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CHRONIQUE. Récit d’un procès en comparution immédiate devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, pour des faits de conduite en état d’ivresse et un délit de fuite. Entre autres.
Le prévenu, âgé d’une trentaine d’années, plutôt grand, s’avance
dans le box dédié.
Le juge l’interpelle :
- « Monsieur, vous reconnaissez les faits qui vous sont
reprochés, nous sommes d’accord ?
- Oui.
- Dans un premier temps, vous les avez contestés, mais peut-être
était-ce l'effet de l’alcool ? En tout cas, dans une dernière audition, vous
avez dit ‘oui, il n'y a pas de difficulté, je reconnais tout’ ».
Cinq jours avant l’audience, Julien (le prénom a été changé)
a « occasionné un accident »
avec une voiture appartenant à son employeur, à Sucy-en-Brie. Il a alors
poursuivi sa route, « tentant
ainsi d'échapper à sa responsabilité civile et pénale », précise le
juge président d’audience. Une fois appréhendé par la police, il a refusé de se
soumettre aux vérifications par examen de son état alcoolique. Qui a été
constaté « de manière
manifeste », dans un état « titubant et tenant des propos incohérents ». Pour couronner le
tout, Julien a commis tout cela alors que son permis de conduire avait fait
l’objet d’une « annulation
judiciaire, avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis
de conduire », en janvier, par le tribunal de Meaux.
« Il y a un
peu plus qu’un rétro »
La victime de la conduite de Julien s’est constituée partie
civile. Elle a dû partir un peu avant l’audience pour se rendre à son travail,
explique son avocate.
Le juge questionne le prévenu :
- « Vous vous êtes rendu compte que vous aviez eu un accident ?
- Sur le moment, non. Pour moi, je n'ai pas dévié de voie, j'ai
juste tapé, et je ne m'en suis pas forcément aperçu. C'est pour ça que je suis
rentré chez moi. Au moment où il (la victime du
choc, ndlr) m'a bloqué, j'étais devant chez moi, le véhicule garé.
- Parce qu'on a des photos et a priori, il a dû s'entendre, le choc.
- Oui, c'est un rétro
- Il y a un peu plus qu'un rétro. A priori, le bas de caisse a aussi
été touché. »
Après avoir poursuivi Julien, la victime l’a retenu devant son
portail, et a appelé la police. Le juge précise qu’à leur arrivée, les
policiers ont trouvé Julien en train d’escalader un muret, ce que ce dernier
nie : « non, j'ai un bip,
j'attendais que la porte s'ouvre, je n’ai pas escaladé ».
Une juge assesseure questionne maintenant Julien sur les
circonstances ayant précédé son trajet alcoolisé :
-
« Tout ce que vous avez bu,
c’était dans un cadre festif ?
-
C'est ça, oui, c'était dans
un bar, en fait. Si vous voulez, j'ai un ami qui fêtait quelque chose.
-
D'accord, mais alors vous
n'étiez pas dans un cadre professionnel ?
-
Ah non, du tout. C'était sur
le retour. »
Toujours est-il que Julien a été arrêté au volant de la voiture de
service de la société pour laquelle il travaille en tant que plombier-chauffagiste.
C’est avec ce véhicule que le collègue de Julien va le chercher tous les
matins, et le ramène le soir. Il explique qu’après la soirée arrosée dans le
bar, ce collègue est rentré à pied, car il réside à proximité – contrairement au
prévenu.
La seconde juge assesseure prend la parole :
- « Ce que je ne comprends pas, Monsieur, c'est que votre
permis a été annulé. C'était pour quelle raison ?
- Pour des faits similaires.
- Voilà. Donc, vous savez que vous n'avez pas le droit de boire, et
encore moins de conduire en ayant bu. Mais alors, les deux en même temps,
encore plus. Vous comprenez, ça ? Vous savez que vous alliez prendre cette
voiture, mais vous prenez quand même la décision de boire avant… »
La fois de trop
La procureure prend à son tour la parole. Elle interpelle le
prévenu :
- « Vous savez que vous êtes un danger pour les autres, en
étant alcoolisé, on est d’accord ?
- Bien sûr.
- Vous pouvez percuter quelqu'un qui transporte un enfant, par
exemple.
- Oui, je sais bien.
- Je ne sais pas si vous avez compris, parce qu'en fait, là, on
n'aurait pas été sur la même audience. Qu'est-ce qu'il faut pour que vous
compreniez ? Elle hausse le ton. Qu'est-ce
qu'il faut ? C'est l'incarcération qui vous faut, monsieur ?
- Là, c’était la fois de trop
- Mais c'était la dernière fois, la fois de trop ! »
Le juge président d’audience reprend la parole, et détaille les
antécédents de Julien devant le tribunal. Deux ordonnances pénales ont été
prononcées contre lui, en 2012 et 2016, pour des faits d’usage de stupéfiants.
En 2019, il a fait l’objet d’une autre ordonnance pénale de suspension de son
permis de conduire pendant quatre mois, cette fois pour conduite sous l’emprise
de stupéfiants. En 2020, son permis est à nouveau suspendu pour huit mois : il
est alors obligé de réaliser un stage de sensibilisation à la sécurité
routière. Puis, en janvier 2024, il est à nouveau présenté devant le juge, pour
des faits, en état de récidive, de conduite sous stupéfiants. Il reconnaît
alors les faits, dans le cadre d’une procédure de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité. Il écope d’une peine de sursis
probatoire de six mois, sur deux années.
Des mesures liées au sursis
non effectuées
Le juge pointe un sursis probatoire « qui ne se passe pas bien ». Ainsi, explique-t-il,
Julien a ignoré deux convocations qui lui ont été adressées. Ce dernier prétend
n’avoir rien reçu, et dit avoir changé de numéro de téléphone. Le magistrat cherche à savoir si la peine complémentaire de
la CRPC a eu quelque effet :
- « Dans le cadre de la condamnation que vous avez acceptée, il
y avait comme obligation de vous soumettre à des mesures d'examen. Vous avez
engagé une thérapie, pour essayer de mettre un terme à votre consommation
excessive, soit de produits stupéfiants, soit d'alcool ?
- Concernant les stupéfiants, j’ai arrêté totalement depuis
l’affaire de Meaux.
- Et vous êtes allé voir un médecin pour faire des analyses, pour pouvoir
le prouver ?
- Euh, non.
- Et donc, vous avez remplacé les stupéfiants par l’alcool ?
- Non, c'est uniquement festif.
- Je suppose que la toxicomanie, c'était festif aussi, non ? »
Julien explique que le soir des faits jugés, il célébrait la
naissance de l’enfant d’un collègue. Le juge lui pose quelques questions sur la
mère et le bébé. Julien manque, semble-t-il, d’éléments précis autres que le
prénom, et bredouille que « son
ami lui a dit de passer ». De quoi faire dire au magistrat que « ce qui pose question »,
c’est que dans « l’esprit »
de Julien, c’est « festif,
quelle qu’en soit la raison ».
« Il en tremble encore »
L’avocate de la partie civile intervient pour relayer le
témoignage du conducteur du véhicule heurté par Julien. Elle indique que s’il a
« évité au maximum le choc »,
les dégâts causés sur le véhicule sont importants, avec des portes et le
garde-boue « complètement
frottés ». Elle affirme que c’est une fois rentré chez lui que son
client « s'est rendu compte
de ce qui aurait pu se passer ». « Il a eu vraiment très peur, et en tremble encore », ajoute
l’avocate. Elle présente un devis pour la réfection de sa carrosserie, d’un
montant de 1980 euros. L’avocate formule aussi une demande d’indemnisation pour
préjudice moral, d’un montant de 1500 euros.
La procureure reprend la parole : selon elle, les faits jugés ne
sont pas « une fois de trop »,
mais « une fois de plus ».
Ainsi, insiste-t-elle, le prévenu « est entré dans la catégorie des délinquants routiers habituels » ;
soulignant le cumul des différentes infractions, et évoquant un choc frontal
évité de justesse. La magistrate appelle le tribunal à prononcer une peine
d’incarcération ferme, tout en évoquant la nécessité de « travailler sur son addiction à l’alcool ».
Elle requiert vingt mois d’emprisonnement ferme, et l’annulation de son permis
de conduire, avec interdiction d’en solliciter un nouveau pendant trois ans.
L’avocate de Julien admet que son client a mis du temps à
reconnaître les faits, mais rappelle qu’il « les reconnaît aujourd’hui complètement ». Elle admet qu’il y a
« trop de condamnations pour
dire que c'est un état festif ». Concernant son ignorance des
convocations liées au sursis probatoire, elle confirme un changement de numéro
de téléphone. Elle dit néanmoins regretter que « le sursis probatoire ait échoué avant même
de commencer », et affirme qu’une « démarche de soins est la seule solution ». En faveur d’un tel
projet, elle mentionne un encadrement familial stable : le père de Julien,
qui a tout appris des agissements de son fils avec ce procès, « est prêt à l’accompagner et à l’aider ».
Pour clore l’audience, la parole est donnée à Julien, qui parle
du travail à faire sur lui-même, et de sa crainte de « tout perdre », en cas de peine de
prison ferme.
Après une suspension de séance, le tribunal est de retour pour
rendre les délibérés d’une série d’affaires, dont celle concernant Julien.
Reconnu coupable de l’ensemble des faits, il est condamné à un an
d’emprisonnement ferme, et maintenu en détention. Sa peine est cependant
aménagée sous le régime de la semi-liberté, avec un placement en centre de
semi-liberté et la poursuite d’une activité professionnelle à l’extérieur. Julien
doit aussi engager des soins d’addictologie. Il est également condamné à
indemniser les victimes, et se voit interdire la fréquentation des débits de
boisson et la conduite d’un véhicule à moteur pendant deux années. Il ne pourra
« pas repasser de permis
avant trois ans ». En plus de la prise en charge totale des dégâts
matériels de la victime, il est condamné à indemniser son préjudice moral, à
hauteur de 500 euros.
Etienne
Antelme
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