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Dans le 4e rapport de l’Observatoire national du suicide (ONS), « Suicide, quels liens avec le travail et le chômage ? », les experts alertent sur la probable hausse des suicides suite à l’épidémie de Covid-19 et à l’envolée du chômage.
Quelques heures après avoir été licencié, Stephano Patry, 46 ans, est retrouvé mort dans le garage de ses parents avec, à ses pieds, sa lettre de remerciement. Ce 5 juin 2020, cet éboueur, salarié de COVED, une entreprise de collecte de déchets de Fresne-Camilly près de Caen, ne supporte pas la perte de son emploi, alors qu’il avait effectué 26 ans de bons et loyaux services, et préfère se donner la mort. Le choc est d’autant plus rude que son employeur lui reproche d’avoir consommé deux bières sur son temps de travail. Bières offertes par un riverain pour le remercier de son dévouement tout au long du confinement…
Les experts inquiets
La nouvelle secoue l’opinion publique à cause de la sanction disproportionnée infligée à cet employé, mais cette affaire sert également de révélateur. Quelles qu’en soient les raisons, la perte d’un emploi représente toujours un choc et entraîne un risque accru de suicide pour les individus, c’est ce que rappelle le 4e rapport de l’Observatoire national du suicide (ONS), publié mercredi 10 juin. Ces experts sont très inquiets à l’approche d’une crise économique et sociale majeure dans le sillage de l’épidémie de Covid-19, et donc d’une envolée du chômage. En effet, une étude de la Fondation Jean-Jaurès de 2016 montrait déjà que 30 % des chômeurs interrogés « ont sérieusement songé à se suicider », contre 19 % des actifs. « Le lien entre taux de chômage et suicide est connu depuis la crise de 1929 aux États-Unis, et de nombreuses publications portant sur la crise de 2008 ont aussi montré un lien incontestable entre suicide et perte d’activité et précarité », souligne le psychiatre Michel Debout lors d’une conférence de presse.
Détérioration de la santé mentale
La perte d’emploi fragilise les individus, les isole et les stigmatise socialement. Il s’ensuit généralement une dégradation de leur santé (troubles du sommeil, alimentation déséquilibrée, moindre activité physique, comportements addictifs, etc.). Des dommages pour la santé aussi bien physiques que psychologiques. « Le chômage entraîne une détérioration de la santé mentale pouvant aller de l’anxiété à la dépression, voire, dans sa forme la plus dramatique, au suicide », constate sans appel le rapport de l’ONS.
Il faut rappeler que le suicide n’est pas qu’un choix intime aux ressorts psychologiques, mais doit être aussi compris comme un phénomène social. C’est une réponse extrême à l’implacabilité de la société. « C’est bien à “l’être social” que s’adresse la violence générée par la perte d’emploi, les licenciements, les plans sociaux et les dépôts de bilan », souligne Michel Debout au journal Le Monde. Cette réaction radicale s’explique par la place centrale qu’occupe notre emploi dans nos vies et la construction de notre identité. Le rapport précise tout de même que le suicide est par nature multifactoriel et ne trouve pas forcément son explication dans une cause unique ; il souligne toutefois qu’une perte d’emploi reste un facteur de risque majeur.
Grâce à ses recherches, Michel Debout a pu établir trois types de suicides chez les chômeurs. Le « suicide retrait », qui advient après une période d’isolement, de désocialisation et de dépression causée par le chômage et qui pourrait être évité par une proposition de formation ou d’emploi, même précaire. Le « suicide protestation », où le chômeur exprime son refus d’une situation jugée injuste ou insupportable. C’est une contestation de tout ce qui, en amont, a provoqué le licenciement. Enfin, le « suicide sacrifice » est « le refus de l’impuissance face à la réalité économique et financière. Les suicidés veulent “faire bouger les lignes”, à travers un acte qui doit provoquer la plus grande émotion possible. Ils mettent ainsi en scène leur colère et leur ressentiment. »
Hausse des actes suicidaires
L’ONS rapporte que le taux de décès par suicide a diminué entre l’an 2000 et 2016. Une tendance à la baisse qui perdure depuis les années 1980. Malgré cela, la France comptait encore environ 9 300 décès par suicide au cours de l’année 2016, une proportion certes en forte baisse (14 suicides pour 100 000 individus, contre 21 pour 100 000 en 2000) mais qui fait toujours de la France un des pays européens où l’on se suicide le plus (9e rang sur 28). « Hélas, cette évolution [à la baisse] est en cours d’inversion rapide. On constate déjà une remontée des actes suicidaires avec la crise », déplore au Monde Jean-Claude Delgènes, président fondateur du cabinet Technologia, spécialiste de la prévention des risques psychosociaux.
Le psychiatre Michel Debout, co-auteur du rapport de l’ONS, alerte les pouvoirs publics sur l’urgence de proposer des accompagnements psychiques aux demandeurs d’emploi. « Il est urgent qu’un comité d’experts se mette en place, comme cela a été le cas pour le risque épidémiologique, mais cette fois sur le risque suicidaire, pour formuler des préconisations en termes de santé et de prévention », insiste-t-il.
Maïder Gérard
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