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C’est un sujet qui fait débat depuis plus de 30 ans, et cette année encore, le statut d’avocat salarié en entreprise est à nouveau mis sur le devant de la scène, avec la rédaction d’un pré-projet de loi visant à créer un statut d’avocat salarié d’une entreprise. Alors que certains se réjouissent des avancés, d’autres, à l’instar du CNB, continuent à exprimer leur ferme opposition.
Le sujet ne cesse de diviser. Relancé le 2 novembre par le garde de Sceaux à l’occasion du débat sur le budget de la Justice à l’Assemblée, évoquant notamment l’expérimentation sur cinq ans du statut d’avocat en entreprise, ce dernier semble petit à petit se concrétiser. Le ministère de la Justice a en effet préparé, en janvier dernier, un pré-projet de loi sur l’« avocat salarié d’une entreprise », un premier travail préparatoire qui est assurément appelé à évoluer.
Renforcer la compétitivité des entreprises
Après concertation auprès du garde des Sceaux, l’ACE Paris, le Cercle Montesquieu et l’AFJE ont fait connaître, dans une tribune commune, leur vif soutien à cet avant-projet : « l’enjeu est celui de la place du droit et de notre économie dans un monde géopolitiquement complexe et tendu », rappellent les signataires. « Il est temps de libérer les entreprises françaises d’un particularisme archaïque, nuisible et dangereux : la France est l’une des dernières économies avancées dans laquelle les avis et les conseils des juristes dans les entreprises ne sont pas protégés, faute de bénéficier d’un mécanisme de confidentialité identique à celui des avocats », poursuivent-ils. « La France se donnera ainsi les meilleures chances d’assumer son rayonnement de première place de droit dans l’Europe de l’après Brexit, et de promouvoir les juristes français sur le marché international du droit » déclarent de concert la présidente de l’ACE Paris Nathalie Attias, la présidente du Cercle Montesquieu Laure Lavorel, et le président de l’AFJE Marc Mossé.
Ce dernier, dans un webinaire organisé le 2 février dernier par l’AFJE, considère en effet que la question ne concerne pas le statut, mais la confidentialité. L’objectif : protéger la consultation des juristes d’entreprise pour renforcer la compétitivité des entreprises sur le plan international, l’attractivité, la place du droit en France, et enfin pour consolider le rôle des juristes sur notre territoire. « Il est important de renforcer la place du droit dans nos entreprises et de doter les juristes d’entreprise de cette arme qu’est la confidentialité », déclare-t-il à cette occasion, appelant à un dialogue constructif entre avocats et juristes pour servir l’intérêt général. Une unité également défendue par le Cercle Montesquieu : « Ce texte permettrait à la fois d’unifier les professions d’avocats et de juristes d’entreprise, et de placer la France au même niveau que les grandes démocraties occidentales en matière d’exercice du droit et de respect du secret professionnel (legal privilege) mettant fin à une situation absurde et bloquée depuis plus de trente années. Il marque ainsi la volonté du ministre de la Justice d’engager une véritable modernisation des pratiques et de consacrer la place du droit en soutien à l’activité économique », souligne-t-il.
Dans le prolongement, Paris Place de Droit déclare soutenir elle aussi, et à l’unanimité de ses membres fondateurs (le tribunal de commerce de Paris, le barreau de Paris, la CCI Paris, l’ICC, l’AFJE, Paris Arbitration, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et le Cercle Montesquieu), le pré-projet de loi sur le statut d’avocat d’une entreprise et l’instauration du legal privilege en France. « Dans ce contexte de mutations économiques complexes et de concurrence accrue, le statut d’avocat en entreprise, dont la France pourra se doter, me paraît un atout de compétitivité pour les entreprises françaises, tant sur le plan national qu’international. Je l’appelle naturellement de mes vœux » a fait savoir à ce titre Frank Gentin, président de Paris Place de Droit. « L’introduction de ce legal privilege à la française garantira la protection contre la saisie et la divulgation de ces avis et analyses dans des procédures civiles, pénales, ou administratives, dès lors qu’ils portent la mention “avis juridique confidentiel” », poursuit l’association.
Un pré-projet vecteur de « réelles insécurités juridiques » pour le CNB
À l’inverse, réuni en Assemblée générale, le Conseil national des barreaux, qui rappelle s’être déjà opposé à plusieurs reprises à la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise, a voté à 71,23 % contre l’avant-projet de loi du ministère de la Justice. Il dénonce notamment « l’atteinte inacceptable que le projet communiqué porterait à l’indépendance de l’avocat et à son secret professionnel ». Sans détour, le CNB s’oppose à la création, même à titre expérimental, d’un statut d’avocat salarié d’une entreprise tel que préconisé dans cet avant-projet, et exige son retrait qui créerait, selon lui, « de réelles insécurités juridiques outre le fait qu’il viole de très nombreuses règles d’ordre public (droit de la concurrence, droit du travail, principe d’égalité, etc.) ».
Éric Dupond-Moretti à l’AG de la Conférence des bâtonniers
En clôture de l’Assemblée générale statutaire 2021 de la Conférence des bâtonniers du 29 janvier dernier, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, invité à conclure les débats, est revenu sur cette expérimentation. Il explique en effet avoir souhaité relancer la réflexion « sans a priori », et invite ainsi les avocats à pleinement y participer. Conscient des craintes que peut susciter un tel projet, le ministre soulève également les enjeux qu’il constitue pour la profession, pour le pays et pour la protection des entreprises. Outre le statut d’avocat en entreprise qui existe, rappelle-t-il, dans 17 pays européens, d’autres pistes de réflexion sont envisagées, parmi lesquelles celle de doter le juriste d’entreprise du legal privilege. Assurant que le calendrier n’est pas encore fixé, et qu’encore une fois, le projet en est au simple stade de la réflexion, il affirme qu’il organisera prochainement, à la Chancellerie, des rencontres avec toutes les parties prenantes.
Constance Périn
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