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Les requêtes d’ordonnances de protection ont fortement augmenté auprès de la juridiction, amenant les professionnels de la justice et les partenaires du territoire à s’adapter.
Comme un peu partout en France,
les chiffres des violences conjugales enregistrés en Essonne sont en hausse
d’année en année. Le département comptait 11 femmes victimes sur 1 000 en
2022, 12 en 2023.
Les chiffres collectés par le
tribunal d’Evry sont eux aussi sans appel : le service des affaires
familiales a reçu 116 requêtes d’ordonnances de protection depuis le début de
l’année 2024, contre 100 en 2023. « Et l’année n’est pas finie. En 2022,
c’était beaucoup moins, nous en avons traité 81 », relève Roselyne
Gautier, première vice-présidente au service affaires familiales du tribunal
judiciaire.
« Il a fallu qu’on se
réorganise. Nous travaillons dans des délais contraints, en n’ayant que très
peu de temps pour rendre nos décisions, et avec des moyens limités. Nous ne
sommes pas un service d’urgence ! Mais nous devons statuer rapidement sur
des dossiers pas forcément complets, qui souvent se télescopent avec des contrôles
judiciaires ou d’autres mesures pénales. » Car l’augmentation du
nombre de dossiers n’est pas le seul phénomène qui affecte le quotidien des
affaires civiles.
JAF, un métier en plein « bouleversement »
Depuis la mise en application
de la loi du 13 juin 2024 – qui renforce l’ordonnance de protection et qui crée
l’ordonnance provisoire de protection immédiate (délivrée dans un délai de 24h)
–, la magistrate dépeint un « bouleversement du métier de juge aux
affaires familiales ». Afin d’assurer dans l’urgence la protection des
victimes des violences conjugales, le texte prévoit en effet que l’ordonnance
de protection soit prononcée « dans un délai maximal de six jours à
compter de la fixation de la date de l’audience ».
Alors, la justice essonnienne
s’est réorganisée. Si côté pénal, les derniers procureurs d’Evry avaient fait
des violences intrafamiliales leur priorité, accélérant les procédures et créant
une audience bimensuelle dédiée à ces affaires, le
civil a également revu ses méthodes de travail. Il a ouvert en 2023 un second
jour d’audiences de permanence le jeudi (en plus du lundi), et renforcé sa
collaboration avec les partenaires du territoire, notamment les associations
spécialisées.
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travail
MédiaVipp 91, Relais Paroles de Femmes, Léa Solidarité Femmes… Face à un phénomène de plus en plus visible, les associations ont vu leurs moyens augmenter, et leur champ d’action continue de s’accentuer pour protéger les victimes et leurs enfants. « Elles fournissent souvent une adresse ou un hébergement aux femmes et aux enfants et les mettent en lien avec les services sociaux les psychologues, souligne Roselyne Gautier. Elles sont souvent à l’origine de la saisine de la justice notamment des dépôt de plaintes ou demandes d’ordonnances de protection. Elles fournissent souvent une adresse ou un hébergement aux femmes et aux enfants et les mettent en lien avec les services sociaux les psychologues. » Un travail de terrain utile, mais qui ne suffit pourtant pas à désengorger la justice et à répondre à des situations urgentes et complexes. L’ordonnance de protection implique en principe pour l’auteur des violences, l’instauration d’un droit de visite sur les enfants en présence d’un tiers ou en Espace de rencontre. Les droits de visite en espace de rencontre font souvent face à l’incompréhension des justiciables. « L’ordonnance de protection implique en principe pour l’auteur des violences, l’instauration d’un droit de visite sur les enfants en présence d’un tiers ou en Espace de rencontre. Il y seulement deux structures sur le Département et l’augmentation du nombre des ordonnances a accru les besoins. Les JAF font souvent face à l’incompréhension des justiciables. Les délais de prise en charge ont pu atteindre un an. Une année entière pendant laquelle un parent n’a pas de contact avec son enfant », poursuit Roselyne Gautier.
Nouvelles méthodes de travail
Les pôles spécialisés dans la
lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), lancés par le précédent
ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti et appliqués dans les tribunaux
depuis le 1er janvier 2024, ont également permis de nouvelles
méthodes de travail, axées sur la transversalité.
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efficace ? En
Essonne, les collectivités territoriales ont aussi déployé de nombreuses initiatives
de sensibilisation aux violences conjugales, favorisant l’accès
au droit pour les victimes. Dans son communiqué sur les chiffres 2023 des violences
conjugales, le ministère de l’Intérieur attribue l’augmentation des
signalements à « la libération de la parole ».
Roselyne Gautier partage ce
constat : « Le travail des associations féministes a beaucoup
participé à l’augmentation de nos dossiers. Il y a beaucoup d’infos sur les
réseaux sociaux, une vraie sensibilisation, et c’est évident que cela impacte
notre fonctionnement. En 2007, j’étais juge en correctionnelle, et les affaires
de violences conjugales n’arrivaient que très rarement devant le tribunal. »
« Des
profils psychologiques complexes »
Mais la magistrate nuance : « Si
les requêtes augmentent, toutes ne sont pas recevables. Nous rejetons beaucoup
de dossiers. Certains servent de prétexte à l’obtention d’un titre de séjour ou
d’un logement, par exemple, ou alors à des allocations spécifiques de la CAF.
Les personnes savent que leurs demandes deviennent prioritaires quand elles
bénéficient d’une ordonnance de protection. »
Avant de décrire une réalité souvent
bien plus terre à terre. Le quotidien des affaires familiales essonniennes ?
La plupart du temps, « des jeunes qui ne se connaissent pas et qui se
disputent la garde de leur enfant, issu d’une relation éphémère, des femmes en
situation irrégulière, des mariages arrangés et surtout, des profils psychologiques
complexes. »
Finalement, les violences
extrêmes ne représentent que peu de cas. « Nous avons aussi des relations
où l’agressivité est un mode d’expression réciproque. Des couples qui ont du
mal à communiquer autrement que par des paroles violentes, et qui parfois finissent
par renouer. Il arrive que l’on assiste à des réconciliations en pleine
audience, et certaines victimes reprennent contact d’elles-mêmes avec leur
ex-conjoint. Heureusement, les vrais monstres sont rares. »
Mylène
Hassany
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