Archives

Lutte contre les VIF : la permanence d’information de Nanterre inaugurée


mardi 3 décembre 20245 min
Écouter l'article
03/12/2024 10:21:44 1 5 5685 23 0 2295 5102 5285 (91) Au tribunal d’Evry, l’ampleur des violences conjugales pousse les affaires familiales à se réorganiser

Les requêtes d’ordonnances de protection ont fortement augmenté auprès de la juridiction, amenant les professionnels de la justice et les partenaires du territoire à s’adapter.

Comme un peu partout en France, les chiffres des violences conjugales enregistrés en Essonne sont en hausse d’année en année. Le département comptait 11 femmes victimes sur 1 000 en 2022, 12 en 2023.

Les chiffres collectés par le tribunal d’Evry sont eux aussi sans appel : le service des affaires familiales a reçu 116 requêtes d’ordonnances de protection depuis le début de l’année 2024, contre 100 en 2023. « Et l’année n’est pas finie. En 2022, c’était beaucoup moins, nous en avons traité 81 », relève Roselyne Gautier, première vice-présidente au service affaires familiales du tribunal judiciaire.

« Il a fallu qu’on se réorganise. Nous travaillons dans des délais contraints, en n’ayant que très peu de temps pour rendre nos décisions, et avec des moyens limités. Nous ne sommes pas un service d’urgence ! Mais nous devons statuer rapidement sur des dossiers pas forcément complets, qui souvent se télescopent avec des contrôles judiciaires ou d’autres mesures pénales. » Car l’augmentation du nombre de dossiers n’est pas le seul phénomène qui affecte le quotidien des affaires civiles.

JAF, un métier en plein « bouleversement »

Depuis la mise en application de la loi du 13 juin 2024 – qui renforce l’ordonnance de protection et qui crée l’ordonnance provisoire de protection immédiate (délivrée dans un délai de 24h) –, la magistrate dépeint un « bouleversement du métier de juge aux affaires familiales ». Afin d’assurer dans l’urgence la protection des victimes des violences conjugales, le texte prévoit en effet que l’ordonnance de protection soit prononcée « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience ».

Alors, la justice essonnienne s’est réorganisée. Si côté pénal, les derniers procureurs d’Evry avaient fait des violences intrafamiliales leur priorité, accélérant les procédures et créant une audience bimensuelle dédiée à ces affaires, le civil a également revu ses méthodes de travail. Il a ouvert en 2023 un second jour d’audiences de permanence le jeudi (en plus du lundi), et renforcé sa collaboration avec les partenaires du territoire, notamment les associations spécialisées.

MédiaVipp 91, Relais Paroles de Femmes, Léa Solidarité Femmes… Face à un phénomène de plus en plus visible, les associations ont vu leurs moyens augmenter, et leur champ d’action continue de s’accentuer pour protéger les victimes et leurs enfants. « Elles fournissent souvent une adresse ou un hébergement aux femmes  et aux enfants et les mettent en lien avec les services sociaux les psychologues, souligne Roselyne Gautier. Elles sont souvent à l’origine de la saisine de la justice notamment des dépôt de plaintes ou demandes d’ordonnances de protection. Elles fournissent souvent une adresse ou un hébergement aux femmes  et aux enfants et les mettent en lien avec les services sociaux les psychologues. » Un travail de terrain utile, mais qui ne suffit pourtant pas à désengorger la justice et à répondre à des situations urgentes et complexes. L’ordonnance de protection implique en principe pour l’auteur des violences, l’instauration d’un droit de visite sur les enfants en présence d’un tiers ou en Espace de rencontre. Les droits de visite en espace de rencontre font souvent face à l’incompréhension des justiciables. « L’ordonnance de protection implique en principe pour l’auteur des violences, l’instauration d’un droit de visite sur les enfants en présence d’un tiers ou en Espace de rencontre. Il y seulement deux structures sur le Département et l’augmentation du nombre des ordonnances a accru les besoins. Les JAF font souvent face à l’incompréhension des justiciables. Les délais de prise en charge ont pu atteindre un an. Une année entière pendant laquelle un parent n’a pas de contact avec son enfant », poursuit Roselyne Gautier.

Nouvelles méthodes de travail

Les pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), lancés par le précédent ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti et appliqués dans les tribunaux depuis le 1er janvier 2024, ont également permis de nouvelles méthodes de travail, axées sur la transversalité. Un protocole local relatif aux circuits prioritaires en matière de prévention et lutte contre les violences commises au sein du couple a été signé. Un protocole qui « a fait bouger nos façons de travailler, poursuit Roselyne Gautier. Cette structure a permis d’établir des process et de faire circuler l’information entre de nombreux partenaires et autres services du Tribunal (parquet, SPIP, avocats, association de contrôle judicaire, administration pénitentiaire…). Certaines informations d’ordre pénal peuvent ainsi être plus facilement être portées à la connaissance du JAF et être mises dans le débat. Cela nous permet d’avoir parfois une autre image de la situation et facilite nos décisions. Avant, en tant que JAF, nous n’avions pas du tout l’habitude de travailler avec l’administration pénitentiaire ! »  

À lire aussi : La justice familiale, une affaire de femmes ?

Communiquer, une solution efficace ? En Essonne, les collectivités territoriales ont aussi déployé de nombreuses initiatives de sensibilisation aux violences conjugales, favorisant l’accès au droit pour les victimes. Dans son communiqué sur les chiffres 2023 des violences conjugales, le ministère de l’Intérieur attribue l’augmentation des signalements à « la libération de la parole ».

Roselyne Gautier partage ce constat : « Le travail des associations féministes a beaucoup participé à l’augmentation de nos dossiers. Il y a beaucoup d’infos sur les réseaux sociaux, une vraie sensibilisation, et c’est évident que cela impacte notre fonctionnement. En 2007, j’étais juge en correctionnelle, et les affaires de violences conjugales n’arrivaient que très rarement devant le tribunal. »

« Des profils psychologiques complexes »

Mais la magistrate nuance : « Si les requêtes augmentent, toutes ne sont pas recevables. Nous rejetons beaucoup de dossiers. Certains servent de prétexte à l’obtention d’un titre de séjour ou d’un logement, par exemple, ou alors à des allocations spécifiques de la CAF. Les personnes savent que leurs demandes deviennent prioritaires quand elles bénéficient d’une ordonnance de protection. »

Avant de décrire une réalité souvent bien plus terre à terre. Le quotidien des affaires familiales essonniennes ? La plupart du temps, « des jeunes qui ne se connaissent pas et qui se disputent la garde de leur enfant, issu d’une relation éphémère, des femmes en situation irrégulière, des mariages arrangés et surtout, des profils psychologiques complexes. »

Finalement, les violences extrêmes ne représentent que peu de cas. « Nous avons aussi des relations où l’agressivité est un mode d’expression réciproque. Des couples qui ont du mal à communiquer autrement que par des paroles violentes, et qui parfois finissent par renouer. Il arrive que l’on assiste à des réconciliations en pleine audience, et certaines victimes reprennent contact d’elles-mêmes avec leur ex-conjoint. Heureusement, les vrais monstres sont rares. »

Mylène Hassany

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.