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CHRONIQUE. Un homme de 24 ans comparaît devant le tribunal correctionnel d’Évry pour des violences sans ITT sur sa compagne. Ce qui marque avant tout, c’est l’attitude détachée, absente, du prévenu. Un comportement qui semble le caractériser depuis sa récente sortie de prison.
Le corps de
Loïc est dans le box mais son esprit vogue ailleurs, comme s’il flottait
au-dessus des basses contingences qui agitent la justice matérialiste. La
présidente est tout à sa mission et rapporte les faits ; elle lit, lève le nez
vers le prévenu et s’arrête, irritée : « Monsieur, c’est par là que ça
se passe ! » Loïc regarde partout (la porte, chaque personne du
public, ses pieds, une toile d’araignée au plafond), mais il fait comme si les
trois personnes en robe noire assis en contrehaut n’existaient pas. Jugé pour
des violences contre sa compagne et pour tentative d’évasion, c’est comme s’il
se fichait complètement de son sort.
Le 27
septembre, Loïc et Nora* étaient à leur domicile avec leur enfant en bas âge.
Nora voulait sortir et voir son père, il le lui a interdit. Elle a proposé
qu’ils aillent rendre visite à un de ses amis, il lui a reproché d’avoir des
intentions coupables ; ça l’a agacée, elle a rétorqué que, si elle en avait eu
envie, elle l’aurait fait pendant les trois ans de détention dont il venait
juste de sortir, un mois auparavant. Loïc l’a giflée sur-le-champ. Puis a donné
un autre coup. Il l’a saisie par la veste et la jetée sur le canapé. Leur fils
est sorti de la chambre à ce moment-là, attirant l’attention de son père. Nora
a essayé de s’enfuir de l’appartement, mais elle a été rattrapée à peine sortie
du hall. Elle a eu le temps de glisser son téléphone dans la boîte aux lettres,
ce que le prévenu a remarqué. Après l’avoir ramenée et enfermée dans
l’appartement, Loïc est parti chercher le téléphone de Nora. Elle en a profité
pour appeler sa belle-sœur par la fenêtre. La mère de famille est descendue de
son 6e étage, a récupéré l’enfant et est repartie, tandis que Loïc
retenait sa compagne prisonnière dans l’appartement.
« Ce que
je sais, c’est que je n’ai pas tapé »
Après un
moment, le prévenu a décidé d’emmener sa conjointe chez ses cousines, qui
habitent le même immeuble, privant toujours Nora de sa liberté. Les cousines en
question ont tenté de le raisonner. Nora s’est mise à pleurer. Loïc s’est énervé,
a tiré sa compagne par le col jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Les policiers
sont appelés et le père de famille finit par être emmené au commissariat. Sur
place, profitant d’un moment d’inattention des policiers, il s’est enfui en
courant, passant par la cour arrière du bâtiment. Facilement rattrapé, Loïc conteste
avoir voulu s’évader : « Je devais aller voir le médecin.
-
Le
médecin n’est pas dans la cour, et on ne part pas seul en courant.
- Je n’ai pas d’autres réponse à vous
donner ».
Loïc est
comme ça. : laconique et contrariant. « Que dites-vous sur les faits de
violences ?
-
Ce que
je sais, c’est que je n’ai pas tapé.
-
Comment
vous expliquez le témoignage ?
-
Elle dit
quoi ?
-
Elle dit
qu’elle a été témoin des violences.
-
C’est
faux. Je ne sais pas ce que vous racontez.
-
Elle a
essayé de vous raisonner ?
-
Par
rapport à quoi ?
-
Pourquoi
Madame raconte cela quand elle est entendue ? L’appel au 17, ça n’a pas l’air
de bien se passer à ce moment-là.
-
Je ne
sais pas.
-
Est-ce
qu’elle était libre de partir ?
-
Oui.
-
Ça vous
fait quoi, que votre compagne avec qui vous avez un enfant, dise vouloir sauter
par la fenêtre, c’est-à-dire mourir ?
-
Je ne
sais pas. Je sais que je n’ai pas tapé.
-
Vous
l’avez tirée par le col de la veste ?
-
Non. »
« Je n’ai pas
d’autres réponses à vous donner. »
Le couple est
lié depuis 4 ans, dont 3 ans passés en détention pour Loïc. L’enfant a 2 ans.
La présidente demande à Nora si elle est allée voir le prévenu au parloir. La
réponse est évidente. La magistrate poursuit :
-
« Comment
envisagez-vous la suite de la relation ?
-
Je
souhaite rompre.
-
Et
l’enfant en commun ?
-
Il ne
l’a pas reconnu.
-
Monsieur,
souhaitez-vous réagir ?
-
Je ne
vois pas l’intérêt.
-
Pourquoi
ne pas avoir reconnu l’enfant ?
-
Demandez
à Madame.
-
Non, la
question, c’est à vous que je la pose.
-
Je n’ai
pas d’autres réponse à vous donner. »
Pendant
l’interrogatoire, Loïc n’a pas cessé d’être « ailleurs ». Son
élocution est lente, le ton est monocorde. Nora a précisé que, depuis qu’il est
sorti de détention, Loïc était « bizarre ». Il dort très peu et ne
semble pas se préoccuper des autres, comme s’il n’était plus connecté au monde
qui l’entoure. Il aurait répondu avec agressivité et arrogance à l’enquêtrice
sociale, mais le psychiatre a dit : rien à signaler.
La présidente
demande à l’accusé, comme si elle perdait patience : « Qu’est-ce que
vous voulez ?
-
Je veux
sortir de prison. »
« Que
s’est-il passé en prison ? »
Un juge
assesseur rebondit. Il tente de percer le mystère de Loïc : « La
détention s’est passée comment ?
-
Mal.
-
Pourquoi
?
-
J’étais
détenu.
-
Vous
avez été violent ?
-
Non.
Vous me mettez en prison pour que je devienne violent ?
-
Est-ce
qu’il s’est passé quelque chose en prison qui vous a changé ?
-
S’il y
quelque chose qui a changé par rapport au fait que j’étais en prison, pourquoi
vous voulez m’y remettre ?
-
Pourquoi,
durant toute l’audience, vous n’avez pas répondu aux questions ?
-
J’y ai
répondu.
-
Vous
répondez à côté.
-
Je n’ai
peut-être pas compris.
-
Il faut
nous le dire, pour qu’on reformule.
-
Reformulez
la question alors.
-
Vous
n’étiez pas connu pour des faits de violence, vous avez passé un long moment en
détention, et un mois après votre libération vous êtes poursuivis pour des
faits de violence. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose, un évènement en
détention qui vous a conduit à être violent par la suite. Avez-vous été agressé
?
-
Je ne
sais pas.
-
Merci. »
Le magistrat aura essayé. La procureure se contente quant à elle de
demander 18 mois de prison, dont 8 mois avec sursis probatoire, et la
révocation d’un sursis antérieur. Interdiction de contact et obligation de
soins.
La défense négocie
: elle demande que la partie ferme soit effectuée en semi-liberté, pour qu’il
puisse travailler. Loïc n’a qu’une phrase en conclusion : « je n’ai pas envie
de retourner en prison », puis il est tiré vers les geôles, où il attend
la décision. Condamné à 8 mois de prison, son sursis est révoqué à hauteur de 2
mois. Loïc a interdiction de contacter la victime pendant 3 ans. Il part pour
10 mois à Fleury-Mérogis.
Julien Mucchielli
*Le prénom a été changé
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