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La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, a créé 18 Tribunaux de Commerce Spécialisés (TCS). Ces nouvelles juridictions ont vocation à connaître des procédures collectives ou de conciliation lorsque l’entreprise concernée compte 250 salariés ou plus avec un chiffre d’affaires d’au moins 20 millions d’euros ou lorsque le montant net du chiffre d’affaires représente au moins 40 millions d’euros.
A la surprise générale, Bobigny, deuxième Tribunal de Commerce (TC) en termes de volume d’activité et troisième contributeur de France en collecte de TVA, n’a pas été retenu dans la liste. Quatre représentants du monde du Droit de Seine-Saint-Denis ont décidé d’exprimer leur incompréhension : le Président du Tribunal de commerce de Bobigny Francis Griveau, la Procureure de la République de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, ancienne conseillère justice du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, le Greffier associé au Tribunal de commerce de Bobigny Jean-François Doucède et le Bâtonnier de Seine-Saint-Denis Stéphane Campana. Ils ont accepté d’accorder un entretien au Journal Spécial des Sociétés, au parquet de Bobigny, dans les bureaux de Madame la Procureure.
JSS : Quel a été votre sentiment quand vous avez appris que le Tribunal de commerce de Bobigny n’était pas retenu dans le liste des TCS ?
Francis Griveau (FG) : D’abord j’ai été choqué, je l’ai appris par la Directrice des services judiciaires lors de la conférence des tribunaux de commerce.
Nous n’avons pas compris pourquoi Bobigny qui a toujours été proposé par la conférence générale des tribunaux de commerce n’a pas été retenu. Depuis nous nous sommes mobilisés avec homologues des autres juridictions, avec le barreau, les administrateurs, mandataires judiciaires, experts comptables.
Le président du conseil départemental, les députés et sénateurs de la Seine-Saint-Denis sont tous intervenus, parce que nous ne comprenons pas comment Bobigny, qui est le deuxième tribunal de France en nombre d’affaires et le troisième contributeur de la TVA, peut être exclu. Il n’y a que six tribunaux de plus de 60 juges en France. Bobigny en fait partie. Nous avons 66 juges, c’est quand même énorme !
JSS : Pourquoi le tribunal de commerce installé sur le territoire le plus important en terme économique devrait forcément traiter les plus grosses affaires ? La compétence des tribunaux n’est-elle pas avant tout territoriale en Droit ?
FG : Il ne s’agit pas de traiter les plus grosses affaires. A l’heure actuelle, nous traitons les affaires importantes qui sont de notre ressort, parce que nous sommes un tribunal de proximité. D’ailleurs, à l’origine, la logique est économique. La loi Macron demande dans son article 231 que les TCS soient installés dans le bassin économique et le bassin d’emplois, alors que la carte arrêtée semble davantage calquée sur la compétence territoriale des Cours d’appel.
Si on est sur une logique qui dépend du bassin de l’emploi et du bassin économique ça relève du ministère de l’Economie. En revanche, si ça relève de la carte judiciaire alors la compétence revient au ministère de la Justice. Il y a un hiatus lorsque l’on voit que la juridiction de la Seine et Marne, qui dépend du TCS d’Evry, crée une rupture, une discontinuité dans la juridiction de Paris, qui elle comprend également la Champagne-Ardennes. Il y a une incohérence.
Stéphane Campana (SC) : En réalité, cette carte est une stratégie de recentralisation totale de tout ce qui a un intérêt économique sur Paris. Voilà la vérité.
FG : Lorsque vous voyez que la Corse est rattachée à Nice…
JSS : Comment les avocats de Bobigny ont-ils réagi à cette annonce ?
SC : Avec mes confrères du Conseil de l’Ordre, nous avons appris cette décision avec beaucoup de surprise, comme monsieur le Président du tribunal de commerce. Elle n’a aucune cohérence ni géographique, ni économique ni sociologique. Nous sommes même extrêmement mécontents de voir que l’on vient de retirer de la compétence à notre juridiction de Bobigny qui n’a jamais démérité, qui a fait son travail avec tous les auxiliaires, parmi lesquels il y a les mandataires, mais aussi les avocats de ce département. Il est certain que vouloir retirer à cette juridiction cette compétence c’est nous retirer aussi une partie de notre travail et de notre compétence. Inutile de dire que ce n’est pas très agréable.
Ce qui me choque, c’est que, comme il n’y a aucune cohérence d’aucune sorte, je vois surtout derrière cela des intérêts en sous mains, téléguidés par des lobbys, et aussi, malheureusement, je dois le dire, le fait du prince concernant le choix d’Evry.
JSS : De votre point de vue Madame la Procureur, êtes-vous d’accord avec ça ?
Fabienne Klein-Donati (FKD): Il y a une décision qui a été prise par le Gouvernement, elle est ce qu’elle et je n’ai pas à me prononcer dessus ni à la critiquer ni à dire quoi que ce soit. Mais revenons sur la philosophie qui avait présidé les travaux. L’idée était de faire en sorte que de petits TC ne se trouvent pas un jour confrontés à des dossiers d’une grande complexité, alors même qu’ils ne sont pas armés pour les traiter, parce que le siège social d’une très grosse entreprise se trouve sur le ressort. L’exemple le plus connu a eu lieu au TC de Quimper dans l’affaire Doux, mais il y en a beaucoup d’autres. Qu’il s’agisse à la fois du TC dans sa capacité à pouvoir assumer la dimension de telles affaires et aussi dans la capacité des parquets eux-mêmes, parce que là on parle des procédures collectives. Dans ce genre d’affaires, le Ministère public est une partie obligatoirement présente. C’est une partie qui n’est pas négligeable et qui peut elle aussi se trouver dépassée dans des affaires de cette taille et de cette complexité. Au parquet de Quimper, vous avez quatre Magistrats et un Procureur qui doivent être à la fois sur le front de l’action publique et en même temps sur des affaires commerciales qui mobilisent énormément, qui doivent discuter avec un certain nombre d’interlocuteurs, des avocats, des administrateurs, eux-mêmes plus armés, car ils peuvent mobiliser sur un temps important de l’énergie et de la compétence.
C’était ça la philosophie de départ.
Retrouvez la suite de l'interview dans n° 3 su JSS du 13 janvier 2016 ICI
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