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L’autoconsommation se définit comme la possibilité pour un consommateur de produire lui-même tout ou partie de sa consommation d’électricité. On distingue l’autoconsommation individuelle, consistant pour un consommateur à produire pour lui-même l’électricité qu’il consomme, et l’autoconsommation collective, où plusieurs consommateurs s’associent avec un ou plusieurs producteurs (articles L. 315-1 et L. 315-2 du Code de l’énergie).
Ce statut juridique est en vigueur depuis février 2017, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 ayant habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relatives à l’autoconsommation ; celle-ci est intervenue le 27 juillet 2016 (n° 2016-1019) et a été ratifiée par la loi du 24 février 2017. L’adoption de la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables consacre cette nouvelle modalité de production/consommation d’énergies renouvelables, l’encourageant par de nombreux moyens.
Ce mécanisme présente en effet de nombreux intérêts pour l’ensemble des acteurs, aussi bien privés (entreprises, particuliers) que publics (collectivités territoriales). Il permet de réduire la facture énergétique et de sécuriser la production face à la volatilité du prix de l’électricité sur le marché mais également de réduire l’impact environnemental (baisse des émissions de gaz à effet de serre). Il permet également, produisant au plus proche de la consommation, de réduire considérablement les pertes en ligne et de responsabiliser les acteurs et en particulier les ménages qui, devenant leurs propres producteurs et/ou gérant directement leur consommation, ont un rapport tout à fait différent à l’utilisation de l’électricité. Enfin, dans le cadre de l’évolution vers la construction passive et la réduction de la consommation énergétique des bâtiments anciens et nouveaux, l’autoconsommation collective et individuelle peut jouer naturellement un rôle central.
Tous ces avantages semblent toutefois inexistants aux yeux des pouvoirs publics français, puisque seulement 30 000 autoconsommateurs individuels seraient dénombrés en France, ce qui est très peu comparé aux autres pays européens comme l’Allemagne (1,5 millions), le Royaume-Uni (750 000) ou encore l’Italie (630 000). S’agissant de l’autoconsommation collective, une vingtaine d’opérations seraient en cours d’expérimentation et une centaine en cours de montage. Cette situation est d’autant plus aberrante que sur un plan purement économique pour les ménages, l’effet ciseau lié à la baisse des coûts de production d’électricité renouvelable et à la hausse des prix de l’électricité en général devrait favoriser cette orientation.
Mais force est de constater que la complexité du cadre réglementaire (I) s’y oppose, d’où l’attente très forte des transformations législatives et réglementaires à attendre du fait de l’entrée en vigueur de la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (II).
La complexité du cadre réglementaire pour réaliser des opérations d’autoconsommation
Le premier frein est d’ordre financier : l’investissement initial pour le montage de l’opération est très souvent un obstacle pour le particulier ou la collectivité. Le recours à un tiers finançant l’installation leur permettrait de réaliser des économies d’énergie tandis que ce tiers récupérerait son investissement via la revente du surplus d’électricité produite. Or la réglementation applicable interdit le tiers financement en matière de vente ou de revente d’énergies aux termes de l’article L. 381-1 du Code de la construction et de l’habitation. Afin d’échapper à cette interdiction, des montages contractuels complexes sont mis en place à travers la mise à disposition des toitures ou d’un terrain via des contrats de bail emphytéotique, de bail à construction, de bail commercial ou encore de bail à usage. Ainsi, le tiers se substitue juridiquement au propriétaire de l’installation pour devenir l’autoproducteur. Ces contrats devront prendre en compte la durée de l’installation, la mise en place de servitudes pour la société de maintenance ou encore la pose des câbles électriques reliant l’installation au réseau.
Le deuxième frein concerne le périmètre de l’autoconsommation collective limité « en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension » (poste HTA-BT), selon l’article L. 315-2 du Code de l’énergie. Cela n’est pas cohérent avec la réalité spatiale des projets d’autoconsommation qui sont le plus souvent raccordés à plusieurs postes HTA-BT, et pour lesquels des regroupements par logique territoriale semblent plus pertinents, incluant des bâtiments à la fois tertiaires et industriels. Cela permettrait alors d’aligner les plages horaires de consommation avec celles d’autoproduction.
Il existe également un frein fiscal. En effet, le développement de la production décentralisée de l’électricité vient réinterroger les deux principales catégories d’utilisateurs, les producteurs (injection) et consommateurs (soutirage), qui peuvent être la même personne dans une opération d’autoconsommation. Actuellement, la part variable du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) – c’est-à-dire l’électricité soutirée du réseau public – ne s’applique pas à l’autoconsommation individuelle ; en revanche, une double tarification optionnelle pour l’utilisation du réseau est appliquée pour l’autoconsommation collective depuis le 1er août 2018 avec un tarif plus bas que la moyenne pour les flux autoconsommés et plus haut pour l’électricité achetée. Ce tarif « alloproduit » majoré de l’ordre de 15 % pour les kilowattheures consommés par l’autoconsommateur auprès de son fournisseur habituel a pour conséquence de pénaliser le développement de ces opérations. De plus, l’article L. 315-2 du Code de l’énergie exonère les opérations d’autoconsommation collective du régime de l’achat pour revente, rendant plus attractif ce système à l’autoconsommation sur site. Concernant la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et des taxes locales sur la consommation finale d’électricité (TLCFE), une différence de traitement existe entre l’autoconsommation individuelle et collective puisque la première bénéficie d’une exonération pour toutes les installations de moins de 1 000 kW en autoconsommation totale ou partielle (article 266 quinquies C du Code des douanes) ce qui n’est pas le cas pour la seconde. Cette exonération est pourtant indispensable au développement économique des projets.
Enfin, le monopole du gestionnaire du réseau public de distribution (ENEDIS) engendre des relations difficiles. Elles sont le fruit d’un système énergétique centralisé et nécessitent des ajustements en raison du développement de l’autoconsommation, instrument au service d’une énergie décentralisée. L’article L. 315-6 du Code de l’énergie prévoit ainsi que le gestionnaire doit mettre en œuvre les dispositifs techniques et contractuels « dans des conditions transparentes et non discriminatoires des opérations d’autoconsommation ». ENEDIS a longtemps rejeté les demandes de raccordement indirect, c’est-à-dire une installation raccordée à un réseau privé, lui-même raccordé au réseau public de distribution. La Cour de cassation a confirmé cette position défavorable au développement de l’autoconsommation collective, considérant que seuls les gestionnaires de réseau public d’électricité pouvaient être en mesure d’assurer une mission de gestion d’un réseau (Cass. Com., 4 septembre 2018, n° 17-13015). La loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures a ensuite consacré la notion de réseaux intérieurs des bâtiments (articles L. 345-1 et suivants du Code de l’énergie). Est ainsi permise l’installation d’un unique compteur pour tout un immeuble avec un réseau intérieur acheminant l’électricité à tous les bureaux. Ils ne sont en revanche réservés qu’aux bâtiments à usage tertiaire ou accueillant un service public. Le problème demeure pour les opérations d’autoconsommation collective à usage d’habitation.
Une levée future des contraintes réglementaires annonçant l’essor de l’autoconsommation
La consécration de l’autoconsommation par la directive européenne du 11 décembre 2018
La directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables fixe un objectif contraignant de produire 32 % d’énergie à partir d’énergie renouvelable d’ici 2030, renforçant l’intérêt de l’autoconsommation. L’article 21 consacre le droit pour les consommateurs de devenir des autoconsommateurs d’énergies renouvelables, de manière individuelle ou collective.
Tout d’abord, il est prévu que les autoconsommateurs ne doivent pas être soumis à des procédures et à des frais discriminatoires ou disproportionnés en ce qui concerne l’électricité qu’ils prélèvent ou injectent dans le réseau et l’électricité produite à partir de sources renouvelables qu’ils ont eux-mêmes produites et qui reste dans leurs locaux. La France devrait ainsi réviser le régime fiscal applicable à l’autoconsommation (TURPE, CSPE, TLCFE).
Ensuite, les opérations d’autoconsommation doivent pouvoir recourir à des installations de stockage d’électricité sans être tenues de s’acquitter de quelconques frais payés en double, notamment de frais d’accès au réseau pour de l’électricité stockée qui reste dans leurs locaux. Cela s’inscrit en accord avec la proposition de révision de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité adoptée fin décembre 2018 et qui définit pour la première fois le stockage de l’énergie [article 2 (47)].
De plus, la possibilité pour les États membres d’imposer des frais, non discriminatoires et proportionnés, aux autoconsommateurs est conditionnée à trois hypothèses : 1) si l’électricité produite fait l’objet d’un soutien via un régime d’aide ; 2) si la part globale des installations en autoconsommation dépasse 8 % de la capacité électrique installée après le 1er janvier 2026 ; 3) si l’électricité renouvelable produite par les autoconsommateurs est produite dans des installations d’une capacité électrique installée totale supérieure à 30 kW. Il en résulte surtout une volonté d’interdire les frais et charges jusqu’en 2026 pour l’énergie autoconsommée afin de parvenir à un déploiement économiquement rentable.
La directive ne restreint pas le périmètre d’une opération d’autoconsommation contrairement au droit français existant et enjoint les États membres à lever les obstacles injustifiés existants. La France semble avoir anticipé ces dispositions puisque la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) adoptée définitivement le 11 avril 2019 prévoit d’élargir le périmètre de l’autoconsommation collective selon des critères de proximité géographique qui seront fixés par arrêté ministériel. Cependant il ne s’agit que d’une expérimentation d’une durée de cinq ans faisant courir un risque pour les investisseurs.
Enfin, l’installation de l’autoconsommateur d’énergies renouvelables peut être détenue ou gérée par un tiers, confirmant ainsi la volonté de rendre possible le tiers investissement en France.
L’adoption de la présente directive devrait contribuer prochainement à la révision de la réglementation française concernant l’autoconsommation. Elle s’accorde parfaitement avec les déclarations faites dans le cadre du plan gouvernemental « Place au soleil » du 28 juin 2018 et de la délibération du 15 février 2018 de la Commission de Régulation de l’énergie (CRE).
L’autoconsommation, vecteur futur de création de communautés d’énergie renouvelable
L’autoconsommation, victime d’un cadre réglementaire défavorable, répond pourtant à un souhait des citoyens de devenir des consommateurs actifs, privilégiant les circuits courts et soutenant la production locale. L’autoconsommation permet de comprendre les enjeux de la production d’électricité et donc, in fine, de contribuer à maîtriser la consommation.
Ces comportements s’inscrivent dans la démarche de sobriété énergétique, c’est-à-dire la préparation à une contrainte énergétique durable, l’adaptation à une offre énergétique renouvelable, une répartition plus équitable de l’énergie et le renforcement de la capacité d’adaptation, de la résilience des territoires et de leurs populations.
À ce titre, l’article 22 de la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables consacre la notion de communautés d’énergie renouvelable et ce n’est pas un hasard si cet article suit celui relatif à l’autoconsommation (article 21).
Une communauté d’énergie renouvelable correspond à une entité juridique reposant sur une participation ouverte et volontaire, autonome, contrôlée effectivement par des actionnaires ou membres se trouvant à proximité des projets dont l’objectif premier est de fournir des avantages environnementaux, économiques ou sociaux à ses membres. Les États membres doivent veiller à ce qu’elle soit autorisée à « produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, y compris par des contrats d’achat d’électricité renouvelable » en prévoyant un cadre favorable visant à promouvoir leur développement en levant « les obstacles réglementaires et administratifs injustifiées » et les « traitement[s] discriminatoire[s] ».
À la lecture de la directive, l’autoconsommation collective apparaît comme une sous-catégorie de la notion de communauté d’énergie renouvelable. Lors de la transposition de la directive, devant intervenir avant le 30 juin 2021, la France devra donc veiller à la compatibilité du régime de l’autoconsommation collective avec la notion de communauté d’énergie renouvelable.
Les communautés d’énergie renouvelable apparaissent comme une nouvelle façon de faire interagir à la fois les populations, les collectivités publiques, les entreprises et les territoires. Elles ne sont en rien assimilables à du communautarisme mais bien au contraire, elles rassemblent consommateurs et producteurs pour une prise de conscience des enjeux climatiques.
Andréa Marti,
Avocat à la Cour,
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