Cour de cassation : le nombre de pourvois en matière civile en baisse continue depuis cinq ans


mardi 6 août 20246 min
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Dans son rapport annuel d’activité pour l’année 2023, la Cour de cassation note que la diminution enregistrée atteint 15 %.

La Cour de cassation a publié, début juillet, son rapport annuel d’activité pour l’année 2023. Long de 371 pages, il contient notamment un bilan chiffré de la juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire français, dont l’année a notamment été marquée par l’arrivée l’été dernier d’un nouveau procureur général, en la personne de Rémy Heitz, en remplacement de François Molins. Dans son discours prononcé en début d’année, le nouveau venu avait salué un parquet général de la Cour de cassation qui « a joué [en 2023] avec rigueur et vitalité le rôle qui lui est dévolu : s’assurer du respect de la loi, appréhendée comme une matière vivante dont l’interprétation doit être favorable au bien commun ».

Premier constat : le nombre de demandes principales continue de chuter, étant au nombre de 21700, contre 23 000 en 2022 et 24 920 en 2019. En cause, la baisse du nombre de pourvois, qui représentent environ 98 % du total des demandes. C’est en matière civile que la baisse est la plus marquée : en chute constante depuis 2018 (hors 2021 en raison de la reprise post-covid), le nombre de demandes principales dans cette matière est passé de 16 975 à 14 408, soit une baisse de plus de 15 % en cinq ans.

Une baisse du nombre de décisions prononcées par les cours d’appel

Chiffre notable, 91,9 % des demandes principales émanent des cours d’appel. Et la Cour de cassation remarque une baisse du nombre des décisions prononcées par ces juridictions, avec 21 000 arrêts de moins en cinq ans. Ajoutée à une réduction du taux de pourvoi des décisions au fond des cours d’appel ces dernières années, passant de 9,8 % en 2018 à 8,8 % en 2022, cela explique donc la baisse du nombre de demandes principales. Ce taux de pourvoi diffère grandement selon les cours d’appel, variant de 5,1 % pour celle d’Angers et 13,4% pour celle de Bastia.

Les décisions concernant des litiges économiques et financiers font particulièrement l’objet de pourvois en cassation, principalement des dossiers sur la responsabilité et les quasi-contrats, ainsi que sur le droit des affaires, où le taux de pourvoi dépasse les 15%.

Les délais de traitement au sein de la Cour de cassation des pourvois en matière civile sont pour autant sur une pente ascendante, avec en moyenne 15,8 mois en 2023 contre 14 mois en 2019.

Ainsi, le nombre de pourvois en stock pour cette matière atteint le nombre de 20000, sur 22800 pourvois en stock au total. Des chiffres relativement stables sur un an.

Au total, 11 513 pourvois ont été transmis aux chambres civiles. 35 % d’entre eux sont arrivés à la chambre sociale, 24 % à la deuxième chambre civile (procédure civile, sécurité sociale, élections,…) , 15 % à la première (droit des personnes et de la famille, protection des consommateurs, propriété mobilière,…), 14 % à la troisième (propriété immobilière, construction, copropriété,…) et 12 % à la chambre commerciale. Près de la moitié de ces pourvois relèvent du droit du travail et de la protection sociale, loin devant les contentieux concernant les contrats et obligations civils, trois fois moins nombreux.

Les relations avec la CEDH renforcées

Le rapport fait également un bilan des relations entretenues entre la juridiction et les institutions européennes et internationales. Il relève notamment la tenue de plusieurs rencontres avec la Cour suprême de cassation italienne, où a été abordée la question de l’équipe autour du juste et des juristes assistants. « De nou­velles thématiques ont émergé lors des échanges, notamment la question des données de connexion et l’open data des décisions de justice », note la Cour de cassation.

La coopération s’est également poursuivie avec l’Union européenne dans le cadre du programme d’échanges de magistrats mis en place par le Réseau des présidents des Cours suprêmes judiciaires de l’UE (RPCSJUE). Plusieurs magistrats de la Cour de cassation ont effectué des visites d’étude au sein des Cours suprêmes membres du RPCSJUE. Par ailleurs, dans ce même programme d’échanges, la Cour de cassation a accueilli plusieurs magistrats de la Cour suprême de cassation d’Italie, de la Cour suprême de Norvège et de la Cour fédérale de justice allemande.

Les relations entre la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont été renforcées 2023, priorité pour la juridiction française « dans un contexte européen marqué par des remises en cause de l’État de droit et de l’institution judiciaire ».

Côté fonctionnement interne de la Cour de cassation, le rapport note l’implantation au 1er janvier 2023 d’une nouvelle nomenclature des affaires orientées, afin de permettre de meilleures exploitations statistiques. Un comité de suivi a été mis en place pour surveiller le déploiement de cette classification.

Sur le numérique, la Cour de cassation a poursuivi plusieurs chantiers pour améliorer la diffusion des décisions de justice sur Judilibre. Au 31 décembre 2023, un total de 827 255 décisions (de la Cour de cassation, des cours d’appel, mais aussi quelques-unes des tribunaux judiciaires, depuis un changement législatif intervenu en toute fin d’année 2023) étaient disponibles en open data. Pour la seule année 2023, 12 576 décisions de la Cour de cassation ont été publiées.

Plusieurs nouvelles propositions de modifications législatives et règlementaires

La Cour de cassation a aussi, comme chaque année, suggéré des modifications législatives et règlementaires. Côté droit des sociétés, la Cour propose de modifier l’article L.621-30 du Code monétaire et financier, qui dispose que les décisions prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) « peuvent faire l'objet d'un recours par les personnes sanctionnées et par le président de l'Autorité des marchés financiers, après accord du collège. En cas de recours d'une personne sanctionnée, le président de l'autorité peut, dans les mêmes conditions, former un recours », recours qui doivent être déposés dans un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision. Les deux droits de recours au président de l’autorité lui ont été accordés en 2010.

Mais la juridiction observe qu’un recours du président de l’AMF pourrait conduire à une aggravation de la sanction, à la différence du recours de la personne sanctionnée. « Lorsque le président de l’AMF exerce son recours peu de temps avant l’expiration du délai, la personne sanctionnée peut ne plus être en mesure d’en tirer les conséquences quant à l’opportunité de son propre recours principal, en particulier dans l’hypothèse où la décision de la commission des sanctions n’a retenu qu’une partie des griefs notifiés et que le recours du président de l’AMF ne concerne que les griefs qui n’ont pas fait l’objet d’une sanction », déplore la Cour de cassation, soulignant un risque d’inégalité dans l’exigence d’un procès équitable.

Elle propose donc d’intégrer la possibilité pour la personne sanctionnée de faire un recours dans un délai raisonnable à la suite d’un recours du président de l’AMF. Consultée par la Cour, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) n’est pas opposée et a saisi la direction générale du Trésor.

Une mise en égalité du pouvoir de dérogation du président de la chambre criminelle

La Cour de cassation demande aussi, côté procédure pénale cette fois, d’élargir le pouvoir de dérogation accordée par le président de la chambre criminelle. Actuellement, le CPP dispose qu’un demandeur en cassation condamné pénalement ou le ministère public peuvent faire parvenir un mémoire contenant ses moyens de cassation directement au greffe de la Cour de cassation au plus tard un mois après la date du pourvoi, sauf en cas de dérogation accordée par le président de la chambre. Les autres parties disposent quant à eux d’un délai de dix jours.

Une inégalité de traitement que souhaite faire disparaître la juridiction suprême : « Une partie civile peut être confrontée à une difficulté sérieuse l’empêchant de présenter utilement un mémoire devant la Cour de cassation, notamment lorsque la décision prononcée contradictoirement n’a pas été formalisée ou ne lui est pas remise à personne, l’empêchant ainsi de critiquer utilement les motifs de l’arrêt attaqué. » La Cour souhaite donc « élargir le pouvoir de dérogation du président de la chambre criminelle à tout demandeur au pourvoi, hors hypothèses des dossiers soumis à délais légaux ».

Alexis Duvauchelle

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