Article précédent

TRIBUNE. L’enseignement de l’éthique animale à l’école prévu par la loi [visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes] intervient à la confluence du sujet de la protection de l’enfance mais aussi de la responsabilité des mineurs. L’avocate et responsable de la Commission ouverte Droits & Animaux au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon analyse l’effectivité de la loi de 2021 et la réponse apportée à ces enjeux « actuels et pressants ».
Depuis la rentrée 2024, la « question du respect des animaux de compagnie » fait partie du programme d'enseignement moral et civique de nos générations futures sur les bancs de l’école au CP[1] selon l’arrêté du 29 mai 2024[2].
Une nouveauté qui procède de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes (loi de 2021) venue compléter l’article L.312-15 du Code de l’éducation selon lequel « l'enseignement moral et civique sensibilise également, à l'école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale ».
Après les débats sur la restriction de la sensibilisation des élèves à la sensibilité des seuls animaux de compagnie[3], le programme d’enseignement répond-il aux enjeux et objectifs ? Quelle effectivité de la norme vis-à-vis de sa cible et des modalités de sa mise en œuvre ?
Quel programme d’enseignement sur l’éthique animale ?
Face à l’évolution de la délinquance
juvénile caractérisée par une violence accrue qui dépasse les murs de l’école,
le législateur envisageait un arrêté conjoint des ministres chargés de
l'agriculture, de l'alimentation, de l'éducation nationale, de la jeunesse et
des sports et du ministre de la défense sur le contenu et les modalités de mise
en œuvre de la sensibilisation à l'éthique animale[4]. Mais c’est seul que le ministère
de l'éducation nationale et de la jeunesse a fixé le programme relatif au
respect des animaux de compagnie par les plus petits.
Concernant le retard dénoncé
par les associations de protection animale dans la mise en œuvre de cette
sensibilisation, rappelons que l’ article D. 311-5 du Code de l’éducation
dispose que les programmes ne peuvent entrer en vigueur que douze mois au moins
après leur publication, sauf décision expresse du ministre compétent et après
avis du Conseil supérieur de l'éducation. Décision fut prise de déroger à ce délai
minimum pour certaines classes seulement, réduisant ainsi le retard pris dans
l’élaboration du programme de sensibilisation en application de la loi de 2021.
2024-2025 |
Classes de cours
préparatoire, cours moyen 1ère année, 5ème, 2nde générale et
technologique, 2nde professionnelle et 1ère année de préparation au
certificat d’aptitude professionnelle |
2025-2026 |
Classes de cours
élémentaire 1ère année, cours moyen 2ème année, 4ème, 1ère des
voies générale, technologique et professionnelle et 2ème année de préparation
au certificat d’aptitude professionnelle |
2026-2027 |
Classes de cours
élémentaire 2ème année, 6ème, 3ème et terminale des voies générale,
technologique et professionnelle. |
Alors que la loi de 2021
visait l'école primaire, le collège mais aussi le lycée, force est de constater
que « la question du respect des animaux de compagnie » n’est
prévue que dans le programme des CP[5].
Quelles modalités de sensibilisation
des enfants à la sensibilité animale ?
Mentionnée dans l’enseignement
des règles collectives et l’autonomie, la question du respect des animaux est
rattachée aux notions de droits et devoirs de l’élève, l’égalité et la
responsabilité. Cependant, l’apprentissage de la sensibilité animale est inclus
dans l’enseignement du respect des équipements de la collectivité, des
conditions du partage des biens communs. Ainsi, ce programme d’enseignement
tant attendu associe la « question » (et non le devoir) du respect
des animaux au respect des équipements et des biens communs.
Rappelons que la Loi de 2021
aborde la sensibilisation à l’éthique animale sous le prisme philosophique et
scientifique. Alors bien sûr, sensibiliser les plus petits sous ce prisme est
pour le moins difficile. Mais le choix d’associer les animaux de compagnie à
l’enseignement tenant à des « équipements », risque d’être
contreproductif, si le professeur n’est pas accompagné et guidé.
Même si l’animal approprié relève encore du régime des biens, la sensibilité des animaux n’est pas une question. Elle est reconnue depuis 1976 pour les animaux domestiques et pour l’ensemble des animaux depuis 2015. Il ne s’agit pas de faire un cours de droit à des CP. Pour autant, les modalités d’enseignement sur la « question » du respect des animaux mériteraient d’être mieux encadrées.
« Il s’agit pour les élèves de mieux appréhender l’altérité en prenant conscience des similitudes entre humains et animaux, notamment à travers la sensibilité à la douleur, aux maltraitances »
Au nom du principe de liberté
pédagogique dans l’enseignement, le ministère s’interdit d’imposer aux
professeurs les supports de leurs cours[6]. Dans ce contexte,
nombreuses sont les associations à proposer leurs propres supports. D’autres
encore dans le domaine de la médiation animale démarchent les écoles pour
vendre leurs prestations. Alors que la médiation animale, dans son acception
élargie, se développe dans un contexte de vide juridique, au détriment des
animaux détenus par certains médiateurs plus mercantiles que vertueux, la
présence des animaux dans les écoles pour aborder la question de l’éthique
animale soulève de nombreuses interrogations : la question préalable des
éventuelles allergies par certains enfants, la question du contact avec
l’animal qui ne doit pas être là pour divertir, ou pour alimenter la
sensiblerie trop humaine autour des animaux[7], mais au contraire pour apprendre
à respecter l’animal en tant qu’individu à l’opposé d’un bien collectif.
Comment ne pas déplorer
l’absence d’une certaine normalisation de la qualité pédagogique du support
mais surtout du défaut de contrôle de la réponse apportée à la finalité de
l’enseignement : faire prendre conscience aux enfants que l’animal de
compagnie est un être sensible pour mieux lutter contre la maltraitance animale
et conforter le lien entre les animaux et les hommes. En d’autres termes, il
s’agit pour les élèves de mieux appréhender l’altérité tout en prenant
conscience des similitudes entre les humains et les animaux, notamment à
travers la sensibilité à la douleur, aux maltraitances.
Des mauvais traitements sur
animaux à la maltraitance humaine
Le programme d’enseignement
rappelle que le CP constitue le moment charnière entre l’école maternelle et
l’école élémentaire. Tout particulièrement au CP, l’école renforce une première
acquisition des exigences du respect d’autrui et de la vie en société, en
permettant à l’enfant de trouver sa place comme personne singulière. Chaque
enfant apprend ainsi à se comporter comme un élève en développant son identité
dans le respect de soi et des autres.
Face au harcèlement, aux
violences domestiques, à l’exposition des enfants à toute forme de violence, à
la banalisation de celle-ci sur les réseaux et jusque dans des dessins animés, aborder
l’éthique animale sous le prisme de la sensibilité à la douleur[8] pourrait, sans aucunement
dévier vers un anthropomorphisme, mieux faire comprendre l’atteinte à
l’intégrité, aider à reconnaître la violence, et peut-être libérer la parole
d’enfants témoins, voire victimes ou auteurs de maltraitance.
La récente introduction de la
définition de la maltraitance dans le Code de l'action sociale et des familles [9](« CASF ») procède
de la définition élaborée dans le cadre de la Commission de promotion de la
bientraitance et de lutte contre la maltraitance[10].
Si l’animal n’est pas reconnu
en droit comme un être vulnérable[11], ni comme une victime, il
n’en demeure pas moins qu’un enfant victime de maltraitance peut avoir en
commun avec l’animal, l’auteur(e) des violences. La structuration de la
définition donnée à l’article L119-1 identifie les différents
éléments permettant de caractériser la maltraitance :
Comment |
lorsqu'un geste, une parole, une
action ou un défaut d'action |
Impact |
compromet ou porte atteinte à son
développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et
|
Contexte |
que cette atteinte intervient
dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d'accompagnement |
Dans le temps |
les situations de maltraitance
peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non |
Origine |
leur origine peut être
individuelle, collective ou institutionnelle. Les violences et les
négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces
situations |
De la santé mentale et de la
responsabilité pénale des mineurs
En septembre 2023, le Comité
des droits de l’enfant alertait sur les incidences de toute exposition à la
violence, y compris celle sur les animaux. Dans son observation générale 26, en
référence à l’article 19 « Droit de ne pas être soumis à une forme
quelconque de violence », le texte énonce que « les enfants
doivent être protégés contre toutes les formes de violence physique et
psychologique et contre l’exposition à la violence, comme la violence
domestique ou la violence infligée aux animaux. »
L’impact des violences
auxquelles sont exposés les enfants sur leur santé mentale ne cesse d’être
démontré par les professionnels de la santé. De victime à auteur de violences,
il n’y a parfois qu’un pas. Se multiplient également les études statistiques
sur la zoophilie pratiquée par des adolescents isolés ou/et visionnant des
films pornographiques. La cruauté quotidienne des enfants à la Réunion comme à
Mayotte notamment sur des chiens et contre laquelle luttent des associations de
protection animale est une alerte sur la santé mentale des enfants.
Aussi, lorsque, le 10 octobre
2024, le premier ministre Michel Barnier a annoncé que la santé mentale serait
la grande cause nationale pour 2025, la question des violences perpétrées
envers les animaux en présence ou par des enfants ne doit pas être éludée.
Bien au-delà des associations
de protection animale, le corps médical appelle aux actions pluridisciplinaires,
y compris avec l’Education Nationale, pour prévenir et repérer les mineurs
auteurs de violences. A cet effet, l’Article L221-1 du CASF dispose au 5ter que
le service de l'aide sociale à l'enfance est chargé de « (…) veiller au
repérage et à l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou
dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale. »
Depuis la réforme de la
justice pénale des mineurs entrée en vigueur le 30 septembre 2021 et
l’instauration du code de justice pénale des mineurs (CJPM), « lorsqu'ils
sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l'article 388 du Code
civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont
ils sont reconnus coupables. (art L11-1 CJPM).
L’article précise qu’« est
capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est
apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet. »
Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de
discernement tandis que les mineurs âgés d'au moins treize ans sont présumés
être capables de discernement.
Dans
ce nouveau cadre juridique, la sensibilisation des mineurs au collège et lycée au
respect des animaux ne saurait être dissociée de la prise de conscience de la
responsabilité pénale[12] qu’ils encourent. L’intervention de
personnes qualifiées non seulement sur la question animale mais aussi sur le
volet juridique et notamment en droit pénal s’impose.
En considération du principe
fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel il est
nécessaire de rechercher le relèvement éducatif et moral par des mesures
adaptées à l’âge et à la personnalité[13], les avocats ont une
vraie légitimité à intervenir auprès des élèves pour expliciter tant
l’évolution de la protection des animaux que la notion de discernement et la
responsabilité de leurs actes.
Marie-Bénédicte Desvallon
Avocate au Barreau de
Paris et Solicitor of England & Wales - WAT & LAW
Responsable de la
Commission ouverte Droits & Animaux au Barreau de Paris
Directrice de session
de la formation continue des magistrats sur le module l’animal et le droit
Co-auteure du manuel
juridique sur les chiens de travail
[1] Cours
Préparatoire à l’école élémentaire.
[2] Arrêté du 29
mai 2024 - JO du 12-6-2024 Fixant le programme d'enseignement moral
et civique du cours préparatoire à la classe terminale des voies générale,
technologique et professionnelle et des classes préparant au certificat
d'aptitude professionnelle.
[3] Et non
des animaux de rente et autres animaux domestiques ni même des animaux non
domestiques à l’état de liberté.
[4] Article
25 de la Loi du 21/12/2021.
[5] Bulletin officiel n° 24 du 13 juin 2024 : Les programmes des autres classes ne visent pas la sensibilité animale ; En 3ème est prévu l’enseignement de « Prendre l’exemple de l’engagement en faveur de la cause animale » ; en 2nde, l’animal est abordé en tant qu’« objet de droit » dans le contexte d’un « respect du vivant ».
[6] Lettre
du ministère de l’Education et de la Jeunesse du 23 février 2024.
[7]
Le fait de laisser toucher l’animal par l’ensemble de la classe ne saurait
répondre au respect de l’animal. A titre d’exemple rapporté par un intervenant
en médiation animale dans les écoles avec une perruche qui, après être passée
dans les mains de plusieurs enfants, fut étranglée par un autre enfant pendant
la même classe.
[8] A la
souffrance sous toutes ses formes.
[9] Loi n°
2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants
[10] Instance
conjointe du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) et du
Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).
[11]
On parle en revanche d’espèce vulnérable en considération d’un état de
conservation d’animaux sauvages à l’état de liberté (ex à la date du présent
article Le Loup gris (Canis lupus), une espèce classée “ vulnérable »
(risque proche d’être menacé d’extinction).
[12]
Art 122-8 du Code pénal : » Les mineurs capables de discernement sont
pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été
reconnus coupables, en tenant compte de l'atténuation de responsabilité dont
ils bénéficient en raison de leur âge, dans des conditions fixées par le code
de la justice pénale des mineurs.
[13] Cons.
const. 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, n°
2002-461 DC.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *