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Comme il est d’usage en France lorsqu’émerge un accident collectif ou une crise sanitaire majeure, l’actuelle épidémie de Covid-19 conduit déjà à invoquer le délit de mise en danger d’autrui.
Que ce soit à l’encontre des personnes ne respectant pas le confinement (I) ou des dirigeants supposés fautifs dans sa gestion (II), portons-nous au chevet de la crise sous cet angle agonistique qui interroge et n’apparaît pas l’action la plus urgente pour traverser cette épreuve collective (III).
I. LA MISE EN DANGER PAR LE NON-RESPECT DES MESURES DE CONFINEMENT ?
Ainsi que nul ne l’ignore, le Premier ministre, par un décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 « portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 », a réglementé les déplacements « afin de prévenir la propagation du virus Covid-19 ».
Plus précisément, selon ce texte réglementaire, était « … interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes :
1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique ;
3° Déplacements pour motif de santé ;
4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants ;
5° Déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie.
Les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions. »
Par un nouveau décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, adopté dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, instauré par la loi n° 2020-290 du même jour, ces mesures de confinement ont été légèrement modifiées en ce qui concerne les exceptions admises, la logique du texte demeurant celle d’une interdiction de principe de se déplacer.
Ce régime d’exception plaçant la France pour deux mois en état d’urgence sanitaire prévoit ainsi des mesures limitant la liberté d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre.
Sur ces fondements, des dizaines de milliers d’amendes ont été dressées à l’encontre de contrevenants.
Il s’agissait initialement d’amendes de 4e classe d’un montant forfaitaire de 135 euros pouvant être majoré à 375 euros en cas d’absence de paiement volontaire dans les 45 jours. La loi d’état d’urgence sanitaire a en outre prévu d’ajouter la peine de stage de citoyenneté ainsi que celle de suspension du permis de conduire et, en cas de récidive, de faire de l’infraction un délit puni de six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
Au-delà de cette qualification spécifique ainsi créée pour répondre aux circonstances exceptionnelles ayant présidé à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, la question peut être également posée d’un possible concours avec l’infraction de mise en danger d’autrui.
La presse a pu en effet rapporter que des mesures de garde à vue ont été ordonnées en Seine-Saint-Denis et dans le Pas-de-Calais, sans apparemment que des poursuites soient d’ailleurs engagées.
Au-delà de l’anecdote, la question doit être posée de la possibilité de qualifier juridiquement le délit de mise en danger dans les circonstances actuelles.
Il convient ici de rappeler qu’aux termes des dispositions de l’article 223-1 du Code pénal, « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
On épargnera au lecteur le rappel minutieux des éléments constitutifs de cette infraction et l’analyse de la jurisprudence rendue à son visa pour constater, avec peu de risque d’être contredit, que les décrets susvisés des 16 et 23 mars 2020 instituent bien des « obligations particulières de sécurité imposées par le règlement » au sens de l’article 223-1 du Code pénal.
Cette condition préalable, qui constitue la pierre de touche du délit de mise en danger, étant remplie, il est ensuite raisonnablement permis de considérer que le non-respect des mesures de confinement est de nature à exposer autrui à un risque de mort ou de blessures graves, compte tenu de l’extrême contagiosité et la morbidité du Covid-19.
Encore conviendrait-il d’analyser les faits précis de chaque espèce, la violation du décret étant par exemple constituée en cas d’oubli de l’attestation de sortie alors même que le motif de la sortie serait admissible. La contravention serait ici sans doute constituée, mais certainement pas le délit faute de toute mise en danger effective.
Resterait en outre et en toute hypothèse à démontrer le caractère intentionnel de la violation des règles de confinement.
Or ces règles, certes adoptées dans la précipitation et d’ailleurs retouchées depuis, ne brillent pas par leur clarté. Elles pourraient ainsi faire l’objet d’une contestation par voie d’exception devant le juge pénal sous l’angle du non-respect du principe de légalité criminelle. Faute d’élément légal, le délit de mise en danger ne serait là non plus pas constitué.
Au final, si l’invocation du délit de mise en danger à l’encontre de simples contrevenants aux règles du confinement apparaît théoriquement possible, sa pertinence au plan juridique comme son utilité pratique restent à démontrer. Et ce, d’autant plus depuis que la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire a renforcé les sanctions de cette infraction spéciale.
Qu’en est-il alors de l’invocation du délit, ou d’autres qui lui sont proches, à l’encontre des gestionnaires de la crise ?
II. LA MISE EN DANGER PAR DÉFAUT D’ANTICIPATION DE LA CRISE ?
La presse a relayé l’information selon laquelle une plainte a été déposée par un syndicat de médecins contre deux membres du gouvernement.
Ailleurs, ce sont des salariés qui portent plainte contre leur employeur, équipementier automobile, à qui il est reproché de maintenir une activité jugée non essentielle.
Cette plainte vise les délits de mise en danger et/ou celui d’abstention de combattre un sinistre.
S’agissant de la mise en danger d’autrui, il conviendra dans chaque situation de se pencher sur l’existence d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
Or, l’épidémie de coronavirus ayant les caractères d’un événement imprévisible, il est peu probable que de telles règles lui préexistant puissent être invoquées.
Sauf à ce que soit précisément reproché le non- respect des décrets susvisés des 16 et 23 mars 2020 et/ou la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire ? Concernant cette dernière toutefois, il conviendra que les ordonnances annoncées soient adoptées pour que ses dispositions entrent dans le droit positif.
La qualification du délit de mise en danger apparaît ainsi assez incertaine.
À l’inverse, le délit d’abstention de combattre un sinistre semble pouvoir être invoqué dans les circonstances actuelles à l’encontre des défaillances dans l’anticipation et la gestion de la crise.
Ce délit rarement rencontré en jurisprudence peut être rapidement décrit comme le cousin de la mise en danger et le petit frère de la non-assistance à personne en danger.
Il résulte des dispositions de l’article 223-7 du Code pénal que « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Selon la doctrine, le « sinistre » peut être constitué, par exemple, par un incendie, une catastrophe naturelle, un tremblement de terre, une inondation, et il doit être de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes, c’est-à-dire un risque d’atteinte à leur intégrité corporelle. En l’espèce, l’épidémie de Covid-19 nous semble constituer un sinistre de nature à créer un danger pour les personnes, au sens des dispositions précitées.
Ainsi, s’il devait être démontré qu’il était non seulement au pouvoir, mais encore du devoir, de certaines autorités de prendre des mesures de gestion de cette épidémie, l’infraction pourrait être constituée.
L’instruction de la plainte déposée permettra de déterminer les personnes éventuellement responsables de telles carences fautives.
III. TIMING IS EVERYTHING
Il n’est pas certain qu’en ces temps d’urgence sanitaire, la mobilisation du droit pénal et singulièrement du délit de mise en danger ou d’abstention de combattre un sinistre soit opportune.
Les sanctions renforcées des comportements de ceux qui ne respecteraient pas le confinement par les amendes fulminées à titre spécial pourraient apparaître, sauf cas particulier, suffisamment dissuasives.
Quant à imposer en pratique des peines d’emprisonnement de ce chef au lendemain de la condamnation de la France par la CEDH pour les conditions de vie indigentes qui règnent dans ses prisons et à l’heure où la Chancellerie annonce des libérations anticipées pour soulager la pénitentiaire, qu’il soit permis d’être sceptique.
Enfin, l’établissement des responsabilités éventuelles dans la gestion de la crise, en ce compris les insuffisances de son anticipation, bénéficiera des travaux de la mission d’information parlementaire, dont la constitution a été annoncée et qui pourrait combler la demande légitime d’analyse et de correction des erreurs qui seraient à déplorer.
La recherche des responsabilités pénales pourra intervenir ainsi, mais dans le temps long, qui sera aussi celui de la résilience.
Benoît Denis, Avocat au barreau de Paris, Spécialiste en droit pénal, Huglo Lepage Avocats
Valérie Saintaman, Avocate au barreau de Paris, Huglo Lepage Avocats
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