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Si les ONG et associations humanitaires sont pour la plupart dépendantes de l’aide au développement fournie par les États occidentaux, elles essaient de plus en plus de diversifier leurs sources de revenus pour gagner en indépendance.
« L’aide internationale
» désigne de façon générique l’assistance fournie par des pays développés à des
pays étrangers ou des populations étrangères situés dans des zones en
développement. Elle peut prendre la forme de dons en argent ou en nature, de
prêts à des taux préférentiels ou encore d’une annulation de dette.
Le terme comprend à la fois
l'aide publique au développement (APD) des États ou des organisations
internationales telles que la Banque mondiale, et l'aide fournie par des
organismes privés, associatifs ou caritatifs (fondations, ONG, organismes
religieux, etc.). En revanche, les transferts d'argent de personne à personne
et les investissements directs étrangers ne sont pas considérés comme de l'aide
internationale.
En France, la Loi n°2021-1031 du 4
août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte
contre les inégalités mondiales
prévoit d’atteindre en 2025 une aide publique au développement correspondant à
0,7% du revenu national brut. Cet objectif a été depuis reporté à 2030 par le Projet de loi de finances pour 2024 : aide
publique au développement en raison de prévisions de
croissance de l’économie plus mauvaises que prévu.
L’aide publique au
développement de la France a atteint 15,4 milliards de dollars en 2023 (1) (0,5%
du revenu national brut), soit une diminution de 11% par rapport à l’année
précédente. Elle perd ainsi une place au classement des pays donateurs pour se
ranger à la 5e place, repassant derrière le Royaume-Uni (19,1 milliards de
dollars en 2023).
L’aide publique issue de
l’ensemble des pays de l’OCDE s’est élevée à 223,7 milliards de dollars en
2023, soit une hausse de 1,8% par rapport à 2022 et de 34% par rapport à 2019.
Cette augmentation à
l’échelle mondiale en 2023 s’explique principalement par l’aide apportée à
l’Ukraine (20,5 milliards de dollars, 9% de l’aide publique totale), l’aide
humanitaire (25,9 milliards, 11,6% de l’aide publique totale) ainsi que par des
« contributions à des organisations multilatérales », analyse l’association
Focus 2030 qui accompagne des acteurs de la
solidarité en matière de développement durable.
L’aide internationale fournie
par les donateurs officiels a ainsi atteint un record en 2023 avec 223
milliards de dollars. Ce niveau financier se justifie par un contexte
international caractérisé par de nombreux conflits armés, des situations de
pauvreté chronique et d’insécurité alimentaire exacerbées ou provoquées par le
réchauffement climatique.
Si la solidarité
internationale « n’a jamais été aussi nécessaire », elle est aujourd’hui
pourtant « largement décriée et critiquée », estime Fatou Élise Ba,
chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à
l’occasion de la présentation en juillet de l’ouvrage collectif « L’aide
internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? » qu’elle a
co-dirigé (2).
Cette situation peut
notamment s’expliquer par un « déséquilibre des rapports » entre les
acteurs fournisseurs d’aides venant des pays du « Nord » et ceux
récipiendaires, majoritairement situés dans les pays du « Sud »,
développe-t-elle.
On observe également une «
tendance des pays donateurs à choisir les crises auxquelles ils répondent en
fonction de leurs intérêts plutôt que des besoins humanitaires », estime
Jean-François Corty, médecin, président de Médecins du Monde et chercheur
associé à l’IRIS, co-auteur de l’ouvrage collectif.
Les pays qui revêtent une «
importance stratégique pour les grandes puissances reçoivent en effet davantage
d’aide que ceux qui n’ont pour elles que peu de valeur géopolitique »,
poursuit-il.
La guerre en Ukraine
éclipserait par exemple d’autres conflits en cours tout aussi violents et
meurtriers, comme la guerre civile au Yémen.
En outre, les principaux
fournisseurs d’aides (États du Nord, ONG, société civile, etc.) font face à des
contradictions entre leurs objectifs déclarés et les réalités de leurs
pratiques. « Mauvaise conception, inadéquation aux besoins locaux », déclare
dans l’ouvrage collectif Moumouni Kinda, directeur général de The Alliance for
International Medical Action (ALIMA). Il existe ainsi une « certaine
méfiance envers les buts et l’efficacité de l’aide », ajoute-t-il.
L’aide internationale peut
parfois être perçue comme une « forme de néocolonialisme, ou à tout le moins
comme une ingérence dans les affaires internes des pays récipiendaires
lorsqu’elle se trouve conditionnée à des réformes politiques ou économiques »,
analyse dans l’ouvrage collectif Pierre Micheletti, président d’Honneur
d’Action contre la faim, administrateur de SOS Méditerranée, ancien président
de Médecins du Monde.
L’aide serait donc « instrumentalisée
afin de profiter aux États donateurs » qui imposeraient « leur propre
agenda politique », conclut-il.
L’État français ne se cache
pas d’une certaine politisation de l’aide publique qu’il fournit.
L'Agence française de
développement (AFD), qui met en œuvre la politique d’aide publique au
développement de la France, est placée « sous la tutelle de l’État » et
son action doit être « bien alignée avec nos priorités, nos valeurs et nos
intérêts d’aujourd’hui », a souligné Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire
d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, lors de
son audition
en juillet 2023 par la commission des
affaires étrangères et de la défense du Sénat.
La « politique d’aide au
développement est un outil central dans la politique étrangère de la France et
ses partenariats internationaux ». C’est pourquoi « nous pilotons
finement la répartition géographique des crédits budgétaires alloués à l’AFD
pour qu’ils correspondent parfaitement à nos priorités », a développé la
ministre.
La loi du 4 août 2021 de
programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les
inégalités mondiales fixe d’ailleurs clairement quelques principes
stratégiques, notamment la promotion de la francophonie.
L'AFD « privilégie le
français comme langue de travail », prévoit la loi. L'emploi du français
est « favorisé à tous les stades de la relation contractuelle entre l'Agence
française de développement et les organismes candidats à l'aide au
développement qu'elle leur accorde »,
Plus globalement, le rôle de
l’AFD est de contribuer à « l'action extérieure » afin de promouvoir la
présence et l'influence de la France à l'étranger, est-il écrit dans la loi.
Face à ce conditionnement de
l’aide internationale, les ONG cherchent à garantir leur indépendance vis-à-vis
des donateurs institutionnels.
C’est le cas notamment de
l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qui est aujourd’hui financée à 99,2% par
des dons privés, après « avoir progressivement refusé les financements
institutionnels », explique l’organisation au JSS.
MSF n’accepte plus de fonds
publics de l’Union européenne et des États membres depuis 2016, en protestation
contre « leurs politiques de dissuasion dommageables et l’intensification des
tentatives de repousser les personnes et leurs souffrances loin des côtes
européennes ». Cette décision avait été motivée par l’accord entre l’UE et la
Turquie visant à limiter l’arrivée dans l'espace Schengen de migrants
transitant par ce pays.
Pourtant, les fonds européens
représentaient près de 4% du budget
de l'ONG en 2015, soit 13 millions d’euros.
MSF a eu recours depuis à une
augmentation de la part des « ressources privées issues de la recherche de
fonds » (c’est-à-dire les dons de particuliers, legs, collecte de fonds, etc.),
qui sont passés de 255 millions d’euros à 456 millions d’euros en 2023 (3).
Ces fonds privés, issus de la
générosité du public, sont censés être désintéressés et apolitiques,
contrairement aux aides institutionnelles.
Plusieurs solutions pour
renforcer l’indépendance des associations et ONG ont été avancées lors de la
conférence de présentation de l’ouvrage collectif « L’aide internationale,
instrument d’émancipation ou de contrôle ? ».
« Pour être
indépendants, il faut véritablement se détacher des institutions et des
structures politiques qui financent l’aide humanitaire »,
estime Moumouni Kinda.
La « société civile a un
grand rôle à jouer pour permettre aux ONG locales et internationales de
participer au jeu ». S’il y a de « plus en plus de financements qui
proviennent des individus et de la société civile, l’aide sera un peu moins
politisée », poursuit-il.
Pour Jean-François Corty, il
faut essayer de « se tourner vers d’autres types de financement, comme des
fondations privées » ou autres organisations philanthropiques afin de
diversifier les sources.
Les financements issus des «
collectes et la générosité du public » sont également très importants pour
garantir l’indépendance mais ils « demandent des années » de travail. Ce
sont des « choix qui payent au bout d’une dizaine voire une vingtaine
d’années » et seulement très peu d’ONG ont la capacité d’en dépendre
totalement, précise Jean-François Corty.
D’une manière générale, les États
ont toujours politisé leur aide. La défense de leurs intérêts est «
consubstantielle à ce qu’ils font », « c’est dans leur nature » et
on ne peut pas lutter contre.
En revanche, « on peut
demander aux États de faire attention à bien limiter les risques de confusions
militaro-humanitaires » entre leurs intérêts et la mission des
organisations, continue Jean-François Corty.
En effet, nombre de « bailleurs
occidentaux mettent en difficulté les acteurs de terrain indépendants en leur
disant qu’ils seront considérés comme complices s’ils négocient avec des
terroristes », explique-t-il. Or les ONG ont parfois besoin de négocier
localement pour pouvoir atteindre les populations de certaines zones et leur
venir en aide.
Les ONG et associations
doivent donc continuer « à mettre la pression aux États pour limiter cette
confusion » entre objectifs militaires et humanitaires, conclut
Jean-François Corty.
L’indépendance financière est
un enjeu crucial pour les acteurs de la solidarité mais il reste très
difficilement atteignable dans les faits et seules quelques ONG y sont
parvenues, comme MSF.
Sylvain Labaune
1/ L’aide publique au
développement en 2023, OCDE
2/ Conférence organisée en
juillet par l'Institut de relations internationales et stratégiques
(IRIS) à l'occasion de la
publication du numéro 134 de La Revue internationale et stratégique, « L’aide
internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? »
3/ Rapports
financiers de MSF de 2023 et 2017
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