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L’assassinat de Jean-Pierre Charbonnier restera-t-il un cold case ?


mardi 13 août 20248 min
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13/08/2024 17:25:56 1 5 5204 23 0 2560 4689 4861 Pour les ONG, l'aide internationale est trop souvent conditionnée à des objectifs géopolitiques

Si les ONG et associations humanitaires sont pour la plupart dépendantes de l’aide au développement fournie par les États occidentaux, elles essaient de plus en plus de diversifier leurs sources de revenus pour gagner en indépendance.

« L’aide internationale » désigne de façon générique l’assistance fournie par des pays développés à des pays étrangers ou des populations étrangères situés dans des zones en développement. Elle peut prendre la forme de dons en argent ou en nature, de prêts à des taux préférentiels ou encore d’une annulation de dette.

Le terme comprend à la fois l'aide publique au développement (APD) des États ou des organisations internationales telles que la Banque mondiale, et l'aide fournie par des organismes privés, associatifs ou caritatifs (fondations, ONG, organismes religieux, etc.). En revanche, les transferts d'argent de personne à personne et les investissements directs étrangers ne sont pas considérés comme de l'aide internationale.

En France, la Loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales prévoit d’atteindre en 2025 une aide publique au développement correspondant à 0,7% du revenu national brut. Cet objectif a été depuis reporté à 2030 par le  Projet de loi de finances pour 2024 : aide publique au développement en raison de prévisions de croissance de l’économie plus mauvaises que prévu.

L’aide publique au développement de la France a atteint 15,4 milliards de dollars en 2023 (1) (0,5% du revenu national brut), soit une diminution de 11% par rapport à l’année précédente. Elle perd ainsi une place au classement des pays donateurs pour se ranger à la 5e place, repassant derrière le Royaume-Uni (19,1 milliards de dollars en 2023).

L’aide publique issue de l’ensemble des pays de l’OCDE s’est élevée à 223,7 milliards de dollars en 2023, soit une hausse de 1,8% par rapport à 2022 et de 34% par rapport à 2019.

Cette augmentation à l’échelle mondiale en 2023 s’explique principalement par l’aide apportée à l’Ukraine (20,5 milliards de dollars, 9% de l’aide publique totale), l’aide humanitaire (25,9 milliards, 11,6% de l’aide publique totale) ainsi que par des « contributions à des organisations multilatérales », analyse l’association Focus 2030 qui accompagne des acteurs de la solidarité en matière de développement durable.

L’aide internationale n’a jamais été aussi « décriée »

L’aide internationale fournie par les donateurs officiels a ainsi atteint un record en 2023 avec 223 milliards de dollars. Ce niveau financier se justifie par un contexte international caractérisé par de nombreux conflits armés, des situations de pauvreté chronique et d’insécurité alimentaire exacerbées ou provoquées par le réchauffement climatique.

Si la solidarité internationale « n’a jamais été aussi nécessaire », elle est aujourd’hui pourtant « largement décriée et critiquée », estime Fatou Élise Ba, chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à l’occasion de la présentation en juillet de l’ouvrage collectif « L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? » qu’elle a co-dirigé (2).

Cette situation peut notamment s’expliquer par un « déséquilibre des rapports » entre les acteurs fournisseurs d’aides venant des pays du « Nord » et ceux récipiendaires, majoritairement situés dans les pays du « Sud », développe-t-elle.

On observe également une « tendance des pays donateurs à choisir les crises auxquelles ils répondent en fonction de leurs intérêts plutôt que des besoins humanitaires », estime Jean-François Corty, médecin, président de Médecins du Monde et chercheur associé à l’IRIS, co-auteur de l’ouvrage collectif.

Les pays qui revêtent une « importance stratégique pour les grandes puissances reçoivent en effet davantage d’aide que ceux qui n’ont pour elles que peu de valeur géopolitique », poursuit-il.

La guerre en Ukraine éclipserait par exemple d’autres conflits en cours tout aussi violents et meurtriers, comme la guerre civile au Yémen.

En outre, les principaux fournisseurs d’aides (États du Nord, ONG, société civile, etc.) font face à des contradictions entre leurs objectifs déclarés et les réalités de leurs pratiques. « Mauvaise conception, inadéquation aux besoins locaux », déclare dans l’ouvrage collectif Moumouni Kinda, directeur général de The Alliance for International Medical Action (ALIMA). Il existe ainsi une « certaine méfiance envers les buts et l’efficacité de l’aide », ajoute-t-il.

L’aide internationale peut parfois être perçue comme une « forme de néocolonialisme, ou à tout le moins comme une ingérence dans les affaires internes des pays récipiendaires lorsqu’elle se trouve conditionnée à des réformes politiques ou économiques », analyse dans l’ouvrage collectif Pierre Micheletti, président d’Honneur d’Action contre la faim, administrateur de SOS Méditerranée, ancien président de Médecins du Monde.

L’aide serait donc « instrumentalisée afin de profiter aux États donateurs » qui imposeraient « leur propre agenda politique », conclut-il.

L’AFD, un « outil stratégique » de l’État français

L’État français ne se cache pas d’une certaine politisation de l’aide publique qu’il fournit.

L'Agence française de développement (AFD), qui met en œuvre la politique d’aide publique au développement de la France, est placée « sous la tutelle de l’État » et son action doit être « bien alignée avec nos priorités, nos valeurs et nos intérêts d’aujourd’hui », a souligné Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, lors de son audition en juillet 2023 par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

La « politique d’aide au développement est un outil central dans la politique étrangère de la France et ses partenariats internationaux ». C’est pourquoi « nous pilotons finement la répartition géographique des crédits budgétaires alloués à l’AFD pour qu’ils correspondent parfaitement à nos priorités », a développé la ministre.

La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales fixe d’ailleurs clairement quelques principes stratégiques, notamment la promotion de la francophonie.

L'AFD « privilégie le français comme langue de travail », prévoit la loi. L'emploi du français est « favorisé à tous les stades de la relation contractuelle entre l'Agence française de développement et les organismes candidats à l'aide au développement qu'elle leur accorde »,

Plus globalement, le rôle de l’AFD est de contribuer à « l'action extérieure » afin de promouvoir la présence et l'influence de la France à l'étranger, est-il écrit dans la loi.

Garantir l’indépendance des ONG et associations

Face à ce conditionnement de l’aide internationale, les ONG cherchent à garantir leur indépendance vis-à-vis des donateurs institutionnels.

C’est le cas notamment de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qui est aujourd’hui financée à 99,2% par des dons privés, après « avoir progressivement refusé les financements institutionnels », explique l’organisation au JSS.

MSF n’accepte plus de fonds publics de l’Union européenne et des États membres depuis 2016, en protestation contre « leurs politiques de dissuasion dommageables et l’intensification des tentatives de repousser les personnes et leurs souffrances loin des côtes européennes ». Cette décision avait été motivée par l’accord entre l’UE et la Turquie visant à limiter l’arrivée dans l'espace Schengen de migrants transitant par ce pays.

Pourtant, les fonds européens représentaient près de 4% du budget de l'ONG en 2015, soit 13 millions d’euros.

MSF a eu recours depuis à une augmentation de la part des « ressources privées issues de la recherche de fonds » (c’est-à-dire les dons de particuliers, legs, collecte de fonds, etc.), qui sont passés de 255 millions d’euros à 456 millions d’euros en 2023 (3).

Ces fonds privés, issus de la générosité du public, sont censés être désintéressés et apolitiques, contrairement aux aides institutionnelles.

Plusieurs solutions pour renforcer l’indépendance des associations et ONG ont été avancées lors de la conférence de présentation de l’ouvrage collectif « L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? ».

« Pour être indépendants, il faut véritablement se détacher des institutions et des structures politiques qui financent l’aide humanitaire », estime Moumouni Kinda.

La « société civile a un grand rôle à jouer pour permettre aux ONG locales et internationales de participer au jeu ». S’il y a de « plus en plus de financements qui proviennent des individus et de la société civile, l’aide sera un peu moins politisée », poursuit-il.

Pour Jean-François Corty, il faut essayer de « se tourner vers d’autres types de financement, comme des fondations privées » ou autres organisations philanthropiques afin de diversifier les sources.

Les financements issus des « collectes et la générosité du public » sont également très importants pour garantir l’indépendance mais ils « demandent des années » de travail. Ce sont des « choix qui payent au bout d’une dizaine voire une vingtaine d’années » et seulement très peu d’ONG ont la capacité d’en dépendre totalement, précise Jean-François Corty.

D’une manière générale, les États ont toujours politisé leur aide. La défense de leurs intérêts est « consubstantielle à ce qu’ils font », « c’est dans leur nature » et on ne peut pas lutter contre.

En revanche, « on peut demander aux États de faire attention à bien limiter les risques de confusions militaro-humanitaires » entre leurs intérêts et la mission des organisations, continue Jean-François Corty.

En effet, nombre de « bailleurs occidentaux mettent en difficulté les acteurs de terrain indépendants en leur disant qu’ils seront considérés comme complices s’ils négocient avec des terroristes », explique-t-il. Or les ONG ont parfois besoin de négocier localement pour pouvoir atteindre les populations de certaines zones et leur venir en aide.

Les ONG et associations doivent donc continuer « à mettre la pression aux États pour limiter cette confusion » entre objectifs militaires et humanitaires, conclut Jean-François Corty.

L’indépendance financière est un enjeu crucial pour les acteurs de la solidarité mais il reste très difficilement atteignable dans les faits et seules quelques ONG y sont parvenues, comme MSF.

Sylvain Labaune

1/ L’aide publique au développement en 2023, OCDE
2/ Conférence organisée en juillet par l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à l'occasion de la publication du numéro 134 de La Revue internationale et stratégique, « L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? »
3/ Rapports financiers de MSF de 2023 et 2017

 

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