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Comment assurer un meilleur suivi dans les EHPAD ?


mercredi 8 juin 202224 min
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08/06/2022 10:38:22 1 1 3007 10 0 5166 2824 2910 Quelle réponse pénale pour les fraudes en matière artistique ? Pour une proposition de réforme de la loi Bardoux

La loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loi Bardoux (JO 12 février 1895, p. 805), est un texte dont l’ancienneté pourrait d’ores et déjà la condamner. Mais ce serait sans compter, outre l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, sur deux mises à jour ponctuellement intervenues, à la faveur, et de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, et de la loi n° 94-102 du 5 février 1994 relative à la répression de la contrefaçon et modifiant certaines dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Il n’en demeure pas moins que la matière reste très éloignée des besoins actuels, et que 30 années nous séparent de ces textes, s’ajoutant à un siècle d’existence sans aucune remise en cause, les deux lois visées n’ayant pas eu pour objectif de finaliser un projet de refonte globale, mais de procéder aux ajustements imposés par des disciplines extérieures.

à cette « ancienneté » de la réponse du droit doit être opposée la « modernité » des pratiques des faussaires, ou de tous ceux qui, attirés par le profit à réaliser, en général financier, mais qui peut être également d’ordre stratégique, entrent volontiers dans une criminalité ou une délinquance difficile à déceler, d’abord pour être une affaire de « spécialistes », ensuite pour emprunter des voies frontalières entre le permis et l’interdit. Le monde de l’art a ses propres usages, ses propres traditions, et il n’est pas évident de se positionner de façon tranchée entre ce que le droit peut accepter et ce qu’il doit interdire. Car la question qui se pose est bien celle-ci : le faussaire d’aujourd’hui mérite-t-il encore la clémence que promut pendant des siècles son image romantique ? De génie, est-il devenu un délinquant qu’il est possible aujourd’hui de qualifier et de traiter ainsi ? Certes, il est des acquis se prêtant à une législation facile, mais tout n’est pas aussi transparent, et c’est sur la marginalité que la norme est appelée à intervenir, ce qui la place dans une démarche moins aisée, afin de ne rien perdre de la dynamique inhérente à la création.

Par ailleurs, la loi Bardoux est un texte de droit pénal spécial, qui ne peut qu’affecter les libertés et les droits fondamentaux. La liberté de la création est essentielle à l’art, sauf à étouffer sa vitalité propre. Elle est ce que la liberté d’expression est à la pensée, et toute réforme l’ayant pour objet doit relever d’un principe de précaution : ne pas entrer dans une répression trop marquée, afin de conserver à la liberté toute sa légitimité. C’est par une juste appréciation des réalités que le droit pénal se construit. Il doit d’abord définir les intérêts sociaux objet de sa protection : s’agit-il de défendre des intérêts privés, particulièrement d’ordre patrimonial ? S’agit-il de valoriser des intérêts publics, attachés à la culture d’une nation, d’une région ? S’agit-il de promouvoir un patrimoine culturel universel, avec toutes les contraintes internationales pesant sur l’état qui en dispose ? Sans doute, la « vérité artistique » est-elle un concept ignoré de longue date par la répression publique, qui a privilégié une approche patrimoniale des fraudes artistiques, éloignée de leur impact sociologique ou économique. Mais à l’heure de la démocratisation du marché de l’art, de son internationalisation, ne faut-il pas penser le faux artistique comme une atteinte à la vérité – donc comme une atteinte à l’intérêt général – plus que comme une atteinte à un intérêt particulier ? Le fait que le délit de faux se soit progressivement ouvert à des cas spéciaux (en matière administrative, médicale, etc.) ne traduit-il pas cette tendance ? Ces interrogations sont prioritaires, parce qu’elles servent de guide à la conception des normes qui auront à les intégrer. Ce n’est qu’une fois les réponses assurées que peuvent utilement intervenir les qualifications pénales, et, avec elles, la définition des infractions correspondant aux interdits posés par le législateur.

Il s’en déduit que la refonte de la loi du 9 février 1895 est une véritable opération d’arbitrage, s’agissant de dénoncer ce qui ne va pas, de respecter ce qui est pertinent, et si besoin d’innover, le tout au service de la philosophie de la matière. Plusieurs étapes sont nécessaires pour avancer pertinemment dans ce programme, chacune correspondant à une question bien précise, servant de moteur à la suivante.

 

 


Le droit pénal a-t-il sa place en matière artistique ?

Cette première question conditionne évidemment toutes les autres, tant le recours à la répression ne doit pas être systématique, au nom du principe constitutionnel de nécessité. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen oriente l’action du législateur en précisant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Cette référence à la nécessité est une contrainte, pour imposer au législateur une certaine mesure dans l’exercice de sa souveraineté. Elle vise les peines, mais elle ne peut que rejaillir sur la portée prohibitive de l’incrimination.

Il est évident que le défaut de nécessité peut se manifester autrement que par un excès flagrant dans le montant ou dans la durée de la peine, et aller jusqu’à remettre en cause le principe même de la sanction pénale, c’est-à-dire affecter l’incrimination à sa source, en constatant qu’elle ne répond à aucun besoin, et que la répression à son égard n’est d’aucun profit. Le franchissement du seuil de la répression est alors en jeu, pour rompre avec la vocation utilitaire du droit pénal. La nécessité revient ainsi à tempérer le pouvoir d’incrimination, confirmant qu’il s’exerce à des fins sociales valorisantes, et que toute disposition s’en éloignant ne peut qu’en contrarier le principe.

La règle de la nécessité est donc une garantie de mesure dans la construction du droit pénal et dans la politique d’incrimination suivie par le législateur. Il en résulte que la définition des crimes et des délits est contrôlable, et qu’elle peut être constitutionnellement appréciée. La loi perd ainsi de son absolutisme, devenant l’instrument d’une politique réfléchie et cohérente, et la légalité y gagne en légitimité. Certes, le Conseil constitutionnel, chargé de ce contrôle, ne peut substituer sa propre appréciation à celle du législateur. Il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. La nécessité renvoie seulement aux situations extrêmes, aux dépassements aveuglants, à ce qui participe d’une « disproportion manifeste1 ». Il ne suffit donc pas que les incriminations soient prévues par la loi pour en admettre le principe, elles doivent en outre être pertinentes au regard de ce qui les justifie socialement, pour un meilleur respect des libertés.

On rejoint ainsi l’objectif de valorisation des enjeux sociaux les plus forts, et ce que cette politique de promotion des valeurs sociales emporte de répression indispensable pour en assurer la stabilité et la pérennité à la fois. Ramené aux fraudes en matière artistique, il ne peut faire de doute que le droit pénal a légitimement sa place, tant lesdites fraudes contrarient en profondeur nombre d’équilibres méritant d’être pris en charge par les lois répressives, et affectant tant les intérêts privés que les intérêts publics. Tricher sur l’authenticité d’une œuvre d’art, revendiquer une paternité artistique qui n’est pas, apposer un signe d’identification ne correspondant pas à la réalité, il est ici autant de menaces pesant sur la création et ce qu’elle implique d’adhésion au « vrai », et cela d’autant plus que le marché de l’art est devenu un relais porteur, avec ses professionnels et ses canaux propres. Ne point marquer du sceau de la répression ce qui engage fondamentalement la confiance au plus haut niveau, qu’elle soit privée ou publique, serait une lacune majeure, et le législateur du XIXe siècle l’a parfaitement compris, ayant adopté la loi du 9?février 1895. Depuis lors, il est acquis que l’art est la chose de tous. C’est pourquoi l’atteinte causée à la vérité dans laquelle il s’inscrit – lorsque tel est le cas – doit être réprimée au nom de l’intérêt général.

 

 







La matière artistique a-t-elle besoin d’une couverture pénale spéciale ?

Cette deuxième question, dans la continuité de la première, engage moins la répression dans son principe, dont nous venons de dire qu’elle est éminemment nécessaire, que les techniques permettant de la rendre efficiente. Le droit pénal procède d’un construit assez complexe, avec des normes que l’on peut qualifier de droit commun, et d’autres plus en rapport avec des besoins particuliers, de sorte que les dispositions qui leur sont relatives n’ont vocation à s’appliquer qu’aux matières précisément concernées. Le droit commun est surtout représenté par le Code pénal, qui décline les crimes et délits contre les personnes (livre 2), contre les biens (livre 3), et contre la nation, l’état et la paix publique (livre 4).

Par ailleurs, même contenues dans d’autres codes, voire dans des textes particuliers, certaines incriminations ont pareillement une portée de droit commun, par leur couverture suffisamment large pour échapper à une spécificité trop marquée. C’est par exemple le cas du Code de la consommation, qui contient un volet pénal important sur les « fraudes », et dont le rayonnement, tributaire de la qualité de consommateur attachée à tout un chacun, coiffe une potentialité d’application aussi large que celle du Code pénal.

Dans ce contexte, s’interroger sur la pertinence de réponses particulières pour prévenir et sanctionner les fraudes en matière artistique n’est pas une vaine démarche, qui revient à constater et dénoncer ce que ne permettraient pas de contenir les incriminations plus traditionnelles. On songera plus particulièrement aux qualifications d’escroquerie, de faux, de tromperie, voire de contrefaçon, qui se présentent spontanément comme des infractions apparemment adaptées aux actions générées par la criminalité ou la délinquance en matière d’art. Et, à considérer la manière dont est rédigée la loi du 9 février 1895, on a parfois le sentiment qu’elle fait double emploi avec ce qui eût pu être appréhendé par ces délits de droit commun.

Par ailleurs, il faut remarquer que la matière artistique n’est pas absente du Code pénal : ainsi des destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes, définies à l’article 322-1, et soumises par l’article 322-3-1 à des peines aggravées lorsqu’elles portent sur : « 1° Un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du Code du patrimoine ou un document d’archives privées classé en application des dispositions du même code ; 2° Le patrimoine archéologique, au sens de l’article

L. 510-1 du Code du patrimoine ; 3° Un bien culturel qui relève du domaine public mobilier ou qui est exposé, conservé ou déposé, même de façon temporaire, soit dans un musée de France, une bibliothèque, une médiathèque ou un service d’archives, soit dans un lieu dépendant d’une personne publique ou d’une personne privée assurant une mission d’intérêt général, soit dans un édifice affecté au culte ; 4° Un édifice affecté au culte ». Cette référence au Code pénal en termes de circonstances aggravantes est un modèle possible pour une option plus générale, qui consisterait à recourir aux qualifications de droit commun, mais en les dotant de peines plus sévères, compte tenu des enjeux sociaux inhérents à la matière artistique.

Toutes ces possibilités ont naturellement été identifiées lors de la préparation et de l’adoption de la loi Bardoux, et celle-ci procède d’un choix très clair, levé en faveur d’une législation pénale particulière. Certes, elle n’a jamais eu vocation à coiffer tout ce qui est susceptible de menacer le domaine de l’art, son objectif ayant été plus limité pour être cantonné aux « fraudes » en la matière, ce qui renvoie moins à des agressions violentes sur les supports de la création qu’à des manipulations trompeuses dans la manière de les présenter. Il est essentiel de ne pas perdre de vue cette finalité réduite de la loi, et s’engager dans une réforme de son contenu oblige à en respecter les contours et le périmètre d’origine, sauf à ambitionner un droit pénal spécial complet sur le patrimoine artistique.

à rester sur le terrain de la « fraude », ou des « fraudes », un dénominateur commun s’impose, emprunté au mensonge. Autrement dit, c’est en termes de « tromperie », au sens générique et non consumériste du mot, que la matière doit être abordée et reprise, en lien avec toute action débouchant sur une fausse information, sur une déloyauté de présentation, sur une tricherie relative à l’authenticité d’une œuvre, de manière à saisir tout ce qui est à même de se ressentir de tels procédés, et d’en sanctionner pénalement le principe. Alors, sont naturellement rejointes les qualifications classiques ayant le mensonge pour centre de gravité.

L’escroquerie est la première. Le Code pénal, depuis la réforme opérée en 1992 et entrée en vigueur le 1er mars 1994, le définit ainsi à l’article 313-1 :

« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

Puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, le délit recoupe sans aucun doute la fraude en matière artistique, mais il le fait d’une manière trop lourde pour les besoins à couvrir, par la référence à une « manœuvre frauduleuse », ce qui a toujours été interprété, et ceci bien avant la réforme qui en a repris le principe, comme renvoyant à un « mensonge combiné », à un « mensonge construit », c’est-à-dire à un montage requérant plus qu’un « simple mensonge », avec des éléments extérieurs ou intrinsèques destinés à le renforcer, telles l’intervention de tiers, des mises en scène, la production d’écrits ou de pièces, ou autres machinations significatives de la crédibilité recherchée. L’infraction en devient d’une application difficile, non pour couvrir des escroqueries caractérisées, mais pour rejoindre la « fraude » telle qu’elle se prête dans le domaine de l’art, à base d’actions moins élaborées, et consistant souvent en des interventions plus faciles, par exemple en prétendant à l’originalité d’une œuvre qui ne l’est pas, ou en apposant sur une toile un nom usurpé. La matière trouve certainement son compte dans l’escroquerie, mais seulement dans les cas extrêmes, et c’est hors de ces hypothèses qu’elle a besoin d’une réponse adaptée, ce qui plaide pour une qualification spéciale, telle que la loi Bardoux en a retenu le principe. Son objectif a été de réprimer la fabrication ou la commercialisation du faux, non précisément l’atteinte causée au patrimoine de la victime.

Le faux est lui aussi directement concerné. Il s’agit de l’une des qualifications comptant parmi les plus difficiles à cerner, même depuis la réforme du Code pénal, laquelle n’a fait que reformuler les acquis d’une jurisprudence bien assise. Punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, l’infraction est l’objet de l’article 441-1 : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ».

La formule est large, et renvoie à toute altération de la vérité, peu importe sa matérialité. Un « simple mensonge » suffit, contrairement à l’escroquerie, et la « fraude » dans le domaine artistique est ainsi largement concernée. Mais c’est sans compter sur une autre condition, beaucoup plus délicate à remplir quant à elle, relative à l’objet du faux, qui doit être un écrit ou « tout autre support d’expression de la pensée » revêtue d’une destination ou d’une aptitude probatoire. Il est difficile de réduire une toile ou une sculpture, ou encore une composition musicale, à « un support d’expression de la pensée » : certes, elles sont chacune le produit de l’esprit, mais il s’agit de l’extériorisation, moins d’une pensée, que d’une sensibilité créatrice. Des notes de musique procèdent bien d’un vocabulaire et d’une grammaire harmonique ou contrapuntique, voire des deux, mais elles traduisent davantage une émotion qu’une pensée au sens expressif du terme. Ce n’est pas tout, le support servant d’appui aux faux n’est pas retenu pour lui-même, pour ce qu’il contient de « pensée » reconnue : il est protégé dans ce qu’il a d’effet probatoire recherché, ou de conséquence probatoire possible, et donc d’impact préjudiciable. Une peinture ou une musique n’a en elle-même aucune portée de ce type, elle n’est qu’une réalité constatable, qui ne prouve rien d’autre que sa propre existence. En cela, l’œuvre d’art, même fausse, ne vaut pas « titre ».








C’est dire, là encore, que la qualification de faux, même si elle peut avoir à s’appliquer dans un contexte de « fraude » particulièrement chargé, n’est pas adaptée à ce que la matière artistique requiert de réponses plus spécifiques, afin d’atteindre une protection autonome, non tributaire du droit de la preuve, et encore moins de supports trop marqués par la référence à ce qui, finalement, s’apparente à des écrits.

Toujours empruntée au droit commun, la tromperie est la troisième qualification à même d’apporter une réponse à ce que la création artistique nécessite de protection pénale. L’intitulé de la loi de 1895 est à cet égard très parlant, puisqu’il y renvoie directement en ayant pour objet de traiter des « fraudes » dans le domaine de l’art. C’est exactement sous le même terme que le Code de la consommation en traite de son côté.

Une remarque s’impose toutefois, déduite de la chronologie des textes. Le Code de la consommation est l’héritier de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services, et à l’évidence, parce qu’elle est antérieure, la loi du 9 février 1895 ne pouvait en intégrer les données. Mieux encore, on peut même dire que la loi Bardoux est une anticipation isolée des dispositions de la loi de 1905 sur les fraudes, par le choix qui a été fait d’orienter la protection pénale sur ce qui procédait d’une action frauduleuse dans le but de tromper l’acheteur d’une œuvre d’art. Les articles L. 441-1 à L. 441-6 du Code de la consommation en témoignent : ils posent pour principe, pénalement sanctionné d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros (art. L. 454-1), qu’ « Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers : 1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ; 2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ; 3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre », ajoutant que « Les dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de services » (art. L. 441-1).

Il est évident que la qualification trouve à s’appliquer en rapport avec les produits de la création artistique, le « simple mensonge » étant retenu comme modalité matérielle, tout comme sont parfaitement adaptées les références à la « nature », à « l’origine » et aux « qualités substantielles ». Cependant le délit n’en demeure pas moins en rupture sur d’autres données, et il en est une qui domine, réduisant sensiblement son intérêt : il s’agit de la dimension contractuelle ou précontractuelle du contexte de la tromperie incriminée, laquelle est saisie sous les traits de la consommation, ce qui relève d’une finalité orientée vers le marché de l’art, et non affectée à l’objet d’art lui-même. La conclusion s’impose, qui ne peut qu’aller dans le sens d’une qualification plus spécifique, couvrant cet autre besoin de protection.

Enfin, cette confrontation au droit commun serait incomplète si nous ne faisions état de la contrefaçon, quoique nous soyons davantage que sur le terrain de la spécificité que de la généralité. L’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle la sanctionne de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, au nom du principe que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon, et toute contrefaçon est un délit ». La contrefaçon se présente ainsi comme une atteinte à la propriété, ce qui la rattache au patrimoine et la tient fort à distance des finalités poursuivies par les législations relatives aux fraudes, plus préoccupées quant à elles par les déséquilibres contractuels attachés aux déloyautés et tromperies en tout genre.

Point n’est besoin d’aller plus loin pour nous en convaincre : ce que le droit pénal offre de qualifications existantes, notamment en termes d’escroquerie, de faux, de tromperie, ou encore de contrefaçon, ne permet pas de répondre à la spécificité des fraudes en matière artistique, et ceci malgré les nombreuses réformes intervenues sur les incriminations visées. Il est donc légitime de se maintenir dans une réponse particulière de droit pénal spécial, et de pérenniser de la sorte l’option historique qui a été prise en ce sens par la loi  Bardoux du 9 février 1895.

 




La couverture pénale est-elle suffisante en l’état de la loi du 9 février 1895 ?

Nous avons quelque peu anticipé sur cette question, en dénonçant les insuffisances du droit commun pour rendre compte des fraudes dans le domaine artistique, et en révélant ainsi ce que la matière attend d’une réforme destinée à la rendre plus conforme à un objet de protection mieux défini. Toutefois le sujet reste entier, qui nous invite à entrer dans le contenu de la loi Bardoux afin d’en révéler les limites.

à la lumière de nos développements précédents, deux réserves s’imposent, relatives, pour la première, à la finalité de la protection pénale, et, pour la seconde, à la définition des œuvres falsifiables.

 

 

Une perception étroite de la fraude  

Nous l’avons souligné, la loi Bardoux est une anticipation isolée – mais inspirée – sur la loi du 1er août 1905 relative aux fraudes, dont les dispositions sont aujourd’hui contenues dans le Code de la consommation. Cette présentation traduit fort bien sa raison d’être, la ratio legis qui en rend compte, laquelle procède d’une perception très étroite de la fraude érigée en infraction. Il n’est pas question de la saisir dans ce qu’elle matérialise d’atteinte à l’objet qui en est le support, mais de la développer en référence à un marché, à un échange, à un contrat, afin d’éviter que des acquéreurs potentiels ne soient victimes de mensonges aux conséquences préjudiciables.

Plusieurs données traduisent cette conception de l’infraction.

Est d’abord en cause l’article 1er de la loi, qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sans préjudice des dommages-intérêts s’il y a lieu : « 1° Ceux qui auront apposé ou fait apparaître frauduleusement un nom usurpé sur une œuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ; 2° Ceux qui, sur les mêmes œuvres, auront frauduleusement et dans le but de tromper l’acheteur sur la personnalité de l’auteur, imité sa signature ou un signe adopté par lui ». S’il est vrai que le 1° peut être compris comme une protection de l’œuvre elle-même, l’occurrence qui suit témoigne des réelles intentions du législateur, très axées sur la protection de l’acheteur, et donc du consommateur.

L’article 2 le confirme, et prévoit que « Les mêmes peines seront applicables à tout marchand ou commissionnaire qui aura sciemment recélé, mis en vente ou en circulation les objets revêtus de ces noms, signatures ou signes ». Ce texte sert de dénominateur commun aux deux figures de réalisation du délit telles qu’elles sont contenues à l’article 1er, et c’est seulement en référence aux actions déloyales de « marchands » ou de « commissionnaires » que la répression intervient, ce qui est très révélateur de l’intérêt social protégé, lequel tient plus à l’assainissement du marché de l’art qu’à l’œuvre artistique elle-même.

Enfin, l’article 4 rebondit lui aussi sur cette finalité. Il précise que « La présente loi est applicable aux œuvres non tombées dans le domaine public […] ». Autrement dit, la répression concerne les œuvres récentes, non les œuvres anciennes, ce qui est une manière de rejeter tout un passé culturel, et donc de ne pas s’intéresser à ce qu’il représente de matière à protéger, alors qu’il constitue une part non négligeable des affaires de fraudes.

La loi Bardoux s’affirme comme une loi insuffisamment protectrice. La matière artistique n’est pas retenue dans sa plénitude, mais sous des critères qui se révèlent très réducteurs : contractuel d’abord, intellectuel ensuite, les œuvres n’étant protégées que sous couvert d’une opération commerciale, et seulement si elles sont pleinement tributaires des normes de la propriété intellectuelle. Surtout, la matérialité de l’infraction est réduite à un extrême qui a peu cours aujourd’hui, centré sur le nom ou la personnalité de l’artiste. En somme, cette approche est contestable, alors que la meilleure politique est de prévenir et de réprimer au plus tôt les actions pouvant avoir pour conséquence de fausser le marché de l’art, ce qui revient à dire que c’est sur le principe de la fausseté, opérée sur l’œuvre elle-même, que le droit pénal doit se manifester, indépendamment de l’effectivité d’une commercialisation, et dans l’indifférence de la distinction entre domaine privé et domaine public.

 

 

Une déclinaison trop méthodique des œuvres falsifiables

 Il est une autre réserve relative à la loi Bardoux, qui tient à une déclinaison trop étroite des œuvres protégées. L’article 1er vise « une œuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ». Il est certain que cet inventaire n’est pas dénué de pertinence, tant les arts sont traditionnellement servis par la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure et la musique… Mais ce qui procède d’une liste aussi développée est en général d’interprétation stricte, surtout que nous sommes en droit pénal, et le risque est grand de ne pas protéger ce que l’art peut révéler de supports différents, surtout à l’heure du numérique, et en lien avec des modes d’expression et de communication ouverts aux technologies futures.

Il serait donc sage d’éviter une déclinaison méthodique des œuvres falsifiables et pénalement protégées. Un terme plus globalisant, plus générique, est préférable, afin de ne rien trahir du passé, et de rester ouvert à l’avenir, et donc de ne rien négliger de la matière artistique future.

Tel est le bilan de la loi Bardoux du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique. Un bilan à la mesure d’une législation remontant à la fin du XIXe siècle, et donc à la hauteur des besoins d’un temps aujourd’hui révolu. Pire : il est probable que cette rédaction très « fermée » du texte ait eu pour conséquence d’éloigner le marché de l’art du droit pénal et de la protection par la répression publique qu’il mérite assurément. Le faible recours à la contrefaçon pénale, au bénéfice de tous les mécanismes civilistes, ne tend-t-il pas à le démonter ? Il est certain que la loi mérite une sérieuse réactualisation, voire une totale refonte, tout en respectant le domaine qu’elle occupe, les « fraudes », c’est-à-dire les opérations de falsification dont les œuvres d’art sont l’objet, avec ce qu’elles entraînent ou peuvent entraîner de résultats ou de préjudices inacceptables.

 


 

Zoom sur la proposition de loi relative aux fraudes en matière artistique 

La proposition de loi soumise à débat est ainsi formulée :

 

« Article 1er

Le fait, en connaissance de cause, de réaliser, présenter, diffuser ou transmettre, à titre gratuit ou onéreux, un bien artistique ou un objet de collection contenant une altération de la vérité, accomplie par quelque moyen que ce soit, sur l’identité de son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Article 2

Les faits mentionnés à l’article 1er sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende :

1° lorsqu’ils sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles constituent une bande organisée ;

2° lorsqu’ils sont commis de manière habituelle.

Article 3

Les faits mentionnés à l’article 1er sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 d’euros d’amende lorsqu’ils sont commis en bande organisée.

Article 4

La peine de confiscation est encourue dans les conditions de l’article 131-21 du Code pénal.

Article 5

La loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique est abrogée. »

 

On observera tout d’abord que la fraude est saisie dans ce qu’elle représente en soi d’atteinte à l’œuvre artistique elle-même. Contrairement à la loi Bardoux, elle n’est pas au service d’une relation contractuelle ou précontractuelle établie, avec pour objectif de punir le préjudice économique et financier subi par la victime de la duperie ou du mensonge. C’est sur le support même du bien artistique ou de l’objet de création que se greffe le délit, ce qu’entendent traduire les différents verbes destinés à en asseoir le principe : « réaliser », « présenter », « diffuser » ou « transmettre » sont autant d’actions venant à égalité, qui permettent d’atteindre toute falsification, depuis la création de l’œuvre jusqu’à sa commercialisation ou son transfert, en passant par des étapes intermédiaires de présentation ou de diffusion. La prévention y gagne, tout comme est assurée la promotion de toute œuvre d’art pour ce qu’elle incarne de bien à valoriser.

De manière plus technique, le délit s’apparente aux infractions formelles, dont la particularité est de sanctionner moins un résultat qu’un comportement, ou, ce qui revient au même, de sanctionner un comportement érigé en résultat. Tel est bien le cas pour nous, la falsification ou la fraude étant réprimée pour ce qu’elle représente de dommage potentiel, et non de préjudice établi. Porteuse d’un dommage intrinsèque, c’est ce dernier qui tient lieu de critère, de sorte que toutes les étapes servant de relais à la fraude sont légitimement concernées par la qualification, avec pour conséquence logique de se dispenser d’incriminer la tentative. La matérialité n’est plus réduite à un fait en lien seulement avec l’œuvre en tant qu’instrumentum et le nom ou la personnalité de l’artiste en tant que negotium. Elle est plus large, se figeant sur l’atteinte à la vérité tenant dans tout un ensemble de circonstances (provenance, date, etc.).

 

On notera ensuite que l’infraction est intentionnelle, toutes les actions visées devant être commises « en connaissance de cause ». Cette référence expresse à la connaissance eût pu être évitée, puisqu’il est de principe, en droit pénal général, que le défaut de mention de l’élément moral dans un texte d’incrimination renvoie à une qualification intentionnelle. Mais la précision n’est pas inutile, pour faire corps avec « l’altération de la vérité » attachée à la fraude, ce qui permet de bien marquer que nous sommes sur le terrain du mensonge, et non de la simple inexactitude, la falsification opérée devant être le fait d’une action délibérément trompeuse.

 

Le périmètre de l’infraction est compris de manière très large, tant dans ses conditions préalables que dans ses éléments constitutifs. Les conditions préalables renvoient aux supports de la fraude, à savoir « un bien artistique ou un objet de collection ». La formule se veut générique, visant tout ce qui participe de la matière artistique, tout ce qui s’inscrit dans un processus de création artistique, serait-il encore inédit, l’essentiel étant que le « bien » ou l’« objet » soit suffisamment extériorisé ou matérialisé pour le tenir comme une œuvre d’art. Quant aux données constitutives, elles passent par le mensonge indissociable de la fraude, laquelle ne procède pas de modalités limitées ou déclinées, mais renvoie à toute forme de tromperie affectant les traits incontournables d’une œuvre d’art, que sont l’identité de son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle.

 

La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, ce qui correspond à un alignement sur les peines de l’escroquerie, du moins hors de toute aggravation. Quant à la confiscation, elle intervient comme une peine complémentaire, ce qui était déjà le cas dans la loi du 9 février 1895, mais elle se doit de suivre les modalités du droit actuel, contenues à l’article 131-21 du Code pénal.

 

Enfin, point n’est besoin d’entrer dans des considérations de procédure, notamment en précisant le régime de la prescription de l’action publique. Il n’est pas de bonne politique de reconduire sur une infraction les acquis de la procédure pénale. Le régime de la prescription a été réformé par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, et il suffit de s’en tenir aux principes qu’elle a posés, sans se préoccuper de savoir si le délit de fraude propre à la matière artistique est ou n’est pas une « infraction clandestine », si elle est naturellement « occulte », ou si elle peut être « dissimulée ». Il ne nous appartient pas de régler ces questions, sauf à entrer dans des amalgames regrettables entre la procédure et le droit pénal de fond.

 

1) Cons. const. 3 sept. 1986 (n° 86-215 DC), JO 5 sept., p. 10788 ; 20 janv. 1993 (n° 92-316 DC), JO 22 janv., p. 1118 ; 20 janv. 1994 (n° 93-334 DC), JO 26 janv., p. 1380 ; 29 juill. 1994 (n° 94-345 DC), JO 2 août, p. 11240 ; 16 juill. 1996 (n° 96-377 DC), JO 23 juill., p. 11108 ; 16 juin 1999 (n° 99-411 DC), JO 19 juin, p. 9018 ; D. 1999. 589, note Y. Mayaud ; 27 juill. 2001 (2001-446 DC) : JO 7 juill., p. 10828 ; RSC 2002. 672, obs. Buck ; 22 oct. 2009 (n° 2009-590 DC), JO 29 oct., p. 18292 ; D. 2010, Pan., p. 1512, obs. L. Gay ; RSC 2010. 214, obs. B. de Lamy ; 6 juill. 2018 (n° 2018-717-718 QPC), JO 7 juill. ; 5 oct. 2018 (n° 2018-736 QPC), JO 6 oct.

 

 

Yves Mayaud,

Professeur émérite de l’université Paris-Panthéon-Assas,

Vice-président de l’Institut Art & Droit

 

Laurent Saenko,

Maître de conférences à l’université Paris-Saclay

Membre du Comité scientifique de l’Institut Art & Droit

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