides (au sein du couple). Principales victimes : les femmes, qui représentent 83% des statistiques, soit 96 victimes (elles étaient 118 en 2023). En parallèle, une part significative d’hommes (23 en 2023, pour 27 en 2022). Et parmi l’ensemble de ces sujets, 42 victimes (dont 37 femmes et 5 hommes) avaient déjà subi au moins une forme de violence de la part de leur partenaire ou de leur ex-partenaire.
Fait inquiétant, similaire aux années précédentes, 81 % de ces 37 femmes victimes de violences antérieures les avaient signalées aux forces de l’ordre. En d’autres termes : près d’un tiers des femmes tuées par leur conjoint avaient parlé des violences qu’elles subissaient. Seulement quatre d’entre elles bénéficiaient d’une ordonnance de protection.
À lire aussi : Les violences conjugales ont augmenté de 10 % en 2023
Les chiffres ne sont pas sans rappeler l’affaire Chahinez Daoud, brûlée vive à Mérignac en mai 2021 par son ex-conjoint, lequel sera jugé pour assassinat aux assises de Gironde en mars 2025. Quelques semaines avant son meurtre, la jeune femme était allée porter plainte pour violences et tentative d’étranglement… ignorant que le policier qui la recevrait avait lui-même été condamné pour violences conjugales.
Masculins à 82 %, les auteurs
des faits, dont la moyenne d’âge est de 48 ans (18 % d’entre eux ont 70 ans et
plus), étaient, seulement pour une minorité d’entre eux, sous l’emprise de
substances psychoactives, dont l’alcool (31 %) ou les stupéfiants (11 %).
Le
refus de la séparation, principal mobile du passage à l’acte
En croisant les données du
rapport du ministère de l'intérieur, une classologie « type » de ces
drames peut être établie :
- Le profil type de la victime
: une femme de nationalité française, âgée de 30 à 49 ans et n’exerçant pas ou
plus d’activité professionnelle.
- Le profil type de l’auteur
: un homme le plus souvent en couple, de nationalité française, âgée de 30 à 59
ans et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle.
- Le lieu des faits :
principalement au domicile conjugal. 79% des faits sont commis au domicile du
couple (64 faits), de la victime (24 faits) ou de l’auteur (6 faits).
- Les modes opératoires
majoritaires : le recours à une arme, quelle que soit sa
nature (70%, soit à 83 reprises), l’asphyxie de la victime, par strangulation
ou par étouffement (13%, soit à 15 reprises) et les coups (8%, soit à 10
reprises).
- Dans le cas de l’usage d’une
arme : l’auteur privilégie l’arme blanche (56%)
devant l’arme à feu (34%). Sur les 28 auteurs ayant utilisé une arme à feu,
l’arme était déclarée et détenue légalement à 10 reprises (36 %).
- Le refus de la séparation
et la dispute au sein du couple demeurent les principaux mobiles du passage à
l’acte.
Une infographie produite par
la délégation aux victimes permet de visualiser ces faits.
Les
enfants sont également victimes des violences conjugales
Victimes « collatérales »
mais victimes réelles, non comptabilisées dans les 118 morts violentes (au sein
du couple), les enfants représentent un autre revers alarmant des homicides
ayant lieu au cœur du système parental. Ainsi, le rapport relève « neuf victimes
collatérales mineures décédés[2] ».
Au-delà des violences dont
ils peuvent être directement victimes, le détail de leur « rôle » dans
ces morts violentes au sein du couple est également étudié. L’étude souligne
ainsi que, même si elle n’est pas significative (18% des cas), la présence des
enfants à proximité de la scène de crime n’empêche pas le passage à l’acte.
Dans 10 affaires, les homicides ont été commis devant 12 mineurs. Dans cinq
affaires, c’est l’un des enfants qui a donné l’alerte ou fait prévenir les
secours.
114 enfants mineurs sont
devenus orphelins de père, de mère ou des deux parents, lors de 51 affaires de
morts violentes au sein d’un couple en 2023. En mars dernier, la Fédération France Victimes alertait justement sur
l’isolement et le stress post-traumatique auquel ils pouvaient être confrontés,
dans son rapport 2022 sur les féminicides.
Une
méthode qui mériterait d’être modernisée
Outil précieux dans la lutte
contre les violences conjugales, le rapport du ministère de l’intérieur peut servir
de source à des pistes plus adaptées pour protéger les victimes de violences
conjugales. Etabli annuellement depuis 2006, le rapport n’intègre cependant pas
les dernières recherches effectuées sur le sujet, comme le contrôle coercitif. Par
exemple, le nombre de morts violentes dans le couple ne prend typiquement pas
en compte le phénomène du contrôle coercitif, lequel est aujourd’hui de plus en
plus appréhendé à l’échelle de l’institution
judiciaire.
Concept psycho-social apparu
dans les années 1970, popularisé dans les années 2000, il correspond à des
comportements de micro-agressions et d’aliénation, qui, à travers des actes
répétés et continus, donnent à l’auteur la possibilité de prendre le contrôle
sur la victime. Destructeur et insidieux, parfois associé au harcèlement, cette
forme de violence mériterait sans doute d’être formalisée dans cette étude, et
comptabilisée au même titre que les « violences physiques » ou « violences
psychologiques » (non-caractérisées) connues, déjà indiquées.
Dans le même registre,
l’étude ne prend pas en compte les suicides forcés. Conséquence directe du
contrôle coercitif, ou plus généralement, d’une maltraitance psychologique,
physique ou sexuelle, le lien entre suicide et violences conjugales est
régulièrement mis en évidence par des associations et la recherche académique.
En novembre dernier, la Miprof[3] introduisait cette notion
dans son décompte global, appuyée par une statistique alarmante : selon
l’organisme, 773 femmes victimes de harcèlement par leur (ex)conjoint ont été
conduites au suicide ou à une tentative de suicide en 2023.
Laurène Secondé
[1] L’existence d’une relation de couple,
actuelle ou passée, au regard du droit pénal, constitue une circonstance
aggravante de l’ensemble de ces homicides.
[2] Ne sont comptabilisés dans cette étude que
les faits commis sur les enfants mineurs du couple.
[3] Mission interministérielle pour la protection
des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains
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