Accès au droit : quel état des lieux dans les Hauts-de-Seine ?


vendredi 30 mai5 min
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Mercredi 14 mai, lInstitut des études et de la recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ) organisait la restitution dune étude portant notamment sur les points-justice. Ces structures qui proposent des permanences juridiques rencontrent un vrai succès dans le 92, particulièrement en droit des étrangers. Elles s’avèrent cependant débordées, et prennent souvent des allures de services informatiques.

« Être informé de ses droits suffit rarement à les faire valoir » Cette formule prononcée par Isabelle Boucobza, professeure de droit public à luniversité Paris Nanterre, a résonné comme un fil rouge lors de la conférence « Aide à l'accès au droit : quels publics et quels usages des points-justice dans les Hauts-de-Seine », organisée le 24 mai par lInstitut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ). Signée Cassandre De Oliveira, juriste diplômée de Paris Nanterre, elle est extraite de son mémoire de master 2 consacré aux usages et aux profils des personnes se rendant au sein des points-justice dans les Hauts-de-Seine. 

Son enquête est focalisée sur laccès aux différentes structures labellisés point-justice dans le département des Hauts-de-Seine. « Il sagit de structures qui accueillent et proposent des permanences juridiques dans plusieurs domaines, en droit du travail, du logement, de la famille et impliquant différents intervenants. C'est-à-dire, des avocates et avocats, des notaires, des juristes mais aussi des écrivains publics », a-t-elle présenté en introduction au débat.

Menée dans le cadre du programme « Besoins, demandes et attentes de justice » de lIERDJ, think tank public et laboratoire de recherche dédié au droit et à la justice, cette étude de terrain à la croisée du droit et des sciences sociales a été réalisée entre septembre 2023 et mars 2024, sous la direction dIsabelle Boucobza, également directrice du Centre d’études et de recherches sur les droits fondamentaux (CREDOF).

« Je me souviens que ma première réaction, lorsque Cassandre est venue me proposer cette recherche, a été de dire : "Oh là là, ça va être très difficile." Laccès au droit est une notion qui est fuyante, particulièrement mystérieuse, et qui devient dautant plus difficile à aborder quand on le fait de façon abstraite, ou – si je puis dire – hors sol, hors terrain », a commenté la professeure. 

18 % des Altoséquanais sont reçus chaque année

Mais si le projet initial a pris racine à travers une expérience de terrain vécu par la jeune juriste - cette dernière a été confrontée aux obstacles de laccès au droit lors dune permanence à lObservatoire International des prisons (OIP) -, il est devenu concrètement envisageable suite à la commande faite par le président du Tribunal judiciaire de Nanterre et du Conseil départemental de laccès au droit des Hauts-de-Seine, Benjamin Deparis.

Comment se matérialise la politique nationale daccès au droit dans le département des Hauts-de-Seine ? Quels sont les profils sociologiques des usagers qui poussent la porte des structures daccès au droit ? En prenant les rênes du tribunal judiciaire de Nanterre, Benjamin Deparis a souhaité avoir « une connaissance plus empirique de laccès au droit dans les Hauts-de-Seine et des besoins des justiciables dans ce département contrasté », a détaillé Valérie Sagant, directrice de l’IERDJ. 

Si la thématique de laccès au droit a fait lobjet de peu de travaux universitaires, a constaté Benjamin Deparis, pléthore de rapports, d’avis et denquêtes publiques et judiciaires sont consacrés à cette notion : « Dans son rapport annuel d’activité 2024, la Défenseure des droits revient avec des mots forts sur cette question. Elle évoque une rupture des droits, je cite, ‘on a baissé les bras’ ».

D’où la nécessité de mieux comprendre ce que recouvre concrètement l’accès au droit à l’échelle des Hauts-de-Seine. Le territoire de de louest francilien bénéficie d’un maillage territorial dense : 1,6 million dhabitants, 7 tribunaux de proximité… et 350 000 euros de budget pour son CDAD. En parallèle, entre 120 000 et 130 000 personnes sont reçues chaque année par les services d’accueil unique du justiciable.

« Ce qui représente, selon la manière dont on compte, entre 15 % et 18 % de la population [du département], c’est énorme », a estimé Benjamin Deparis, en rappelant plus largement que les fonds publics mobilisés pour ces dispositifs d’accès au droit doivent répondre à une véritable utilité sociale. « On doit avoir une visibilité sur les usages qu'on fait de cet argent public et de nos actions ». 

« J'ai l'impression d’être plus un service informatique »

Durant son intervention, Cassandre De Oliveira a partagé les usages de laccès au droit qui lui « ont tout de suite sauté à la figure ». Elle a notamment observé quune grande partie des personnes qui viennent aux points-justice le font non pas en premier recours mais dans le but de « pallier des usages et dysfonctionnements dautres services publics », à linstar de la CAF ou Pôle Emploi.

La juriste a pris deux exemples concrets. La dématérialisation des démarches administratives pousse notamment de nombreux usagers à « solliciter une aide pour accomplir leurs démarches en ligne. Lune des causes identifiées : lillectronisme, qui touche encore une personne sur dix en France, tandis que 35 % de la population rencontrent des difficultés avec le numérique, selon une étude de 2021 du Défenseur des droits », a expliqué Cassandre De Oliveira.

Autres observations partagées par lancienne étudiante : au-delà des procédures, la dématérialisation des services publics a entraîné la réduction, voire la disparition, des guichets physiques. Les usagers ne trouvent plus dinterlocuteurs pour faire avancer leur dossier, ou seulement sur des créneaux très restreints. Résultat : les points-justice se retrouvent en première ligne, sollicités pour des demandes autrefois prises en charge ailleurs. 

Pour les permanenciers, cette situation représente parfois « une véritable charge », rapporte-t-elle. « Jai limpression d’être plus un service informatique quun service juridique » fait notamment partie des phrases que Cassandre De Oliveira a entendues de la bouche de juristes lors de permanences consacrées aux droits des étrangers. « Il faut savoir que les permanences en droit des étrangers représentent à peu près 15 % des personnes reçues en points-justice. Et cela fait partie des domaines les plus sollicités au sein des Hauts-de-Seine », a-t-elle détaillé.

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