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Lors de son assemblée générale, vendredi 24 décembre, le premier président de la Conférence, Jean-Raphaël Fernandez, a livré un plaidoyer pour la défense des avocats partout dans le monde. Il a également entrepris de faire le point sur les sujets brûlants qui préoccupent la profession et les justiciables, face à un ministre de la Justice avenant et visiblement enclin au dialogue.
La salle était comble et les
mines solennelles, lors de l’arrivée très attendue du ministre de la Justice en
pleine assemblée générale de la Conférence des bâtonniers, dans le 15e
arrondissement parisien, ce vendredi 24 décembre. Une date qui coïncidait avec
la journée internationale de l’avocat en danger ; l’occasion, pour le président
de la Conférence, Jean-Raphaël Fernandez, de souligner devant Gérald Darmanin
la mobilisation des barreaux français auprès de leurs pairs étrangers,
notamment en Turquie. « [Nous étions présents] à Istanbul, Diyarbakir,
Ankara, pour soutenir des confrères qui font l’objet de poursuites pénales pour
atteinte à la sûreté de l’Etat, actes terroristes, car ils ont défendu des
clients et qu’on leur reproche des déclarations entendues dans des parloirs en
prison », a-t-il souligné.
La profession est également
dans le viseur à Tunis, a souligné l’ancien bâtonnier de Marseille. Là-bas,
depuis son arrestation en mai dernier, liée à ses prises de position dénonçant
le racisme et les mauvais traitements infligés aux migrants dans son pays,
l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani est toujours détenue, poursuivie dans
cinq affaires pour « fausses informations ». Une dizaine
d’autres avocats, accusés, en même temps que plusieurs personnalités politiques
et journalistes, de « complot contre la sûreté de l’État »,
seront pour leur part jugés le 7 février. Ce, un mois après la condamnation, en
Russie, de trois avocats d’Alexei Navalny – l’avocat, militant et principal
opposant à Vladimir Poutine, mort en prison en février 2024 – à des peines de
prison ferme, en raison des échanges qu'ils avaient eus au parloir de la
prison.
« Nous serons
toujours aux côtés de celles et ceux qui défendent la justice, a martelé
Jean-Raphaël Fernandez, avant de s’adresser à Gérald Darmanin : Monsieur le Ministre,
nous avons besoin de votre soutien en faveur des avocats dont la liberté et
l’intégrité sont remises en cause simplement car ils exercent leur métier ».
Au cours de son allocution sous forme de réponse au discours du président, le
garde des Sceaux a assuré peu après être « à disposition pour
intervenir » et « pour obtenir leur libération, leur liberté
de s'exprimer et leur liberté d'être avocat ».
Face aux menaces qui ciblent
les avocats, le président de la Conférence a invoqué un « motif
d'espoir » en ce début d'année : la signature de la Convention
européenne de protection des avocats. Cet instrument, préparé par le Conseil de
l’Europe avec l'aide d’institutions, dont le CCBE, Conseil des barreaux
européens, vise à fournir aux avocats une protection via le droit
international.
« Nous allons pouvoir
enfin conventionnaliser au niveau européen les grands principes de notre
profession. Droit de l'avocat à avoir un avocat indépendant, liberté
d'expression, confidentialité (...) et tant d'autres grands principes qui
doivent permettre aux avocats de continuer d'exercer en toute indépendance et
en toute sécurité leur profession », s’est félicité Jean-Raphaël
Fernandez, qui a appelé le ministre de la Justice à signer ce texte « en
premier », au mois de mai prochain, afin que la France soit « un
exemple pour tous les autres pays européens » ; ce dont Gérald
Darmanin a indiqué prendre acte lors de sa propre allocution.
« Les avocats ne sont
pas les complices de leurs clients »
« Cette signature, ce
serait aussi un vrai signal adressé aux bâtonniers et aux avocats, car il ne
vous a pas échappé, nous en avons déjà parlé, que certaines critiques émises
contre les avocats ont été très mal ressenties », lui a par ailleurs
rappelé, non sans amertume, l’homme à la tête de l’association qui rassemble
les 164 bâtonniers de France. Ces propos faisaient écho à la charge du garde des
Sceaux, début janvier sur RTL, contre certains avocats
pénalistes accusés de vouloir « emboliser » le processus judiciaire,
mais aussi aux critiques adressées
dernièrement par le procureur général d’Aix-en-Provence et celui de Grenoble,
taxant ces mêmes avocats d’être « corrompus » et de « fabriquer
des nullités ».
« Je voudrais
rappeler que si les avocats soulèvent les nullités, ce sont les juges qui les
acceptent ou pas. Et donc on ne peut faire peser sur la profession d'avocat
d'éventuelles décisions de justice prises par des magistrats impartiaux et
indépendants », a pointé l’avocat. A ce titre, ce dernier a confié ses
inquiétudes quant à « certaines mesures envisagées au Parlement »,
parmi lesquelles l’allongement des délais pour examiner les demandes de mise en
liberté et la réforme des nullités, qui seraient selon lui « attentatoires
aux droits de la défense ».
« Non, les avocats ne
sont pas les complices de leurs clients. Affirmer le contraire dans la presse
ou l’audience de rentrée, c'est jeter le discrédit sur toute notre profession
(...) Ces amalgames ne sont pas tolérables », a d’autre part asséné
Jean-Raphaël Fernandez, sous les applaudissements nourris de son auditoire. De
l’avis du président de la Conférence, ces reproches témoignent d'une
méconnaissance du rôle des avocats dans une démocratie. « Dénigrer,
sans retenue parfois, l'exercice légitime des droits de la défense relève d'une
dérive qui m'inquiète, a-t-il alerté. La lutte contre le narcotrafic ne
peut pas être le leurre qui dissimule la misère d'une justice qui a plus besoin
de moyens que de réformes procédurales ».
À lire aussi : La charge de Gérald Darmanin contre les retards d'audiencement
scandalise les avocats
Dans un esprit d’apaisement,
Gérald Darmanin a affirmé « comprendre » les revendications de
la profession, et connaître « l'importance des avocats », à
laquelle il s’est dit « foncièrement attaché », et
particulièrement celle des bâtonniers. « Je sais que le bâtonnier est à
la fois leader, protecteur, arbitre, garant des droits de ses confrères.
Finalement, il n'est pas très loin du rôle de ministre. C'est-à-dire de pouvoir
porter des paroles, d'obtenir des choses (...) ». Dès le début de son
exposé ponctué de paroles fortes – mais aussi, en temps voulu, de quelques
touches d’humour et d’anecdotes personnelles –, le ministre a cherché à se
positionner comme un allié des quelque 160 bâtonniers présents.
Mais resté silencieux au
sujet de ses propos tenus en début de mois, le garde des Sceaux n’a pas non
plus épinglé les accusations formulées par les magistrats. Une façon d’afficher
sa volonté de ménager la chèvre et le chou : « J’ai entendu ce que vous
avez dit, mais j'ai aussi entendu ce que disent les magistrats. Mon travail
n'est pas de renier la liberté d'expression des uns et des autres. Et je ne
peux qu'inviter les uns et les autres à la conversation. »
Le ministre l’a en outre
martelé : son rôle n’est pas « de donner les bons points et les mauvais
points, mais de permettre de réconcilier des points de vue ». « Il
y a des magistrats qui connaissent des moments difficiles dans leur action et
dans leur office. Ce n'est pas de la faute intégralement des avocats,
a-t-il admis, comme tout ce qui se passe n'est pas de la faute intégralement
des magistrats, comme tout ce qui se passe en général n'est pas de la faute
intégralement des ministres ».
De son côté aussi, désireux
d’une embellie dans les relations avec les magistrats, l’ambassadeur des
bâtonniers a appelé « au calme et à la sérénité dans les débats et les
échanges ». « Je ne voudrais pas que nous ayons un milliard de
choses éventuellement à régler. Laisser s'installer trop longtemps ce malaise
entre nous, c'est prendre le risque de ralentir ou de paralyser le
fonctionnement des juridictions, ce qui n'est souhaitable pour personne ».
Un an après la première
journée de la relation avocat-magistrat, le 21 mars dernier, lors de laquelle
les deux professions s’étaient donné rendez-vous en nombre partout en France,
la prochaine édition est prévue « dans un peu moins de deux mois, elle
est déjà fixée », a assuré Jean-Raphaël Fernandez. « Je
souhaite qu'elle se tienne et qu'elle soit le lieu de nouveaux échanges. Et je
souhaite que dans les territoires où certaines difficultés ont pu naître, elle
soit aussi le moment de se rapprocher, d'échanger, de débattre, de toujours
débattre. Nous appartenons à la même communauté judiciaire. Si nous avons des
problèmes à régler, nous devons et nous pouvons le faire », a-t-il
déclaré.
Des délais de jugement « indigestes »
Profitant d’avoir le ministre
de la Justice à portée de micro, le président de la Conférence a mis sur la
table un autre sujet de crispation : l’éternel serpent de mer du manque
d’effectifs. « Nous pensions avoir considérablement avancé ces
dernières années grâce aux postes successifs du budget de la justice, qui sont
une réalité », a-t-il d’abord nuancé. Plus de 1 000 magistrats et
1 050 greffiers ont à ce titre été recrutés depuis 2017, 2 000
contractuels depuis 2021 – dont un certain nombre pérennisés – dans le cadre de
la justice de proximité, et 500 juristes assistants depuis le 1er
janvier 2023, selon les chiffres du
ministère de la Justice,
« L'an dernier, le garde
des Sceaux de l'époque nous avait présenté la répartition à venir des nouveaux
postes de magistrats dans tous les territoires. Et nous avons vu ça comme un
arc-en-ciel », a également confié Jean-Raphaël Fernandez.
Lors d’un déplacement au tribunal judiciaire d’Annecy en mars dernier, l’ancien
garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait annoncé que d'ici à 2027, dans le
cadre de la loi de programmation de la justice 2023-2027, les juridictions
accueilleraient 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100
attachés de justice. Problème : « La réalité nous a rattrapés,
s’est assombri le président de la Conférence. Ces postes-là, ce n'est pas
pour aujourd'hui. Et c'est bien ça la difficulté », a-t-il
pointé.
En attendant, la gestion des
stocks est à l’agonie. « Nous avons découvert en 2024 une chose
inhabituelle, même dans les petites ou moyennes juridictions : des problèmes de
délai, des problèmes de fonctionnement de certains services. Sucre court, sucre
lent, les délais de jugement restent toujours indigestes. Il faut donc
poursuivre le travail d'augmentation du budget de la justice qui reste encore
trop faible », a-t-il insisté. En particulier, Jean-Raphaël Fernandez
a appelé le ministre à rehausser le budget dédié à l’aide juridictionnelle,
qui, depuis quatre ans, n’a connu aucune augmentation. « Pourtant, vous
le savez, la France a été un des pays qui a reçu la plus forte inflation. Et
vous savez aussi que les avocats sont ceux qui sont les plus mal payés dans les
missions à l'aide juridictionnelle qu'ils exécutent ».
En parallèle, Jean-Raphaël
Fernandez a exprimé sa farouche opposition à l’utilisation des modes
alternatifs de règlement des différends comme réponse systématique aux maux de
l’institution. « Avec le Conseil national des barreaux, nous sommes
opposés à une déjudiciarisation qui serait motivée uniquement par la gestion
des flux. (...) Nous ne voulons pas voir les MARD comme un outil de gestion.
Vouloir l'imposer parce qu'il y a des retards de traitement des dossiers dans
les tribunaux est extrêmement contre-productif ».
« Pour qu'on puisse
se satisfaire d'un budget ou d'une augmentation, il faut qu'on ait un budget »,
a de son côté tempéré Gérald Darmanin. Le garde des Sceaux a indiqué avoir
obtenu du président de la République et du Premier ministre 330 millions
additionnels pour la Justice – en sus des 10,2 milliards alloués pour la place
Vendôme en vertu du projet de loi de finances pour 2025 –, soit l’enveloppe
supplémentaire de 250 millions d'euros obtenue par son prédécesseur Didier
Migaud, « plus quelques dizaines de millions », de sorte que
la Justice soit « le seul budget, avec le ministère des Outre-mer, qui
ne connaîtra aucune baisse, et même une légère augmentation », a-t-il
affirmé.
« Je suis conscient
que ce n'est pas la loi de programmation qui a été votée par le Parlement (qui
prévoyait un budget de 10,68 milliards d'euros pour 2025, ndlr), mais aucune
loi de programmation ne sera respectée à l'euro près, a cependant prévenu
le ministre. Nous ne sommes pas très loin ; à moins de 200 millions d'euros
de la loi de programmation. Et dans cette loi, je vais préserver intégralement
les créations de postes. Ce qui est important, c'est qu'il n'y ait pas de
mesure d'annulation. Le rabot, c’est ce qui explique un peu la frustration que
vous pouvez ressentir entre les annonces et la réalité », a analysé
Gérald Darmanin, qui a par ailleurs proposé « d'ouvrir le chantier de
l'aide juridictionnelle avec l'ensemble de la profession » et de « se
donner jusqu'à juin ».
Cours criminelles : « le
rapport de l’IGJ confirme notre prédiction »
Alors qu’un rapport de
l’Inspection générale de la justice (IGJ), rendu public il y a quelques jours,
étrille les cours criminelles départementales, les jugeant contre-productives,
Jean-Raphaël Fernandez a tenu à rappeler la position de la Conférence sur le
sujet. « Nous avions indiqué à l'époque où les CCD étaient
expérimentées que remplacer des jurys populaires par des magistrats
professionnels, c'était désorganiser la juridiction. Ce rapport confirme notre
prédiction », a-t-il pointé.
« Nous avions
souligné le risque que la création de ces juridictions et le besoin de
magistrats professionnels qu'elles engendrent déstabilisent la chaîne pénale et
déstabilisent également le traitement des affaires civiles qui sont, ne
l'oublions pas, le plus gros des volumes des affaires dans les tribunaux »,
a notamment rappelé le président. Et il faut croire que les bâtonniers n’ont
pas manqué de flair, puisque l’enquête de l’IGJ met aujourd’hui en exergue que
« si l’engorgement croissant de la chaîne criminelle de jugement n’est
pas un phénomène nouveau et qu’il a manifestement des causes multifactorielles,
la généralisation de la CCD figure au rang de celles-ci ».
À lire aussi : Engorgement de la
justice : les cours criminelles départementales sont contre-productives,
selon l’IGJ
Bien que les CCD aient été
créées notamment pour mettre fin à la correctionnalisation des viols,
Jean-Raphaël Fernandez a par ailleurs déploré que « l’on voudrait faire
descendre le nombre de magistrats professionnels dans les CCD de cinq à trois,
et finalement faire des tribunaux correctionnels pour les viols ». « Je
crois que ce n'est pas l'attente du tout des Français. Mais pas du tout »,
a-t-il fustigé.
« Je partage votre
avis que si c'est pour transformer cinq magistrats professionnels à trois, ce
n'était pas la peine de passer d'un tribunal correctionnel à une cour
criminelle », a répondu Gérald Darmanin lors de son discours-fleuve.
Le garde des Sceaux a néanmoins estimé que la CCD avait aussi « des
avantages ». Parmi eux, le fait que les victimes de viols ne passent
plus devant un tribunal correctionnel, mais devant une cour « qui
démontre que c'est un crime ». « Et à ce titre, je ne
reviendrai pas en arrière », a-t-il prévenu.
Le ministre a ajouté qu’en
cinq ans, les détenus pour violences conjugales et sexuelles étaient passés de
7 à 10 % dans les prisons, « alors que la cour criminelle a été
efficace, même s'il y a encore manifestement beaucoup de travail à faire de
tous les côtés de la chaîne pénale, pour répondre à ces crimes. C'est une
demande de la société, puis évidemment, c'est une demande tout à fait normale
d'une démocratie ».
« Tirer les
conséquences de la surpopulation carcérale »
De demande, il a également
été question du côté des bâtonniers : « Nous demandons à l'État de
tirer les conséquences de la surpopulation carcérale », a réclamé
Jean-Raphaël Fernandez, s’attaquant à un autre sujet brûlant. Au 1er
décembre 2024, la France a en effet enregistré un triste record, avec 80 792
détenus pour 62 404 places en prison, soit une densité carcérale globale
de 129,5 %.
« Nous demandons à
l'État d'arrêter d'empiler dans les prisons françaises des détenus sur des
détenus. Chaque mois qui passe, le[ur] nombre augmente. Et chaque mois qui
passe, le nombre de places en prison n'augmente pas », a pointé le
président de la Conférence, que le ministre de la Justice n’a cependant pas
hésité à reprendre : « Il n’est pas tout à fait vrai que le nombre de
détenus augmente et le nombre de places de prison n'augmente pas. Il y a eu,
depuis 7 ans, 4 500 places de prison (...) Ce n'est pas assez, c'est vrai.
Aujourd'hui, nous avons le même nombre de détenus qu'en 1980, et nous avons
plus de population. On pourrait donc dire, dans cette conversation, qu'il y a
légèrement moins, d'ailleurs, en pourcentage de détenus qu'en 1980 ».
Le ministre de la Justice a
insisté : ce qui a changé, c'est le quantum des peines. Autrement dit, les gens
restent plus longtemps, en moyenne, en prison ; principale raison selon lui de
la surpopulation carcérale. Ce, d’autant que « la République a[it] été
incapable de répondre aux 15 000 places de prison, en imaginant qu'il
fallait construire 15 000 places de prison » ; petite pique à l’égard
du président de la République Emmanuel Macron et de sa promesse de campagne, en
2017. Un objectif initialement fixé à 2027 que l’ex garde des Sceaux Didier
Migaud avait d'ailleurs qualifié d’ « irréalisable » en
novembre dernier, misant plutôt sur 2029.
Devant ses pairs et le
ministre de la Justice, Jean-Raphaël Fernandez a tapé du poing sur la table, ce
24 janvier : « Nous sommes aujourd'hui face à une situation qui est
indigne de la France ». Désireux de trouver des solutions, le CNB avait rendu un
rapport, en décembre dernier. Le document propose une réponse en
deux étapes. La première phase, d’une durée de trois ans, et « assimilable
à un état d'urgence carcéral », aurait un objectif clair : ramener le
taux d'occupation carcéral à 100 %. Durant cette période, des mesures
exceptionnelles comme des réductions ou des conversions de peine seraient
octroyées aux personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans
et disposant d'un reliquat de peine inférieur à un an. Ensuite, un « mécanisme
pérenne » prendrait le relais : le seuil d'occupation serait abaissé
entre 90 et 95 %, et les juges conserveraient la responsabilité des libérations
anticipées.
« J’entends que
politiquement, c'est dur à porter, a reconnu Jean-Raphaël Fernandez. Mais
la réalité, c'est que quand on a une âme et un cœur, on ne peut pas accepter,
quelle que soit la personne qui est emprisonnée et quels qu’aient été les faits
qu'elle ait commis, de la laisser dans des situations inévitables. C'est aussi
à ça qu'on reconnaît une démocratie ». En écho, Gérald Darmanin s’est
montré ferme : « Quoi qu'ait fait une personne, elle doit pouvoir avoir
un minimum de dignité », a-t-il abondé. « Personne ne se
satisfait qu'il y ait 4 000 personnes qui dorment dans les prisons
françaises, à même le sol ; qu'il puisse y avoir des règlements de compte entre
détenus, parce qu'on n'a pas été capable de gérer la police en prison ».
Pour autant, le garde des
Sceaux a indiqué que ceux qui présentent « un danger pour la société »,
qui menacent les magistrats, les agents pénitentiaires, les forces de l'ordre,
les élus, les journalistes ou encore les avocats devaient être « particulièrement
protégés et surveillés du mal qu'ils pourraient faire à l'extérieur ».
« C'est tout l'objet de la politique carcérale que je vais essayer de
mener : distinguer ceux qui sont un danger pour les autres de la société de
ceux qui, peut-être, pourraient connaître des aménagements. Cela pourrait nous
permettre de répondre à l'interrogation sur la surpopulation carcérale, même si
ça ne se fera pas en un seul jour ».
La veille, jeudi 23 janvier,
en déplacement à l’École nationale de l’administration pénitentiaire à Agen, le
ministre de la Justice avait annoncé plusieurs réformes autour de
l’administration pénitentiaire, notamment la construction de 3 000
nouvelles places de semi-liberté d’ici 2027. Gérald Darmanin avait également
fait part de son souhait de créer une police pénitentiaire ainsi qu’une
inspection générale de l’administration pénitentiaire, et donné des précisions
quant à sa volonté, exprimée fin décembre, d’ « isoler les 100
plus grands narcotrafiquants » dans un seul et même centre
pénitentiaire, à l’été 2025. Dès le mois de mars, la direction de
l’administration pénitentiaire devrait organiser les transferts de ces détenus
vers ce nouvel établissement, dont la localisation n’a pas été révélée.
TAE : « les
entreprises n’ont pas besoin qu’on leur rajoute une contribution »
« Autre sujet
d'actualité, Monsieur le Ministre, dont je voulais vous parler : le tribunal
des affaires économiques », a signalé le président de la Conférence en
fin de discours, une façon de montrer que les entreprises ne sont pas oubliées
par les avocats. Depuis le 1er janvier, 12 « TAE » (dont
celui de Paris ou encore de Nanterre) désignés par un arrêté du 5 juillet 2024
sont expérimentés pour quatre ans dans plusieurs territoires, en application de
la loi de programmation de la justice du 20 novembre 2023, dans le but
d’étendre la compétence des tribunaux de commerce traditionnels. Absorbant
certaines compétences des tribunaux judiciaires, ils sont désormais les seuls
compétents pour traiter des procédures de sauvegarde, redressement, liquidation
judiciaire et procédures amiables des professionnels, professions du droit
réglementées mises à part.
Mais pour introduire une
instance – hors procédures collectives et amiables – devant les TAE, les
entreprises de plus de 250 salariés doivent maintenant verser une contribution
financière. Cette « contribution pour la justice économique », due
lorsque la valeur totale des prétentions s'élève à plus de 50 000 euros,
et dont le décret du 30 décembre 2024 définit les critères, est depuis
plusieurs mois vivement dénoncée par de nombreux spécialistes et dirigeants,
qui brandissent, pour s’y opposer, le principe de gratuité de la justice.
« En 2023, la
profession n'avait pas forcément vu d'un bon œil la création de ce tribunal, en
tout cas pas la mise en place d'une contribution économique (...) », a
retracé Jean-Raphaël Fernandez, avant de hausser le ton : « D'abord, la
justice, ce n'est pas un magasin d'habillement. On ne fait pas de forum
shopping. On ne va pas assigner devant le tribunal de commerce de Marseille et
payer la contribution ou assigner devant le tribunal de commerce
d'Aix-en-Provence qui est à 25 kilomètres sans la payer. Il faut une logique.
Les entreprises françaises ont besoin de sécurité juridique. Et pour qu'on les
garde et qu'on les conserve sur nos territoires, à Paris et en province, elles
n'ont pas besoin qu'on vienne leur rajouter une contribution. C'est la raison
pour laquelle, hier, le bureau de la conférence des bâtonniers a décidé de
déposer un recours contre ce décret » a-t-il annoncé.
Pas de quoi décontenancer
cependant le ministre de la Justice : « C'est votre droit le plus
strict », a-t-il concédé, précisant qu’il s’était « senti
obligé de le signer, puisque [le texte] a été publié le 30 décembre »,
soit une semaine après sa nomination. « Je comprends qu'il fait naître
quelques interrogations légitimes. Je suis prêt à en discuter avec vous, et
s'il faut corriger des choses, on le fera. On ne veut pas que ça crée des
difficultés trop fortes et des contraintes de compréhension », a promis
Gérald Darmanin.
« Je pense que j'ai
répondu, monsieur le Président, à beaucoup de vos interrogations », a
conclu le garde des Sceaux au terme de son allocution. S’il a reconnu qui
n’avait « pas réponse à tout », le ministre s’est réjoui du futur
travail « en commun » avec la Conférence des bâtonniers, et a
garanti que sa porte serait « toujours ouverte ». « J’ai
une volonté très profonde de vous défendre, de vous entendre, de dialoguer ; et
de ne pas être dans un monologue qui, peut-être, nous permet à chacun d'être
content de soi-même mais qui ne fait rien avancer. » Un serment qui a
semblé satisfaire les bâtonniers présents lors de cette assemblée générale.
La relation entre les avocats
et le nouveau locataire de la place Vendôme avait mal commencé. Saura-t-elle se
remettre sur les rails ?
Bérengère
Margaritelli
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