Tribunal d’Évry : « Je n’ai pas envie de retourner en prison »


vendredi 27 décembre 20245 min
Écouter l'article

CHRONIQUE. Un homme de 24 ans comparaît devant le tribunal correctionnel d’Évry pour des violences sans ITT sur sa compagne. Ce qui marque avant tout, c’est l’attitude détachée, absente, du prévenu. Un comportement qui semble le caractériser depuis sa récente sortie de prison.

Le corps de Loïc est dans le box mais son esprit vogue ailleurs, comme s’il flottait au-dessus des basses contingences qui agitent la justice matérialiste. La présidente est tout à sa mission et rapporte les faits ; elle lit, lève le nez vers le prévenu et s’arrête, irritée : « Monsieur, c’est par là que ça se passe ! » Loïc regarde partout (la porte, chaque personne du public, ses pieds, une toile d’araignée au plafond), mais il fait comme si les trois personnes en robe noire assis en contrehaut n’existaient pas. Jugé pour des violences contre sa compagne et pour tentative d’évasion, c’est comme s’il se fichait complètement de son sort.

Le 27 septembre, Loïc et Nora* étaient à leur domicile avec leur enfant en bas âge. Nora voulait sortir et voir son père, il le lui a interdit. Elle a proposé qu’ils aillent rendre visite à un de ses amis, il lui a reproché d’avoir des intentions coupables ; ça l’a agacée, elle a rétorqué que, si elle en avait eu envie, elle l’aurait fait pendant les trois ans de détention dont il venait juste de sortir, un mois auparavant. Loïc l’a giflée sur-le-champ. Puis a donné un autre coup. Il l’a saisie par la veste et la jetée sur le canapé. Leur fils est sorti de la chambre à ce moment-là, attirant l’attention de son père. Nora a essayé de s’enfuir de l’appartement, mais elle a été rattrapée à peine sortie du hall. Elle a eu le temps de glisser son téléphone dans la boîte aux lettres, ce que le prévenu a remarqué. Après l’avoir ramenée et enfermée dans l’appartement, Loïc est parti chercher le téléphone de Nora. Elle en a profité pour appeler sa belle-sœur par la fenêtre. La mère de famille est descendue de son 6e étage, a récupéré l’enfant et est repartie, tandis que Loïc retenait sa compagne prisonnière dans l’appartement.

« Ce que je sais, c’est que je n’ai pas tapé »

Après un moment, le prévenu a décidé d’emmener sa conjointe chez ses cousines, qui habitent le même immeuble, privant toujours Nora de sa liberté. Les cousines en question ont tenté de le raisonner. Nora s’est mise à pleurer. Loïc s’est énervé, a tiré sa compagne par le col jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Les policiers sont appelés et le père de famille finit par être emmené au commissariat. Sur place, profitant d’un moment d’inattention des policiers, il s’est enfui en courant, passant par la cour arrière du bâtiment. Facilement rattrapé, Loïc conteste avoir voulu s’évader : « Je devais aller voir le médecin.

-     Le médecin n’est pas dans la cour, et on ne part pas seul en courant.

-     Je n’ai pas d’autres réponse à vous donner ».

Loïc est comme ça. : laconique et contrariant. « Que dites-vous sur les faits de violences ?

-     Ce que je sais, c’est que je n’ai pas tapé.

-     Comment vous expliquez le témoignage ?

-     Elle dit quoi ?

-     Elle dit qu’elle a été témoin des violences.

-     C’est faux. Je ne sais pas ce que vous racontez.

-     Elle a essayé de vous raisonner ?

-     Par rapport à quoi ?

-     Pourquoi Madame raconte cela quand elle est entendue ? L’appel au 17, ça n’a pas l’air de bien se passer à ce moment-là.

-     Je ne sais pas.

-     Est-ce qu’elle était libre de partir ?

-     Oui.

-     Ça vous fait quoi, que votre compagne avec qui vous avez un enfant, dise vouloir sauter par la fenêtre, c’est-à-dire mourir ?

-     Je ne sais pas. Je sais que je n’ai pas tapé.

-     Vous l’avez tirée par le col de la veste ?

-     Non. »

« Je n’ai pas d’autres réponses à vous donner. »

Le couple est lié depuis 4 ans, dont 3 ans passés en détention pour Loïc. L’enfant a 2 ans. La présidente demande à Nora si elle est allée voir le prévenu au parloir. La réponse est évidente. La magistrate poursuit :

-     « Comment envisagez-vous la suite de la relation ?

-     Je souhaite rompre.

-     Et l’enfant en commun ?

-     Il ne l’a pas reconnu. 

-     Monsieur, souhaitez-vous réagir ?

-     Je ne vois pas l’intérêt.

-     Pourquoi ne pas avoir reconnu l’enfant ?

-     Demandez à Madame.

-     Non, la question, c’est à vous que je la pose.

-     Je n’ai pas d’autres réponse à vous donner. »

Pendant l’interrogatoire, Loïc n’a pas cessé d’être « ailleurs ». Son élocution est lente, le ton est monocorde. Nora a précisé que, depuis qu’il est sorti de détention, Loïc était « bizarre ». Il dort très peu et ne semble pas se préoccuper des autres, comme s’il n’était plus connecté au monde qui l’entoure. Il aurait répondu avec agressivité et arrogance à l’enquêtrice sociale, mais le psychiatre a dit : rien à signaler.

La présidente demande à l’accusé, comme si elle perdait patience : « Qu’est-ce que vous voulez ?

-     Je veux sortir de prison. »

« Que s’est-il passé en prison ? »

Un juge assesseur rebondit. Il tente de percer le mystère de Loïc : « La détention s’est passée comment ?

-     Mal.

-     Pourquoi ?

-     J’étais détenu.

-     Vous avez été violent ?

-     Non. Vous me mettez en prison pour que je devienne violent ?

-     Est-ce qu’il s’est passé quelque chose en prison qui vous a changé ?

-     S’il y quelque chose qui a changé par rapport au fait que j’étais en prison, pourquoi vous voulez m’y remettre ?

-     Pourquoi, durant toute l’audience, vous n’avez pas répondu aux questions ?

-     J’y ai répondu.

-     Vous répondez à côté.

-     Je n’ai peut-être pas compris.

-     Il faut nous le dire, pour qu’on reformule.

-     Reformulez la question alors.

-     Vous n’étiez pas connu pour des faits de violence, vous avez passé un long moment en détention, et un mois après votre libération vous êtes poursuivis pour des faits de violence. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose, un évènement en détention qui vous a conduit à être violent par la suite. Avez-vous été agressé ?

-     Je ne sais pas.

-     Merci. »

Le magistrat aura essayé. La procureure se contente quant à elle de demander 18 mois de prison, dont 8 mois avec sursis probatoire, et la révocation d’un sursis antérieur. Interdiction de contact et obligation de soins.

La défense négocie : elle demande que la partie ferme soit effectuée en semi-liberté, pour qu’il puisse travailler. Loïc n’a qu’une phrase en conclusion : « je n’ai pas envie de retourner en prison », puis il est tiré vers les geôles, où il attend la décision. Condamné à 8 mois de prison, son sursis est révoqué à hauteur de 2 mois. Loïc a interdiction de contacter la victime pendant 3 ans. Il part pour 10 mois à Fleury-Mérogis.

Julien Mucchielli

*Le prénom a été changé

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.