Conférence des bâtonniers : « Nous serons toujours aux côtés de ceux qui défendent la justice »


samedi 25 janvier16 min
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Lors de son assemblée générale, vendredi 24 décembre, le premier président de la Conférence, Jean-Raphaël Fernandez, a livré un plaidoyer pour la défense des avocats partout dans le monde. Il a également entrepris de faire le point sur les sujets brûlants qui préoccupent la profession et les justiciables, face à un ministre de la Justice avenant et visiblement enclin au dialogue. 

La salle était comble et les mines solennelles, lors de l’arrivée très attendue du ministre de la Justice en pleine assemblée générale de la Conférence des bâtonniers, dans le 15e arrondissement parisien, ce vendredi 24 décembre. Une date qui coïncidait avec la journée internationale de l’avocat en danger ; l’occasion, pour le président de la Conférence, Jean-Raphaël Fernandez, de souligner devant Gérald Darmanin la mobilisation des barreaux français auprès de leurs pairs étrangers, notamment en Turquie. « [Nous étions présents] à Istanbul, Diyarbakir, Ankara, pour soutenir des confrères qui font l’objet de poursuites pénales pour atteinte à la sûreté de l’Etat, actes terroristes, car ils ont défendu des clients et qu’on leur reproche des déclarations entendues dans des parloirs en prison », a-t-il souligné. 

La profession est également dans le viseur à Tunis, a souligné l’ancien bâtonnier de Marseille. Là-bas, depuis son arrestation en mai dernier, liée à ses prises de position dénonçant le racisme et les mauvais traitements infligés aux migrants dans son pays, l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani est toujours détenue, poursuivie dans cinq affaires pour « fausses informations ». Une dizaine d’autres avocats, accusés, en même temps que plusieurs personnalités politiques et journalistes, de « complot contre la sûreté de l’État », seront pour leur part jugés le 7 février. Ce, un mois après la condamnation, en Russie, de trois avocats d’Alexei Navalny – l’avocat, militant et principal opposant à Vladimir Poutine, mort en prison en février 2024 – à des peines de prison ferme, en raison des échanges qu'ils avaient eus au parloir de la prison.

« Nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui défendent la justice, a martelé Jean-Raphaël Fernandez, avant de s’adresser à Gérald Darmanin : Monsieur le Ministre, nous avons besoin de votre soutien en faveur des avocats dont la liberté et l’intégrité sont remises en cause simplement car ils exercent leur métier ». Au cours de son allocution sous forme de réponse au discours du président, le garde des Sceaux a assuré peu après être « à disposition pour intervenir » et « pour obtenir leur libération, leur liberté de s'exprimer et leur liberté d'être avocat ».

Face aux menaces qui ciblent les avocats, le président de la Conférence a invoqué un « motif d'espoir » en ce début d'année : la signature de la Convention européenne de protection des avocats. Cet instrument, préparé par le Conseil de l’Europe avec l'aide d’institutions, dont le CCBE, Conseil des barreaux européens, vise à fournir aux avocats une protection via le droit international.

« Nous allons pouvoir enfin conventionnaliser au niveau européen les grands principes de notre profession. Droit de l'avocat à avoir un avocat indépendant, liberté d'expression, confidentialité (...) et tant d'autres grands principes qui doivent permettre aux avocats de continuer d'exercer en toute indépendance et en toute sécurité leur profession », s’est félicité Jean-Raphaël Fernandez, qui a appelé le ministre de la Justice à signer ce texte « en premier », au mois de mai prochain, afin que la France soit « un exemple pour tous les autres pays européens » ; ce dont Gérald Darmanin a indiqué prendre acte lors de sa propre allocution. 

« Les avocats ne sont pas les complices de leurs clients »

« Cette signature, ce serait aussi un vrai signal adressé aux bâtonniers et aux avocats, car il ne vous a pas échappé, nous en avons déjà parlé, que certaines critiques émises contre les avocats ont été très mal ressenties », lui a par ailleurs rappelé, non sans amertume, l’homme à la tête de l’association qui rassemble les 164 bâtonniers de France. Ces propos faisaient écho à la charge du garde des Sceaux, début janvier sur RTL, contre certains avocats pénalistes accusés de vouloir « emboliser » le processus judiciaire, mais aussi aux critiques adressées dernièrement par le procureur général d’Aix-en-Provence et celui de Grenoble, taxant ces mêmes avocats d’être « corrompus » et de « fabriquer des nullités ».

« Je voudrais rappeler que si les avocats soulèvent les nullités, ce sont les juges qui les acceptent ou pas. Et donc on ne peut faire peser sur la profession d'avocat d'éventuelles décisions de justice prises par des magistrats impartiaux et indépendants », a pointé l’avocat. A ce titre, ce dernier a confié ses inquiétudes quant à « certaines mesures envisagées au Parlement », parmi lesquelles l’allongement des délais pour examiner les demandes de mise en liberté et la réforme des nullités, qui seraient selon lui « attentatoires aux droits de la défense ».

« Non, les avocats ne sont pas les complices de leurs clients. Affirmer le contraire dans la presse ou l’audience de rentrée, c'est jeter le discrédit sur toute notre profession (...) Ces amalgames ne sont pas tolérables », a d’autre part asséné Jean-Raphaël Fernandez, sous les applaudissements nourris de son auditoire. De l’avis du président de la Conférence, ces reproches témoignent d'une méconnaissance du rôle des avocats dans une démocratie. « Dénigrer, sans retenue parfois, l'exercice légitime des droits de la défense relève d'une dérive qui m'inquiète, a-t-il alerté. La lutte contre le narcotrafic ne peut pas être le leurre qui dissimule la misère d'une justice qui a plus besoin de moyens que de réformes procédurales ».

Dans un esprit d’apaisement, Gérald Darmanin a affirmé « comprendre » les revendications de la profession, et connaître « l'importance des avocats », à laquelle il s’est dit « foncièrement attaché », et particulièrement celle des bâtonniers. « Je sais que le bâtonnier est à la fois leader, protecteur, arbitre, garant des droits de ses confrères. Finalement, il n'est pas très loin du rôle de ministre. C'est-à-dire de pouvoir porter des paroles, d'obtenir des choses (...) ». Dès le début de son exposé ponctué de paroles fortes – mais aussi, en temps voulu, de quelques touches d’humour et d’anecdotes personnelles –, le ministre a cherché à se positionner comme un allié des quelque 160 bâtonniers présents. 

Mais resté silencieux au sujet de ses propos tenus en début de mois, le garde des Sceaux n’a pas non plus épinglé les accusations formulées par les magistrats. Une façon d’afficher sa volonté de ménager la chèvre et le chou : « J’ai entendu ce que vous avez dit, mais j'ai aussi entendu ce que disent les magistrats. Mon travail n'est pas de renier la liberté d'expression des uns et des autres. Et je ne peux qu'inviter les uns et les autres à la conversation. » 

Le ministre l’a en outre martelé : son rôle n’est pas « de donner les bons points et les mauvais points, mais de permettre de réconcilier des points de vue ». « Il y a des magistrats qui connaissent des moments difficiles dans leur action et dans leur office. Ce n'est pas de la faute intégralement des avocats, a-t-il admis, comme tout ce qui se passe n'est pas de la faute intégralement des magistrats, comme tout ce qui se passe en général n'est pas de la faute intégralement des ministres ». 

De son côté aussi, désireux d’une embellie dans les relations avec les magistrats, l’ambassadeur des bâtonniers a appelé « au calme et à la sérénité dans les débats et les échanges ». « Je ne voudrais pas que nous ayons un milliard de choses éventuellement à régler. Laisser s'installer trop longtemps ce malaise entre nous, c'est prendre le risque de ralentir ou de paralyser le fonctionnement des juridictions, ce qui n'est souhaitable pour personne ». 

Un an après la première journée de la relation avocat-magistrat, le 21 mars dernier, lors de laquelle les deux professions s’étaient donné rendez-vous en nombre partout en France, la prochaine édition est prévue « dans un peu moins de deux mois, elle est déjà fixée », a assuré Jean-Raphaël Fernandez. « Je souhaite qu'elle se tienne et qu'elle soit le lieu de nouveaux échanges. Et je souhaite que dans les territoires où certaines difficultés ont pu naître, elle soit aussi le moment de se rapprocher, d'échanger, de débattre, de toujours débattre. Nous appartenons à la même communauté judiciaire. Si nous avons des problèmes à régler, nous devons et nous pouvons le faire », a-t-il déclaré. 

Des délais de jugement « indigestes »

Profitant d’avoir le ministre de la Justice à portée de micro, le président de la Conférence a mis sur la table un autre sujet de crispation : l’éternel serpent de mer du manque d’effectifs. « Nous pensions avoir considérablement avancé ces dernières années grâce aux postes successifs du budget de la justice, qui sont une réalité », a-t-il d’abord nuancé. Plus de 1 000 magistrats et 1 050 greffiers ont à ce titre été recrutés depuis 2017, 2 000 contractuels depuis 2021 – dont un certain nombre pérennisés – dans le cadre de la justice de proximité, et 500 juristes assistants depuis le 1er janvier 2023, selon les chiffres du ministère de la Justice, 

« L'an dernier, le garde des Sceaux de l'époque nous avait présenté la répartition à venir des nouveaux postes de magistrats dans tous les territoires. Et nous avons vu ça comme un arc-en-ciel », a également confié Jean-Raphaël Fernandez. Lors d’un déplacement au tribunal judiciaire d’Annecy en mars dernier, l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait annoncé que d'ici à 2027, dans le cadre de la loi de programmation de la justice 2023-2027, les juridictions accueilleraient 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice. Problème : « La réalité nous a rattrapés, s’est assombri le président de la Conférence. Ces postes-là, ce n'est pas pour aujourd'hui. Et c'est bien ça la difficulté », a-t-il pointé. 

En attendant, la gestion des stocks est à l’agonie. « Nous avons découvert en 2024 une chose inhabituelle, même dans les petites ou moyennes juridictions : des problèmes de délai, des problèmes de fonctionnement de certains services. Sucre court, sucre lent, les délais de jugement restent toujours indigestes. Il faut donc poursuivre le travail d'augmentation du budget de la justice qui reste encore trop faible », a-t-il insisté. En particulier, Jean-Raphaël Fernandez a appelé le ministre à rehausser le budget dédié à l’aide juridictionnelle, qui, depuis quatre ans, n’a connu aucune augmentation. « Pourtant, vous le savez, la France a été un des pays qui a reçu la plus forte inflation. Et vous savez aussi que les avocats sont ceux qui sont les plus mal payés dans les missions à l'aide juridictionnelle qu'ils exécutent ». 

En parallèle, Jean-Raphaël Fernandez a exprimé sa farouche opposition à l’utilisation des modes alternatifs de règlement des différends comme réponse systématique aux maux de l’institution. « Avec le Conseil national des barreaux, nous sommes opposés à une déjudiciarisation qui serait motivée uniquement par la gestion des flux. (...) Nous ne voulons pas voir les MARD comme un outil de gestion. Vouloir l'imposer parce qu'il y a des retards de traitement des dossiers dans les tribunaux est extrêmement contre-productif ». 


« Pour qu'on puisse se satisfaire d'un budget ou d'une augmentation, il faut qu'on ait un budget », a de son côté tempéré Gérald Darmanin. Le garde des Sceaux a indiqué avoir obtenu du président de la République et du Premier ministre 330 millions additionnels pour la Justice – en sus des 10,2 milliards alloués pour la place Vendôme en vertu du projet de loi de finances pour 2025 –, soit l’enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros obtenue par son prédécesseur Didier Migaud, « plus quelques dizaines de millions », de sorte que la Justice soit « le seul budget, avec le ministère des Outre-mer, qui ne connaîtra aucune baisse, et même une légère augmentation », a-t-il affirmé. 

« Je suis conscient que ce n'est pas la loi de programmation qui a été votée par le Parlement (qui prévoyait un budget de 10,68 milliards d'euros pour 2025, ndlr), mais aucune loi de programmation ne sera respectée à l'euro près, a cependant prévenu le ministre. Nous ne sommes pas très loin ; à moins de 200 millions d'euros de la loi de programmation. Et dans cette loi, je vais préserver intégralement les créations de postes. Ce qui est important, c'est qu'il n'y ait pas de mesure d'annulation. Le rabot, c’est ce qui explique un peu la frustration que vous pouvez ressentir entre les annonces et la réalité », a analysé Gérald Darmanin, qui a par ailleurs proposé « d'ouvrir le chantier de l'aide juridictionnelle avec l'ensemble de la profession » et de « se donner jusqu'à juin ».

Cours criminelles : « le rapport de l’IGJ confirme notre prédiction »

Alors qu’un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ), rendu public il y a quelques jours, étrille les cours criminelles départementales, les jugeant contre-productives, Jean-Raphaël Fernandez a tenu à rappeler la position de la Conférence sur le sujet. « Nous avions indiqué à l'époque où les CCD étaient expérimentées que remplacer des jurys populaires par des magistrats professionnels, c'était désorganiser la juridiction. Ce rapport confirme notre prédiction », a-t-il pointé. 

« Nous avions souligné le risque que la création de ces juridictions et le besoin de magistrats professionnels qu'elles engendrent déstabilisent la chaîne pénale et déstabilisent également le traitement des affaires civiles qui sont, ne l'oublions pas, le plus gros des volumes des affaires dans les tribunaux », a notamment rappelé le président. Et il faut croire que les bâtonniers n’ont pas manqué de flair, puisque l’enquête de l’IGJ met aujourd’hui en exergue que « si l’engorgement croissant de la chaîne criminelle de jugement n’est pas un phénomène nouveau et qu’il a manifestement des causes multifactorielles, la généralisation de la CCD figure au rang de celles-ci ».

Bien que les CCD aient été créées notamment pour mettre fin à la correctionnalisation des viols, Jean-Raphaël Fernandez a par ailleurs déploré que « l’on voudrait faire descendre le nombre de magistrats professionnels dans les CCD de cinq à trois, et finalement faire des tribunaux correctionnels pour les viols ». « Je crois que ce n'est pas l'attente du tout des Français. Mais pas du tout », a-t-il fustigé. 

« Je partage votre avis que si c'est pour transformer cinq magistrats professionnels à trois, ce n'était pas la peine de passer d'un tribunal correctionnel à une cour criminelle », a répondu Gérald Darmanin lors de son discours-fleuve. Le garde des Sceaux a néanmoins estimé que la CCD avait aussi « des avantages ». Parmi eux, le fait que les victimes de viols ne passent plus devant un tribunal correctionnel, mais devant une cour « qui démontre que c'est un crime ». « Et à ce titre, je ne reviendrai pas en arrière », a-t-il prévenu. 

Le ministre a ajouté qu’en cinq ans, les détenus pour violences conjugales et sexuelles étaient passés de 7 à 10 % dans les prisons, « alors que la cour criminelle a été efficace, même s'il y a encore manifestement beaucoup de travail à faire de tous les côtés de la chaîne pénale, pour répondre à ces crimes. C'est une demande de la société, puis évidemment, c'est une demande tout à fait normale d'une démocratie ».

« Tirer les conséquences de la surpopulation carcérale »

De demande, il a également été question du côté des bâtonniers : « Nous demandons à l'État de tirer les conséquences de la surpopulation carcérale », a réclamé Jean-Raphaël Fernandez, s’attaquant à un autre sujet brûlant. Au 1er décembre 2024, la France a en effet enregistré un triste record, avec 80 792 détenus pour 62 404 places en prison, soit une densité carcérale globale de 129,5 %.

« Nous demandons à l'État d'arrêter d'empiler dans les prisons françaises des détenus sur des détenus. Chaque mois qui passe, le[ur] nombre augmente. Et chaque mois qui passe, le nombre de places en prison n'augmente pas », a pointé le président de la Conférence, que le ministre de la Justice n’a cependant pas hésité à reprendre : « Il n’est pas tout à fait vrai que le nombre de détenus augmente et le nombre de places de prison n'augmente pas. Il y a eu, depuis 7 ans, 4 500 places de prison (...) Ce n'est pas assez, c'est vrai. Aujourd'hui, nous avons le même nombre de détenus qu'en 1980, et nous avons plus de population. On pourrait donc dire, dans cette conversation, qu'il y a légèrement moins, d'ailleurs, en pourcentage de détenus qu'en 1980 ».

Le ministre de la Justice a insisté : ce qui a changé, c'est le quantum des peines. Autrement dit, les gens restent plus longtemps, en moyenne, en prison ; principale raison selon lui de la surpopulation carcérale. Ce, d’autant que « la République a[it] été incapable de répondre aux 15 000 places de prison, en imaginant qu'il fallait construire 15 000 places de prison » ; petite pique à l’égard du président de la République Emmanuel Macron et de sa promesse de campagne, en 2017. Un objectif initialement fixé à 2027 que l’ex garde des Sceaux Didier Migaud avait d'ailleurs qualifié d’ « irréalisable » en novembre dernier, misant plutôt sur 2029. 

Devant ses pairs et le ministre de la Justice, Jean-Raphaël Fernandez a tapé du poing sur la table, ce 24 janvier : « Nous sommes aujourd'hui face à une situation qui est indigne de la France ».  Désireux de trouver des solutions, le CNB avait rendu un rapport, en décembre dernier. Le document propose une réponse en deux étapes. La première phase, d’une durée de trois ans, et « assimilable à un état d'urgence carcéral », aurait un objectif clair : ramener le taux d'occupation carcéral à 100 %. Durant cette période, des mesures exceptionnelles comme des réductions ou des conversions de peine seraient octroyées aux personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans et disposant d'un reliquat de peine inférieur à un an. Ensuite, un « mécanisme pérenne » prendrait le relais : le seuil d'occupation serait abaissé entre 90 et 95 %, et les juges conserveraient la responsabilité des libérations anticipées.

« J’entends que politiquement, c'est dur à porter, a reconnu Jean-Raphaël Fernandez. Mais la réalité, c'est que quand on a une âme et un cœur, on ne peut pas accepter, quelle que soit la personne qui est emprisonnée et quels qu’aient été les faits qu'elle ait commis, de la laisser dans des situations inévitables. C'est aussi à ça qu'on reconnaît une démocratie ». En écho, Gérald Darmanin s’est montré ferme : « Quoi qu'ait fait une personne, elle doit pouvoir avoir un minimum de dignité », a-t-il abondé. « Personne ne se satisfait qu'il y ait 4 000 personnes qui dorment dans les prisons françaises, à même le sol ; qu'il puisse y avoir des règlements de compte entre détenus, parce qu'on n'a pas été capable de gérer la police en prison ».

Pour autant, le garde des Sceaux a indiqué que ceux qui présentent « un danger pour la société », qui menacent les magistrats, les agents pénitentiaires, les forces de l'ordre, les élus, les journalistes ou encore les avocats devaient être « particulièrement protégés et surveillés du mal qu'ils pourraient faire à l'extérieur ». « C'est tout l'objet de la politique carcérale que je vais essayer de mener : distinguer ceux qui sont un danger pour les autres de la société de ceux qui, peut-être, pourraient connaître des aménagements. Cela pourrait nous permettre de répondre à l'interrogation sur la surpopulation carcérale, même si ça ne se fera pas en un seul jour ». 

La veille, jeudi 23 janvier, en déplacement à l’École nationale de l’administration pénitentiaire à Agen, le ministre de la Justice avait annoncé plusieurs réformes autour de l’administration pénitentiaire, notamment la construction de 3 000 nouvelles places de semi-liberté d’ici 2027. Gérald Darmanin avait également fait part de son souhait de créer une police pénitentiaire ainsi qu’une inspection générale de l’administration pénitentiaire, et donné des précisions quant à sa volonté, exprimée fin décembre, d’ « isoler les 100 plus grands narcotrafiquants » dans un seul et même centre pénitentiaire, à l’été 2025. Dès le mois de mars, la direction de l’administration pénitentiaire devrait organiser les transferts de ces détenus vers ce nouvel établissement, dont la localisation n’a pas été révélée. 

TAE : « les entreprises n’ont pas besoin qu’on leur rajoute une contribution »

« Autre sujet d'actualité, Monsieur le Ministre, dont je voulais vous parler : le tribunal des affaires économiques », a signalé le président de la Conférence en fin de discours, une façon de montrer que les entreprises ne sont pas oubliées par les avocats. Depuis le 1er janvier, 12 « TAE » (dont celui de Paris ou encore de Nanterre) désignés par un arrêté du 5 juillet 2024 sont expérimentés pour quatre ans dans plusieurs territoires, en application de la loi de programmation de la justice du 20 novembre 2023, dans le but d’étendre la compétence des tribunaux de commerce traditionnels. Absorbant certaines compétences des tribunaux judiciaires, ils sont désormais les seuls compétents pour traiter des procédures de sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire et procédures amiables des professionnels, professions du droit réglementées mises à part.

Mais pour introduire une instance – hors procédures collectives et amiables – devant les TAE, les entreprises de plus de 250 salariés doivent maintenant verser une contribution financière. Cette « contribution pour la justice économique », due lorsque la valeur totale des prétentions s'élève à plus de 50 000 euros, et dont le décret du 30 décembre 2024 définit les critères, est depuis plusieurs mois vivement dénoncée par de nombreux spécialistes et dirigeants, qui brandissent, pour s’y opposer, le principe de gratuité de la justice. 

« En 2023, la profession n'avait pas forcément vu d'un bon œil la création de ce tribunal, en tout cas pas la mise en place d'une contribution économique (...) », a retracé Jean-Raphaël Fernandez, avant de hausser le ton : « D'abord, la justice, ce n'est pas un magasin d'habillement. On ne fait pas de forum shopping. On ne va pas assigner devant le tribunal de commerce de Marseille et payer la contribution ou assigner devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence qui est à 25 kilomètres sans la payer. Il faut une logique. Les entreprises françaises ont besoin de sécurité juridique. Et pour qu'on les garde et qu'on les conserve sur nos territoires, à Paris et en province, elles n'ont pas besoin qu'on vienne leur rajouter une contribution. C'est la raison pour laquelle, hier, le bureau de la conférence des bâtonniers a décidé de déposer un recours contre ce décret » a-t-il annoncé. 

Pas de quoi décontenancer cependant le ministre de la Justice : « C'est votre droit le plus strict », a-t-il concédé, précisant qu’il s’était « senti obligé de le signer, puisque [le texte] a été publié le 30 décembre », soit une semaine après sa nomination. « Je comprends qu'il fait naître quelques interrogations légitimes. Je suis prêt à en discuter avec vous, et s'il faut corriger des choses, on le fera. On ne veut pas que ça crée des difficultés trop fortes et des contraintes de compréhension », a promis Gérald Darmanin.

« Je pense que j'ai répondu, monsieur le Président, à beaucoup de vos interrogations », a conclu le garde des Sceaux au terme de son allocution. S’il a reconnu qui n’avait « pas réponse à tout », le ministre s’est réjoui du futur travail « en commun » avec la Conférence des bâtonniers, et a garanti que sa porte serait « toujours ouverte ». « J’ai une volonté très profonde de vous défendre, de vous entendre, de dialoguer ; et de ne pas être dans un monologue qui, peut-être, nous permet à chacun d'être content de soi-même mais qui ne fait rien avancer. » Un serment qui a semblé satisfaire les bâtonniers présents lors de cette assemblée générale.

La relation entre les avocats et le nouveau locataire de la place Vendôme avait mal commencé. Saura-t-elle se remettre sur les rails ?

Bérengère Margaritelli

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