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La loi du 9 février
1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loi Bardoux (JO
12 février 1895, p. 805), est un texte dont l’ancienneté pourrait d’ores et
déjà la condamner. Mais ce serait sans compter, outre l’ordonnance
n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros
de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, sur deux
mises à jour ponctuellement intervenues, à la faveur, et de la loi
n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau Code
pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure
pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, et de la loi n° 94-102 du
5 février 1994 relative à la répression de la contrefaçon et modifiant
certaines dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Il n’en demeure
pas moins que la matière reste très éloignée des besoins actuels, et que
30 années nous séparent de ces textes, s’ajoutant à un siècle d’existence
sans aucune remise en cause, les deux lois visées n’ayant pas eu pour objectif
de finaliser un projet de refonte globale, mais de procéder aux ajustements
imposés par des disciplines extérieures.
à
cette « ancienneté » de la réponse du droit doit être opposée la
« modernité » des pratiques des faussaires, ou de tous ceux qui,
attirés par le profit à réaliser, en général financier, mais qui peut être
également d’ordre stratégique, entrent volontiers dans une criminalité ou une
délinquance difficile à déceler, d’abord pour être une affaire de
« spécialistes », ensuite pour emprunter des voies frontalières entre
le permis et l’interdit. Le monde de l’art a ses propres usages, ses propres
traditions, et il n’est pas évident de se positionner de façon tranchée entre
ce que le droit peut accepter et ce qu’il doit interdire. Car la question qui
se pose est bien celle-ci : le faussaire d’aujourd’hui mérite-t-il encore
la clémence que promut pendant des siècles son image romantique ? De
génie, est-il devenu un délinquant qu’il est possible aujourd’hui de qualifier
et de traiter ainsi ? Certes, il est des acquis se prêtant à une législation
facile, mais tout n’est pas aussi transparent, et c’est sur la marginalité que
la norme est appelée à intervenir, ce qui la place dans une démarche moins
aisée, afin de ne rien perdre de la dynamique inhérente à la création.
Par ailleurs, la loi Bardoux est un texte de droit pénal
spécial, qui ne peut qu’affecter les libertés et les droits fondamentaux. La
liberté de la création est essentielle à l’art, sauf à étouffer sa vitalité
propre. Elle est ce que la liberté d’expression est à la pensée, et toute réforme
l’ayant pour objet doit relever d’un principe de précaution : ne pas
entrer dans une répression trop marquée, afin de conserver à la liberté toute
sa légitimité. C’est par une juste appréciation des réalités que le droit pénal
se construit. Il doit d’abord définir les intérêts sociaux objet de sa
protection : s’agit-il de défendre des intérêts privés, particulièrement
d’ordre patrimonial ? S’agit-il de valoriser des intérêts publics,
attachés à la culture d’une nation, d’une région ? S’agit-il de promouvoir
un patrimoine culturel universel, avec toutes les contraintes internationales
pesant sur l’état qui en
dispose ? Sans doute, la « vérité artistique » est-elle un
concept ignoré de longue date par la répression publique, qui a privilégié une
approche patrimoniale des fraudes artistiques, éloignée de leur impact
sociologique ou économique. Mais à l’heure de la démocratisation du marché de
l’art, de son internationalisation, ne faut-il pas penser le faux artistique
comme une atteinte à la vérité – donc comme une atteinte à l’intérêt général –
plus que comme une atteinte à un intérêt particulier ? Le fait que le
délit de faux se soit progressivement ouvert à des cas spéciaux (en matière
administrative, médicale, etc.) ne traduit-il pas cette tendance ? Ces interrogations
sont prioritaires, parce qu’elles servent de guide à la conception des normes
qui auront à les intégrer. Ce n’est qu’une fois les réponses assurées que
peuvent utilement intervenir les qualifications pénales, et, avec elles, la
définition des infractions correspondant aux interdits posés par le
législateur.
Il s’en déduit que la refonte de la loi du 9 février
1895 est une véritable opération d’arbitrage, s’agissant de dénoncer ce qui ne
va pas, de respecter ce qui est pertinent, et si besoin d’innover, le tout au
service de la philosophie de la matière. Plusieurs étapes sont nécessaires pour
avancer pertinemment dans ce programme, chacune correspondant à une question
bien précise, servant de moteur à la suivante.
Cette première question conditionne évidemment toutes les autres, tant le recours à la répression ne doit pas être systématique, au nom du principe constitutionnel de nécessité. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen oriente l’action du législateur en précisant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Cette référence à la nécessité est une contrainte, pour imposer au législateur une certaine mesure dans l’exercice de sa souveraineté. Elle vise les peines, mais elle ne peut que rejaillir sur la portée prohibitive de l’incrimination.
Il est évident que le défaut de nécessité peut se manifester autrement que par un excès flagrant dans le montant ou dans la durée de la peine, et aller jusqu’à remettre en cause le principe même de la sanction pénale, c’est-à-dire affecter l’incrimination à sa source, en constatant qu’elle ne répond à aucun besoin, et que la répression à son égard n’est d’aucun profit. Le franchissement du seuil de la répression est alors en jeu, pour rompre avec la vocation utilitaire du droit pénal. La nécessité revient ainsi à tempérer le pouvoir d’incrimination, confirmant qu’il s’exerce à des fins sociales valorisantes, et que toute disposition s’en éloignant ne peut qu’en contrarier le principe.
La règle de la nécessité est donc une garantie de mesure
dans la construction du droit pénal et dans la politique d’incrimination suivie
par le législateur. Il en résulte que la définition des crimes et des délits
est contrôlable, et qu’elle peut être constitutionnellement appréciée. La loi
perd ainsi de son absolutisme, devenant l’instrument d’une politique réfléchie
et cohérente, et la légalité y gagne en légitimité. Certes, le Conseil
constitutionnel, chargé de ce contrôle, ne peut substituer sa propre
appréciation à celle du législateur. Il ne dispose pas d’un pouvoir général
d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. La
nécessité renvoie seulement aux situations extrêmes, aux dépassements
aveuglants, à ce qui participe d’une « disproportion manifeste1 ».
Il ne suffit donc pas que les incriminations soient prévues par la loi pour en
admettre le principe, elles doivent en outre être pertinentes au regard de ce
qui les justifie socialement, pour un meilleur respect des libertés.
On rejoint ainsi l’objectif de valorisation des enjeux
sociaux les plus forts, et ce que cette politique de promotion des valeurs
sociales emporte de répression indispensable pour en assurer la stabilité et la
pérennité à la fois. Ramené aux fraudes en matière artistique, il ne peut faire
de doute que le droit pénal a légitimement sa place, tant lesdites fraudes
contrarient en profondeur nombre d’équilibres méritant d’être pris en charge
par les lois répressives, et affectant tant les intérêts privés que les
intérêts publics. Tricher sur l’authenticité d’une œuvre d’art, revendiquer une
paternité artistique qui n’est pas, apposer un signe d’identification ne
correspondant pas à la réalité, il est ici autant de menaces pesant sur la
création et ce qu’elle implique d’adhésion au « vrai », et cela
d’autant plus que le marché de l’art est devenu un relais porteur, avec ses
professionnels et ses canaux propres. Ne point marquer du sceau de la
répression ce qui engage fondamentalement la confiance au plus haut niveau,
qu’elle soit privée ou publique, serait une lacune majeure, et le législateur
du XIXe siècle l’a parfaitement compris, ayant adopté la loi du
9?février 1895. Depuis lors, il est acquis que l’art est la chose de tous.
C’est pourquoi l’atteinte causée à la vérité dans laquelle il s’inscrit –
lorsque tel est le cas – doit être réprimée au nom de l’intérêt général.
La matière artistique a-t-elle besoin d’une couverture pénale
spéciale ?
Cette deuxième question, dans la continuité de la première, engage moins la répression dans son principe, dont nous venons de dire qu’elle est éminemment nécessaire, que les techniques permettant de la rendre efficiente. Le droit pénal procède d’un construit assez complexe, avec des normes que l’on peut qualifier de droit commun, et d’autres plus en rapport avec des besoins particuliers, de sorte que les dispositions qui leur sont relatives n’ont vocation à s’appliquer qu’aux matières précisément concernées. Le droit commun est surtout représenté par le Code pénal, qui décline les crimes et délits contre les personnes (livre 2), contre les biens (livre 3), et contre la nation, l’état et la paix publique (livre 4).
Par ailleurs, même contenues dans d’autres codes, voire dans des textes particuliers, certaines incriminations ont pareillement une portée de droit commun, par leur couverture suffisamment large pour échapper à une spécificité trop marquée. C’est par exemple le cas du Code de la consommation, qui contient un volet pénal important sur les « fraudes », et dont le rayonnement, tributaire de la qualité de consommateur attachée à tout un chacun, coiffe une potentialité d’application aussi large que celle du Code pénal.
Dans ce contexte, s’interroger sur la
pertinence de réponses particulières pour prévenir et sanctionner les fraudes
en matière artistique n’est pas une vaine démarche, qui revient à constater et
dénoncer ce que ne permettraient pas de contenir les incriminations plus
traditionnelles. On songera plus particulièrement aux qualifications
d’escroquerie, de faux, de tromperie, voire de contrefaçon, qui se présentent
spontanément comme des infractions apparemment adaptées aux actions générées
par la criminalité ou la délinquance en matière d’art. Et, à considérer la manière
dont est rédigée la loi du 9 février 1895, on a parfois le sentiment qu’elle
fait double emploi avec ce qui eût pu être appréhendé par ces délits de droit
commun.
Par ailleurs, il faut remarquer que la matière artistique n’est pas absente du Code pénal : ainsi des destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes, définies à l’article 322-1, et soumises par l’article 322-3-1 à des peines aggravées lorsqu’elles portent sur : « 1° Un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du Code du patrimoine ou un document d’archives privées classé en application des dispositions du même code ; 2° Le patrimoine archéologique, au sens de l’article
L. 510-1 du Code du patrimoine ; 3° Un bien culturel qui relève du domaine public mobilier ou qui est exposé, conservé ou déposé, même de façon temporaire, soit dans un musée de France, une bibliothèque, une médiathèque ou un service d’archives, soit dans un lieu dépendant d’une personne publique ou d’une personne privée assurant une mission d’intérêt général, soit dans un édifice affecté au culte ; 4° Un édifice affecté au culte ». Cette référence au Code pénal en termes de circonstances aggravantes est un modèle possible pour une option plus générale, qui consisterait à recourir aux qualifications de droit commun, mais en les dotant de peines plus sévères, compte tenu des enjeux sociaux inhérents à la matière artistique.
Toutes ces possibilités ont
naturellement été identifiées lors de la préparation et de l’adoption de la loi
Bardoux, et celle-ci procède d’un choix très clair, levé en faveur d’une
législation pénale particulière. Certes, elle n’a jamais eu vocation à coiffer
tout ce qui est susceptible de menacer le domaine de l’art, son objectif ayant
été plus limité pour être cantonné aux « fraudes » en la matière, ce
qui renvoie moins à des agressions violentes sur les supports de la création
qu’à des manipulations trompeuses dans la manière de les présenter. Il est
essentiel de ne pas perdre de vue cette finalité réduite de la loi, et
s’engager dans une réforme de son contenu oblige à en respecter les contours et
le périmètre d’origine, sauf à ambitionner un droit pénal spécial complet sur
le patrimoine artistique.
à rester sur le terrain de la « fraude »,
ou des « fraudes », un dénominateur commun s’impose, emprunté au
mensonge. Autrement dit, c’est en termes de « tromperie », au sens
générique et non consumériste du mot, que la matière doit être abordée et
reprise, en lien avec toute action débouchant sur une fausse information, sur
une déloyauté de présentation, sur une tricherie relative à l’authenticité
d’une œuvre, de manière à saisir tout ce qui est à même de se ressentir de tels
procédés, et d’en sanctionner pénalement le principe. Alors, sont naturellement
rejointes les qualifications classiques ayant le mensonge pour centre de
gravité.
L’escroquerie est la première. Le
Code pénal, depuis la réforme opérée en 1992 et entrée en vigueur le 1er
mars 1994, le définit ainsi à l’article 313-1 :
« L’escroquerie est le fait,
soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une
qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une
personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au
préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque,
à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou
décharge ».
Puni de cinq ans d’emprisonnement et
de 375 000 euros d’amende, le délit recoupe sans aucun doute la fraude en
matière artistique, mais il le fait d’une manière trop lourde pour les besoins
à couvrir, par la référence à une « manœuvre frauduleuse », ce
qui a toujours été interprété, et ceci bien avant la réforme qui en a repris le
principe, comme renvoyant à un « mensonge combiné », à un
« mensonge construit », c’est-à-dire à un montage requérant plus
qu’un « simple mensonge », avec des éléments extérieurs ou
intrinsèques destinés à le renforcer, telles l’intervention de tiers, des mises
en scène, la production d’écrits ou de pièces, ou autres machinations
significatives de la crédibilité recherchée. L’infraction en devient d’une
application difficile, non pour couvrir des escroqueries caractérisées, mais
pour rejoindre la « fraude » telle qu’elle se prête dans le domaine
de l’art, à base d’actions moins élaborées, et consistant souvent en des
interventions plus faciles, par exemple en prétendant à l’originalité d’une
œuvre qui ne l’est pas, ou en apposant sur une toile un nom usurpé. La matière
trouve certainement son compte dans l’escroquerie, mais seulement dans les cas
extrêmes, et c’est hors de ces hypothèses qu’elle a besoin d’une réponse
adaptée, ce qui plaide pour une qualification spéciale, telle que la loi
Bardoux en a retenu le principe. Son objectif a été de réprimer la fabrication
ou la commercialisation du faux, non précisément l’atteinte causée au
patrimoine de la victime.
Le faux est lui aussi directement
concerné. Il s’agit de l’une des qualifications comptant parmi les plus
difficiles à cerner, même depuis la réforme du Code pénal, laquelle n’a fait
que reformuler les acquis d’une jurisprudence bien assise. Punie de trois ans
d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, l’infraction est l’objet de
l’article 441-1 : « Constitue un faux toute altération frauduleuse
de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen
que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui
a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou
d’un fait ayant des conséquences juridiques ».
La formule est large, et renvoie à
toute altération de la vérité, peu importe sa matérialité. Un « simple
mensonge » suffit, contrairement à l’escroquerie, et la
« fraude » dans le domaine artistique est ainsi largement concernée.
Mais c’est sans compter sur une autre condition, beaucoup plus délicate à
remplir quant à elle, relative à l’objet du faux, qui doit être un écrit ou
« tout autre support d’expression de la pensée » revêtue d’une
destination ou d’une aptitude probatoire. Il est difficile de réduire une toile
ou une sculpture, ou encore une composition musicale, à « un support
d’expression de la pensée » : certes, elles sont chacune le
produit de l’esprit, mais il s’agit de l’extériorisation, moins d’une pensée,
que d’une sensibilité créatrice. Des notes de musique procèdent bien d’un
vocabulaire et d’une grammaire harmonique ou contrapuntique, voire des deux,
mais elles traduisent davantage une émotion qu’une pensée au sens expressif du
terme. Ce n’est pas tout, le support servant d’appui aux faux n’est pas retenu
pour lui-même, pour ce qu’il contient de « pensée » reconnue :
il est protégé dans ce qu’il a d’effet probatoire recherché, ou de conséquence
probatoire possible, et donc d’impact préjudiciable. Une peinture ou une
musique n’a en elle-même aucune portée de ce type, elle n’est qu’une réalité
constatable, qui ne prouve rien d’autre que sa propre existence. En cela,
l’œuvre d’art, même fausse, ne vaut pas « titre ».
C’est dire, là encore, que la
qualification de faux, même si elle peut avoir à s’appliquer dans un contexte
de « fraude » particulièrement chargé, n’est pas adaptée à ce que la
matière artistique requiert de réponses plus spécifiques, afin d’atteindre une
protection autonome, non tributaire du droit de la preuve, et encore moins de
supports trop marqués par la référence à ce qui, finalement, s’apparente à des
écrits.
Toujours empruntée au droit commun,
la tromperie est la troisième qualification à même d’apporter une réponse à ce
que la création artistique nécessite de protection pénale. L’intitulé de la loi
de 1895 est à cet égard très parlant, puisqu’il y renvoie directement en ayant
pour objet de traiter des « fraudes » dans le domaine de l’art. C’est
exactement sous le même terme que le Code de la consommation en traite de son
côté.
Une remarque s’impose toutefois,
déduite de la chronologie des textes. Le Code de la consommation est l’héritier
de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en
matière de produits ou de services, et à l’évidence, parce qu’elle est
antérieure, la loi du 9 février 1895 ne pouvait en intégrer les données. Mieux
encore, on peut même dire que la loi Bardoux est une anticipation isolée des
dispositions de la loi de 1905 sur les fraudes, par le choix qui a été fait
d’orienter la protection pénale sur ce qui procédait d’une action frauduleuse
dans le but de tromper l’acheteur d’une œuvre d’art. Les articles L. 441-1 à L.
441-6 du Code de la consommation en témoignent : ils posent pour principe,
pénalement sanctionné d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de
300 000 euros (art. L. 454-1), qu’ « Il est interdit pour toute
personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le
contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire
d’un tiers : 1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités
substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes
marchandises ; 2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité
par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait
l’objet du contrat ; 3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques
inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes
d’emploi ou les précautions à prendre », ajoutant que « Les
dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de
services » (art. L. 441-1).
Il est évident que la qualification
trouve à s’appliquer en rapport avec les produits de la création artistique, le
« simple mensonge » étant retenu comme modalité matérielle, tout
comme sont parfaitement adaptées les références à la « nature »,
à « l’origine » et aux « qualités substantielles ».
Cependant le délit n’en demeure pas moins en rupture sur d’autres données, et
il en est une qui domine, réduisant sensiblement son intérêt : il s’agit
de la dimension contractuelle ou précontractuelle du contexte de la tromperie
incriminée, laquelle est saisie sous les traits de la consommation, ce qui
relève d’une finalité orientée vers le marché de l’art, et non affectée à
l’objet d’art lui-même. La conclusion s’impose, qui ne peut qu’aller dans le
sens d’une qualification plus spécifique, couvrant cet autre besoin de protection.
Enfin, cette confrontation au droit
commun serait incomplète si nous ne faisions état de la contrefaçon, quoique
nous soyons davantage que sur le terrain de la spécificité que de la
généralité. L’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle la
sanctionne de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, au nom
du principe que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de
dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier
ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des
auteurs, est une contrefaçon, et toute contrefaçon est un délit ». La
contrefaçon se présente ainsi comme une atteinte à la propriété, ce qui la
rattache au patrimoine et la tient fort à distance des finalités poursuivies
par les législations relatives aux fraudes, plus préoccupées quant à elles par
les déséquilibres contractuels attachés aux déloyautés et tromperies en tout
genre.
Point n’est besoin d’aller plus loin
pour nous en convaincre : ce que le droit pénal offre de qualifications
existantes, notamment en termes d’escroquerie, de faux, de tromperie, ou encore
de contrefaçon, ne permet pas de répondre à la spécificité des fraudes en
matière artistique, et ceci malgré les nombreuses réformes intervenues sur les
incriminations visées. Il est donc légitime de se maintenir dans une réponse
particulière de droit pénal spécial, et de pérenniser de la sorte l’option
historique qui a été prise en ce sens par la loi Bardoux du 9 février
1895.
Nous avons quelque peu anticipé sur cette question, en
dénonçant les insuffisances du droit commun pour rendre compte des fraudes dans
le domaine artistique, et en révélant ainsi ce que la matière attend d’une
réforme destinée à la rendre plus conforme à un objet de protection mieux
défini. Toutefois le sujet reste entier, qui nous invite à entrer dans le
contenu de la loi Bardoux afin d’en révéler les limites.
à
la lumière de nos développements précédents, deux réserves s’imposent,
relatives, pour la première, à la finalité de la protection pénale, et, pour la
seconde, à la définition des œuvres falsifiables.
Une perception étroite de la fraude
Nous l’avons souligné, la loi Bardoux est une
anticipation isolée – mais inspirée – sur la loi du 1er août
1905 relative aux fraudes, dont les dispositions sont aujourd’hui contenues
dans le Code de la consommation. Cette présentation traduit fort bien sa raison
d’être, la ratio legis qui en rend compte, laquelle procède d’une
perception très étroite de la fraude érigée en infraction. Il n’est pas
question de la saisir dans ce qu’elle matérialise d’atteinte à l’objet qui en
est le support, mais de la développer en référence à un marché, à un échange, à
un contrat, afin d’éviter que des acquéreurs potentiels ne soient victimes de
mensonges aux conséquences préjudiciables.
Plusieurs données traduisent cette conception de
l’infraction.
Est d’abord en cause l’article 1er de la loi,
qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sans
préjudice des dommages-intérêts s’il y a lieu : « 1° Ceux qui
auront apposé ou fait apparaître frauduleusement un nom usurpé sur une œuvre de
peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ; 2° Ceux qui,
sur les mêmes œuvres, auront frauduleusement et dans le but de tromper
l’acheteur sur la personnalité de l’auteur, imité sa signature ou un signe
adopté par lui ». S’il est vrai que le 1° peut être compris comme une
protection de l’œuvre elle-même, l’occurrence qui suit témoigne des réelles
intentions du législateur, très axées sur la protection de l’acheteur, et donc
du consommateur.
L’article 2 le confirme, et prévoit que « Les
mêmes peines seront applicables à tout marchand ou commissionnaire qui aura
sciemment recélé, mis en vente ou en circulation les objets revêtus de ces
noms, signatures ou signes ». Ce texte sert de dénominateur commun aux
deux figures de réalisation du délit telles qu’elles sont contenues à
l’article 1er, et c’est seulement en référence aux actions déloyales
de « marchands » ou de « commissionnaires » que la
répression intervient, ce qui est très révélateur de l’intérêt social protégé,
lequel tient plus à l’assainissement du marché de l’art qu’à l’œuvre artistique
elle-même.
Enfin, l’article 4 rebondit lui aussi sur cette
finalité. Il précise que « La présente loi est applicable aux
œuvres non tombées dans le domaine public […] ». Autrement dit, la
répression concerne les œuvres récentes, non les œuvres anciennes, ce qui est
une manière de rejeter tout un passé culturel, et donc de ne pas s’intéresser à
ce qu’il représente de matière à protéger, alors qu’il constitue une part non
négligeable des affaires de fraudes.
La loi Bardoux s’affirme comme une loi insuffisamment
protectrice. La matière artistique n’est pas retenue dans sa plénitude, mais
sous des critères qui se révèlent très réducteurs : contractuel d’abord,
intellectuel ensuite, les œuvres n’étant protégées que sous couvert d’une
opération commerciale, et seulement si elles sont pleinement tributaires des
normes de la propriété intellectuelle. Surtout, la matérialité de l’infraction
est réduite à un extrême qui a peu cours aujourd’hui, centré sur le nom ou la
personnalité de l’artiste. En somme, cette approche est contestable, alors que
la meilleure politique est de prévenir et de réprimer au plus tôt les actions
pouvant avoir pour conséquence de fausser le marché de l’art, ce qui revient à
dire que c’est sur le principe de la fausseté, opérée sur l’œuvre elle-même,
que le droit pénal doit se manifester, indépendamment de l’effectivité d’une
commercialisation, et dans l’indifférence de la distinction entre domaine privé
et domaine public.
Une déclinaison trop méthodique des
œuvres falsifiables
Il est une autre
réserve relative à la loi Bardoux, qui tient à une déclinaison trop étroite des
œuvres protégées. L’article 1er vise « une œuvre de
peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ». Il est
certain que cet inventaire n’est pas dénué de pertinence, tant les arts sont
traditionnellement servis par la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure
et la musique… Mais ce qui procède d’une liste aussi développée est en général
d’interprétation stricte, surtout que nous sommes en droit pénal, et le risque
est grand de ne pas protéger ce que l’art peut révéler de supports différents,
surtout à l’heure du numérique, et en lien avec des modes d’expression et de
communication ouverts aux technologies futures.
Il serait donc sage d’éviter une déclinaison méthodique
des œuvres falsifiables et pénalement protégées. Un terme plus globalisant,
plus générique, est préférable, afin de ne rien trahir du passé, et de rester
ouvert à l’avenir, et donc de ne rien négliger de la matière artistique future.
Tel est le bilan de la loi Bardoux du
9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique. Un bilan à la mesure
d’une législation remontant à la fin du XIXe siècle, et donc à la
hauteur des besoins d’un temps aujourd’hui révolu. Pire : il est probable
que cette rédaction très « fermée » du texte ait eu pour conséquence
d’éloigner le marché de l’art du droit pénal et de la protection par la
répression publique qu’il mérite assurément. Le faible recours à la contrefaçon
pénale, au bénéfice de tous les mécanismes civilistes, ne tend-t-il pas à le
démonter ? Il est certain que la loi mérite une sérieuse réactualisation,
voire une totale refonte, tout en respectant le domaine qu’elle occupe, les
« fraudes », c’est-à-dire les opérations de falsification dont les
œuvres d’art sont l’objet, avec ce qu’elles entraînent ou peuvent entraîner de
résultats ou de préjudices inacceptables.
Zoom sur la proposition de loi relative aux fraudes en matière artistique
La proposition de loi soumise à débat est ainsi formulée :
« Article 1er
Le fait, en connaissance de cause, de réaliser,
présenter, diffuser ou transmettre, à titre gratuit ou onéreux, un bien
artistique ou un objet de collection contenant une altération de la vérité,
accomplie par quelque moyen que ce soit, sur l’identité de son créateur, sa
provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle,
est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Article 2
Les faits mentionnés à l’article 1er sont punis de sept
ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende :
1° lorsqu’ils sont commis par
plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles
constituent une bande organisée ;
2° lorsqu’ils sont commis de manière habituelle.
Article 3
Les faits mentionnés à l’article 1er sont
punis de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 d’euros d’amende
lorsqu’ils sont commis en bande organisée.
Article 4
La peine de confiscation est encourue dans les
conditions de l’article 131-21 du Code pénal.
Article 5
La loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière
artistique est abrogée. »
On observera tout d’abord que la fraude est saisie dans
ce qu’elle représente en soi d’atteinte à l’œuvre artistique elle-même.
Contrairement à la loi Bardoux, elle n’est pas au service d’une relation
contractuelle ou précontractuelle établie, avec pour objectif de punir le
préjudice économique et financier subi par la victime de la duperie ou du
mensonge. C’est sur le support même du bien artistique ou de l’objet de
création que se greffe le délit, ce qu’entendent traduire les différents verbes
destinés à en asseoir le principe : « réaliser », « présenter »,
« diffuser » ou « transmettre » sont autant d’actions
venant à égalité, qui permettent d’atteindre toute falsification, depuis la
création de l’œuvre jusqu’à sa commercialisation ou son transfert, en passant
par des étapes intermédiaires de présentation ou de diffusion. La prévention y
gagne, tout comme est assurée la promotion de toute œuvre d’art pour ce qu’elle
incarne de bien à valoriser.
De manière plus technique, le délit s’apparente aux
infractions formelles, dont la particularité est de sanctionner moins un
résultat qu’un comportement, ou, ce qui revient au même, de sanctionner un
comportement érigé en résultat. Tel est bien le cas pour nous, la falsification
ou la fraude étant réprimée pour ce qu’elle représente de dommage potentiel, et
non de préjudice établi. Porteuse d’un dommage intrinsèque, c’est ce dernier
qui tient lieu de critère, de sorte que toutes les étapes servant de relais à
la fraude sont légitimement concernées par la qualification, avec pour
conséquence logique de se dispenser d’incriminer la tentative. La matérialité
n’est plus réduite à un fait en lien seulement avec l’œuvre en tant
qu’instrumentum et le nom ou la personnalité de l’artiste en tant que negotium.
Elle est plus large, se figeant sur l’atteinte à la vérité tenant dans tout un
ensemble de circonstances (provenance, date, etc.).
On notera ensuite que l’infraction est intentionnelle,
toutes les actions visées devant être commises « en connaissance de
cause ». Cette référence expresse à la connaissance eût pu être
évitée, puisqu’il est de principe, en droit pénal général, que le défaut de
mention de l’élément moral dans un texte d’incrimination renvoie à une
qualification intentionnelle. Mais la précision n’est pas inutile, pour faire
corps avec « l’altération de la vérité » attachée à la fraude, ce qui
permet de bien marquer que nous sommes sur le terrain du mensonge, et non de la
simple inexactitude, la falsification opérée devant être le fait d’une action
délibérément trompeuse.
Le périmètre de l’infraction est compris de
manière très large, tant dans ses conditions préalables que dans ses éléments
constitutifs. Les conditions préalables renvoient aux supports de la fraude, à
savoir « un bien artistique ou un objet de collection ». La
formule se veut générique, visant tout ce qui participe de la matière
artistique, tout ce qui s’inscrit dans un processus de création artistique,
serait-il encore inédit, l’essentiel étant que le « bien » ou
l’« objet » soit suffisamment extériorisé ou matérialisé pour
le tenir comme une œuvre d’art. Quant aux données constitutives, elles passent
par le mensonge indissociable de la fraude, laquelle ne procède pas de
modalités limitées ou déclinées, mais renvoie à toute forme de tromperie
affectant les traits incontournables d’une œuvre d’art, que sont l’identité de
son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre
caractéristique essentielle.
La peine encourue est de cinq ans
d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, ce qui correspond à un
alignement sur les peines de l’escroquerie, du moins hors de toute aggravation.
Quant à la confiscation, elle intervient comme une peine complémentaire, ce qui
était déjà le cas dans la loi du 9 février 1895, mais elle se doit de suivre
les modalités du droit actuel, contenues à l’article 131-21 du Code pénal.
Enfin, point n’est besoin d’entrer dans des
considérations de procédure, notamment en précisant le régime de la
prescription de l’action publique. Il n’est pas de bonne politique de
reconduire sur une infraction les acquis de la procédure pénale. Le régime de
la prescription a été réformé par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017,
et il suffit de s’en tenir aux principes qu’elle a posés, sans se préoccuper de
savoir si le délit de fraude propre à la matière artistique est ou n’est pas
une « infraction clandestine », si elle est naturellement
« occulte », ou si elle peut être « dissimulée ». Il
ne nous appartient pas de régler ces questions, sauf à entrer dans des
amalgames regrettables entre la procédure et le droit pénal de fond.
1) Cons. const. 3
sept. 1986 (n° 86-215 DC), JO 5 sept., p. 10788 ; 20 janv. 1993 (n°
92-316 DC), JO 22 janv., p. 1118 ; 20 janv. 1994 (n° 93-334 DC), JO
26 janv., p. 1380 ; 29 juill. 1994 (n° 94-345 DC), JO 2 août, p.
11240 ; 16 juill. 1996 (n° 96-377 DC), JO 23 juill., p. 11108 ; 16 juin
1999 (n° 99-411 DC), JO 19 juin, p. 9018 ; D. 1999. 589, note Y.
Mayaud ; 27 juill. 2001 (2001-446 DC) : JO 7 juill., p. 10828 ; RSC
2002. 672, obs. Buck ; 22 oct. 2009 (n° 2009-590 DC), JO 29 oct., p. 18292 ;
D. 2010, Pan., p. 1512, obs. L. Gay ; RSC 2010. 214, obs. B. de Lamy ; 6 juill.
2018 (n° 2018-717-718 QPC), JO 7 juill. ; 5 oct. 2018 (n° 2018-736 QPC),
JO 6 oct.
Yves Mayaud,
Professeur émérite de
l’université Paris-Panthéon-Assas,
Vice-président de l’Institut
Art & Droit
Laurent Saenko,
Maître de conférences à l’université Paris-Saclay,
Membre du Comité scientifique de l’Institut Art & Droit
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