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Le festival du film judiciaire des CDAD dans les Yvelines a soufflé sa deuxième bougie autour du thème de la justice restaurative. L’occasion de parler réinsertion, droits de la défense et posture de l’avocat, mais aussi justice restaurative à l’école, alors que le département s’apprête à signer une convention avec l’Éducation nationale pour mettre en place ce dispositif dans les établissements scolaires.
Générique de fin et
applaudissements fournis se font entendre dans la salle du
cinéma-théâtre de La Celle-Saint-Cloud. Les quelque 140 élèves du lycée Jean-Vilar
de Plaisir (78) semblent avoir apprécié le film de Jeanne Herry Je verrai
toujours vos visages (2023), diffusé dans le cadre du festival du film
judiciaire des Yvelines, revenu du 31 mars au 3 avril pour sa deuxième
édition.
À travers cette fiction
d’1h58 très documentée, les jeunes spectateurs ont découvert – comme le grand
public avant eux – la justice restaurative (JR) : la rencontre préparée,
encadrée et sécurisée entre des victimes et des auteurs d’infractions condamnés,
qui cherchent à se reconstruire ou à (se) réparer.
Dans la salle, à l’issue de
la séance, une avocate du barreau de Versailles et deux chargés de mission JR
auprès de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) des Yvelines vont à la
rencontre des élèves pour la suite du programme : une série de questions-réponses
sur le film, sa thématique et le monde judiciaire en général.
« Je ne connaissais
pas du tout la justice restaurative »
« Peut-on avoir une
remise de peine quand on participe à la justice restaurative ? »
demande par exemple un lycéen. « Non, la JR se pratique sur la base du
volontariat, en parallèle de la procédure et sans lien avec elle. Nous ne
traitons pas avec le juge », rappelle Ahmed El Borj. Le chargé de
mission en profite pour souligner les principes de « gratuité » et de
« confidentialité stricte » de cette pratique parajudiciaire,
consacrée depuis 2014 dans la loi française.
« Elle peut être mise en place dès le dépôt de plainte, avant ou après le procès, parfois même pendant, même si c’est plus rare », intervient Violaine Faucon-Tillier, avocate au procès des attentats du 13 novembre, où certaines formes de justice restaurative ont été mises en œuvre. « Le dialogue instauré peut-il permettre la réinsertion ? » interroge encore une élève. « Nous n’avons, à ce stade, pas de chiffres précis », reconnaît Zoé Stearns, également chargée de mission JR.
« Mais cette
pratique cherche à revaloriser les victimes et les auteurs, avec une
responsabilisation importante de ces derniers. Ça aide à la réinsertion, oui.
Certains détenus s’engagent dans des formations après leur parcours »,
témoigne-t-elle.
À lire aussi : Justice restaurative : « Il reste beaucoup de sensibilisation à
faire dans le monde judiciaire »
« Au fil des
entretiens, les gens changent, c’est visible ! » ajoute Ahmed El Borj.
« Mais la rencontre n’est pas une fin en soi. La préparation en amont
joue un rôle prépondérant dans le travail sur soi. » Il en profite
pour rappeler que la JR peut être refusée si les personnes concernées « ne
sont pas prêtes », « n’ont pas les bons objectifs »
ou « sont mal intentionnées ».
« Je ne connaissais
pas du tout ce dispositif. J’ai trouvé le film captivant et très éclairant sur
ce qu’est la justice restaurative », témoigne Manël, 16 ans, à l’issue
du film. Quant à Maëlle, elle estime que le film lui a donné une autre vision
de la justice : « J’avais des a priori sur le monde judiciaire. Une
justice… bâclée… qui ne va pas au fond des dossiers. Avec la justice
restaurative, j’ai l’impression qu’on prend le temps d’aller au bout des choses
et qu’il y a plus de suivi. »
« Comment défendre
l’indéfendable ? » Le rôle de l’avocat en question
La justice en général, il en est aussi question ce jour-là. Les lycéens se saisissent de l’opportunité pour
s’interroger principalement sur les droits de la défense et sur la posture de
l’avocat. « Savez-vous que votre client est coupable au moment où vous
le défendez, et si oui, qu’est-ce qui vous pousse à le défendre ? », « Comment
défendre l’indéfendable ? » demandent, à quelques minutes
d’intervalle, deux lycéens.
Après la diffusion, les intervenants Violaine Faucon-Tillier, Ahmed El Borj et Zoé Stearns répondent aux lycéens yvelinois.
« Quand je défends un
client, je porte la parole et la situation d’un homme. Je distingue l’acte de
la personne. Un avocat peut d’ailleurs amener son client à reconnaître l’acte
pour lequel il est poursuivi. Dans l’exemple du procès V13, les actes sont
terribles et indéfendables. Mais derrière chaque procès, il y a une personne,
avec sa construction, son histoire. Mon travail consiste à faire comprendre qui
est cette personne et ce qui l’a amenée là. Le rôle de l’avocat est de faire
ressortir cette humanité », raconte Violaine Faucon-Tillier.
Les lycéens s’interrogent
aussi sur les relations avocats-clients, leur lien de proximité avéré ou
relatif. « Il faut savoir mettre une distance », soutient
l’avocate, qui intervient en droit de la famille et en droit pénal auprès des
enfants. « Je tutoie facilement un jeune pour me mettre à son niveau,
ne pas le regarder de haut. Mais il m’arrive de rappeler qui je suis et quelle
est la situation, si la qualité du dialogue se dégrade », livre
l’avocate, qui se place entre figure de confiance et figure d’autorité.
La justice restaurative bientôt élargie à l’Education nationale
Malgré l’actualité brûlante
de sa remise en cause et l’adoption, le 26 mars dernier, d’une réforme dure par
le Sénat, la justice des mineurs n’est pas abordée. De réponse pénale contre le
harcèlement scolaire et de justice restaurative à l’école non plus, bien que ce
fléau toucherait près de 700 000 élèves en France. Faute de temps, bien sûr, et
de moyens : les lycéens n’ont pas tous eu l’occasion de préparer la séance avec
leurs professeurs, le calendrier scolaire étant déjà bien chargé.
« La justice
restaurative est un droit ; dans les faits, tout le monde devrait pouvoir en
bénéficier. Mais dans la réalité, c’est plus compliqué. Même si elle existe
depuis dix ans, cette pratique bouscule beaucoup de croyances et de convictions
chez les magistrats, les avocats ou encore les associations »,
témoigne Ahmed El Borj à la fin du débat.
Cependant, les lignes
bougent. Le pôle justice restaurative de la PJJ 78 est en passe de signer, fin
avril, une convention avec l’Éducation nationale pour un dispositif de justice
restaurative généralisée aux écoles. Auparavant, ce pôle, créé en 2021 et financé par la justice de proximité, ne
prenait en charge que des mineurs suivis par la PJJ. Avec cette convention, les
élèves du département qui le souhaitent pourraient faire appel au pôle de
justice restaurative, dès le dépôt de plainte.
Delphine
Schiltz
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