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Une révélation qui devrait conduire à une révolution des perspectives
La crise actuelle du Covid-19 offre une expérience unique de prise de recul sur notre impact sur l’environnement : entre le 3 février et le 1er mars 2020, les émissions de gaz à effet de serre de la Chine ont chuté d’un quart par rapport à la même période l’année précédente. À Paris, la qualité de l’air s’est améliorée de 20 à 30 %, selon un premier bilan d’Airparif1, une première en quarante années de mesures.
Les images impressionnantes d’une Chine libérée de sa pollution atmosphérique2, cause de maladies respiratoires chroniques, où la redécouverte d’une eau claire au sein des canaux de Venise3, en raison de la baisse du tourisme de masse, témoignent plus que jamais de l’impact de l’activité humaine sur notre environnement.
Pourtant, ce changement drastique n’est pas le fruit de la prise de conscience de la nécessité de modifier notre rapport à notre environnement que les scientifiques du GIEC réclament depuis plus de 30 ans, mais bien une halte ponctuelle et destinée à disparaître.
Cette halte remet en cause notre vision du lien entre la santé et l’environnement, et doit nécessairement conduire à une révolution du droit de l’environnement.
Les promesses du droit de l’environnement tel que construit depuis la conférence de Stockholm de 1972 n’ont pas été tenues, et les grandes avancées dans la protection de notre environnement et de notre santé sont venues des grands principes des droits humains (I). La crise sanitaire actuelle doit permettre, aujourd’hui plus que jamais, d’entériner le lien évident entre santé et environnement, et de reconstruire le droit de l’environnement autour de ce lien (II).
I. LA PRISE DE CONSCIENCE DES ÉCHECS DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT
La construction du droit de l’environnement explique son manque de résultats (A), quand les grands principes des droits humains ont garanti une défense accrue de l’environnement (B).
A. Un droit de l’environnement construit par étapes et finalement par étages qui ne communiquent pas suffisamment
Il faut tirer le constat que le droit de l’environnement est aujourd’hui détaché d’une vision d’ensemble et du lien qui existe entre la santé, la biodiversité et le climat.
Depuis l’apparition du droit de l’environnement dans les années 1970, dont la mission était de traduire la responsabilité humaine dans les atteintes à son milieu et d’atténuer l’impact des activités humaines sur les écosystèmes, les résultats escomptés ne sont, selon Yann Aguila, « pas au rendez-vous »4.
En effet, le droit de l’environnement s’est construit sur différents « étages » qui ne communiquent pas entre eux et ne permettent ainsi pas d’appréhender les relations d’interconnexions qui existent entre les secteurs de l’environnement protégés.
Le droit de l’environnement interne est constitué de textes ayant imposé des changements essentiels à la gestion et aux modes de production des installations et ouvrages ayant un impact sur l’environnement5, jusqu’à la gestion de nos déchets6.
Initialement limité au droit administratif, le droit de l’environnement s’est étendu à la plupart des domaines du droit : la révolution de l’information et de la participation du public aux projets ayant un impact sur l’environnement7, la création d’infractions pénales spécifiques à la protection des milieux et des espèces, ou l’obligation faite aux entreprises de communiquer annuellement leurs informations sociales, environnementales et de gouvernance8.
Or, il convient aujourd’hui de le dire clairement : ce développement, secteur par secteur, n’a pas permis d’appréhender efficacement la réalité de notre impact sur notre environnement.
En effet, que penser de la distinction qui est faite entre tous les milieux physiques, l’air et le milieu aquatique (Livre II, titres 1 et 2 du Code de l’environnement) et les espaces naturels (Livre III du Code de l’environnement), alors qu’il est aujourd’hui établi qu’une forme de pollution impacte en réalité de nombreux milieux indistinctement, et que la même cause a bien souvent de multiples résultantes ?
Ainsi, il a été constaté que si les vagues de chaleur dues au réchauffement climatique augmentent la pollution à l’ozone, elles favorisent en même temps la dispersion de pollens allergisants. La conséquence est un véritable effet cocktail augmentant la part des allergies respiratoires en France – qui affectent 30 % de la population adulte et 20 % de la population infantile – et des périodes de pollution atmosphérique particulièrement importante, qui affectent plus violemment encore les personnes allergiques9.
Les causes sont identiques, les maux sont multiples.
L’absurdité d’un raisonnement sectoriel, quand les maux sont structurels, est pointée du doigt par Yann Tanguy, pour qui « préserver l’environnement dans un système économique et social fondé sur la croissance continue de l’économie et l’idée de progrès et développant une logique productiviste, voilà une ambition qui, si elle n’est pas démesurée, confine, il faut l’admettre, au paradoxe ! »10
À travers son article, ce dernier souligne l’inefficacité d’un droit qui doit se saisir de questions trop vastes et importantes pour quelques mesures essentiellement limitées.
Benoit Jadot a pu exprimer les mêmes critiques envers les « lois de circonstances », quand s’impose la nécessité « d’inscrire le principe du respect de l’environnement dans des textes juridiques fondamentaux », ce qui a finalement été fait, sans doute, mais de manière trop dispersée et trop tardive11. Cette absence de communication entre les différentes matières du droit de l’environnement est d’autant plus grave lorsque la protection qu’est censé offrir le droit de l’environnement se trouve minimisée.
Corinne Lepage soulignait déjà en 200812 les lacunes du droit de l’environnement : « les procédures de prise de décisions demeurent, en France, imperméables à une meilleure appréhension des questions environnementales et sanitaires, qui restent très liées à une meilleure participation du public ».
Les enquêtes publiques « trompent les citoyens quant à leur objectif puisqu’il s’agit, en réalité, non pas de recevoir leurs avis pour en tenir compte, mais de les informer et de permettre à un commissaire-enquêteur, considéré comme tiers au débat, de pouvoir donner un avis, lequel peut être sans aucun rapport avec celui exprimé par le public ».
La saisine des enjeux environnementaux dans le cadre d’actions en justice ambitieuses, à l’instar de « l’Affaire du siècle », démontre ce caractère d’étages du droit qui ne communiquent qu’à travers un effort juridique important : les écritures déposées devant le juge administratif dans le cadre de ce litige, dont l’objet est de faire reconnaître l’absence de prise de décisions adéquates, de mesures préventives adaptées, et donc de la responsabilité de l’État, dans son incapacité à agir efficacement contre le réchauffement climatique, se transforme en liste de violations des obligations de l’État en matière de transport, de bâtiment, d’évaluation et de suivi, d’amélioration de l’efficacité énergétique, etc13.
Malgré le travail fourni dans le cadre de cette action, la plupart des auteurs mettent en doute les chances de succès des associations dans cette Affaire14.
L’affaire de la commune de Grande-Synthe est un autre exemple de la multiplication des fondements à invoquer dans un contentieux environnemental pour espérer un résultat probant : les requérants y invoquent de multiples fondements, à l’instar de l’Accord de Paris, la Constitution de 1958, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ainsi que plusieurs articles du Code de l’environnement15.
D’une façon globale, l’une de plus grandes difficultés du droit de l’environnement, comme l’a montré le rapport « Une justice pour l’environnement » des ministères de la Justice et de la Transition écologique et solidaire, de 2019, revient au dualisme d’ordres juridictionnels, ce qu’exprime parfaitement Laurent Fonbaustier lorsqu’il affirme que « les efforts en cours se heurtent […] au double dualisme des polices et ordres juridictionnels, administratif et judiciaire, la multiplication des polices administratives spéciales, en environnement ou dans des domaines susceptibles de l’impacter indirectement, ajoutant encore aux difficultés présentes »16.
Une meilleure appréhension du droit de l’environnement devra venir de nouveaux principes qui s’appuient sur le caractère unitaire du droit de l’environnement, tel qu’exprimé de façon prophétique par le doyen Vedel, dans sa préface au JurisClasseur de l’environnement (1re édition, 1992) : « le droit de l’environnement sera demain le droit du patrimoine commun de l’Humanité »,
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