Biodiversité et comptabilités publiques et privées


vendredi 19 octobre 20186 min
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Le droit public a évolué pour intégrer la prise en compte de la biodiversité dans les décisions publiques, notamment par le biais des mécanismes de compensation. Mais, le sujet majeur de l’évaluation économique et de la comptabilisation de la biodiversité est encore à l’état embryonnaire (I). Le sujet est pourtant primordial pour les États comme pour les entreprises privées et devra se traduire au sein des comptabilités publiques (II) et privées (III).


 


La reconnaissance du rôle économique majeur de la biodiversité et des services rendus par la nature


1,8 millions d’espèces sont connues sur terre et on estime qu’il pourrait y en avoir jusqu’à 100 millions.


Les milieux naturels et les espèces rendent de multiples services à l’humanité, aux espèces vivantes, et aux milieux (pollinisation des végétaux, fertilité des sols, épuration naturelle de l’eau dans les milieux humides, tourbières, milieux humides qui protègent contre l’érosion du littoral, réduisent l’intensité des crues et des inondations, et luttent contre les changements climatiques) et structurent les paysages notamment en milieu urbain. Les entreprises quant à elles retirent volontairement de multiples bénéfices du monde vivant (biodiversité animée et inanimée).


Dès lors, en sus de la catastrophe que représente sur le plan éthique l’érosion de la biodiversité, la rétractation et la disparition des écosystèmes et des milieux ont un coût colossal. Les activités humaines ont dégradé 2 milliards d’hectares de sols, 35 % des mangroves et 20 % des acteurs coralliens avaient disparu (en 2011) ; la variété génétique s’appauvrit et des services écosystémiques ne cessent de se dégrader. La biodiversité a diminué de plus d’un quart au cours des 35 dernières années.


Une prise de conscience s’impose.


Divers services sont rendus par la nature (a) de sorte que la valeur économique de la biodiversité est une réalité (b) dont les méthodes d’évaluation restent complexes (c).


 


Des services rendus par la nature


L’agence européenne de l’environnement a développé une classification (ICES pour Internationale Classification for Ecosystem Service) autour de 8 types de services (nourriture et boissons, matériaux, énergie, régulation des processus d’assimilation et de dégradation de déchets, régulation des risques naturels, régulation et maintenance des conditions biophysiques, régulation des interactions biologiques, culturelles). Puis, elle détermine les services écologiques rendus qu’il s’agisse de production d’énergie, de régulation et de conservation (27 types de services écologiques sont détaillés). Ce concept de services écologiques permet de relier des problématiques environnementales habituellement cloisonnées (eaux, déchets, faune, flore...).. Par exemple, la question des gaz à effet de serre est traitée au sein du service de régulation du climat local et global. Ce système de classification est différent de celui retenu par le millénium écosystèmes Assessment.


Les différents services et secteurs d’activité de l’économie dépendent et ont des impacts sur la biodiversité et les services écologiques (matières premières, climat, déchets, empreinte foncière, empreinte carbone…). Dès lors, les entreprises ont un impact très fort sur l’homogénéisation des milieux, l’exploitation excessive des ressources, l’introduction intentionnelle ou non d’espèces exotiques, les changements climatiques ou encore les pollutions.


La quantification et la comptabilisation des impacts négatifs d’une activité économique sur l’environnement, devraient permettre une prise de conscience des décideurs publics et privés.


 


reconnaître une valeur économique à la biodiversité, sans se limiter à cette approche


Le total des externalités négatives environnementales causées par les activités économiques dans le monde a été évalué en 2008 à plusieurs milliards représentant 11 % du PIB mondial.


Le rapport sur la nouvelle économie climatique (ONU : commission mondiale sur l’économie et le climat en septembre 2018) chiffre de manière très claire les coûts de l’érosion de la biodiversité et les avantages qui résulteraient d’une autre politique.


Il met en lumière l’avantage économique de réparer le système. Des modèles d’utilisation durable des aliments et des terres pourraient valoir jusqu’à 2,3 billions de dollars américains, et être susceptibles de créer plus de 70 millions d’emplois d’ici 2030. Restaurer les terres dégradées pour en faire des forêts naturelles et les conserver en écosystème durable aurait des impacts non seulement sur le climat, mais aussi sur la santé humaine, l’activité agricole et la biodiversité.


Citons alors le  défi de « Bonn challenge » qui implique un engagement  dans la restauration de 150 millions d’hectares de terres dégradées à l’échelle mondiale d’ici 2030. De telles mesures pourraient permettre des retombées de 84 milliards de dollars et pourraient conduire à économiser 24 milliards de tonnes de CO2. La déforestation évaluée globalement, constitue aujourd’hui le troisième émetteur de gaz à effet de serre après la Chine et les États-Unis. Les forêts sont indispensables pour stocker le carbone et leur maintien pourrait stimuler l’économie mondiale de 40 à 80 milliards de dollars par an : elles procurent de nombreux services éco systémiques comme la purification de l’eau, la pollinisation, la régulation du climat, ou encore le contrôle de l’évolution et des habitats. En fait, les forêts et les mangroves réduisent l’impact et les risques globaux liés aux inondations et aux sécheresses qui ont causé 1,5 trillions de dollars de dégâts dans le monde entre 2003 et 2013.


Il est donc indispensable de reconnaître une valeur économique aux forêts au-delà de leur pure exploitation et donc de valoriser leur reconquête. Par exemple, en Corée du Sud, 6 millions d’hectares de terres dégradées ont été restaurés, l’apport a été évalué à 11,23 milliards pour le contrôle de l’érosion et 3,95 milliards de dollars pour la réduction des glissements de terrain.


Les paiements pour les services éco systémiques commencent à apparaître. Ainsi, au Niger, les efforts de régénération naturelle menés par les agriculteurs ont produit 280 millions de dollars en bénéfice éco systémique et les rendements ont augmenté. Au Kenya, un fonds a été créé pour protéger la santé du fleuve Tana et permettre des rendements agricoles stables. Un investissement de 10 millions de dollars dans des installations de conservation mené par ce fonds a rapporté 21 millions de dollars en avantages économiques sur 30 ans.


 


Quelle méthode adopter ?


La difficulté de l’évaluation économique est incontestable. Un rapport du centre d’analyse stratégique explique : « évaluer, c’est déterminer une grandeur et lui attribuer une valeur. L’évaluation économique se situe généralement dans le cadre de l’analyse coûts/avantages dont le principe est de comparer les options d’un choix en affectant à chacun les inconvénients et les avantages qui conditionnent sa valeur sociale ».


Pour la décision publique, il faudrait donc essayer d’apprécier la valeur économique marginale de la biodiversité et des services écologiques dans les analyses coûts/avantages. On peut alors parler d’une valeur économique totale de la biodiversité qui inclut les services écologiques des valeurs d’usage (valeurs d’usage direct, valeurs d’usage indirect, valeurs d’option, valeurs de non-usage, valeurs d’héritage et d’existence).


Du point de vue de l’évaluation économique stricto sensu, il existe de multiples méthodes d’évaluation :


l’évaluation par les prix du marché permet de calculer les valeurs économiques de services écologiques par l’analyse de biens et de services achetés vendus sur les marchés ;


les méthodes basées sur les coûts permet de quantifier les coûts des dommages évités, les coûts de remplacement des services écologiques ou les coûts de mise à disposition de substituts ;


la méthode d’évaluation par les effets attendus s’apprécie dans la productivité stimulée des valeurs des services écologiques, par l’analyse de leur contribution à la production de biens et services marchands ;


la méthode de prix de liste permet de comprendre la variation des prix par la variation du niveau d’un ou de plusieurs services écologiques ;


la méthode d’évaluation qualitative permet d’estimer la valeur économique de tout type de services écologiques en demandant aux personnes ce qu’elles seraient prêtes à payer ou à recevoir pour leur maintien ou leur restauration ;


la méthode des choix multi-attributs permet d’évaluer les services écologiques en arbitrant entre différentes options ;


la méthode des transferts de bénéfices utilise d’autres études portant sur des objets similaires comparables en les transposant à la nouvelle situation. L’entreprise peut alors utiliser l’évaluation économique de la biodiversité et des services écologiques pour comparer les coûts/avantages de scenarii alternatifs.


Mais, d’autres critères sont à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’éléments de biodiversité remarquables ou de ressources auxquelles il n’est pas possible de toucher. Dans ce cas, les évaluations purement économiques ne sont pas acceptables.


La question qui se pose maintenant est celle de l’intégration de ces données en comptabilité.


 


L’intégration de la biodiversité des services rendus par la nature dans la comptabilité publique

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